Marqueurs morphofonctionnels et domestication en archéozoologie

Définition biologique d’un animal domestique

            Pour en revenir à la domestication, il s’agit d’un cas particulier d’évolution dans lequel les forces évolutives sont anthropogènes. Dans ce cas particulier, la population se retrouve en contact avec un anthropo-écosystème, c’est-à-dire un environnement créé ou modifié par l’Homme, dans lequel vivent des humains qui interagissent entre eux et avec l’environnement (Coppinger and Coppinger, 2001 ; Herre and Röhrs, 1990 ; Larson and Fuller, 2014 ; Lord et al., 2013 ; Vigne, 2015, 2011). Que ce soit quelques individus issus d’une population animale qui pénètrent cet anthropo-écosystème par eux même, ou bien l’Homme qui les y introduit, cela va produire sur eux une cascade de phénomènes de deux types (Figure 1).
1. Des changements développementaux, qui interviennent dès l’entrée des individus dans le nouvel écosystème et se maintiennent tant que les individus y restent :
• Un stress biomécanique lié à la diminution de la prédation, à l’augmentation de la disponibilité de la nourriture, à la diminution de l’espace disponible…
• Un stress psychogénique, émotionnel et/ou comportemental lié aux densités élevées de population et à la réduction du nombre d’options disponibles en terme d’interactions sociales qui en découle.
• Des changements de régime alimentaire liés aux nouvelles ressources offertes par l’anthropo-écosystème.
• Des changements au niveau des maladies auxquelles sont soumis les individus, principalement liés aux fortes densités de population qui favorisent la transmission intra-spécifique, mais également à la proximité avec d’autres espèces domestiques qui favorise la transmission inter-spécifique des maladies.
2. Des changements génétiques et évolutifs, dont certains apparaissent directement liés au changement d’écosystème, et d’autres qui se mettent en place plus progressivement au cours de la succession des générations :
• Un effet fondateur, c’est-à-dire une forte réduction de la variabilité génétique par rapport à la population sauvage, liée au nombre réduit d’individus qui ont rejoint l’anthropo-écosystème.
• Une augmentation de la consanguinité qui découle directement de l’effet fondateur.
• Une augmentation de la dérive génétique qui découle également de l’effet fondateur. La dérive génétique étant un phénomène d’évolution aléatoire des fréquences de caractères dans la population, indépendamment de leur adéquation avec l’écosystème actuel, causée par le hasard des rencontres, des fécondations etc… Ce phénomène a lieu parallèlement à l’évolution classique par la sélection naturelle, mais ses effets sont d’autant plus importants que la population est petite (Kimura, 1968 ; Ohta and Kimura, 1969).
• Une augmentation de la sélection naturelle des caractères en adéquation avec la vie dans un anthropo-écosystème.
• Une diminution de la sélection naturelle des caractères en adéquation avec la vie dans un écosystème naturel.
• L’apparition d’une sélection artificielle, caractéristique de la domestication et exercée de façon consciente ou non par les Hommes en fonction de leurs préférences, de leurs besoins etc…
• Des effets corrélés à la sélection artificielle et la nouvelle sélection naturelle. En effet, beaucoup de gènes sont dit « pléiotropiques », c’est-à-dire qu’ils agissent sur plusieurs caractères. Ainsi la sélection d’un caractère peut, par effet pléiotropique, influencer d’autres caractères corrélés qui ne sont pas originellement ciblés par la sélection. Tous ces phénomènes vont alors conduire à un isolement génétique de cette souspopulation vis-à-vis du reste des populations de l’espèce, et à la sélection des individus dont les caractères sont les plus favorables à la survie et la reproduction dans cet environnement anthropogène et au contact de l’Homme. Ce processus d’isolement et de sélections naturelle et artificielle a des conséquences biologiques, à la fois comportementales et morphologiques. Ainsi, un animal domestique est un animal qui a colonisé un anthropo-écosystème et dont les caractères biologiques ont fini par être modifiés au fil des générations jusqu’à s’adapter à ce nouvel écosystème (Figure 1.1 page 17).

Génotype, Phénotype, Plasticité phénotypique et Norme de réaction

         Avant d’appréhender les concepts de plasticité phénotypique et de norme de réaction, il est nécessaire de comprendre un ensemble de notions interdépendantes sur lesquels ils reposent : l’ADN, le gène, l’allèle, le génotype et le phénotype. (Reece et al., 2012)
• L’ADN. Ce que nous transmettons d’une génération à l’autre via les cellules reproductrices (spermatozoïde et ovule) est une portion de notre matériel génétique, constitué d’ADN. C’est une très longue molécule présente chez tous les êtres vivants. Certaines parties peuvent être « décodées » dans nos cellules par la machinerie moléculaire, pour produire des protéines, qui serviront de « briques de base » pour façonner tout ce qui nous constitue et faire fonctionner tous les processus qui ont lieu dans notre corps.
• Le gène. Chaque portion de notre matériel génétique qui peut amener à produire une protéine est appelé un gène.
• L’allèle. Au cours de l’évolution peuvent survenir des mutations, des modifications aléatoires du matériel génétique, causées par divers facteurs. Ces mutations, si elles ont lieu sur un gène, peuvent conduire à produire une protéine différente de celle produite avant la mutation. Les deux versions du gène, celle non mutée et celle mutée, qui mènent à la production de deux protéines différentes sont appelées deux allèles du gène.
• Le génotype est l’ensemble des allèles des gènes portés par un individu. Chaque individu possède un génotype différent qui la caractérise dans une certaine mesure, puisqu’il permet de produire toutes les protéines qui composent cet individu et font fonctionner ses processus biologiques.
• Le phénotype. En produisant les protéines qui constituent un individu, le génotype va contribuer à façonner l’ensemble de ses caractères observables, c’est ce qu’on appelle le phénotype. Ainsi la pigmentation de la peau, le groupe sanguin, la masse corporelle, la forme des os etc… constituent le phénotype d’un individu. Or, le génotype seul n’est pas suffisant pour expliquer certains de ces caractères. Pour un même génotype, certains caractères peuvent varier : la pigmentation de la peau et la masse corporelle sont de bons exemples. Même s’ils ont une base génétique, ils peuvent être affectés respectivement par l’exposition au soleil et l’alimentation. Ainsi le phénotype est induit conjointement par le génotype et l’environnement.
• La plasticité phénotypique est cette capacité pour un individu d’exprimer différents phénotypes à partir d’un même génotype en fonction de son environnement (Ghalambor et al., 2007 ; Sultan and Stearns, 2005). Cette plasticité phénotypique a d’ailleurs un rôle à jouer dans le processus d’évolution puisque la sélection naturelle s’applique sur le phénotype et non sur le génotype : les individus sont sélectionnés en fonction du phénotype qu’ils expriment et de son adéquation avec l’environnement actuel, et non en fonction de tous les phénotypes qu’ils auraient pu exprimer à partir de leur génotype. Autrement dit, ce sont les variations du phénotype générées par la plasticité qui sont sélectionnées, et donc la capacité à exprimer ce phénotype dans cet environnement qui est transmise d’une génération à l’autre (Nicoglou, 2014).
• La norme de réaction est l’ensemble des phénotypes qu’un génotype peut exprimer à partir de conditions environnementales différentes (Griffiths et al., 2000).

Cartographie de l’épaisseur corticale

              Pour décrire la topographie de l’épaisseur corticale des os longs, il faut mesurer en chaque point de la diaphyse la distance entre la surface interne et la surface externe pour élaborer une cartographie de l’épaisseur corticale. Le principe est assez simple, mais les protocoles existants présentent plusieurs problèmes qui les rendent inadaptés à notre application, il a donc été nécessaire d’élaborer un protocole ad hoc. (Figure 1.6 page 29) Le premier problème est la définition des limites de la diaphyse. En effet, de la même manière qu’il est nécessaire pour la morphométrie géométrique que tous les landmarks soient homologues pour être comparés, les limites de la diaphyse doivent être homologues entre tous les spécimens si l’on veut que les mesures de l’épaisseur corticale soient comparables. Un des protocoles préexistants (Bondioli et al., 2010 ; Puymerail, 2013) définit les limites de la diaphyse par un pourcentage de l’os total, entre 20 et 80% de l’os, mais ce faisant, il rend les limites de la diaphyse dépendantes de la conformation des épiphyses : si sur un os les épiphyses sont particulièrement allongées, la longueur totale de l’os en sera augmentée, et puisque la diaphyse est définie en fonction de la longueur totale de l’os, sa longueur sera surestimée. Cependant, ce protocole est destiné à être appliqué à un fémur humanoïde, qui a une conformation très longiligne, ce qui rend probablement les légères variations de la taille des épiphyses négligeables devant la longueur totale de l’os. En revanche, dans notre cas, le protocole doit être applicable à des humérus de sanglier et de cochon, dont la conformation est beaucoup plus trapue, mais surtout dont la variabilité au niveau des épiphyses est très importante, notamment entre sangliers et cochons, ce qui rend l’impact de la conformation des épiphyses beaucoup plus important sur la longueur totale de l’os. Un autre protocole déjà existant (Morimoto et al., 2011) utilise en revanche des landmarks anatomiques pour définir de façon homologue les limites de la diaphyse. C’est la solution que nous avons choisi d’adopter. Le second problème est lié au premier, il s’agit de l’angle de la limite de la diaphyse. En effet, les limites sont tracées perpendiculairement à l’axe vertical, mais l’axe vertical dépend également de la conformation des épiphyses. Si un spécimen a une épiphyse légèrement courbée dans une direction, l’axe vertical va également être légèrement incliné dans cette direction, ce qui va conduire à des limites de la diaphyse légèrement inclinées, et donc non-homologues. Nous avons donc aligné l’axe vertical sur la longueur de la diaphyse, et non sur la longueur totale de l’os.

Avenir du projet expérimental DOMEXP

               Le projet Domexp, qui a consisté à faire grandir en captivité des sangliers issus d’une population semi-sauvage à partir de 6 mois jusqu’à leurs 2 ans, et à leur faire passer un scanner médical et une IRM tous les 3 mois pendant leur croissance, a généré une très grande quantité de données. Il sera donc essentiel de mettre à profit ces séries longitudinales de scanners in vivo au cours de la croissance pour mieux comprendre les processus développementaux d’apparition de ces réponses plastiques liées à la captivité identifiés dans cette thèse. De plus, il est possible de mesurer un équivalent de la ACSA à partir des IRM, il serait donc intéressant d’étudier l’évolution de la force musculaire au cours du développement en fonction de la réduction de mobilité. Nos données ACSA sont d’ailleurs très lacunaires concernant les sangliers sauvages, il pourrait être intéressant de prendre ces mesures sur de nouveaux spécimens sauvages pour pouvoir construire un vrai modèle biomécanique. Enfin, comme expliqué dans le chapitre introductif, on peut s’attendre à ce que la captivité induise des modifications au niveau de la structure trabéculaire des os. Les scan effectués au cours de la croissance ne sont pas assez précis pour étudier ces structures, mais des scan au micro-CT ont déjà été effectués sur les os des individus en fin de croissance (2 ans), et leur analyse pourrait révéler des nouveaux marqueurs dont l’étude est actuellement en cours.

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Table des matières

1 Introduction 
Préambule
1.1 Évolution et Domestication 
1.1.1 Évolution des espèces
1.1.2 Définition biologique d’un animal domestique
1.1.3 Définition anthropologique d’un animal domestique
1.1.4 Trajectoires de domestication
1.1.5 Syndrome de domestication
Aparté historique 1 L’expérimentation sur le renard argenté
1.2 Identification de la domestication en contexte archéologique
1.2.1 Marqueurs archéologiques habituels
1.2.2 Génotype, Phénotype, Plasticité phénotypique et Norme de réaction
1.2.3 Protocole expérimental
1.2.4 Plasticité osseuse
1.2.5 Morphométrie géométrique
1.2.6 Cartographie de l’épaisseur corticale
1.2.7 Mise à l’épreuve des nouvelles méthodes : Application archéologique
Aparté historique 2 Domestication du cochon et diffusion en Europe
1.3 Structure de la thèse
Références
2 The mark of captivity : plastic responses in the ankle bone of a wild ungulate (Sus scrofa) 
Abstract
2.1 Introduction
2.2 Material and methods 
2.2.1 Experimental design
2.2.2 Comparative collection
2.2.3 Calcaneus three-dimensional models
2.2.4 Three-dimensional shape and centroid size variables
2.2.5 Life-history dataset
2.2.6 Muscle force estimates
2.2.7 Available area for locomotion
2.2.8 Statistical analyses
Size, shape and life traits covariation in captive and wild-caught wild boars
Comparing plastic size and shape response to captivity with changes induced by artificial selection
2.3 Results 
2.3.1 Plastic responses to captivity in wild boars
2.3.2 Comparing plastic response to captivity in wild boars to artificial selection signal in domestic pigs
2.4 Discussion
2.4.1 Plastic response to captivity
2.4.2 Captivity and change in muscular function
2.4.3 Plastic versus selective changes
2.5 Conclusion 
References
3 Investigating the impact of captivity and domestication on limb bone cortical morphology : an experimental approach using a wild boar model (Sus scrofa) 
Abstract
3.1 Introduction
3.2 Material and methods
3.2.1 Experimental design
3.2.2 Comparative collection
3.2.3 Humerus 3D models
3.2.4 Bone volume
3.2.5 Morphometric mapping of the humeral cortical thickness
3.2.6 Standardization
3.2.7 Life history dataset
3.2.8 Muscle force estimates
3.2.9 Statistical analyses
Size, shape and life trait covariations in wild-caught and captive wild boars
Comparing plastic size and shape response to captivity with changes induced by artificial selection
3.3 Results 
3.3.1 Lifetime changes in humerus cortical thickness in wild boars associated with mobility reduction
3.3.2 Relative impacts of locomotor behaviour and selection in humerus cortical thickness
3.4 Discussion
3.5 Conclusion 
References
Erratum
4 Pig domestication in Western Europe : assessing the impact of anthropogenic control over Early Neolithic Sus scrofa populations 
4.1 Introduction 
4.2 Material and methods
4.2.1 Comparative collection
4.2.2 Archaeozoological material and context
Mesolithic comparative collection
Cyprus island
Continental Western Europe
Areas under Mediterranean influence
4.2.3 Humerus cortical thickness topology and cross section area
4.2.4 Calcaneus three-dimensional shape and centroid size
4.2.5 Statistical analyses
4.3 Results
4.3.1 Humerus cortical thickness topography in modern and archaeological Sus scrofa
4.3.2 Variation in calcaneus size and shape in current and archaeological Sus scrofa
4.3.3 Predicting the level of anthropogenic pressure on population of Sus scrofa in Western Europe
4.4 Discussion 
4.4.1 Methodological consideration
4.4.2 Revisiting the status of Sus scrofa remains from early Neolithic contexts in Cyprus and Western Europe
Cyprus island
Continental Western Europe
Early and middle Neolithic in the Mediterranean area
Middle and late Neolithic in areas under Mediterranean influence
On the low prediction rate of captive specimens
4.4.3 Neolithisation and phenotypic diversification in Western Europe Sus scrofa
4.5 Conclusion and perspectives 
References
5 Conclusions et perspectives générales 
Préambule
5.1 Conclusions 
5.1.1 Chapitre 2
Le comportement locomoteur d’un sanglier en captivité peut-il induire des modifications de conformation osseuse au-delà de la norme de réaction des sangliers sauvages ?
À quel point ces modifications sont impactées par le lien fonctionnel entre os et muscles ?
Comment ces modifications diffèrent-elles de celles induites par la sélection artificielle pratiquée chez le cochon au cours des 200 dernières années ?
5.1.2 Chapitre 3
La réduction de la mobilité au cours de la croissance chez le sanglier peut-elle induire des variations mesurables dans la structure corticale des os des membres au-delà de la norme de réaction des sangliers sauvages ?
À quel point ces modifications sont impactées par le lien fonctionnel entre os et muscles ?
5.1.3 Chapitre 4
Quelles limites méthodologiques ont pu être mises en évidence par cette application archéozoologique ?
Quelles nouvelles données ont pu être apportées par ce réexamen du statut des suinés du début du Néolithique en Europe occidentale ?
5.2 Perspectives 
5.2.1 Avenir du projet expérimental DOMEXP
5.2.2 Perspectives de l’analyse du calcanéus en morphométrie géométrique tridimentionnelle
5.2.3 Perspectives de l’analyse de la topographie de l’épaisseur corticale de l’Humérus
5.2.4 Avenir de l’évaluation de l’impact anthropogénique sur les populations archéologiques de Sus scrofa par l’étude de la forme des os et de la topographie de l’épaisseur corticale
Références
Annexes

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