Ressenti et rôle de chacun des intervenants rencontrés
Le médecin généraliste était considéré par la plupart des patients comme le médecin de famille. D’une part il s’occupait de la personne dans sa globalité, de son état de santé, de ses problèmes somatiques et de la famille : « (le médecin traitant) c’était différent, c’est c’était plus sur le…plus la famille, la vie en dehors du travail. ». Et d’autre part, il était source de soutien psychologique lors des difficultés dans le travail : « Quelque part c’était presque mon psycho… comment on dit un psychothérapeute un peu hein. ». Il agissait donc sur ces deux plans : «(le médecin traitant), lui il concilie aussi bien pour le travail que pour la maison, que pour la famille.
C’est un médecin entre guillemets médecin de famille». Il permettait, grâce à son écoute, ses conseils et ses soins, de prendre du recul et de refaire le point sur la situation du salarié. Les patients appréciaient sa disponibilité, la possibilité de disposer du temps nécessaire lors des consultations ou encore sa capacité à expliquer de façon compréhensible, sans jargon médical : « Elle est restée une heure avec moi quand même (rires), donc elle a pris pas mal de retard ». Par ailleurs, sa fonction de suivi permettait de prendre des nouvelles même si la personne consultait pour un autre problème, pour ses enfants ou une fois l’épisode passé : « Mais elle continue toujours à me demander. Si je suis toujours bien dans le poste, si ça va, si moralement j’remonte (…) elle est toujours (…) pas inquiète mais elle demande.
On a de l’intérêt voilà ». Il était également perçu comme un prescripteur soit de médicaments « ben disons que le médecin traitant, lui il peut nous donner un traitement. », soit d’arrêts maladie : « En fait (le médecin traitant), elle a été là pour faire mes arrêts. » Cependant, il ne connaissait pas l’entreprise et les conditions de travail ce qui pouvait limiter sa prise en charge. Tous les patients se sont vus prescrire un arrêt maladie dès la première consultation et sur plusieurs mois pour la plupart, jusqu’au licenciement pour plusieurs d’entre eux : « j’ai été en arrêt de travail un mois. Dans un premier temps et il a été reprolongé d’un mois après. ». L’arrêt fut considéré par beaucoup comme bénéfique en permettant le repos, de se soustraire de l’entreprise et pour certains d’éviter une perte financière : « ça me fait vraiment du bien, je suis reposé physiquement. », « oui, oui, en arrêt de travail.
Donc ce qui permettait de payer les factures parce que sinon je ne sais pas comment on aurait pu s’en sortir. » Pour deux personnes, les médecins traitant ont hésité à faire un certificat d’accident de travail et ont finalement abandonné par peur d’une contestation de l’employeur et/ou d’un refus de la caisse d’assurance maladie : elles ont donc été mises en arrêt maladie. L’un des médecins a toutefois notifié sur celui-ci une ITT de 10 jours. « Au début elle (médecin traitant) voulait me mettre en accident de travail quoi (…) le problème d’un accident de travail je sais plus c’que c’était euh…en fait il (l’employeur) pouvait contester l’accident de travail. » On note également des arrêts maladie pour causes somatiques intercurrentes : « Je suis en arrêt pour mon dos. », « quand j’ai subi (… )une autre opération en fin d’année, (…) ah et puis je me suis cassé un autre doigt de pied, j’ai été encore un moment arrêtée. ». Certaines caractéristiques des arrêts maladie figurent dans le tableau.
Limites de la médicalisation
Si la prise en charge médicale permet un soutien psychologique et une mise à distance par rapport à la situation de travail génératrice de souffrance (via l’arrêt maladie ou encore la mise en inaptitude par le médecin du travail), seuls les changements d’organisation ou de conditions de travail (changement de poste, licenciement…) permettent une résolution de l’épisode. Dans ce travail, nous avons constaté deux phénomènes : médicalisation et judiciarisation de la souffrance au travail. La médicalisation est la prise en charge par la médecine et plus particulièrement par la psychiatrie de problèmes sociétaux : violences, adolescents en difficultés, exclusion et souffrance au travail en sont des exemples.
Dans cette étude, les patients étaient nombreux à en souligner les limites, notamment le peu d’effet sur leurs conditions de travail et les difficultés qu’ils avaient à faire reconnaître à leur entourage, y compris parfois les médecins, l’imputabilité des facteurs organisationnels dans la genèse de leur souffrance. Cette médicalisation entraîne une psychologisation de la souffrance, ainsi l’origine sociale et collective des problèmes est déplacée vers une origine psychiatrique individuelle.
Dès lors se pose la question d’une fragilité individuelle, pouvant prédisposer à la souffrance au travail. Pour Marie Pezé, s’il est vrai que la structure de la personnalité des individus peut avoir une importance, parmi d’autres facteurs, dans l’apparition de la souffrance au travail, il ne s’agit pas pour autant de personnes « fragiles » psychologiquement ; c’est même le contraire, la souffrance au travail touchant « des personnes exigeantes dans la qualité de leur travail. » (16). D’autres auteurs semblent aller dans ce sens (17,18). Et si dans ce travail certains salariés ont pu avoir dans leur parcours des événements de vie extérieurs au travail pouvant être générateurs de souffrance, c’est bien dans le travail qu’ils plaçaient l’origine de leur souffrance. La psychologisation de la souffrance au travail focalise donc l’attention sur l’individu, son parcours de vie et sa souffrance, en omettant de remettre en cause l’organisation du travail. Michel Gollac explique : « en même temps que la souffrance au travail est ainsi mise en évidence, l’accent est mis sur la souffrance plus que sur le travail. ». La médicalisation de la souffrance au travail ne permet donc pas de changements des conditions de travail, ni même leur remise en question.
Manque de communication interprofessionnelle
Dans cette étude, beaucoup de personnes interrogées ne ressentaient pas de liens entre les médecins, qui ne communiquaient que peu entre eux, et regrettaient de toujours devoir répéter leur histoire. Cette constatation est également faite par la majorité des médecins généralistes ou du travail qui reconnaissent des contacts entre eux trop peu fréquents, voire absents et une communication pauvre.
Concernant par exemple les problèmes de santé psychique, 27% des médecins du travail se déclarent sollicités par les généralistes mais seuls 15% des généralistes y font appel.
Les moyens de communication existent : téléphone, courrier, fax, mail et même par l’intermédiaire du patient, mais un frein à cette collaboration semble perdurer. D’après P. Laurent et al., les facteurs limitant la collaboration cités par les médecins généralistes sont la méconnaissance du médecin du travail et de son « rôle », les difficultés pratiques, le secret médical ou encore le manque d’efficacité de la médecine du travail.
Par ailleurs, les médecins généralistes semblent éprouver de la méfiance vis à vis de l’indépendance du médecin 34 du travail, même s’ils ne remettent pas en cause son efficacité, ce qui est ressenti par les médecins du travail.
Même si pour les salariés rencontrés, on ne notait pas d’errance médicale mais plus un manque de collaboration entre les différents professionnels de santé, des améliorations peuvent être envisagées. Des études sur la circulation des informations, des recommandations de bonnes pratiques, des modifications de la législation peuvent être envisagées et permettraient une collaboration entre médecins du travail, généralistes et patients afin d’améliorer la prise en charge.
Des rencontres ou des réunions entre les principaux intervenants pourraient également s’envisager afin de mieux appréhender le rôle de chacun et de favoriser la communication interprofessionnelle.
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Table des matières
INTRODUCTION
METHODE
RESULTATS
Description de l’échantillon
Caractérisation de la population
Mode d’entrée dans la prise en charge
Parcours de soins et liens entre les différents intervenants rencontrés
Ressenti et rôle de chacun des intervenants rencontrés
Attentes non comblées par le parcours de soins
DISCUSSION
Limites de l’étude
Comparaison avec la littérature
Limites de la médicalisation
Manque de communication interprofessionnelle
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
LISTE DES TABLEAUX
TABLE DES MATIERES
ANNEXES
Grille d’entretien
Entretien
Liste des noeuds utilisés à l’aide du logiciel NVivo
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