L’infection à VIH demeure un problème de santé publique dans le monde ; et surtout en Afrique. Sa prévalence dans le monde était estimée à 35 millions en 2013 [102]. Les manifestations hématologiques observées au cours de l’infection à VIH sont multiples et peuvent survenir à tous les stades de l’infection. Leurs mécanismes peuvent être la conséquence du rôle direct du VIH sur les progéniteurs, d’une dysrégulation du système immunitaire [81], des infections opportunistes et des effets secondaires des traitements antirétroviraux [77]. Les modifications hématologiques du VIH sont constituées des anomalies de l’hémogramme, des hémopathies et des troubles de la coagulation [77] Les anomalies de l’hémogramme sont essentiellement composées de cytopénies (périphériques, centrales). L’anémie est la plus récurrente avec une fréquence atteignant parfois 95% des cas. Elle est le plus souvent normocytaire normochrome ou macrocytaire. La thrombopénie est observée chez 3 à 40% des patients infectés de VIH. Quant à la leucopénie, elle est essentiellement représentée par la lymphopénie qui est directement liée à la baisse des lymphocytes TCD4. Hormis la lymphopénie, la neutropénie est décrite dans 10 à 30% des cas [81]. Outre les cytopénies, l’infection à VIH est associée à un risque de survenue d’hémopathies malignes ou bénignes. Il s’agit plus de proliférations lymphoïdes agressives [77]. Les troubles de la coagulation, moins fréquents, sont secondaires à un état d’hypercoagulabilité et sont liés à une augmentation de la synthèse de facteurs procoagulants et à une réduction des protéines S et C [77].
Au Sénégal, les études antérieures sur les manifestions hématologiques associées au VIH étaient surtout axées sur l’anémie. Notre travail portera sur l’ensemble des manifestations hématologiques. Nous avons mené une étude rétrospective allant de Janvier 2005 à Avril 2009, dans les services de Médecine Interne et de Dermatologie de l’Hôpital Aristide Le Dantec, avec pour objectifs de:
– décrire les aspects épidémiologiques, diagnostiques, thérapeutiques et évolutifs des différentes anomalies hématologiques bénignes ou malignes présentes au cours de l’infection à VIH ;
– comparer les différentes anomalies hématologiques survenant avant ou après traitement antirétroviral
– Corréler ces anomalies hématologiques au profil immunologique.
RAPPELS SUR L’INFECTION A VIH
DEFINITION
C’est une infection rétrovirale chronique persistante, acquise par voie sexuelle, sanguine ou par transmission verticale qui induit de façon progressive et après un nombre variable d’année d’évolution, un déficit profond de l’immunité cellulaire responsable de complications infectieuses et tumorales majeures qui constituent le SIDA.
HISTORIQUE
C’est en 1981 que les premiers cas de SIDA furent identifiés à Atlanta par le Center for Diseases Control (CDC) à partir de très nombreux cas de pneumopathies et de sarcomes de Kaposi chez des homosexuels [81]. En 1983, BARRE-INOUSSI and al. de l’équipe de Montagnier isolèrent le premier virus responsable du SIDA, le VIH-1 [81]. En 1985, BARIN and al. ont montré l’existence d’un second virus apparenté au VIH-1, le VIH-2. En 1985 aussi, on assista à la découverte du virus VIH-2 au Sénégal [9]. En 1987, les deux types de virus VIH-1 et VIH-2 furent isolés chez un même patient au Sénégal par le professeur Souleymane MBOUP [9]. Au cours de cette même année, des essais thérapeutiques démontrent l’efficacité de l’Azidothymidine (AZT) sur la survie des malades. En 1996 et 1997, des études démontrent respectivement la supériorité des bithérapies sur la monothérapie par la zidovudine, puis celle des trithérapies sur les mono et bithérapies [81]. Concernant les anomalies hématologiques, les premiers cas de lymphome non hodgkinien et de thrombocytopénie furent identifiés en 1982 chez des sujets homosexuels atteints de SIDA [37].
EPIDEMIOLOGIE
La situation mondiale du VIH selon l’ONUSIDA se caractérisait par une prévalence de 35 millions de PVVIH à la fin 2013 contre 33,3 millions de PVVIH à la fin 2009 et 26,2 millions en 1999. L’Afrique subsaharienne supporte encore une part démesurée du poids de l’épidémie mondiale avec 24,7 millions d’infectés. Malgré l’augmentation de la prévalence mondiale, on assiste à une diminution de l’incidence et du nombre de décès. Le nombre de décès annuels liés au VIH diminue régulièrement à travers le monde : d’un pic de 2,1 millions en 2004, on est passé à 1,8 million en 2009 et à 1,5 million en fin 2013. Quant à l’incidence, en 2009, on estimait à 2,6 millions le nombre de personnes nouvellement infectées par le VIH. Ce chiffre est inférieur de près d’un cinquième (19%) au nombre de personnes nouvellement infectées en 1999 qui était de 3,1 millions. En 2013, le nombre de personnes nouvellement infectées tombait encore à 2,1 millions. Cette diminution s’observe également en Afrique subsaharienne [65, 102, 103]. Au Sénégal [22, 23] ; la prévalence du VIH est de 0,7% dans la population générale. Cette prévalence n’est cependant pas uniforme. Les femmes sont plus infectées que les hommes avec une tendance à la baisse du sex- ratio F/H qui passe de 2,25 à 1,6. Cette prévalence varie également avec l’âge : de 0,1% entre 15 et 19 ans, on passe à 1,9% entre 45 et 49ans. Elle varie aussi chez les populations à risque : 18,5% chez les professionnelles du sexe ; 21,8% chez les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes et 9% chez les injecteurs de drogues intraveineuses. Des disparités existent aussi entre les différentes régions: les plus faibles prévalences sont observées à Louga, Fatick et Diourbel (figure 1).
AGENT PATHOGENE
Il s’agit du Virus de l’Immunodéficience Humaine (VIH) qui appartient à la famille des retroviridae et à la sous famille des lentivirus ou virus à croissance lente. Ces derniers ont un pouvoir lytique ; c’est-à-dire qu’ils sont responsables de la destruction et de la mort de la cellule infectée. A ce jour, deux types de VIH ont été identifiés : VIH-1 et VIH-2 [81].
Au plan de sa structure [81], le VIH apparait comme un virus enveloppé de forme sphérique mesurant entre 80 et 120mm de diamètre. Schématiquement, le VIH est constitué :
o d’une enveloppe ou core qui est recouverte de deux types de glycoprotéines (gp120, gp41). Cette enveloppe est tapissée à l’intérieur par la matrice (protéines p17) ;
o d’une capside sous forme de trapèze au centre de la particule virale qui est constituée de protéines (p24) ;
o du génome viral constitué d’un simple brin d’ARN en double exemplaire recouvert par la nucléocapside et accompagné de trois types d’enzymes (transcriptase inverse, protéase, intégrase) qui sont les principales cibles des traitements antirétroviraux .
Le VIH présente une grande variabilité structurelle conduisant à une subdivision en types, sous-types, groupes, séro groupes et en virus recombinants.
Les voies de transmission sont sexuelles, sanguines et périnatales. La transmission sexuelle est la plus fréquente (environ 90%). Elle se fait lors des rapports sexuels non protégés avec pénétration anale, génitale ou oro-génitale [13]. La transmission sanguine a lieu au cours des transfusions avec du sang contaminé ou par la piqûre avec un objet souillé. Le risque résiduel de transmission du VIH par transfusion sanguine est de 3,5 pour 100000 dons de sang au Sénégal [89].
La transmission verticale ou périnatale ou encore transmission mère-enfant dépend d’une baisse de la lymphopénie TCD4, d’une antigénémie positive à p24, d’une charge virale élevée et d’une co-infection (VHB, VHC, HTLV-1) chez la mère [11, 33, 38].
Sur le plan de la pathogénie de l’infection par le VIH [6, 44, 57, 74, 81, 100] : Les cellules cibles sont les cellules portant à leur surface la molécule CD4 qui est un récepteur de grande affinité pour la gp120. Ces cellules cibles sont celles du tissu hématopoïétique (lymphocytes T et B, macrophages, promyélocytes, mégacaryocytes), du cerveau (cellules dentritiques, Astrocytes, microglies) et d’autres tissus (cellules des capillaires endothéliaux, de l’épithélium intestinal, de Langherans de la peau…). Le principal récepteur du virus est donc le récepteur CD4 qui permet la fixation du virus à la cellule. Mais cette fixation au récepteur CD4 n’est pas suffisante pour médier l’entrée immédiate du virus dans la cellule. Plusieurs co récepteurs du VIH ont été identifiés. On peut citer le CXCR-4 reconnu par les souches du VIH se répliquant dans les lignées des cellules T (virus T lymphocytropes) et le CCR-5 utilisé par les souches du VIH infectant plutôt les macrophages. La connaissance de ces co-récepteurs permet d’expliquer pourquoi certaines personnes, fréquemment exposées au VIH demeurent non infectées. Le récepteur CCR-5 est le plus impliqué dans la résistance de ces personnes. En effet, les sujets porteurs de certains alèles de ce récepteur sont réfractaires à l’infection par les souches macrophage-tropiques mais peuvent être infectées par les lymphocytropes. Le cycle de réplication du VIH dans la cellule hôte est constitué de cinq étapes chronologiques que sont l’absorption et pénétration du virus dans la cellule ; suivie de la synthèse et intégration de l’ADN proviral ; puis de la transcription de l’ADN proviral en ARN génomique ; de la synthèse des protéines virales et enfin de la formation de nouvelles particules virales infectieuses. Deux types de réactions immunitaires sont mis en jeu :
-une réponse immune à médiation cellulaire par les lymphocytes T et des cellules de la lignée des monocytes et macrophages
-une réponse immune à médiation humorale qui est secondaire à la production d’anticorps par les cellules de la lignée des lymphocytes B.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE
I-1 RAPPELS SUR L’INFECTION A VIH
I-1-1 DEFINITION
I-1-2 HISTORIQUE
I-1-3 EPIDEMIOLOGIE
I-1-4 AGENT PATHOGENE
I-1-5 DIAGNOSTIC
I-1-5-1 HISTOIRE NATURELLE DE L’INFECTION A VIH
I-1-5-2 DIAGNOSTIC BIOLOGIQUE
I-1-5-2-1 LE DIAGNOSTIC INDIRECT
I-1-5-2-2 DIAGNOSTIC DIRECT
I-1-5-3 DIFFERENTES CLASSIFICATIONS
I-2 MANIFESTATIONS HEMATOLOGIQUES DU VIH
I-2-1 PATHOGENIE
I-2-1-1 AVANT LE TRAITEMENT ARV
I-2-1-1-1 LES ANOMALIES NON TUMORALES
I-2-1-1-1-1CYTOPENIES
I-2-1-1-1-2 TROUBLES DE L’HEMOSTASE
I-2-1-1-2 LES ANOMALIES TUMORALES
I-2-1-1-2-1 LES LYMPHOMES
I-2-1-1-2-2 SYNDROME D’ACTIVATION MACROPHAGIQUE
I-2-1-1-2-3 AUTRES
I-2-1-2 LIEES AU TRAITEMENT ARV
I-2-2 DIAGNOSTIC DES MANIFESTATIONS HEMATOLOGIQUES
I-2-2-1 MANIFESTATIONS NON TUMORALES
I-2-2-1-1 CYTOPENIES
I-2-2-1-2 TROUBLES DE LA COGULATION
I-2-2-2 MANIFESTATIONS TUMORALES
I-2-2-2-1 LYMPHOMES
I-2-2-2-2 SYNDROME D’ACTIVATION MACROPHAGIQUE
I-3 TRAITEMENT
I-3-1 BUT
I-3-2.MOYENS
I-3-2-1 PRISE EN CHARGE DU VIH
I-3-2-2 PRISE EN CHARGE DES MANIFESTATIONS HEMATOLOGIQUES
I-3-3 ATTITUDE THERAPEUTIQUE
DEUXIEME PARTIE
II-1 MATERIEL ET METHODE
II-1-1 Cadre d’étude
II-1-2 Méthodologie
II-1-2-1 Type d’étude
II-1-2-2 Population d’étude
II-1-2-2-1 Critères d’inclusion
II-1-2-2-2 Critères de non inclusion
II-1-2-2-3 Critères d’exclusion
II-1-2-3 Saisie et exploitation des données
II-1-2-4 Contraintes
II-2 RESULTATS
II-2-1 RESULTATS DESCRIPTIFS
II-2-1-1 Caractéristiques sociodémographiques
II-2-1-2 Terrain VIH
II-2-1-3 Manifestations hématologiques
II-2-1-3-1 Avant traitement ARV
II-2-1-3-1-1 Circonstances diagnostiques
II-2-1-3-1-2 Manifestations paracliniques
II-2-1-3-2 Au cours du traitement ARV
II-2-1-3-2-1 Manifestations cliniques
II-2-1-3-2-2 Manifestations paracliniques
II-2-1-4 Pathologies associées
II-2-1-5 Traitement
II-2-1-5-2 Pathologies associées
II-2-1-6 Evolution
II-2-2 ETUDE ANALYTIQUE
II-2-2-1 Répartition des cytopénies survenues avant traitement ARV en fonction de différents paramètres
II-2-2-2 Répartition des cytopénies survenues sous HAART en fonction de différents paramètres
II-2-2-3 comparaison entre les patients venus naifs de arv et ceux sous arv
DISCUSSION
II-2 ETUDES DESCRIPTIVES
II-2-1 Données socio-démographiques
II-2-2 Diagnostic
II-2-2-1Terrain
II-2-2-2 Manifestations hématologiques chez les patients naïfs d’ARV à l’admission
II-1-2-3 Manifestations hématologiques chez les patients venus sous HAART
II-3 TRAITEMENT
II-4 ETUDES ANALYTIQUES
CONCLUSION
RECOMMANDATIONS
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES