Les maladies héréditaires du métabolisme (MHM), encore appelées erreurs innées du métabolisme, sont des maladies rares (1/5000 à 1/500 000 naissances) mais souvent graves. Elles sont liées à des mutations affectant des gènes codant pour des protéines enzymatiques, des protéines-canaux, des protéines transporteuses, des récepteurs ou des protéines impliquées dans la transmission du signal intra/intercellulaire. A l’heure actuelle, on dénombre environ 500 maladies mais elles pourraient être 4000 à 6000 si l’on tient compte du nombre de gènes codant pour ces protéines .
En France, la filière G2M (Groupement des Maladies Héréditaires du Métabolisme) a pour objectif d’améliorer la prise en charge des patients souffrant de MHM et de favoriser la coordination entre les différents acteurs au service du patient. Labellisée en Février 2014, elle s’articule autour de 11 centres de référence, de 3 centres de compétence, du réseau de laboratoires français impliqués dans le diagnostic, la prise en charge et les associations de patients .
Le Centre Hospitalier Universitaire de Caen, en attente de labellisation comme centre de compétence, suit actuellement 75 patients pédiatriques atteints de maladies héréditaires du métabolisme, dont 22 sont à risque de décompensations aiguës (MHMRD). Les maladies héréditaires du métabolisme se répartissent en quatre grandes classes : les maladies d’intoxication liées à une accumulation de métabolites toxiques (exemple : les déficits du cycle de l’urée), les maladies du métabolisme énergétique (exemple : déficit de l’oxydation des acides gras), les maladies vitamino-dépendantes et les anomalies de synthèse ou du catabolisme des molécules complexes .
Maladies par intoxication
Les MHM par intoxication étudiées sont le déficit du cycle de l’urée, la leucinose, la tyrosinémie de type I, l’acidurie glutarique de type I, l’intolérance aux protéines dibasiques, les aciduries organiques et les anomalies héréditaires du métabolisme du fructose.
Déficits du cycle de l’urée
Généralités
Le cycle de l’urée constitue le premier cycle métabolique identifié dès 1932 par Krebs et Hensenleit. Ce cycle, exclusivement hépatique, permet d’éliminer l’azote par transformation de l’ammoniaque toxique pour le système nerveux en urée, non toxique. L’ammoniaque provient de la dégradation des protéines alimentaires exogènes et du catabolisme des protéines endogènes. Il se divise en six étapes catalysées par 3 enzymes intramitochondriales (la N-acétylglutamate synthétase, la carbamoylphosphate synthétase 1, l’ornithine transcarbamylase) et 3 enzymes intracytosoliques (l’arginosuccinate synthétase, l’arginosuccinate lyase et l’arginase 1) .
Les déficits du cycle de l’urée appartiennent aux maladies d’intoxication et se caractérisent par le déficit de l’une des enzymes impliquées dans le fonctionnement du cycle. Le déficit en ornithine transcarbamylase (OTC) est le plus fréquent avec une incidence estimée à 1/14 000 naissances. Sa transmission est liée à l’X. Les autres déficits sont de transmission autosomique récessive .
Tableau clinique
Le déficit peut atteindre les enzymes intracytosoliques tout comme les enzymes intramitochondriales. La pathologie la mieux décrite à ce jour est le déficit en OTC du fait de son incidence (10). Dans la majorité des cas, les symptômes apparaissent pendant la première semaine de vie, après un intervalle libre, car le placenta maternel n’assure plus l’élimination de l’ammoniac toxique (11). En fonction de l’activité enzymatique résiduelle, les symptômes peuvent également se manifester après un intervalle libre plus long. Dans les formes aiguës, le tableau clinique se compose d’une détresse neurologique progressive avec vomissements, anorexie, somnolence, état de mal convulsif et coma pouvant entraîner le décès par œdème cérébral. La persistance de séquelles neurologiques dépend de la durée et de la gravité de l’encéphalopathie .
Diagnostic
Le diagnostic de décompensation aiguë d’un déficit du cycle de l’urée doit être évoqué en cas d’hyperammoniémie associée à une alcalose respiratoire. En situation physiologique, l’ammoniémie est inférieure à 50 µmol/L pour le nourrisson et inférieure à 100 µmol/L pour le nouveau-né. Le diagnostic biochimique spécifique du déficit enzymatique se fait sur la chromatographie des acides aminés plasmatiques associée au dosage de l’acide orotique urinaire, marqueur hautement spécifique des déficits du cycle de l’urée. L’enzymologie et la biologie moléculaire permettent de confirmer le diagnostic. Les prélèvements sanguins et urinaires sont à réaliser le plus tôt possible lors de la prise en charge .
Traitement
Le traitement repose sur une épuration endogène en urgence. Elle associe l’instauration d’un régime d’urgence caractérisé par l’arrêt des apports protidiques et par un apport énergétique suffisant sous forme glucido-lipidique afin de limiter le catabolisme endogène des protéines (1,5 à 2g de lipides/kg/jour). Le débit glucidique est variable selon l’âge de l’enfant : 10 mg/kg/min chez le nouveau-né, 8 mg/kg/min chez le nourrisson, 6 mg/kg/min jusqu’à l’âge de 8 ans et 4 mg/kg/min pour les enfants âgés entre 8 et 10 ans. (14). Le traitement repose également sur l’utilisation de médicaments épurateurs de l’ammoniaque tels que le benzoate de sodium disponible sous forme d’ampoules injectables ou de poudre pour voie orale et le phénylbutyrate de sodium (Ammonaps®) disponible sous forme de comprimés ou de granulés (15). Si l’ammoniémie est comprise entre 100 et 200 µmol/L, la posologie recommandée de benzoate de sodium est de 250 mg/kg/jour en quatre prises IV. Si l’ammoniémie est supérieure à 200 µmol/L , il est nécessaire d’administrer du benzoate de sodium (dose de charge de 250 mg/kg sur deux heures, puis 400mg/kg/jour en quatre fois par voie IV sans dépasser 12g/jour) et du phénylbutyrate de sodium (250 mg/kg en deux heures puis 250 mg/kg/jour en quatre fois) .
L’Ammonul®, association iso-osmolaire de benzoate de sodium (10%) et de phénylacétate de sodium (10%), s’utilise à la posologie de 250 mg/kg/jour par voie parentérale et nécessite une Autorisation Temporaire d’Utilisation (ATU) (11). Le Phéburane® (phénylbutyrate de sodium) se présente sous forme de granulés multicouches permettant de masquer l’odeur et le mauvais goût de l’Ammonaps® (phénylbutyrate de sodium). L’objectif de cette nouvelle forme galénique est d’améliorer l’observance du patient. La posologie recommandée est de 250 mg/kg/jour (16). En cas de déficit en NAGS ou en CPS, l’acide carglumique (Carbaglu®) peut être utilisé comme activateur du cycle de l’urée. La posologie est de 100 mg/kg/j en 4 prises par voie orale (14,17). Il est également nécessaire de supplémenter en arginine qui devient un acide aminé essentiel en cas de déficit du cycle de l’urée (sauf en cas de déficit en arginase). L’absence de supplémentation entraîne une augmentation de l’ammoniémie. La posologie est de 250 mg/kg par voie intraveineuse sur une heure et demie à deux heures (dose de charge) suivi de 250 mg/kg/j par voie intraveineuse à la seringue électrique. L’épuration extra-rénale est obligatoire lorsque l’ammoniémie dépasse 500 μmol/l chez le nourrisson et 200 μmol/l chez l’adolescent .
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE I : ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE
1 Maladies par intoxication
1.1. Déficits du cycle de l’urée
1.2. La leucinose
1.3. Tyrosinémie de type I
1.4. Acidurie glutarique de type I
1.5. Intolérance aux protéines dibasiques avec lysinurie
1.6. Les aciduries organiques
1.7. Anomalies héréditaires du métabolisme du fructose
1.7.1. Intolérance héréditaire au fructose
1.7.2. Fructosurie essentielle
1.7.3. Déficit en fructose 1,6-bisphosphatase
2 Maladies énergétiques
2.1. Déficit d’oxydation des acides gras (AG)
2.2. Déficits de la cétogenèse et de la cétolyse
2.2.1. Déficit de la cétogenèse
2.2.2. Déficit de la cétolyse
2.3. Glycogénoses
3 Anomalies de synthèse et du catabolisme de molécules complexes
3.1. Déficit en mévalonate kinase
4 Facteurs de décompensation aiguë
5 Prise en charge diététique des maladies héréditaires du métabolisme
5.1. Rôle de l’équipe diététique
5.2. Régime de croisière et régime d’urgence
5.3. Principes du traitement nutritionnel
5.3.1. Maladies héréditaires par intoxication protéique
5.3.2. Maladies par intoxication glucidique
5.3.3. Maladies héréditaires par déficit énergétique
6 Prise en charge biochimique des maladies héréditaires du métabolisme
6.1. Bilan d’orientation
6.1.1. Dans le sang
6.1.2. Dans les urines
6.2. Bilan métabolique de première intention
6.2.1. Chromatographie des acides aminés
6.2.2. Chromatographie des acides organiques urinaires
6.2.3. Profil des acylcarnitines
6.2.4. Carnitine libre et totale
6.3. Bilan métabolique de deuxième intention
Partie II : ETUDES EXPERIMENTALES
1 Etat des lieux des connaissances du personnel médical et pharmaceutique
1.1. Objectifs
1.2. Matériel et méthode
1.2.1. Construction du questionnaire
1.2.2. Phase pré-test
1.2.3. Sélection de l’échantillon
1.2.4. Phase de diffusion du test
1.3. Résultats
1.3.1. Questionnaire 1 : Pharmaciens
a) Répondants
b) Réponses
1.3.2. Questionnaire 2 : Pédiatres
a) Répondants
b) Réponses
2 Revue des dossiers des patients atteints de MHM-RD
2.1. Introduction
2.2. Méthode
2.3. Résultats
2.3.1. Revue des hospitalisations
2.3.2. Revue des consultations
2.3.3. Association des deux listes
2.4. Analyse des données
2.4.1. Symptômes présentés
2.4.2. Diagnostic causal retenu de décompensation de MHM
2.4.3. Episodes de décompensation selon l’âge et la durée d’hospitalisation
2.4.1. Episodes de décompensation selon la saisonnalité
2.4.2. Evolution du nombre de décompensations sur 10 ans
2.5. Analyse en sous-groupes des décompensations de MHM-RD
2.5.1. Répartition selon le type de MHM-RD
a) Décompensations d’acidurie glutarique
b) Décompensations d’acidurie isovalérique
c) Décompensations en cas d’anomalie de la cétolyse
d) Décompensations de déficit de la bêta-oxydation des acides gras
e) Décompensations en cas de déficit du cycle de l’urée
f) Décompensations de déficit en mévalonate kinase
g) Décompensations de fructosémie
h) Décompensations de glycogénose type I
i) Décompensations de leucinose
3 Revue des procédures de l’établissement
3.1. Services cliniques et urgences pédiatriques
3.2. Service pharmacie
3.3. Laboratoire
3.4. Centre de régulation SAMU
4 Discussion
4.1. Etat des lieux des connaissances du personnel médical et pharmaceutique
4.2. Revue des dossiers des patients atteints de MMH-RD
4.3. Revue des procédures de l’établissement
4.4. Mise en place d’outils et procédures partagés
4.4.1. Procédure en pédiatrie
4.4.2. Métabo-book : outil partagé de prise en charge
CONCLUSION
ANNEXES