La population mondiale ne cesse d’augmenter depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Si les taux de fécondité ont diminué dans de nombreux pays, le nombre de naissances demeure supérieur au nombre de décès chaque année (1). D’autres facteurs tels que l’absence de grande guerre ou l’augmentation de l’espérance de vie participent également à la croissance démographique (2). Ainsi, la population mondiale a été multipliée par 3 pour compter près de 8 milliards d’individus en 2021 (3). Sauf nouvel évènement meurtrier d’ampleur internationale, cette croissance devrait se poursuivre dans les années à venir. De telles évolutions entraîneront des conséquences importantes dans des domaines tels que le travail, l’éducation, le logement ou la santé.
En matière de santé, les profils des patients et des maladies évoluent constamment du fait des progrès diagnostiques, thérapeutiques et technologiques. Certaines pathologies sont éradiquées quand de nouvelles apparaissent (5). D’autres sont mieux prises en charge et les protocoles de soins sont modifiés en quelques années (6). Ces avancées toujours plus nombreuses et rapides vont encore changer de façon importante les différentes approches de soin à court et moyen terme.
Anticiper la médecine de demain et maintenir un système de veille de la santé des populations apparaît comme essentiel pour mieux préparer les systèmes de santé. Une population plus nombreuse induit une plus grande demande de soin, et par conséquent une augmentation des moyens structuraux, financiers et humains. Face à ces futures difficultés, les réflexions doivent être menées dès aujourd’hui pour répondre aux enjeux de demain. L’objectif de cette étude est de présenter un état des lieux prévisionnel des évolutions démographiques et de morbi-mortalité dans le monde en 2050, en l’état actuel des connaissances. Ces estimations permettront ensuite d’analyser les facteurs à cibler prioritairement et les stratégies à employer pour répondre aux besoins de demain.
Matériel et Méthode
Pour répondre à cet objectif, une revue narrative de la littérature a été réalisée (7). Dans un premier temps, la recherche s’est focalisée sur les évolutions démographiques, celles des pathologies et des causes de mortalité. De plus, l’exposition aux principaux facteurs de risque de morbi-mortalité a été analysée. Dans un deuxième temps, après analyse des résultats, la recherche a ciblé les facteurs pouvant influencer les différents modèles de prévision proposés dans la littérature.
Sources de données et grille d’analyse
Trois sources de données ont été utilisées. La première consistait en une recherche bibliographique de la base de données Medline, interrogée à l’aide du moteur de recherche Pubmed. La deuxième était la consultation des sites internet d’organisations nationales et internationales en lien avec la santé, telles que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), l’Organisation des Nations Unies (ONU), l’Organisation de Coordination et de Développement Économiques (OCDE), l’Institut National d’Études Démographiques (INED), l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM), l’Institut National du Cancer (INCA) et l’Institute for Health Metrics and Evaluation (IHME). Enfin, la recherche fut complétée par une consultation de la littérature grise, notamment des rapports d’experts, issue des articles lus.
Les critères suivants ont été systématiquement recherchés dans chacun des articles étudiés : méthodologie, données démographiques, données de morbi-mortalité, facteurs explicatifs, limites et biais de l’étude, impacts des résultats.
Recherche terminologique et bibliographique
Deux stratégies de recherche ont été établies à partir de termes MeSH (Medical Subject Headings) préalablement identifiés sur le portail de terminologie de la santé HeTOP (8). La première concernait les évolutions démographiques, et la seconde les évolutions de morbimortalité. Ces stratégies ont permis d’interroger le moteur de recherche Pubmed :
– ((((« Demography/statistics and numerical data »[Mesh] OR « Demography/trends »[Mesh])) OR « Population Growth/trends »[Mesh]) OR « Population Forecast »[Mesh]) AND (« Global Health/statistics and numerical data »[Mesh] OR « Global Health/trends »[Mesh])
– ((((« Mortality/statistics and numerical data »[Mesh] OR « Mortality/trends »[Mesh])) OR(« Morbidity/statistics and numerical data »[Mesh] OR « Morbidity/trends »[Mesh])) OR(« Global Burden of Disease/statistics and numerical data »[Mesh] OR « Global Burden of Disease/trends »[Mesh])) AND (« Global Health/statistics and numerical data »[Mesh] OR « Global Health/trends »[Mesh]) .
À la suite de ces recherches, certains articles cités dans les références ont pu être ajoutés à la bibliographie.
Sélection des articles
Ces stratégies de recherche ont permis d’identifier 338 articles dans Pubmed (Figure1). Seuls les articles répondant aux critères d’inclusion suivants ont été sélectionnés : abstract disponible, langue anglaise, publication dans les 10 dernières années (2011-2021). Afin de rester dans une approche globale du sujet, les articles remplissant les critères de non inclusion suivants ont ensuite été exclus : données ne concernant qu’un pays ou qu’une pathologie. Après lecture, les articles jugés non pertinents par les deux auteurs ont également été exclus. Parmi les articles retenus, plusieurs étaient issus de l’étude de la charge mondiale des maladies (Global Burden of Disease study, étude GBD) produite régulièrement par le groupe d’experts du journal scientifique The Lancet (9). Les articles issus des études GBD n’étaient pas tous référencés par des termes MeSH dans Pubmed. Certains ont donc été inclus a posteriori. Au total, 16 articles, 10 rapports d’experts et des enregistrements issus de 7 sites Internet ont été inclus dans la présente revue de la littérature.
Définitions
Parmi les données de morbi-mortalité analysées dans l’étude du Lancet, les plus récentes sont exprimées en années potentielles de vie perdues (Years of Life Lost, YLL). Cet indicateur permet d’estimer les décès qui surviennent précocement et qui pourraient être évités (10). L’indice de masse corporelle (IMC) est défini comme élevé s’il est supérieur ou égal à 25 kg/m2 chez l’adulte. La glycémie est définie comme élevée si la concentration de glucose dans le sang à jeun est supérieure ou égale à 5,6 mmol/L. L’âge gestationnel court est défini comme inférieur à 38 semaines d’aménorrhée.
Modélisation du Lancet
Le modèle prévisionnel construit par le groupe d’experts du Lancet est basé sur des méthodes standards de projections à plusieurs composantes, en utilisant les données de leurs précédentes études (11,12). Il prévoit un scénario de référence et des scénarii extrêmes, de moins bonne et de meilleure santé. Méthodologiquement, ceux-ci sont basés sur les observations des 15ème et 85ème percentiles des taux de variation annualisés de chacune des variables utilisées dans le modèle.
Maladies Cardiovasculaires et Démences, cibles prioritaires
Le vieillissement de la population et les progrès cliniques ont fait évoluer les pathologies vers les maladies non transmissibles. Parmi elles, deux groupes se distinguent : les maladies cardiovasculaires et les démences. L’OMS estime que les décès imputables aux maladies cardiovasculaires représenteraient près d’un tiers de la mortalité mondiale totale chaque année (24). Comme aujourd’hui, elles devraient être la 1ère cause de mortalité dans le monde en 2050. De nombreux facteurs de risques modifiables sont responsables de ces pathologies : facteurs diététiques et métaboliques, inactivité physique, consommations de tabac et d’alcool pour les plus importants. Ainsi, une grande partie de ces décès prématurés serait évitable (25). La prévalence des personnes atteintes de démences devrait fortement augmenter d’ici 2050. D’après les estimations, près de 132M de personnes seraient atteintes dans le monde contre 47M en 2015 (26). Il s’agirait alors de la 2ème cause de décès et de la 6ème cause d’YLL. Ces pathologies du sujet âgé sont des causes majeures de dépendance, d’institutionnalisation et d’hospitalisation. Cet essor, directement lié au vieillissement de la population, devrait être anticipé en raison des coûts économiques et pour les systèmes de santé, d’autant que cela pourrait aggraver les inégalités de santé entre les pays. En effet, 71% des décès liés aux démences, ainsi que 75% des décès liés aux maladies cardiovasculaires toucheraient les populations vivant dans des pays en développement, principalement par défaut d’accès et de qualité des soins. Ceci rend compte de l’enjeu mondial de ces pathologies (27). Un autre groupe de pathologies devrait au contraire connaitre des évolutions plus positives en termes de morbi-mortalité : les cancers. Si l’incidence devrait augmenter du fait des diagnostics précoces et des traitements plus efficaces (28), la mortalité a déjà diminué ces dernières années. Du fait des progrès récents et futurs dans le domaine, être atteint d’un cancer pourrait se révéler moins handicapant. En revanche, les individus pourraient y être confrontés plusieurs fois au cours de leur vie (29). Toutefois, les efforts déjà entrepris devront être poursuivis pour espérer de tels résultats. Des plans d’actions mondiaux de santé publique contre ces maladies ont déjà été élaborés par l’OMS (30,31). Il faudra insister sur les actions permettant un meilleur accès à des soins de qualité dans les pays en développement, d’augmenter les moyens et les ressources pour la recherche médicale dans ces domaines et des stratégies de prévention pour cibler les facteurs de risque .
Limiter l’impact des facteurs de risque
La liste des pathologies présentant les causes importantes de morbi-mortalité (cf. « Résultats ») permet d’identifier les facteurs de risques responsables. Certains sont directement liés aux comportements et donc modifiables : HTA, IMC et glycémie élevés, consommations de tabac et d’alcool. L’exposition de la plupart des facteurs de risque a diminué ces dernières années dans le monde (16). Si les actions de lutte peuvent être difficilement applicables pour certains (contre l’IMC ou la glycémie élevés par exemple), elles se sont révélées efficaces pour d’autres. La réduction du risque lié à la consommation de tabac est un bon exemple de l’impact possible des politiques de réglementations sur les comportements individuels, bien qu’il s’agisse encore d’un facteur de risque important. En revanche, l’exposition a augmenté pour la plupart des facteurs de risque métaboliques, dont l’HTA, la glycémie et l’IMC élevés. Ces trois facteurs devraient rester les plus importants en 2040 en termes d’exposition. L’exposition à l’IMC élevé a notamment augmenté dans la majorité des pays (3). Mondialement, elle sera supérieure en 2040 par rapport à 2016, même dans le meilleur scénario pour la santé présenté par le Lancet (11). Ces facteurs de risque sont responsables de nombreuses pathologies chroniques dont les maladies cardiovasculaires, les démences et les cancers (26,33). Les stratégies de santé publique de l’OMS devraient aussi insister sur les objectifs de prévention et de prise en charge de ces facteurs de risque pour diminuer la charge de morbi-mortalité des maladies non transmissibles dans les années à venir.
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Table des matières
Introduction
Matériel et Méthode
Sources de données et grille d’analyse
Recherche terminologique et bibliographique
Sélection des articles
Définitions
Modélisation du Lancet
Résultats
Plus nombreux et plus âgés
A l’ère des maladies non transmissibles
Des prévisions incomplètes
Discussion
Vers la médecine du sujet âgé
Maladies Cardiovasculaires et Démences, cibles prioritaires
Limiter l’impact des facteurs de risque
L’urgence du réchauffement climatique
Le risque des antibiorésistances
Médecine et nouvelles technologies
Une révolution s’impose
Forces et limites de l’étude
Conclusion
Références
Annexes