Maladies auto-immunes
Auto-immunitรฉ et rupture de tolรฉrance
La rupture de la tolรฉrance immunitaire pour les antigรจnes (Ag) du soi est ร lโorigine du dรฉveloppement de lโauto-immunitรฉ. Les maladies auto-immunes (MAI) sont d’origine multifactorielle reposant ร la fois sur des facteurs gรฉnรฉtiques et environnementaux. Un facteur dรฉclenchant environnemental, notamment infectieux, est souvent suspectรฉ mais rarement identifiรฉ. Les consรฉquences de cette agression sont pathologiques pour certains individus chez qui un ensemble de prรฉdispositions gรฉnรฉtiques participe ร lโemballement de la rรฉponse immunitaire innรฉe puis adaptative. Cette rรฉponse du systรจme immunitaire adaptatif peut ensuite se pรฉrenniser conduisant ร la destruction ou la modification de cibles cellulaires ou tissulaires par les populations lymphocytaires auto-immunes. Ainsi, le caractรจre pathologique de la rรฉaction immunitaire au cours des MAI tient ร sa cible et ร son caractรจre chronique.
Tolรฉrance immunologique
Afin dโassurer une protection vis-ร -vis des agents infectieux, le rรฉpertoire immunologique des lymphocytes T (LT) et lymphocytes B (LB) doit รชtre variรฉ pour reconnaรฎtre lโensemble des Ag รฉtrangers. La plasticitรฉ du rรฉcepteur ร lโAg du LT (TCR) et du rรฉcepteur ร lโAg du LB (BCR) fait suite ร des รฉtapes de modifications somatiques des gรจnes codant pour ces rรฉcepteurs. La premiรจre รฉtape correspond ร la recombinaison des segments gรฉniques V, D et J codant pour les domaines variables du TCR et BCR au cours de la maturation lymphocytaire T et B. La seconde รฉtape concerne uniquement le BCR et a lieu en pรฉriphรฉrie suite ร la rencontre antigรฉnique. Il sโagit de lโhypermutation somatique, qui permet la production de rรฉcepteurs de plus grande affinitรฉ. La contrepartie de cette diversitรฉ est la production de TCR et BCR reconnaissant des Ag du soi. Ainsi, entre 20 et 50% des TCR et des BCR reconnaissent potentiellement les Ag du soi. La tolรฉrance immunologique est une caractรฉristique du systรจme immunitaire adaptatif. Elle correspond ร lโabsence de rรฉactivitรฉ immunologique spรฉcifique envers un Ag reconnu. Lโinactivation des clones auto-rรฉactifs implique des mรฉcanismes de tolรฉrance immunitaire intรฉressant les LT et les LB. Classiquement, les mรฉcanismes de tolรฉrance sont classรฉs selon leur localisation anatomique en deux grandes catรฉgories : lโune centrale, survenant dans les organes lymphoรฏdes centraux (thymus pour les LT et moelle osseuse pour les LB) et lโautre pรฉriphรฉrique, prenant place dans les organes lymphoรฏdes secondaires (rate, ganglions lymphatiques, tissu lymphoรฏde associรฉ aux muqueuses) .
Tolรฉrance centraleย
Les LT quittent la moelle osseuse et colonisent le thymus, oรน ils vont se multiplier, maturer et acquรฉrir lโexpression du TCR ร leur surface. Lโacquisition de ce rรฉcepteur ร lโAg rรฉsulte dโun processus de rรฉarrangements de gรจnes. Les TCR sont gรฉnรฉrรฉs au hasard ce qui permet une trรจs grande diversitรฉ de reconnaissance des Ag, ร la fois propres ร lโindividu et รฉtrangers. La tolรฉrance des LT est induite par dรฉlรฉtion clonale, aboutissant ร lโapoptose des LT ayant un TCR non fonctionnel (sรฉlection positive) ou reconnaissant les auto-Ag avec une trop forte affinitรฉ (sรฉlection nรฉgative). Au cours de la sรฉlection positive, seuls les lymphocytes qui expriment un TCR capable de reconnaรฎtre une molรฉcule HLA survivent et se multiplient. Les lymphocytes avec un TCR ne reconnaissant pas la protรฉine HLA sont รฉliminรฉs car non fonctionnels. Puis, au cours de la sรฉlection nรฉgative, les cellules ayant survรฉcu ร la sรฉlection positive sont mises ร nouveau en prรฉsence de complexes ยซ HLA – peptides du soi ยป exprimรฉs ร la surface des cellules thymiques. Cette fois, les cellules qui interagissent fortement avec les auto-Ag meurent. Ainsi, les LT auto-rรฉactifs sont รฉliminรฉs. Certains LT immatures qui reconnaissent des Ag du soi dans le thymus ne meurent pas mais se transforment en LT rรฉgulateurs et gagnent les tissus pรฉriphรฉriques .
Les LB acquiรจrent, eux, leur BCR au sein de la moelle osseuse. Comme les TCR, les BCR sont gรฉnรฉrรฉs au hasard ce qui permet une trรจs grande diversitรฉ de reconnaissance des Ag. La sรฉlection nรฉgative des LB se fait selon des mรฉcanismes analogues ร ceux mis en jeu pour la sรฉlection des LT et aboutit ร la sรฉlection de BCR ne reconnaissant pas les Ag du soi. Les LB trop rรฉactifs aux protรฉines du soi sont รฉliminรฉs. Certains LB reconnaissant des protรฉines du soi subissent des modifications de leur BCR pour diminuer leur rรฉactivitรฉ aux Ag du soi, ce phรฉnomรจne est appelรฉ la rรฉรฉdition du BCR (1). Le micro-environnement mรฉdullaire, la rรฉactivation des recombinases RAG 1-2 et de nombreux facteurs de transcription spรฉcifiques, comme Pax-5 et E2F, permettent la mise en place de nouveaux rรฉarrangements gรฉniques et lโappariement de nouvelles chaรฎnes lรฉgรจres aux chaรฎnes lourdes dโimmunoglobulines (Ig). Cette รฉtape est indรฉpendante de la rencontre dโun Ag et conduit au dรฉveloppement de LB matures naรฏfs, ayant chacun un rรฉcepteur de membrane fonctionnel dont la spรฉcificitรฉ est unique. Les LB ayant passรฉ avec succรจs les รฉtapes de dรฉlรฉtion clonale et de rรฉรฉdition du rรฉcepteur quittent la moelle osseuse pour la pรฉriphรฉrie.
Tolรฉrance pรฉriphรฉriqueย
Les LB et LT qui ont รฉtรฉ sรฉlectionnรฉs dans les organes lymphoรฏdes primaires gagnent ensuite les organes lymphoรฏdes secondaires pรฉriphรฉriques (ganglions, rate, tissu lymphoรฏde associรฉ aux muqueuses).
Concernant les LT, la tolรฉrance pรฉriphรฉrique est induite lorsque des lymphocytes matures reconnaissent des Ag du soi dans les tissus pรฉriphรฉriques, entraรฎnant leur inactivation fonctionnelle (anergie) ou leur mort, ou encore lorsque des lymphocytes auto-rรฉactifs sont contrรดlรฉs par des LT rรฉgulateurs. L’anergie assure la tolรฉrance en permettant un รฉtat de non-rรฉponse spรฉcifique. Un LT est rendu anergique par une stimulation antigรฉnique non accompagnรฉe des signaux de co stimulation habituellement dรฉlivrรฉs par certaines molรฉcules membranaires des cellules prรฉsentatrices d’Ag (CPA), telles que CD80 et CD86. Dans ces conditions, les TCR peuvent perdre leur aptitude ร transmettre des signaux activateurs, ou les LT peuvent engager prรฉfรฉrentiellement un de leurs rรฉcepteurs inhibiteurs dont font partie CTLA-4 (cytotoxic T lymphocyte antigen-4) ou PD-1 (programmed [cell] death protein1). Un autre mรฉcanisme possible est liรฉ ร lโaction des LT rรฉgulateurs capables dโinhiber lโactivation des LT naรฏfs et leur diffรฉrenciation en cellules T effectrices. Enfin, la reconnaissance dโAg du soi peut dรฉclencher les voies de signalisation menant ร lโapoptose, ce qui aboutit ร lโรฉlimination des lymphocytes auto-rรฉactifs, ce mรฉcanisme est appelรฉ ยซ mort cellulaire induite par activation ยป.
Plusieurs mรฉcanismes cellulaires induisant lโanergie des LB ayant un BCR auto-rรฉactif ont รฉgalement รฉtรฉ dรฉcrits. Les LB matures qui rencontrent des auto-Ag prรฉsents ร fortes concentrations dans les tissus lymphoรฏdes pรฉriphรฉriques deviennent anergiques et ne sont plus en mesure de rรฉpondre ร nouveau ร ces auto-Ag. Par ailleurs, les populations de LB rรฉgulatrices sont รฉgalement impliquรฉes dans la tolรฉrance pรฉriphรฉrique et sont capables de rรฉguler les cellules auto rรฉactives.
De faรงon trรจs intรฉressante, alors que lโon considรจre habituellement les mรฉcanismes de tolรฉrance comme intervenant tรดt au cours du dรฉveloppement des lymphocytes, il semble que ces mรฉcanismes de tolรฉrances existent รฉgalement, pour la plupart, au sein des centres germinatifs (3). En effet, un LB activรฉ par un Ag รฉtranger peut entrer dans le centre germinatif et modifier son BCR rendant possible lโรฉmergence de LB auto-rรฉactifs. Le contrรดle de lโรฉmergence de ces LB auto rรฉactifs est alors indispensable pour รฉviter la production dโauto-Ac. Lโanergie des LB auto-rรฉactifs est lโun de ces mรฉcanismes et peut intervenir au sein des centres germinatifs. Dans un modรจle murin, Burnett et al. ont pu comparer la rรฉponse de LB exprimant un BCR capable de reconnaรฎtre des Ag exprimรฉs par des cellules du soi vs des cellules รฉtrangรจres. LโAg du soi induisait lโanergie lymphocytaire B, cependant, cette anergie รฉtait rรฉversible lors de la stimulation par un Ag รฉtranger. Ceci est liรฉ au fait que les mutations responsables dโune diminution de lโauto affinitรฉ sont sรฉlectionnรฉes rapidement, tandis que les mutations responsables dโune augmentation de lโaffinitรฉ pour lโAg รฉtranger sont plus lentes (4). Puisque les LB anergiques peuvent รชtre rรฉactivรฉs pour secrรฉter des auto-Ac pathogรจnes, lโavantage confรฉrรฉ par lโanergie pour contrรดler la rรฉponse auto-immune reste รฉnigmatique. Ainsi, il a รฉtรฉ montrรฉ que les LB anergiques peuvent รชtre recrutรฉs dans les centres germinatifs oรน ils mutent et perdent leur auto-rรฉactivitรฉ. Par un mรฉcanisme de ยซ rรฉdemption clonale ยป ils se transforment en cellules productrices dโauto-Ac spรฉcifiques dโAg รฉtrangers. Reed et al. dรฉtaillent cette hypothรจse de rรฉdemption clonale chez lโhumain dans lโexemple de la malade des agglutinines froides au cours de laquelle un auto-Ac composรฉ de la chaine lourde IGHV4-34*01 est dirigรฉ contre les poly-Nacetyllactosamine carbohydrates prรฉsent sur les globules rouges et les LB .
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Table des matiรจres
A. INTRODUCTION
A.I. Maladies auto-immunes
A.I.2. Les maladies auto-immunes
A.I.3. Les ยซ รฉpithรฉlites auto-immunes ยป
A.II. Le Syndrome de Sjรถgren
A.II.1. Dรฉfinition et รฉpidรฉmiologie
A.II.2. Caractรฉristiques clinique, biologique et histologique
A.III. Physiopathologie du syndrome de Sjรถgren primitif
A.III.1 Dรฉclenchement de la maladie
A.III.2. Mรฉcanismes physiopathologiques et principaux acteurs
A. IV. Traitements รฉvaluรฉs et pistes thรฉrapeutiques envisagรฉes au cours du SSp
A.IV.1. cs DMARDs (conventional synthetic Disease Modifying Anti-Rheumatic Drug)
A.IV.2. b DMARDs (biological Disease Modifying Anti-Rheumatic
B. OBJECTIFS
1) Etude du rรดle des cellules รฉpithรฉliales salivaires dans la physiopathologie du SSp via leur interaction avec les lymphocytes B
2) Etude du rรดle des cellules รฉpithรฉliales salivaires dans la physiopathologie du SSp via leur interaction avec les lymphocytes T
3) Rรฉsultats prรฉliminaires : caractรฉrisation transcriptomique de CES cultivรฉes et stimulรฉes
C. RESULTATS
C.I. Article 1 : โSalivary gland epithelial cells from patients with Sjรถgrenโs syndrome induce Blymphocyte survival and activationโ
C.I.1. Contexte de lโรฉtude
C.I.2. Principaux messages
C.II. Article 2: โThe Interleukin7/Interferon axis drives T cell and salivary gland epithelial cell interactions in Sjรถgrenโs syndromeโ
C.II.1. Contexte de lโรฉtude
C.II.2. Principaux messages
C.III. Rรฉsultats prรฉliminaires: โRNA-seq analysis of primary cultured salivary gland epithelial cells and response to poly(I:C), IFN and IFN stimuliโ
C.III.1. Contexte de lโรฉtude
C.III.2. Principaux messages
D. DISCUSSION
D.I. Rรดle actif des CES dans la physiopathologie du SSp
D.I.1. Stimuli extrinsรจques
D.I.2. Anomalies intrinsรจques
D.I.3. CES et niches plasmocytaires
D.II. Comparaison des mรฉcanismes physiopathologiques du SSp avec dโautres รฉpithรฉlites autoimmunes
D.II.1. Maladie cลliaque et rรดle de lโIL15
D.II.2. Cirrhose biliaire primitive, complexes immuns et centres germinatifs
D.II.3. Maladies inflammatoire chroniques intestinales, IL7 et ILC
D.III. Avantages et limites des modรจles de culture primaire et de co-culture
D.III.1. Culture primaire de CES et explants
D.III.2. Co-cultures
D.IV. Perspectives thรฉrapeutiques
D.IV.1. Les CES comme cible thรฉrapeutique
D.IV.2. Stratรฉgies dโinhibition des interactions entre CES et lymphocytes B
D.IV.3. Stratรฉgies dโinhibition des voies dโinduction de la signature IFN
E. CONCLUSION
F. REFERENCES
G. ANNEXE