La maladie chronique
MALADIE CHRONIQUE, DOULEUR ET SOUFFRANCE
La maladie est un événement qui bouleverse le «cours normal» de la vie. L’annonce d’un diagnostic est toujours choquante à la fois pour l’individu qui le reçoit, mais tout autant pour son entourage. Selon l’interprétation fonctionnelle de la maladie (Laplantine, 1992), la maladie est considérée « […], comme un déséquilibre original qui s’inscrit dans l’histoire du malade. Elle conduit à une approche individualisante, suivant laquelle il y aurait autant de maladies que de malades. […] La représentation fonctionnelle aborde la maladie comme une rupture d’équilibre, c’est-à-dire un événement affectant le malade dans sa globalité» (Draperie, 2004 : 23). C’est dans cette perspective de rupture d’équilibre qu’est comprise la maladie dans ce projet, comme un événement venant perturber l’individu dans la relation à soi et au corps et dans la relation avec l’environnement.
La maladie altère la perception qu’aura l’individu de son environnement. Elle perturbe les perspectives d’avenir et elle trouble la quiétude d’une santé silencieuse. « L’évidente familiarité de la compréhension ordinaire est rompue, dans la mesure où la position du malade n’est plus celle de l’assurance de la santé, de l’expérience confuse de la normalité, dans la mesure où la maladie, male habitus, est l’expérience toujours singulière de la destruction de sa manière d’être habituelle» (Draperie, 2004 : 24). Le diagnostic d’une maladie telle l’arthrite est lourd de sens et peut influencer la relation de l’individu à sa douleur. De plus, les études en sciences sociales démontrent que le diagnostic d’une maladie chronique perturbe l’individu et engage nécessairement une métamorphose de ce dernier. Lorsque la maladie s’inscrit dans la chronicité elle envahit le quotidien et en bouleverse le cours normal, elle est « forcément insupportable, en raison de la perte de maîtrise qu’elle occasionne sur la vie » (Deccache, 1994 :39). La maladie chronique entraîne «une perte de sens de sa vie », « une dévalorisation de l’image de soi », et « une rupture du sentiment de continuité » de soi (Ajoulat, 2006 : 3-8). La maladie chronique nécessite donc pour la personne de «devenir autrement, le même» (Bensaïd, 1978 : 39). La maladie chronique sera donc abordée depuis la métamorphose qu’elle provoque chez l’individu et les répercussions qu’elle engendre sur le quotidien.
La maladie chronique
Il est difficile d’établir une définition univoque et précise du concept de maladie chronique, puisqu’il y a plusieurs maladies chroniques dont les manifestations, les symptômes et « les conséquences sur la (qualité de) vie sont fort variables et n’atteignent pas forcément les mêmes sphères sociales» (Deschamps, 2007 : 24). Tentons tout de même d’établir les principales caractéristiques de la maladie chronique selon littérature consultée (Baszanger, 1986; Wellard, 1998, Lörvall, 2013; Noël-Hureaux, 2010; Manderson et Smith-Morris, 2010, Burry, 1982; Charmaz, 1983, 1990, 1995). Elle est souvent définie en termes de per-sistance, de longue durée et selon le caractère lent de son évolution. Les différentes définitions incluent aussi le caractère instable de ses manifestations. Alternant les périodes de crises aigües et les périodes de «rémission», la maladie chronique ne respecte aucun schéma précis. Elle crée un contexte incertain, complexe et problématique quant à leur gestion, tant au niveau social, qu’au niveau personnel.
La maladie chronique demande une gestion individuelle et quotidienne, et non une gestion médicale et contextuelle. Le paradigme biomédical la définit en fonction de la durée des symptômes et du schéma particulier qu’elle occasionne au niveau de la prise en charge. En premier lieu, la durée de la maladie : lorsqu’on parle de maladies chroniques (ou de longue durée), on parle en mois et en années; en fait, le plus souvent, la maladie durera aussi longtemps que durera la vie de la personne malade. La maladie ne peut donc constituer une parenthèse- même pénible- dans la vie privée et sociale des personnes malades et de leur entourage. En second lieu, sur le plan médical : au schéma habituel symptôme-diagnostic-traitement-guérison (mort) doit se substituer un schéma toujours ouvert, autrement dit incertain : à l’aboutissement que constitue la guérison se substitue la gestion de la chronicité quotidienne.
Si la compréhension de la maladie chronique en biomédecine se limite à son activité et à la manifestation des symptômes, la compréhension dont en ont les sciences sociales est plus globale. Elles étudient la maladie chronique selon les changements qu’elle induit chez l’individu dans sa perception de soi, dans son rapport au corps, dans sa vision de l’avenir et dans sa conception du temps. La maladie, puisqu’elle est corporelle, altère la perception de l’individu, elle trouble la quiétude d’une santé silencieuse et transforme la relation au corps. Les études en sciences sociales soulignent le contexte contraignant, restrictif, caractérisé par la perte que façonne la maladie chronique.
Prise en charge de la maladie
La maladie chronique sort du simple cadre médical, elle doit être étudiée dans le cadre de la dynamique qu’elle crée quotidiennement. Elle engendre d’énormes répercussions sur nombre d’individus, le «malade», mais aussi tous ceux qui partagent son environnement. Étant donné qu’elle envahit leur monde et qu’elle évolue au fil du temps, elle demande aux individus de se réajuster continuellement et de s’adapter aux nouveaux contextes qu’elle dessine et aux nouvelles limites qu’elle leur impose. Elle crée un quotidien incertain, stressant et complexe. Dans le cadre de maladie chronique « […], il faut aller au-delà de la crise, penser la continuité, la durée, c’est-à-dire penser une réorganisation dans la crise ou d’autres formes d’organisation que celles utilisées précédemment : par exemple une organisation (même précaire) qui tienne compte de l’alternance potentielle crise/non-crise» (Baszanger, 1986 : 9). La prise en charge par l’individu de sa maladie est primordiale afin qu’il demeure fonctionnel au quotidien et aussi pour qu’il ait la sensation que sa vie soit valorisante malgré la forte présence de la maladie. La littérature consultée sur la gestion de maladie chronique parle d’«éducation thérapeutique», de «patient expert», d’«autogestion», d’«autosoins». Ces concepts réfèrent au développement des compétences du patient concernant la gestion de la maladie. La prise en charge de la maladie s’inscrit dans un processus, dans la littérature on parle d’«éducation thérapeutique» du patient qui désigne «l’ensemble des activités qui permettent d’améliorer les connaissances sur la maladie, d’augmenter l’adhésion des malades au plan de soin et de les aider à réaliser une gestion concrète et autonome de leur propre santé» (Abourazzak, 2009 :1305).
L’individu se trouve ainsi au coeur de la prise en charge de «sa» maladie. Il est le seul à connaître l’étendue de sa douleur et de sa souffrance. Il est donc le mieux placé pour décider de la trajectoire thérapeutique à suivre. Il connaît les limites que lui impose la maladie et est conscient de ce qu’il peut et ne peut pas faire. D’ailleurs dans le modèle biopsychosocial de la maladie, l’équipe soignante place l’individu au coeur du plan de soins. Ce modèle est un «modèle de soin qui favorise une approche soutenue, intégrée et centrée sur le patient, l’encourageant à devenir un partenaire engagé dans la gestion de sa santé et des soins qui y sont associés» (Beaulieu, 2011 : 8). L’individu est le seul à savoir comment se comporte la maladie, quels en sont ses symptômes et les causes. Lui seul connaît «sa» maladie. Puisque la gestion de la maladie chronique est quotidienne et individuelle, l’individu doit devenir expert de sa maladie. Cela va lui permettre de garder un certain contrôle sur sa vie et d’obtenir une qualité de vie satisfaisante.
Pour cela, il devra développer un champ de compétences, qui inclut les connaissances, l’utilisation de ressources internes et externes et les stratégies de gestion. «Un des premiers objectifs de l’éducation thérapeutique est de renforcer la capacité d’autosoins ou d’autogestion chez les patients atteints de maladie chronique, c’est-à-dire leur capacité à se traiter eux-mêmes, par des décisions, des gestes et des comportements «adéquats», en dehors des temps de consultation et/ou d’hospitalisation» (Aujoulat 2007 :12). Il est nécessaire pour l’individu de comprendre les enjeux de la maladie pour consentir à retrouver une vie valorisante et retrouver un certain contrôle sur sa vie. Ainsi, l’individu doit acquérir des compétences en lien avec la gestion de la maladie, il doit développer des attitudes, des comportements visant à l’amélioration de sa condition. La gestion de la maladie se fait quotidiennement et principalement par l’individu qui en est atteint. Il se doit donc d’être proactif, de prendre sa santé en main, de comprendre «sa» maladie, pour en arriver à une prise en charge adéquate.
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE I CONTEXTE, TÉHORIES ET MÉTHODOLOGIE
CHAPITRE 1 MALADIE CHRONIQUE, DOULEUR ET SOUFFRANCE
1.1 La maladie chronique
1.1.1 Prise en charge de la maladie
1.2 Douleur et souffrance
1.2.1 Qu’est-ce que la douleur?
1.2.1.1 Les mécanismes physiologiques de la douleur : vers une compréhension de la douleur chronique
1.2.1.2 L’apport de l’anthropologie dans l’étude de la douleur ; quand la douleur devient une expérience humaine
1.2.2 Le concept de souffrance
1.2.2.1 Nuance entre douleur et souffrance
1.3 Vivre l’arthrite au quotidien : l’expérience de la douleur chronique et de la souffrance
1.3.1 La relation à soi et à son corps
1.3.2 La perception d’un environnement brouillé par la douleur
CHAPITRE 2 MISE EN CONTEXTE
2.1 L’arthrite : maladie chronique douloureuse
2.1.1Qu’est-ce que l’arthrite
2.2 Prévalence de l’arthrite au Canada et au Québec
2.2.1 Caractéristiques sociodémographiques et socio-économiques des individus atteints d’arthrite
2.3 Conséquence socio-économiques de l’arthrite
2.3.1 Conséquences individuelles
2.3.2 Le fardeau économique de l’arthrite au Canada
2.4 La société de l’arthrite
CHAPITRE 3 MÉTHODOLOGIE
3.1 Objectifs de la recherche
3.2 Stratégie de recherche
3.2.1Approche théorique
3.3 Recrutement des participants
3.3.1 Société de l’arthrite : groupe de soutien (Groupe AIDEentrAIDE) et programme d’éducation (Programme d’initiative personnelle contre l’arthrite)
3.4 Sources des données
3.4.1 Entrevues
3.5.2 Vivre avec l’arthrite : groupe de soutien sur Facebook
3.5 Méthodes d’analyse
3.5.1 La théorisation ancrée
PARTIE II PRÉSENTATION DES RÉSULTATS
CHAPITRE 4 VIVRE AVEC UNE MALADIE CHRONIQUE DOULOUREUSE : L’ARTHRITE AU QUOTIDIEN
4.1 Portrait de la douleur et de la maladie
4.1.1 Manifestations de l’arthrite
4.2 L’impact de la maladie et de la douleur dans la perception de soi et dans la relation de l’individu à son corps
4.2.1 L’impact de l’âge au diagnostic sur le rapport au corps
4.2.2 Intimité
4.3 La routine quotidienne
4.3.1 Habitudes de sommeil
4.3.2 Répercussions de la maladie et de la douleur sur le travail et les études
4.3.3 Douleur et activités physiques
4.4 La prise de médication et les effets secondaires des traitements
4.5 L’impact de la douleur sur les relations interpersonnelles
4.6 Composantes émotionnelles, psychologiques et comportementales et perspective d’avenir
4.6.1 Vivre la maladie et la douleur; les deuils
4.7 Conclusion
CHAPITRE 5 L’ARTHRITE : GESTION QUOTIDIENNE DE LA MALADIE; L’INDIVIDU AU CENTRE DE LA PRISE EN CHARGE
5.1 Stratégies de gestion de la maladie
5.2 Le processus de deuil : vers l’acceptation de la maladie
5.3 Gestion de l’énergie
5.4 Gestion de l’énergie en lien avec le travail
5.5 Gestion de la douleur et des troubles associés
5.6 Gestion de la médication et des effets secondaires
5.7 Recherche d’aide et de soutien : programme d’éducation de la société d’arthrite et groupe de soutien sur les réseaux sociaux
5.7.1 Composantes comportementales et émotionnelles : consultation de ressources professionnelles
5.8 Les stratégies de gestion de la chronicité : perception de l’avenir dans la perspective de la maladie
5.8.1 Conception de la maladie chez les individus
5.8.2 Apprendre à connaître son corps
5.9 Conclusion
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE 1
ANNEXE 2
ANNEXE 3
ANNEXE 4
ANNEXE 5
ANNEXE 6
ANNEXE 7
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