HISAAKIRA KANO
L’acte qui déclare la baie de Tokyo comme un espace d’urbanisation potentiel est incarné par le plan de Hisaakira Kano qu’il publie en avril 1958 (figure 5). Kano est le président de la Japan Housing Corporation. Ce plan tient lieu de première synthèse des débats qu’il préside. Couvrant la moitié de la baie, il représente plus une idée schématisé qu’un éventuel projet. Une bande de 4kms de large traverse la baie du nord au sud, s’appuyant sur le centre historique et terminant sur le port de Futsusu où s’implante également l’aéroport [E]. Elle supporte tout le secteur industriel et portuaire [B]. Le secteur résidentiel [D] y est accolé, mais isolé par une barrière forestière [C]. Une disposition en bande parallèles qui n’est pas sans rappeler les principes d’un certain Milioutine. Toute la zone est dédiée à la plantation d’une forêt. Un canal disposé perpendiculairement raccorde le port enclavé de Chiba à l’est avec celui de Haneda où un barrage est envisagé afin de maintenir la profondeur minimum au passage des gros tankers. Sa proposition suscitant un vive intérêt au près du CIP8, Kano entreprend de poursuivre son développement. Le concept s’affine, suivant les recommandations du CIP pour la planification industrielle (énergie, ressources et infrastructures) menant à la publication d’une seconde mouture. Formant une ceinture périphérique en 8 autour de la baie (figure 6), ce plan suggère d’en occuper une bonne moitié. Il propose la formation d’îles artificielles venant dépressuriser les pôles saturés du continent, en particulier le secteur de Koto, coeur névralgique de Tokyo. La terre nécessaire à la formation de ces îlots pharamineux serait générée par la montagne Nikogiriyama dans la préfecture de Chiba sur laquelle Kano suggère de lâcher ni plus ni moins que la bombe atomique. Reflet d’apocalypse pour les Japonnais, Kano voit dans l’arme qui a anéantie le Japon, l’outil idéal à sa reconstruction, tout un symbole !
MASATO OTAKA
Masato Otaka questionne l’utilité d’un tel déploiement de moyens. Recréer du territoire artificiel sur la baie ne permet pas au bâtiment de s’émanciper de ses fondations, son contraire est en revanche possible. Un glissement s’opère conduisant à abandonner l’idée d’occuper la baie par la terre comme il a toujours été fait, pour s’orienter progressivement vers la mégastructure. Otaka est le premier à aller dans ce sens. Accusant l’industrie de détruire le front de mer, il propose un plan en -U- qu’il détache de la côte, reformant une baie dans la baie (figure 7). Bien que ce plan soit d’aspect circulaire, il est conçût de manière linéaire. L’infrastructure routière en forme le squelette. Le périmètre intérieur est dédié à l’industrie et aux infrastructures portuaires qui s’implantent sur une bande pleine d’1km de large. Le périmètre extérieur est occupé par la zone résidentielle que structure une grille de routes suspendue au dessus de l’eau. Chaque maille de cette grille forme un micro-quartier semblable au superquadra Brasiliense. Elles sont occupées par quatre îles, elles même occupées par quatre barres résidentielles.
KISHO KUROKAWA
rochain sur la liste, Kisho Kurokawa prend ses contemporains à contre pied. Il se refuse à envahir la baie de Tokyo, un acte qui selon lui tient plus de l’image avant-gardiste que les métabolistes veulent renvoyer à l’international, que d’une direction censée pour le développent de Tokyo. Il propose un plan en croix semblable figurativement au plan de Brasilia qu’il nomme Human-type plan (figure 8). Grands boulevards de 300m de large, ces axes ne sont pas bordés comme une rue classique, mais occupés par de grands cylindres creux disposés comme des points d’acupunctures. Chaque cylindre (bamboo-type community) est le support infra-structurel sur lequel viennent se greffer plusieurs centaines de cellules d’habitations. Au croisement des deux axes, le centre historique de la ville est conservé et même ré-affirmé. Il est l’endroit privilégié des rituels civiques et de la consommation. Un canal raccordant cette place au front de mer, matérialise l’entrée de Tokyo au regard du monde. Il regroupe ce qui à Brasilia compose l’axe monumental, pour reprendre cette comparaison. Une parabole tangente aux deux axes embrasse l’ensemble du plan, le raccordant au pôle de communication international à son extrémité ouest et national à son extrémité est.
Bien qu’il participa à élargir le champs des possibles et ouvrir la voie du métabolisme, seul Kurokawa appuie son projet sur le territoire en friche que laisse la tabula rasa après la guerre. Il use du même langage que les métabolistes construisant sur l’eau, c’estt-à-dire disposant des objets sculpturaux dans un espace essentiellement composé de vide dont il fait lui même l’apologie. Il est cependant contestable sur un point fondamental. La table rase n’a pas abolie la propriété privée. Son projet désavoue ce qui justifie la conquête de la baie chez les autres métabolistes.
Kurokawa formulera une seconde proposition en 1961 dans laquelle il reconsidérera ses premières intentions. La ville prend cette fois la forme d’un organisme cellulaire venant se dupliquer autour d’un noyau (figure 9). Chaque cellule comporte plusieurs hélices interconnectées formant son sous système de circulation interne en partie haute. S’il envisage cette fois de s’étendre sur la baie, cela ne constitue toujours pas une intention, mais la conséquence cumulative d’un mode de croissance. La surface sur laquelle il se pose n’a pas d’importance, le plan évolue indépendamment de la nature du territoire. Ce second plan est élaboré secrètement pendant qu’il travail au Tange Lab. sur le plan de Tokyo1960. Même s’il est abordé de manière plus rigoureuse, l’aspect cellulaire est une thématique très présente dans la proposition de Tange et son influence pour ce projet est évidente. TANGE LAB. Avant de dévoiler son plan définitif pour la Baie de Tokyo, Kenzo Tange en dessina une première version moins connue (figure 10). Celle-ci occupe l’eau de manière plus conventionnelle en recréant des îles artificielles concentrées autour d’une épine centrale. Cette épine émerge du centre ancien qu’elle étire à travers la baie, court-circuitant la ceinture routière qui elle la contourne. Ceci vient dessiner deux intersections. La nord supporte la plateforme des mobilités terrestres et la sud l’aéroport international. L’épine canalise toutes les fonctions régaliennes, économiques, culturelles et commerciales. De part et d’autre sont réparties les zones résidentielles éclatées sur la multitude de petites îles créées à cette effet. La structure résidentielle en -A- (figure 11) imaginée pour le port de Boston logeant une communauté de 25 000 personnes est ici réutilisée. La capacité totale du projet visant les cinq millions d’habitants. Ce projet formule la génétique du plan définitif abordé plus loin dans le détail. L’axe qui s’étend de la cité Impériale jusqu’à Chiba en est la colonne vertébrale.
Présenté tardivement en 1961, son projet (figure 15) est le seul autorisant une réelle souplesse d’occupation. Il se décompose en trois entités distincts qui s’avancent progressivement dans la baie par dilatation successive d’une grille structurelle. Le premier élément se superpose au secteur de Koto, au nord. Ce quartier étant considéré comme le niveau 0 de Tokyo, il repose sur des piles à six mètres au dessus du niveau de la mer, protégeant les bâtiments des fréquentes inondations (figure 13). Le second et troisième éléments reprennent cette structure devenue flottante. Chaque maille de ces grilles est occupée par des infrastructures flottantes, s’inspirant des premières études pour la ‘ville marine’. Les éléments peuvent ainsi être déplacés, additionnés, soustraits ou recyclés de manière extrêmement naturelle au grès des besoins en perpétuels changements. Le périmètre polarise les infrastructures portuaires le long desquelles s’agglomère le secteur industriel. Des axes permettent de rallier le centre ville anciens et les zones récréatives de Tone au nord/est et Izu au sud est, dont s’échappe une voie en direction de l’océan. Un première indice à la ville linéaire que Kikutake imaginera trente ans plus tard (figure 31). Attaché à l’idée de proposer des solutions adaptatives génériques et répondant aux besoins les plus larges autant qu’aux contraintes qu’impose le territoire, il débute en 1972 un travail de recherche sur une mégastructure qu’il nomme Stratiform (figure 16), et qui durera près de 20ans. Ce projet est financé par la MSSF9 et supervisé par le ministre du commerce international et de l’industrie. La structure faite d’acier10 forme un large portique enjambant la route. Elle supporte des plateaux de béton précontraints formant autant de parcelles propres à l’implantation d’un habitat individuel traditionnel (ou pas!). Kikutake ira très loin dans le développement de ce système, jusqu’à la construction d’un prototype à échelle 1:1 dont il testera la résistance au feu et secousses sismiques. Il déclinera par la suite cette structure en version flottante pouvant être remorquée puis pluggé aux ports Japonais afin d’accroitre leurs capacités (figure 17). Une alternative à la poldérisation qui à tout particulièrement altérée la baie de Tokyo (figure 3).
Bien qu’il n’ait pas été le seul à développer ce concept, le projet de Kenzo Tange est celui qui a connu la plus grande médiatisation. Relayé par de nombreux médias, des revues d’architectures bien entendu et jusqu’à la télévision, son projet fut largement diffusé, bien au delà de la sphère architecturale. A l’instar de nombreux projets métabolistes non-situés, Tange se base sur une analyse démographique, économique et territoriale précise pour la formulation de sa proposition.
UN PROJET POUR LA BAIE
La proposition de Tange (figure 18)pour Tokyo s’inscrit dans la continuité des modèles de villes linéaires qui l’ont précédés, et qui n’ont cessés de gagner en crédibilité. Son projet pour la baie atteint un niveau de précision encore inégalé pour une structure de telle envergure. Tange estimait son projet à $50 milliards sur 20ans, une somme certes pharamineuse, mais pas tant en comparaison des $33 milliards déjà dépensés pour la reconstruction en 1960 et qui n’ont fait que reproduire voir surpasser le chaos d’avant guerre. Le Tange Lab. qu’il préside est sous-divisé en trois secteurs de développement. Le logement dont est chargé Koji Kamiya, les équipements pour Arata Isokaki, et les transports pour Kisho Kurokawa. Le triple objectif est d’apporter une solution à l’explosion démographique, à la crise du logement et au manque d’espace constructible disponible, ainsi qu’à la saturation du trafic ; il envisage de développer Tokyo selon un axe qui en transperçant les territoires saturés, canaliserait leur dépressurisation vers la baie.
LA CROISSANCE ORGANIQUE COMME MÉTAPHORE
Contrastant avec la ville classique dessinant un état qui voudrait rester stable, la ville métabolique dessine ce qui non seulement est capable de grandir mais tout autant de se régénérer. La croissance se fait de manière systématique, comme tout organisme vivant (figure 19) la structure n’admet pas seulement le développement, elle le conditionne. La réussite d’une telle opération suppose plusieurs temporalités. Le système de mobilité est totalement indépendant des éléments architecturaux qui la ponctuent. Ils peuvent apparaître où disparaître sans que cela ne remette en cause ni n’altère le système dans son ensemble.
Lorsqu’une ville est formée d’îlots comme le Paris d’Haussmann, la destruction d’un élément de cette îlot créé une anomalie. Lorsqu’une route conduit à un élément d’architecture isolé, la disparition de cet élément rendrait stérile l’utilité de cette route. La ville classique déclare la primauté de l’architecture sur son système d’accessibilité. Le métabolisme et à plus forte raison la ville linéaire retourne complètement ce dogme.
LA MOBILITÉ COMME MOYEN
Cela pose la question de la hiérarchie des fonctions dans la ville. L’Homme ressent-il plus le besoin de se déplacer ou de se figer ? Qui de la structure urbaine ou de l’élément architectural est le plus pérenne ? Le 20ème siècle fut celui de la transition. Se mouvoir n’était plus tant une contrainte occasionnelle qu’une nécessité permanente. Repenser radicalement la ville en orientant son développement selon ce nouvel état de fait était pour Tange une nécessité.
Afin d’évaluer la plausibilité des arguments avancés par Tange, on peut observer les stratégies qu’ont adoptées les villes anciennes pour s’adapter aux enjeux de la mobilité. Le boulevard périphérique est l’infrastructure urbaine la plus emblématique de la deuxième moitié du 20ème siècle. Il révèle le problème que pose la mobilité dans les villes anciennes. Dans une période qui gravite autour des années 70, plusieurs villes se sont dotés d’un tel équipement. Il permet d’éviter de traverser la ville aux automobilistes qui ne s’y rendent pas directement, ainsi que de répartir les pénétrantes pour rendre plus efficace l’accès aux différents quartiers intérieurs. Néanmoins, l’encombrement qui sévit ne fait souvent que se déplacer sur le périphérique de plus en plus sujet aux embouteillages.
Si le boulevard périphérique contourne la ville, certaines agglomérations font le choix de la traverser. Le minhocão (figure 20) est l’autoroute urbaine édifiée en 1970 pour désengorger le centre de São Paulo. C’est une véritable entaille dans la ville existante, donnant en pâture à l’automobile, une urbanité déjà bien altérée. Ce choix symptomatique d’une époque où l’automobile était reine incontestée des villes est aujourd’hui remis en cause. Cette autoroute est fermée la nuit en semaine et toute la journée le dimanche. Les piétons peuvent alors librement s’y promener, un juste retour des choses.
Une autre solution pour débarrasser le centre ville des voitures consiste à rendre payant son accès. Plusieurs grandes villes européennes ont installées un péage urbain incitant les usagers à laisser leurs voitures en dehors des villes et d’y accéder via les transports en communs qu’elles proposent notamment au travers de parking relais. Oslo est précurseur dans ce domaine puisque son péage urbain est en fonction depuis 199111. L’intérêt d’un tel système est qu’il génère une manne financière aidant au développement des infrastructures elles même, tout en désengorgeant les centres villes, le prix en dissuadant certains. Le prix du ticket d’entrée à Oslo est relativement faible, et l’apport est d’avantage économique qu’écologique. Mais l’expérience de Londres dont le prix du ticket peut atteindre 15€/jours12 fut beaucoup plus concluante de ce point de vue.
La ville ancienne n’a pas eut d’autres issues que de se réformer pour s’adapter à la place sans cesse plus envahissante de la voiture. Les solutions apportés font cependant rarement l’unanimité, se mettant alternativement à dos les défenseurs de l’urbanité, de la mobilité ou de l’écologie. Penser le développement de la ville de manière globale, comme l’imbrication complémentaire de ces trois caractéristiques semble une évidence actuelle. Preuve du génie visionnaire de Tange dont il a imprégné son projet pour la baie de Tokyo.
LA MÉGASTRUCTURE COMME SUPPORT
L’artificialisation du territoire ne se limite pas à un tapis flottant sur la baie, il est tridimensionnel. C’est Le Corbusier qui le premier envisage de compacter la structure urbaine dans un bâtiment à étage. Le projet qu’il formule pour Rio de Janeiro en 1929 consiste une barre dont la hauteur se plie à la topographie, et qui serpente sur le relief carioca (figure 21). Sur une hauteur évoluant entre 60m et 90m, un empilement de plans libres ne définissant aucun usage13. L’idée d’un tel «bâtiment» est simplement de définir le support infra-structurel d’une ville à inventer. Sur le toit terrasse, un autodrome permet de se déplacer rapidement sur tout le linéaire. L’intérêt pour la mobilité se fait encore plus sentir dans son plan pour la ville radieuse. L’ensemble du réseaux de circulation est suspendu au dessus du sol et se développe sur plusieurs étages (figure 22). Comme pour le projet de Rio, la ville est tridimensionnelle et ses fonctions se superposent telles des calques. L’architecture est prisonnière d’un vaste entrelacs infrastructurel. En périphérie les voies à grandes vitesse contiennent les désertes locales et les parkings marquant la zone transitoire de l’automobile au piéton.
Le projet pour la baie de Tokyo proposé par Tange est la juste synthèse de ces deux figures Corbuséennes. L’ambition étant plus de créer le cadre capacitif de la société qu’un urbanisme exhaustif. La mégastructure, résultat du progrès industriel et technique est perçue comme l’opportunité de cloner du territoire. L’Homme pourrait ainsi l’investir avec la même diversité que sur la terre ferme.
LE SECTEUR CIVIQUE – UN AXE
La charte d’Athènes préconise la fabrication d’un noyaux urbain autour duquel la ville pourrait s’identifier. Tange s’y oppose et propose un axe civique le long duquel se succèdent tous les pôles faisant la métropole mondiale (figure 23). Il justifie cette axe par trois objectifs. Il oppose la ville radial centripète qu’il qualifie de système «fermé», à la ville linéaire qui de par sa capacité à s’étirer est un système «ouvert». L’esprit de la ville tient dans l’unicité organique de son architecture et de son système de transport. Ce nouvel ordre spatial n’est que le reflet d’une société ouverte et aux mobilités spontanées.
Le plan de développement régional de la capitale nationale approuvé en 1958 propose la formation de ville satellite pour décongestionner le centre. Une telle solution n’est pas souhaitable car la ville s’en trouve éclatée, creusant les distances entres le noyaux et ses satellites et brisant la continuité de l’urbanisation. La ville linéaire ménage une continuité tout en maintenant constant le degré de saturation.
Le modèle linéaire ici proposé se distingue des formes originales par l’aspect cyclique de son système de circulation. Le cycle autorise différents débits, hiérarchisant ainsi les mobilités du global (haute vitesse) au local (basse vitesse). La boucle externe longue de 3kms s’empreinte pour des déplacements longs. Suspendue au dessus de la baie, elle s’inspire du Golden Gate Bridge de San Fransisco (figure 24). La circulation s’opère alternativement dans le sens horaire et antihoraire, de cette manière elle permet d’éviter toutes intersections (figure 25). La boucle interne se situe au niveau inférieur. Elle fait 1km de côté et assure une déserte locale, c’est-à-dire l’accès aux bâtiments de l’axe civique disposés sur un terre plein continue et l’accès aux voies qui conduisent au secteur résidentiel. Les trois niveaux communiquent par des rampes disposées là où les différents cycles se superposent (figure 26).
LE SECTEUR RÉSIDENTIEL – DES PERPENDICULAIRES
Le secteur résidentiel se développe latéralement à l’axe principal, répartit sur une multitude de perpendiculaires qui ont la double capacité de s’allonger et de se dupliquer. Chacune de ces perpendiculaires est ramifiée par des mégastructures profilées en -A-, formant autant d’unités de quartiers (figure 27). À fleur d’eau reposant sur une large dalle sur pilotis, le profil en -A- de la structure offre un gigantesque espace semi-couvert regroupant l’ensemble des fonctions vitales à la vie de «quartier». La plus grande atteint 138m de haut pour 360m de large. La longueur variable permet de loger jusqu’à 25 000 personnes. Composé de plateaux qui sont autant de morceaux de territoires, il est laissé au libre usage de ses occupants qui peuvent y construire un habitat selon leurs propres désidératas. L’infrastructure résidentielle est imaginée selon les mêmes principes que les équipements ponctuant l’axe civique, indépendamment de ce qui l’occupe. La mégastructure en -A- formant une unité de quartier est semblable au Plant-type community que propose Kurokawa (figure 28). Tange fabrique un modèle qui transpose la culture Japonaise de l’habitat. L’attachement à la propriété foncière fabrique de l’urbanisation particulièrement plate, une hérésie pour une ville en manque de place. La mégastructure permet de récréer du foncier à étage pouvant être occupé de diverses manières, tout en le canalisant dans une forme urbaine parfaitement systématique, identifiable et iconique, évoquant la forme des toitures Japonaises traditionnelles. Cette solution apporte une réponse au sempiternel débat qui oppose l’intérêt privé à l’intérêt publique.
Cette considération n’est pas que Japonaise. Le modèle pavillonnaire concentre pour une grande majorité le rêve de l’accession à la propriété. L’objet autonome qu’il représente renvoie à une propriété parfaitement identifiable, définit par son enveloppe et donc absolue. Au contraire l’appartement est un habitat conditionné, uniquement identifiable de l’intérieur. Il appartient à une masse de plusieurs entité dont plusieurs éléments sont en communs. La notion de propriété est beaucoup plus relative.
Comme l’affirment Alison et Peter Smithson, anticiper les changements même les plus minimes qui s’opèrent continuellement dans la ville lui permet de se soustraire au contrôle permanent de son développement. L’infrastructure est l’élément principal qui dissuade ou incite à l’urbanisation. Par exemple, un terrain enclavé, sans route ni réseau électrique ou d’eau courante auxquels se raccorder à beaucoup moins de valeur qu’un terrain identique disposant de toutes ces installations. L’infrastructure opère un contrôle inhérent à sa nécessité, c’est-à-dire imperceptible, inconscient puisque qu’il conditionne le geste architectural. Ce contrôle dans l’urbanisme contemporain existe nécessairement mais n’est pas entier, si bien qu’il implique d’être complété par une succession de normes et règles d’urbanismes auxquels on est confronté de manière beaucoup plus frontale. Cette artificialisation du contrôle qui pallie aux failles de la structure urbaine, du fait qu’il soit physiquement possible mais juridiquement interdit, tend à amoindrir le sentiment de liberté d’agissement.
TOKAIDO MEGACITY
Lanotion d’infinité est intrinsèque à la ville linéaire qui par nature peut s’étendre continuellement. Faire d’une ville une ligne qui traverse le territoire tout entier est le rêve absolu de tout désurbaniste. Cette ambition était inavouable pour les désurbanistes soviétiques mais les conditions Japonaise sont bien plus favorable. 1964, Kenzo Tange co-fonde en partenariat avec des acteurs industriels et académiques le Centre Japonais pour la Recherche et le Développement du Territoire. Avec le double objectif de poursuivre l’étude conduite pour la baie de Tokyo, et de repousser toujours plus loin l’échelle de la ville, il dévoile publiquement en 1966 le projet d’une mégapole d’envergure nationale faisant plus de 600kms de long. S’appuyant sur l’axe routier de Tokaido traversant le Japon, il envisage la formation d’une zone urbaine continue de Tokyo à Osaka (figure 29). Cet axe dit-il, «formerait le système nerveux central du Japon». Il s’appuie là encore sur des études statistiques montrant que d’ici la fin du siècle cette zone concentrerai 80% de la population. Il n’est pas étonnant que l’urbanisme prenne une tournure globale. C’est la suite toute naturelle de la pensé métaboliste. L’intérêt là encore est d’aimanter l’urbanisation sur un axe. Cependant cela ne vise pas à diminuer le contraste ville/campagne mais à l’accroitre. Si la formulation est identique aux schémas soviétiques, le discours ‘social’ est bien différent. Pourquoi ? Tange accepte la réalité topographique Japonaise rendant difficile l’urbanisation entière du territoire. Plutôt que de chercher à désenclaver des régions géographiquement isolées, il fait le pari que cette population isolé sera amené tôt au tard à vivre dans les villes, dont il tente de créer la structure. Shimokobe (ministre de la construction) et Kurokawa, deux anciens élèves de Tange, conviennent du besoin de penser l’urbanisation à l’échelle de l’archipel mais refuse l’idée d’une concentration qui tournerai le dos aux zones enclavées. Kurokawa en collaboration avec l’Institut pour une Ingénierie Social évoquent l’idée d’un réseau de communications combinant voies aériennes et ferroviaires couvrant l’ensemble de l’archipel nippone (figure 30). Pour ce faire, ils développent un avion15 et des infrastructures aéroportuaire capable d’opérer dans des zones très escarpés. De la mégapole linéaire, vers une continuité dématérialisé.
La maturation d’une ambition
Le dernier exemple ici présenté se démarque des deux premiers d’abord parce qu’il est le seul à avoir entièrement été réalisé. Il n’est pas la conséquence d’un choc culturelle, identitaire ou économique, il s’en fait au contraire la cause, l’étincelle qui amènerait «50 ans de progrès en 5ans» pour son initiateur le président Juscelino Kubitschek. Il n’est pas plus la représentation d’une avant-garde véritablement propre au Brésil comme le constructivisme soviétique ou le métabolisme japonnais. Lucio Costa l’inventeur poète de Brasilia l’affirme lui même, cette ville concentre au plus profond d’elle même des gênes Corbuséens. Idéologiquement comme physiquement lors de plusieurs visites au Brésil, Le Corbusier a véritablement influencé la conception de Brasilia. Pour autant la ville cosmique reste intimement Brésilienne. À l’abris de son écrin tapissé de végétation tropicale là où quelques années auparavant la moindre broussaille peinait à sortir de terre, l’architecture drapée de courbe laisse place à l’immensité céleste. Le paysage côtoie ici le béton immaculé dans une symbiose que l’on ne retrouve nul par ailleurs.SORTIR DU COLONIALISME Depuis la colonisation Portugaise la population se concentre sur le littoral atlantique dans des villes construites au fil du temps, selon les nécessités et de façon relativement anarchique ; à l’image du modèle médiéval sur le vieux continent. Depuis l889 et la naissance de la république Brésilienne, le peuple commence à chercher à s’émanciper de cette main mise identitaire apportée par les colons notamment par l’exploration de ses terres intérieures. Des signes de cette volonté déjà se manifestent dans la construction de Belo Horizonte (1894) ou plus tard de Goiânas (1934). Ces villes nouvelles témoignent d’une pensée globale dans leur structuralisme géométrique qui tranche avec leurs aïeules Portugaises et peuvent être interprétés comme les prémisses de l’entrée du Brésil dans la modernité. Dès son indépendance déclaré en 1822, le Brésil manifeste la volonté de transférer sa capitale vers l’intérieur du pays, afin de se protéger des attaques infligées par les nations ennemies ; car alors l’essentiel des grandes villes brésiliennes bordent la côte atlantique. De plus Rio de Janeiro, alors actuelle capitale est perçu comme un symbole de l’ex-empire esclavagiste Portugais et véhicule une image passéiste du pays. Au cours des années 50, l’idée d’une nouvelle capitale est vue comme un symbole d’émancipation vis à vis de ce passé colonialiste, marquant une volonté de véhiculer une image moderne et futuriste du Brésil à travers le monde. A ce titre, l’implantation souhaité est vue comme une braise qui par la suite irradiera tout le pays de son feu modernisateur. Kubitschek alors gouverneur du Minas depuis 1950 est élu président en 1956. Il avait fait de Brasilia un argument de campagne. L’idée de transférer la capitale fédérale sur le haut plateau du Goias n’était pas neuve. Le premier projet remonte à 1853. En 1934 une commission gouvernementale avait même choisie le site. Son premier travail fut de créer un organisme chargé d’étudier et de réaliser le projet de la « Nouvelle Capitale ». La société Novacap voit alors le jour.
Malgré une hostilité et des réticences affirmées, tant au sein du gouvernement que dans l’opinion publique, Kubitschek réussit à mener à bien la tâche qu’il s’était fixée : faire participer tout le territoire au progrès général du Brésil. À ce titre, Brasília est plus qu’une ville, c’est un symbole.
ENTRER DANS LE MODERNISME
C’est à São Paulo que le modernisme s’est le plus intensément manifestée. Dans la deuxième moitié du 19ème siècle ,la région est la première du pays concernant la production agricole faisant d’elle le centre économique. La ville explose au début du 20ème siècle par son développement industriel, qui dans son inertie attire les élites de toutes parts. Ce bouillonnement économique et culturel va féconder un nouveau mouvement de pensée, le futurisme brésilien, ayant pour intention de s’émanciper de la culture et des traditions européennes apporter par les colons, baigné par un sentiment de quête identitaire. Une Semana de Arte Moderna mettant en avant la production des Futuristes est dans ce cadre organisée. On constate toutefois que l’influence reste omniprésente. La vague moderne qui fait rayonné São Paulo n’est jamais complètement détaché des pratiques venant d’Europe. Gregori Warchavchik un jeune Ukrainien diplômé à Rome arrivé à São Paulo en 1923 est considéré comme le pionner du modernisme au Brésil, s’attirant les services de la haute société Pauliste jusqu’à Lucio Costa et Le Corbusier qui le nommera responsable des CIAM (Congrès International d’Architecture Moderne) en Amérique Latine. Le Corbusier jouit d’une aura bien établit en Amérique du Sud. Sa venue en 1929 marque le point de départ d’une modernisation Brésilienne conditionnée. Limité à l’exercice de conférencier, c’est à travers Costa pleinement acquis à sa cause qu’il va pouvoir transmettre son génie. Comme se fut le cas en URSS, Le Corbusier tient plus un rôle de conseil, il ne construit pas ou plutôt peu puisque le Ministère de l’Éducation et de la Santé à Rio lui est en partie attribué. Tout comme à Niemeyer qui creuse son trou. Elève de Costa lorsqu’il présidait l’École des Beaux Arts, le jeune Oscar travaille aussi sur le MES pour lequel son travail le fait remarquer. Il se distingue des architectes comme Rino Levi ou Warchavchik diplômé de Rome. S’ils sont les premiers modernes à construire au Brésil (figure 2), ils n’en sont que les exportateurs. Les courbes de Niemeyer (figure 3) elles tranchent avec l’orthogonalité des fondements modernes et c’est à n’en pas douter la principale raison qui à fait de lui l’ambassadeur de l’architecture Brésilienne.
LE FACTEUR HUMAIN
En décembre 1930, Getulio Vargas alors premier ministre nomme Lucio Costa afin de rénover l’enseignement de l’école national des Beaux Arts de Rio de Janeiro. Neuf mois plus tard et face à un mouvement de contestation, Costa est forcé au départ. Néanmoins, il rallie un nombre important d’étudiants à la cause du mouvement moCorbusierderne qui lui permettra en 1936 de se voir confier le projet du Ministère de l’éducation et de la santé (figure 4) par son ministre Gustavo Capanema, projet qu’il construira avec l’appuis de Le Corbusier. Cet édifice est considéré comme l’oeuvre fondatrice de la modernité au Brésil. C’est également durant cette période que Costa et Niemeyer vont sceller leur complicité en disciples des théories Corbuséennes. Costa lauréat du pavillon du Brésil à l’exposition international de New-York de 1939 invite Niemeyer à une nouvelle collaboration. Un an plus tard Capanema toujours, met Niemeyer en contact avec Kubitschek alors maire de Belo Horizonte. Les deux hommes vont se liés d’une grande confiance valant à Niemeyer l’offre de nombreuses commandes pour la construction de Pampulha, un nouveau quartier s’ajoutant à la jeune ville. Cette rencontre fut déterminante. Lorsque en 1956 Kubitschek est nommé président s’apprêtant à exécuter sa promesse électorale (la construction de la nouvelle capitale, Brasilia), Niemeyer est incontestablement l’homme de la situation. Il le charge personnellement de concevoir les icônes de ce nouveaux lieux du pouvoir démocratique et en parallèle le nomme directeur du Département d’Urbanisme et d’Architecture ce qui lui permettra de contrôler l’organisation du concours national pour le plan pilote (voir page suivante). Le 15 mars 1957, Costa est désigné lauréat parmi vingt-six candidats dont Rino Levi et Joãn Vilanova Artigas. La boucle est bouclé. L’élève élit son maître pour la construction de l’oeuvre la plus ultime qui puisse leur être confiée : le symbole national du nouveau Brésil.
|
Table des matières
Préambule
Introduction
Chap. 1. Magnitogorsk – La ville et sa révolution
Des conditions favorables
La montée du désurbanisme
La grille linéaire d’Ivan Leonidov
Chap. 2. Tokyo – À la conquête de la baie
Le métabolisme
Effervescence maritime
L’axe vertébré de Kenzo Tange
Chap. 3. Brasilia – Les lignes de l’émancipation
La maturation d’une ambition
Le plan pilote
L’utopie et sa réalité
Chap.4 Vers un modèle générique ?
Bibliographie
Télécharger le rapport complet