Macroinvertébrés et hyphomycètes aquatiques : composantes structurelles et fonctionnelles des écosystèmes aquatiques
Les eaux douces sont d’une importance capitale pour la vie et le fonctionnement des écosystèmes.
Les ruisseaux sont composés d’une mosaïque d’habitats qui se distinguent par leur structure physique, leur composition faunistique et leur fonctionnement. Ceux sont des écosystèmes ouverts présentant un fort lien avec les écosystèmes adjacents. Ils ont une forme linéaire (lit du cours d’eau) et un fonctionnement unidirectionnel principalement de l’amont vers l’aval. Les cours d’eau sont parmi les écosystèmes les plus complexes et dynamiques (Dynesius et Nilsson, 1994) et jouent des rôles essentiels dans la conservation de la biodiversité dans le fonctionnement des organismes et le cycle de la matière organique. Les macroinvertébrés forment l’essentiel du peuplement benthique des ruisseaux. Ils sont en général composés de larves d’insectes, crustacés, mollusques, némathelminthes et annélides et se trouvent principalement à proximité du sédiment. Leur abondance et leur diversité dépendent du contexte environnemental. En effet, les facteurs tels que la vitesse du courant, la température et le substrat peuvent réguler la répartition des macroinvertébrés au sein du ruisseau. De même, le peuplement faunistique d’un écosystème aquatique est constamment soumis à la variabilité spatio-temporelle de l’environnement. Il en résulte que les espèces présentes sont celles arborant les caractéristiques biologiques et les préférendum écologiques les plus appropriés aux différents types d’habitats de la mosaïque fluviale (Townsend, 1989 ; Townsend & Hildrew, 1994 ). Comme ils sont une source de nourriture pour plusieurs espèces de poissons, d’amphibiens et d’oiseaux, les invertébrés constituent un important maillon de la chaîne alimentaire des milieux aquatiques (Lozano et al. 2001).
La composition faunistique des ruisseaux réagit nettement aux perturbations. La perturbation des habitats et l’hétérogénéité qui en résulte sont donc les facteurs principaux de structuration des communautés. Les macroinvertébrés sont sensibles aux perturbations environnementales et les variations interspécifiques de cette sensibilité permettent l’observation d’un gradient de réponses des communautés selon l’intensité et la nature du stress (Lewis et al. 2001). De ce fait, les macroinvertébrés constituent d’excellents indicateurs de la qualité de leur milieu. Outre ce rôle, les invertébrés sont des acteurs clés des processus écosystémiques. Ils sont connus comme étant capables de modifier la structure de leurs habitats par leur mouvement (e.g. la bioturbation, Monoury 2013). Les macroinvertébrés benthiques sont cruciaux pour le fonctionnement des écosystèmes aquatiques du fait de leur rôle dans le recyclage des nutriments et dans la production primaire (Wallace & Webster 1996) comme cela a été montré dans les études sur la décomposition de la litière (Wallace & Webster, 1996; Covich et al. 1999; Wallace et Hutchens, 2000) indiquant la contribution majeure des déchiqueteurs à la conversion de cette litière en particules plus fines et en biomasse (Cuffney et al. 1990 ; Gessner et al. 1999 ; Graça, 2001).
Dans les ruisseaux, en plus de ce compartiment macrobenthique, on observe d’autres compartiments constitués d’algues (diatomées) et de microorganismes (bactéries et champignons). De nombreuses études ont souligné l’importance de ce compartiment microbien dans le cycle des nutriments, la décomposition de la matière organique et le transfert de la production primaire aux niveaux trophiques supérieurs (Bärlocher et Murdoch, 1989 ; Pusch et al. 1998 ). En ce sens, l’action combinée de ces deux compartiments dans le processus de décomposition des litières, est la garantie du bon fonctionnement d’un écosystème aquatique. Les relations entre biodiversité et fonction des écosystèmes ont fait l’objet de nombreuses études ces trois dernières décennies (e.g. Jabiol, 2010). Ces études ont montré l’intérêt d’une intégration des mesures fonctionnelles de la biodiversité par l’examen de processus écosystémiques tels que la décomposition des litières.
Fonctionnement des cours d’eau d’ordre inférieur : importance de la décomposition des litières
La décomposition des litières est un processus fondamental dans le fonctionnement de l’écosystème de cours d’eau forestiers du fait que la matière organique allochtone (litière végétal en général) provenant principalement de la végétation riveraine représente la principale source énergétique pour ces rivières. La décomposition de la matière végétale est un processus complexe qui implique des bactéries, des champignons et des invertébrés ainsi que des processus physiques. Les taux de dégradation des feuilles dans les cours d’eau sont influencés par des facteurs externes comme la température (LiskI et al. 2003), l’abrasion physique (Heard et al. 1999), la vitesse du courant, le pH (Griffith & Perry, 1993), la disponibilité en nutriments (Suberkropp & Chauvet, 1995) et la présence de consommateurs (Graça, 2011). Les caractéristiques intrinsèques des litières peuvent aussi être utilisées pour prédire les taux de décomposition. Il s’agit notamment de la teneur en éléments nutritifs des feuilles, la dureté et la présence de composés défensifs (Canhoto & Graça, 1999 ; Goncalves et al. 2007), ces dernières étant largement dépendantes des conditions environnementales locales (Rier et al. 2002).
Une fois dans le cours d’eau, les litières sont décomposées par différents organismes incluant les bactéries, les hyphomycètes aquatiques et les macroinvertébrés décomposeurs et permettent ainsi l’installation d’un réseau trophique diversifié (Cummins, 1974 ; Wallace et al. 1997). Au cours de cette thèse, je n’ai pas considéré la contribution des bactéries au processus, bien que participant de manière substantielle à la décomposition des litières (Hieber & Gessner, 2002) et pouvant affecter l’activité des hyphomycètes aquatiques par le biais d’interactions antagonistes (Gulis & Suberkropp, 2003), la biomasse et l’implication des bactéries dans la décomposition des litières restent mineures comparées à celles des champignons (Gulis & Suberkropp, 2003) et seraient associées à des stades avancés de la décomposition (Baldy et al. 2002 ; Baldy et al. 1995).
Plusieurs processus simultanés conduisent à la décomposition de la litière (Gessner et al. 1999). En premier lieu, elles sont soumises au cours des premières 24 heures d’immersion à un lessivage intense qui entraîne une perte de composés hydrosolubles (p. ex. sucres, acides aminés et composés phénoliques) (Chauvet, 1987) suivi par une colonisation par les microorganismes et notamment les hyphomycètes aquatiques (constituent 63 à > 99 % de la biomasse microbienne totale), les bactéries étant moins impliquées dans le processus (Baldy et al. 1995 ; Hieber & Gessner, 2002 ; Gulis & Suberkropp, 2003). La fragmentation des litières constituerait la dernière phase de la décomposition. Opérée à la fois par les facteurs abiotiques et par la digestion par les macroinvertébrés déchiqueteurs (mais aussi par la macération enzymatique par les microorganismes), elle résulterait en la transformation des litières en particules fines (MOPF) et en matière dissoute (DOM) (Cuffney et Wallace, 1990 ; Wallace & Webster, 1996 ; Gessner et al. 1999 ; Graça, 2011) et en CO2. Cette consommation de feuilles par les déchiqueteurs peut représenter plus de 50 % de la perte de masse foliaire (Hieber & Gessner, 2002). Cette fragmentation peut être amplifiée par des phénomènes physiques (abrasion) notamment en milieu tropical où le lessivage semble être accéléré (Covich, 1988). Toutefois, les taux de décomposition d’une espèce de feuille donnée varient entre les cours d’eau (Suberkropp & Chauvet, 1995). Ces processus ont été intensément étudiés en zone tempérée et le manque d’informations suffisantes sur les rivières tropicales conduit à des conclusions souvent contradictoires.
Contribution des hyphomycètes et invertébrés aquatiques dans les cours d’eau tropicaux
Dans une étude de comparaison globale, Irons et al. (1994) travaillant sur des cours d’eau le long d’un gradient de latitudes : tropical (Costa Rica), tempéré (Michigan) et subarctique (Alaska), suggèrent que, l’activité des macroinvertébrés dans le processus de décomposition des litières serait plus importante avec l’augmentation de la latitude. A l’opposé, l’activité microbienne est plus accélérée à de basses latitudes, favorisée par les températures élevées. Dans un cours d’eau de basse altitude hawaïen Larned (2000) a étudié la décomposition de deux espèces introduites de litières, Hibiscus tiliaceus et Psidium guajava, et constate une décomposition rapide de ces espèces et une faible abondance des déchiqueteurs. Il conclue que les microorganismes (champignons et bactéries) étaient les principaux agents impliqués dans le processus dans le cours d’eau étudié. Mathuriau & Chauvet (2002), investiguant la décomposition de deux espèces de litières, Croton gossypifolius et Clidemia sp, dans un cours d’eau en Colombie (Andes au sud-ouest) en utilisant les sacs à litière, montrent que les deux espèces se décomposent rapidement dans ce cours d’eau. Croton gossypifolius perdait ainsi 95% de sa masse initiale au bout de 4 semaines comparé à Clidemia sp. Toutefois, ils notèrent la faible diversité et abondance des macroinvertébrés déchiqueteurs. Ils attribuaient la rapide décomposition de leurs litières étudiées à la température modérément élevée prévalant dans leurs cours d’eau, favorisant l’activité biologique notamment celle des microorganismes Goncalves et al. (2007) ont étudié la décomposition de Protium bresiliense dans un cours d’eau tropical au Brésil (Cerrado) et trouvent que les taux de décomposition de P. bresilense étaient plus faibles que ceux reportés pour d’autres espèces de feuilles en cours d’eau tempéré (Ostrofsky, 1997) et tropical d’Afrique et d’Amérique (exemple Mathuriau & Chauvet, 2002). Ces taux étaient attribués à deux facteurs indépendants, les facteurs environnementaux et les caractéristiques intrinsèques de P. bresilense notamment les concentrations en éléments nutritifs (N et P) et en composés réfractaires (lignine) et la dureté. Les macroinvertébrés déchiqueteurs étaient rares probablement à cause de la ressource de faible qualité. Les taux de décomposition observés étaient donc dus à l’activité des microorganismes en particulier des hyphomycètes aquatiques et à des phénomènes physiques.
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Table des matières
Introduction générale
1. Macroinvertébrés et hyphomycètes aquatiques : composantes structurelles et fonctionnelles des écosystèmes aquatiques
2. Fonctionnement des cours d’eau d’ordre inférieur : importance de la décomposition des litières
Contribution des hyphomycètes et invertébrés aquatiques dans les cours d’eau tropicaux
Le cas des cours d’eau d’Afrique tropicale
3. Contexte, objectifs et structure de la thèse
Chapitre I. Sites et Méthodes
Sites d’étude
1. Forêt classée de Ziama
2. Bassin du Milo
3. Stations d’échantillonnage et d’expérimentation
Matériels et méthodes
1. Mesure des paramètres physico-chimiques
2. Inventaire des macroinvertébrés benthiques
3. Inventaire des hyphomycètes aquatiques
4. Décomposition des litières
5. Analyses statistiques
Chapitre II. Diversité des macroinvertébrés benthiques de Guinée : cas des rivières de Ziama et du bassin du Milo
Introduction
1. Importance alimentaire et médicale des invertébrés aquatiques
2. Importance des invertébrés dans l’alimentation des poissons
3. Les invertébrés d’eau douce comme bioindicateurs de pollution
4. Macroinvertébrés et transformation de la matière organique
5. Etat des connaissances en Guinée
Sites
Méthodes
1. Paramètres physico-chimiques de l’eau
2. Techniques de prélèvement
3. Tri et détermination
4. Analyse de la faune
5. Groupes fonctionnels trophiques
6. Traitement des données
Résultats
1. Paramètres physico-chimiques de l’eau
Analyse globale de la faune
3. Abondance
4. Diversité : Indice de Shannon-Weaver – Equitabilité
5. Importance des différents ordres par station
6. Groupes fonctionnels trophiques
Discussion
Chapitre III. Introduction à l’étude des hyphomycètes aquatiques de Guinée
Introduction
1. Biologie
2. Habitat
3. Ecologie
4. Rôle de décomposeurs
5. Biogéographie
Diversité des hyphomycètes aquatiques de quelques cours d’eau guinéens
1. Sites et méthodes
2. Résultats et Discussion
Chapitre IV. Décomposition des litières en cours d’eau forestiers guinéens
Résumé
Introduction
Sites d’étude
Démarches expérimentales
1. Mesure des paramètres physico-chimiques de l’eau
2. Détermination de la composition chimique des feuilles
3. Décomposition
4. Hyphomycètes aquatiques associés aux litières
5. Macroinvertébrés associés aux litières
6. Analyse des données
Résultats
1. Paramètres physico-chimiques de l’eau
2. Caractéristiques initiales des litières
3. Décomposition
Discussion
1. Décomposition des litières
2. Qualité de la litière
3. Contribution des hyphomycètes aquatiques
4. Rôle des macroinvertébrés
Chapitre V. Décomposition des litières en cours d’eau de savane guinéenne
Résumé
Introduction
Sites d’étude
Méthodes
1. Mesure des paramètres physico-chimiques de l’eau
2. Décomposition
Résultats
1. Paramètres physico-chimiques de l’eau
2. Composition chimique initiale des feuilles
3. Perte de masse
4. Hyphomycètes aquatiques associées aux feuilles
5. Macroinvertébrés associés aux litières
Discussion
1. Rôle des hyphomycètes aquatiques
2. Contribution des macroinvertébrés
Chapitre VI. Discussion générale
Conclusion générale