Machiavel, de l’histoire monumentale à la dramatisation de la politique

Cumulativement, le civisme antique, de par son modèle cosmologique et la morale chevaleresque du Moyen-âge, de par son présupposé théologique ont pensé des républiques et des principautés déduites d’une norme transcendante, immuable et éternelle. S’inscrivant en faux avec cette perspective, Machiavel pose un regard neutre et froid sur les phénomènes, analyse « sans passion »les passions humaines et établit, pour sa part, que la vérité ultime du politique n’est déductible que d’un rapport de forces qui prend toujours déjà la forme d’un ici et d’un maintenant.

Au demeurant, précisons que l’autre variante des relations d’autorité reste la ruse. Voilà pourquoi tout rapport de pouvoir intègre nécessairement la catégorie intellectuelle de la stratégie et du calcul rationnel. C’est fort justement la prise en charge de ce paradigme de la ruse qui inclinera Machiavel à transposer, pour parler comme August Diés, les procédés et les techniques propres au théâtre, en général, et à l’activité dramatique, en particulier, au sien de la dualité commandement/obéissance par laquelle le pouvoir devient le lieu et l’instance du piège où tout se joue en trompe l’œil. De plus en plus, l’imaginaire s’empare de la sphère de l’Etat et en fait tout naturellement un théâtre d’illusion. Le néologisme « théatrocratie » résume bien cette orientation du pouvoir qui, désormais, doit être conçu comme pouvoir sur scènes .

Par sa mise en intrigue, en effet, il devient un haut lieu du secret et du ressort. Au cœur de la théâtralité politique se trouvent l’artifice et l’artéfact, le songe et le mensonge. Par la ruse et le subterfuge, le pouvoir se dramatise, se scénarise, se dédouble et se donne en spectacle. L’Etat-spectacle ou l’Etat séducteur c’est aussi une identification de l’Etat à un metteur en scène : celui-ci tient un rôle autant qu’il en distribue. Par ailleurs, en promouvant le non-être et le non-sens, en prescrivant le faux à travers le faux–fuyant et le faux-semblant, Machiavel remet à l’honneur Sophocle et Aristophane, accorde droit de cité en politique, la tragédie et la comédie, tout à la fois. Théâtre d’affrontements catégoriels et corporatistes qui clivent et divisent les communautés humaines, la politique semble recevoir de l’histoire matière et base de légitimation.

HISTOIRE ET HISTORIOGRAPHIE

Le concept d’histoire monumentale

Disons d’emblée que le monument c’est ce qui résiste à l’usure du temps et à l’oubli. Donc, il interpelle, au premier chef, la mémoire. Il est sélectif et superlatif. L’histoire monumentale procède donc d’un processus de légendification du noyau historique puisqu’elle s’intéresse aux hauts faits des héros et des hommes qui font l’histoire. Autant dire avec Hegel que : « La caractéristique essentielle de l’esprit et de son temps est toujours contenue dans les grands évènements. » Ainsi entendue, l’histoire monumentale consiste dans l’extraction de modèles pertinents, fécondants et structurants. Ce faisant, elle se veut substantielle car, comme le note si bien Hegel:

« Pour l’esprit, seul le substantiel- mais non l’absence de teneur affectant des existences et contingences extérieuresest le vrai et il est parfaitement indifférent que de telles insignifiances soient attestées de façon formelle ou, au contraire, comme dans le roman forgées de façon caractéristique et rattachées à tel ou tel nom, à telles ou telles circonstances.»  .

En dehors de la dimension exceptionnelle des héros, on peut dire que le passé est un lieu de surgissement d’invariants. Dans cette optique, on pourrait poser que « l’hégélianisme se présente d’abord comme une récollection de tout le passé historique et culturel de l’humanité » .

En tant qu’elle constitue un facteur de fécondation et de fertilisation, l’histoire représente un réseau de significations, un noyau de sens bref, un principe d’engendrement d’un îlot de sens. C’est dire que le passé est sans cesse actualisé puisque projeté dans le futur. « Penser la vie », c’est connaître le devenir effectif des sociétés, c’est reprendre le présent comme le résultat d’un processus long et dramatique qui l’a produit ; c’est comprendre le passé comme une étape de la formation de la situation contemporaine. » Dans ce cas, l’avenir n’est que la projection du passé ou le passé la promesse de l’avenir. Ainsi donc « la forme actuelle de l’esprit comprend en soi tous les degrés antérieurs. » Cela explique le fait évident que « les moments que l’Esprit paraît avoir derrière soi, il les possède encore dans sa profondeur présente » comme le note fort bien Hegel dans ses Leçons sur la philosophie de l’histoire.

Dans cette perspective, l’histoire se présente comme un cercle et un retour sur soi de l’Esprit absolu récapitulé sur la forme d’une mémoire. C’est l’idée même de mémoire comme acte de présentifier le passé qui permet à Jacques Dérrida d’esquisser l’idée d’une « réappropriation », d’une « présence perdue.» Le concept hégélien de réconciliation avec la caducité se définit comme réappropriation, remémoration dont la finalité est de vaincre la dissolution exercée par le temps. S’agissant de cette présence à soi de l’Esprit absolu, on peut effectivement penser avec Martin Heidegger que, dès le début elle se trouve « dans le pas-encore du déjà» de telle manière que « ce déjà déploie sa présence dans le pas-encore. » On pourrait poser avec Louis Althusser que « dans chaque instant du temps, le passé se survit sous la forme du souvenir de ce qui a été. » En d’autres termes, il subsiste dans « la promesse murmurée du présent.» .

En pratique, l’histoire monumentale, c’est ce qui surnage le caractère prosaïque du monde dans ce que celui-ci a de plus trivial. Le concept d’histoire monumentale est fondamentalement définitoire d’un processus de superlativisation du noyau historique qui consiste en un tri et en un travail de sélection car, comme l’affirme si bien Machiavel : « L’homme prudent doit toujours suivre des voies tracées par de grands personnages imitant ceux qui ont été excellents afin que si leur talent n’y peut parvenir, il en garde au moins quelque relent. » .

L’histoire monumentale en tant qu’elle correspond à l’histoire mémorable et, pour ainsi dire hiéroglyphique, c’est essentiellement le culte de l’excellence, de la perfection et de la plénitude. Si imiter c’est suivre le modèle des personnages exceptionnels alors, l’historiographie telle qu’elle fonctionne chez le florentin procède d’un esprit de discernement par l’application d’un critère discriminatoire chargé d’isoler, au sein du matériau historique, ce qui est imitable ou non, ce qui est digne d’être imité et ce qui ne l’est pas. Imiter c’est, finalement, suivre de grandes choses. « Les grandes choses qu’elle a opéré et dont Tite Live nous a conservé la mémoire ont été l’ouvrage du gouvernement ou des particuliers ; elles ont trait aux affaires du dedans et du dehors.» .

Cette nécessité absolue de la mimésis dans l’histoire monumentale requiert qu’on tourne résolument le regard sur la connaissance du passé par l’acte de lecture. «Une recollection exacte, écrit châtelet, doit tenir compte systématiquement de ces diverses attitudes « existentielles » imposées / choisies. L’introduction au système devra établir la nomenclature précise des moments réels (et, en même temps, remémorés ou projetés) par lesquels passent les hommes dans leurs pratiques sociales.» .

Il s’y ajoute le caractère transitif de l’imitation. Car, il est conseillé au prince virtuoso de « faire comme quelques excellents du temps passé qui se proposaient d’imiter un personnage du grand nom, ayant toujours sa vie et chronique auprès de soi comme on dit qu’Alexandre le Grand imitait Achille, César Alexandre, Scipion Cyrus.» La conséquence ultime de la prise en charge de l’histoire monumentale c’est bien l’énonciation d’une théorie de la causalité qui se fonde sur la typologie des comportements sériés pour établir le critère de pertinence de l’action. Ainsi, progressivement, se met en place une problématique de la mimésis historique sanctionnée par le couple d’opposition succès / échec.

En effet, « le prince, de l’avis de Machiavel, doit lire les histoires et en celles-ci considérer les actions des excellents personnages, voir comment ils se sont gouvernés en guerre, examiner les causes de leur victoire ou défaite. » Au total, l’historiographie machiavélienne inscrit sa problématique dans la perspective d’une rupture paradigmatique ou d’une fracture essentielle, celle-là même qui impulse l’historiographie humaniste.

Machiavel et l’historiographie : rupture et continuité

Jean Bodin définit l’histoire comme une science humaine en faisant le départ entre, d’une part, un type narration qui prend en charge des faits qui se sont déroulés dans la nature et un autre qui déroule les événements qui se ramènent à l’évolution des institutions de Dieu et enfin, et d’autre part, un mode de narration dans lequel le questionnement historique « étudie des gestes de l’homme.» Ce dernier aspect résume toutes les vicissitudes de l’histoire humaine par delà la contingence des époques. En effet, Bodin « distingue nettement l’histoire proprement dite, historia intégra, « narration exacte des gestes de l’homme à travers les sociétés », de l’histoire naturelle et de l’histoire sacrée dont le propos est la connaissance « de l’action et des manifestations du Dieu souverain » et qui, à ce titre, est du domaine des théologiens. » Pour répondre aux exigences de la rigueur scientifique et élever, pour ainsi dire, sa définition de l’histoire à la systématicité, Bodin ruine tout paradigme culturel ou catégoriel et, en vue de matérialiser cette ambition, il « dégage les lois de l’histoire. Il constate le déterminisme climatique, aperçoit la dérive Sud-est / Nord-ouest des civilisations circumméditerranéennes et appelle une vision réellement universelle et non plus européocentriste de l’histoire. » Cette problématique de la scientificité de l’histoire semble inscrite au cœur du corpus machiavélien. Pour Machiavel comme pour Bodin, en effet, ni le naturalisme aristotélicien ni même l’orientation providentialiste propre à Saint Augustin ne doivent être pris en compte pour établir l’historicité des choses. Paul Valadier commente cette orientation de l’œuvre historique de Machiavel en mettant l’accent sur le nouveau paradigme que celle-ci met en œuvre :

« L’histoire, écrit-il, n’est pas conduite par une Providence qui l’acheminerait vers la Cité céleste et apporterait la véritable paix divine à la cité terrestre divisée par la haine et exposée aux paix précaires que donnent des armistices toujours provisoires (Saint Augustin). Mais l’histoire n’a pas à se rapprocher d’un ordre de choses fixé par la nature et identifiable par la raison, en sorte que les institutions de la cité trouveraient en se rendant conformes à leur vraie finalité, la substantialité qui leur convient.» .

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Table des matières

INTRODUCTION
I Histoire et historiographie
I.1. Le concept d’histoire monumentale
I.2. Machiavel et l’historiographie : rupture et continuité
1.3. De l’historiographie à la dramaturgie
II. Définition du drame
II.1 Expressions et Méthodes du drame
II. 2 Enjeux et finalités du drame
II.3. Pouvoir et théâtralité
III. Expressions dramaturgiques dans la pensée politique de Nicolas Machiavel
III.1. Présupposés théoriques de la dramaturgie politique chez Machiavel
III.2. La problématique de la mise en scène chez Machiavel
III.2.1. Machiavel et la dramaturgie politique
III.2. 2. La dramaturgie politique à l’épreuve de la médiatisation actuelle du pouvoir
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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