Luxe et confort, la matérialisation d’un statut original

DES TEXTES, DES EMPLOIS : MATERIALITES ET CONTENUS

Les trois réceptacles de l’écriture privée, qui constituent nos sources essentielles, sont sensiblement différents tant par leur forme que par leurs usages. Pour Nicole Lemaître, il est essentiel de se départir d’une acception globale des « écrits du for privé » car le concept embrasse une grande « variété [de] supports, dont l’analyse n’est pas indifférente à la production de l’écrit : cahiers, carnets, fiches, notes… [et tous]ne sont pas assimilables en effet, car les supports induisent une variété encore plus complexe de la fonction des textes, et surtout parce qu’ils brouillent les échelles et les chronologies » . L’étude de la matérialité du support ne semble pas devoir se limiter à la description formelle du document, encore faut-il tenter d’éclairer la volonté qui préside aux choix du scripteur, car « […]l’écriture est affaire de choix. Tout commence par celui du support […] ».

DU PETIT IN-FOLIO DE BONNE FACTURE AU CARNET DE PAPIER COMMUN, LE LIVRE – OBJET

LE LIVRE DE NOËL VALLANT, SUPPORT PERENNE DE LA MEMOIRE

Le Livre de Noël Vallant(1678-1683) est un petit in-folio d’environ 35 par 22 cm relié en plein parchemin, avec un rabat et des liens de cuir –qui, c’est une des émotions du travail en archives décrites par Arlette Farge , sont encore souples et doux au toucher comme si les ans avaient glissé sur eux – pour servir de fermeture. Sur les plats sont des restes de sceaux rompus, ceux de la maison de Guise, ainsi qu’un visa du notaire ayant inventorié les biens du défunt . Ces éléments témoignent de la portée légale que le droit reconnaissait aux écrits du for privé, un des caractères de ce type de source et que le scripteur devait lui porter.
Cette valeur probatoire du livre de raison de Noël Vallant est étayée par la modalité de son versement aux archives, où il est conservé depuis la mort du scripteur. En effet, c’est comme pièce propre à établir le patrimoine du médecin, qui fit légataire universel86 les pauvres de son bourg de naissance, qu’il fut rapatrié de Paris et classé, au XIXe siècle, sous la cote GG 75. L’inventaire de l’archiviste ne respectait pas, semble-t-il, le fonds originel qui, selon toute vraisemblance était plus étendu et correspond aujourd’hui à quatre cartons. Car ce corpus fut sans doute constitué par le légataire universel, « les consulz et curés du bourg », pour son utilité comptable, comme « memoire » du patrimoine de Noël Vallant, à accepter ou non. Un objectif patent dans la procuration donnée à Jean de Serre par le conseil de ville du 6 août 1685 :
Ce sont ici trois besants, ce filigrane semble être d’abord un type auvergnat en circulation dès 1647. Le marchand-papetier Pierre Ferlier de Paris obtint en 1653 des lettres de privilèges pour la figure aux trois annelets. Il produisait cependant aussi un papier à l’aide de la même marque que celle qui est utilisée ici, aux trois besants. C’est en effet un filigrane identique à l’exception de la contremarque « PF » – Pierre Ferlier – qui est présenté dans l’ouvrage de Raymond Gaudriault. Ainsi ce folio montre un filigrane qui vient peut-être d’Auvergne, puisque l’on sait que le privilège de Ferrier fut bafoué à de nombreuses reprises, et en particulier par les papetiers de Thiers . En outre, le modèle exact présenté par Raymond Gaudriault est la reproduction d’un filigrane relevé par Delaunay qui écrivait « Pareil écu se rencontre au XVIIe siècle sur des papiers auvergnats » . Ce filigrane fut en effet relevé sur les fragments du manuscrit des Pensées de Pascal, mort en 1662, ce qui ne permet pas d’attester de la provenance commune, même si Noël Vallant assista à sa dernière maladie.
Le deuxième filigrane semble assez commun est les informations manquent à son sujet.
Ce filigrane est décris par Raymond Gaudriault comme un « ovale entouré de branchages, trois serpes ( ? ). Sous la marque, une contremarque : PC/L dans un cartouche ». La feuille est utilisée en 1660 et 1661 . Il est présenté figure228, planche 32 (annexes non paginées). La date de circulation relevée peut montrer que le papier est resté longtemps non utilisé dans des réserves, ou que la datation de Raymond Gaudriault est incomplète. Mais ce filigrane, s’il atteste la diversité des provenances des papiers utilisés pour former le livre, n’indique pas sa qualité. En revanche le troisième filigrane est bien plus parlant.

UN CARNET DE MOINS BONNE FACTURE, UN CAHIER PERISSABLE

Le Carnet de Noël Vallant, couvrant environ la période comprise entre 1661 et 1673 111, est un petit in-16 de 152 par 110 mm, fait de cahiers de papier commun cousus et couverts de morceaux de parchemin qui sont sans doute issus de la réutilisation de documents considérés comme obsolètes, une forme assez courante pour ce type de source . Un détail témoigne cependant d’une certaine élaboration, il s’agit d’un rabat qui semble destiné à fermer le carnet.
Sur le premier plat, quelques lignes situées en haut à gauche ont été biffées, nous privant peut-être d’une déclaration d’intention quant au contenu du cahier ce qui serait alors inédit dans nos sources ; le scripteur n’étant pas novice en écriture de soi, s’il écrivit la destination de son œuvre, ce fut certainement dans son premier livre.
Le deuxième plat révèle, pour sa part, entre les écritures des parchemins utilisés, une mention de la main deNoël Vallant: « ce livre couste 3S ». On voit là que lorsque dans l’année 1661 ou 1662, à Paris , il achète son support –soit le carnet fait et vendu par un libraire –bouquiniste, soit la main de feuilles à coudre –il est déjà dans l’esprit qui anime le travail de tout scripteur de livre de raison, « […] se rendre compte & raison à luy-même de toutes ses affaires […] ».
La taille du Carnet, beaucoup plus réduite que le Livre, en faisait un objet plus aisément transportable, propre à accompagner Noël Vallant par les rues et les échoppes, accessible à la première occasion, dans la poche de son manteau long doublé de serge. Ainsi, au lieu de n’être qu’une pièce de peu de valeur pour le scripteur, elle est au contraire le support qui jette un pont entre sa pratique scripturaire en cabinet, et celle de l’instantané, tissant de cette manière un fil continu de l’écriture.
Le cas du « memoire » et de l’« extraict » est en revanche un peu problématique. Le sens que nous avons donné au choix du support ne trouve pas d’écho indiscutable dans ce document. C’est en effet un livre fait de cahiers de papier reliés, la couture n’a vraisemblablement pas été bâclée , mais aucune couverture ne vient tenir, renforcer et protéger l’ensemble. Est-ce ressorti au contenu ? Sans avancer une explication mono causale, le retour prosaïque à la loi semble ici nécessaire pour interpréter ce détail qui n’en est pas un. Il semble en effet que le désir de conservation s’il ne peut pas être dégagé d’une volonté de pérennité de l’écriture de soi, réponde aussi, et peut-être surtout pour le scripteur, en conscience, à une nécessité juridique. En effet, le Livre de Noël Vallant est la seule pièce de notre corpus qui puisse être considérée comme livre de raison dans sa valeur probatoire stricte. Il comporte les signatures du scripteur et de son domestique lorsqu’il note ses quittances de gages, et pour chacune, les noms des deux parties et la date . C’est aussi celui qui semble comporter le moins de narrativité . Ce n’est pas le cas des autres documents qui ne répondent pas toujours à ces critères, et ne sont donc peut être pas considérés comme tels par le scripteur, même s’ils allaient êtres catalogués par le greffier lors de son inventaire après décès . Le Carnet, étaitcertainement protégé en vertu de son utilisation hors du logis, aussi le memoire suivi de l’extraict sont-ils laissés sans couverture. Mais, comme il s’agira d’essayer de le montrer, ce n’est pas le seul caractère de validité judiciaire ou non qui conditionne le propos duscripteur, tant s’en faut.

LES NOMBRES, LES TEMPS ET LES MATIERES L’ESTHETIQUE DES COMPTES DE NOËL VALLANT

« La calligraphie est l’algèbre de l’âme tracée par l’organe le plus spiritualisé du corps, sa main droite. Elle est la célébration de l’invisible par le visible ». Par ces mots, Michel Tournier accordait à la graphie une valeur transcendant largement ses qualités formelles. Sans chercher à aller aussi loin que le romancier, il semble important de dégager les caractéristiques générales de l’écriture de Noël Vallant car elles ne semblent pas quantité négligeable.

L’orthographe, « algèbre de l’âme » ?

L’orthographe de Noël Vallant se montre, sans surprise , souvent différente des canons préconisés par l’Académie française, comme le relève Marjorie Dennequin à propos de Madeleine de Franc.
Des lettres sont doublées : « taffetas », « estoffes », « deffunte », « affin », « proffession », « saffran », Les lettres non prononcées sont parfois écrites : le « c » antérieur au « t », par exemple dans « faict », « huict », « contract », « saincts », « suict », « laict », « huictante », « lict », « droicts », « respects » « depoct », « portraict », « parfaict », « defunct », « extraict ». On trouve la forme « huit » pour deux occurrences seulement, ce qui est faible d’autant que la transcription peut être fautive. Le « c » placé devant le « t » semble même pour le scripteur la forme la plus « naturelle » et automatique, à l’occasion d’une erreur qu’il corrige ensuite en ajoutant un « e » dans l’interligne : « la quittanctede mr chenu ».Mais faire l’inventaire des manières d’écrire apprend peu de chose sur le scripteur, ainsi que l’analyse de l’emploi des majuscules le révèle.

Majuscules, minuscules : manières d’écrire indifférentes

Les majuscules ne sont pas respectées systématiquement, loin s’en faut.
Nous avons tenté de déceler la présence, ou non, de facteurs pouvant expliquer l’emploi ou pas de la majuscule pour les noms propres.
La première lettre des noms propres n’en comporte souvent pas. Ainsi monsieur Rivet, l’homme d’affaire de Noël Vallant, dont le nom a le nombre d’occurrence le plus élevé dans le livre de raison, est écrit « rivet » ou « Rivet », avec une nette inclination à écrire la forme majuscule. Le nom de Madeleine de Souvré, marquise de Sablé, est noté « sable », « sablé » ou « sablè » ; celui d’Anne-Geneviève de Bourbon-Condé, duchesse de Longueville « longueville » ; ou encore « guise » pour Madame ou Mademoiselle. Ces trois exemples se réfèrent à ses grandes maîtresses successives, car on pourrait imaginer une plus ou moins grande application dans son écriture, selon un degré subjectif – ou même objectif parfois, d’une certaine manière– de respect ou d’attachement. Il est assez clair que cette hypothèse peut être rejetée en ce qui concerne Noël Vallant. En effet, un des noms couchés sur le papier avec le moins d’apprêts129 est celui de Madeleine de Souvré, pourtant une femme au cœur de sa vie. Mais peut-être est-ce encore une vision, recomposée par un contemporain, d’un attachement supposé qui ne trouve aucune preuve. Cependant, la réalité d’une forme d’attachement est bien plus étayée lorsqu’il s’agit de Françoise-Renée de Lorraine, abbesse de Montmartre. Elle est simplement appelée « madame de montmartre » ou même « mad de montmartre » sans autre forme de qualité. C’est pourtant elle qui fait l’objet d’une des seules manifestations directes d’ego dans le livre de raison de Noël Vallant. En décembre 1682, le médecin notait, « je nay rien escrit dans ce mois a cause du trouble que la mort de mad de montmartre arivee le le [sic] .macausè » . C’est pour elle que l’intime se fait jour chez le scripteur et que l’on entrevoit, avec émotion, le secret de son cœur. Si ce n’est pour elle que le scripteur donne une majuscule, alors la majuscule n’a pas de valeur pour Noël Vallant.

Les signes et l’ordre des comptes

Les signes employés par le scripteur dans la tenue de ses comptes sont très classiques . Les unités de compte sont collées au système duodécimal : livres, sous et deniers. La livre tournois est stylisée en l’abréviation « lt » écrite hâtivement et donc biffée par la barre du « t ». Le sol est écrit comme une sorte de bêta grec, « β », quant au denier il est signalé par un « d » . Cependant, si la monnaie de compte est la seule utilisée dans le compte à proprement parler, pris ici comme le rappel, centré à droite, de la somme évoquée dans la notice le précédant ; les monnaies réelles sont parfois évoquées dans la notice. Ainsi, l’écu , la pistole , le louis d’or y figurent en formant des lignes de compt telles que celle du 27 janvier 1678 : 14 louis dor et un escu blanc que javois receu pour les visites des malades de lhotel de Conquereille pendant lannee 1677 157. –
Aussi se fait jour une fracture, a priori non manifeste dans le compte ; la notice est plus ancrée dans le réel, elle est la transcription du vécu de Noël Vallant lorsqu’il touche du doigt le métal froid des pièces. La traduction en compte, ramenée en livres, en est le mémoire asséché140 par la raison.

L’ordre du temps, unité mensuelle et intertextualité

La forme des comptes est comparable, on l’a vu, à celle employée par d’autres scripteurs. Mais si les modalités de la tenue des comptes empruntent beaucoup aux recommandations des premiers « théoriciens » des livres marchands141 , chaque scripteur a cependant sa manière propre de se « rendre raison […] de toutes ses affaires », et ces particularités peuvent faire l’objet d’une analyse et peut-être révéler des attitudes du scripteur face àson support et des destinations de ses écrits ordinaires.

Le Carnet de Noël Vallant, des miscellanées mal ordonnées

En matière d’organisation, les documents diffèrent sensiblement. Le Carnet de Noël Vallant est essentiellement thématique, il rassemble des rubriques diverses dont le scripteur fournit, pour certaines, un intitulé, tel que « masson [sic] », « serrurier » ou « vitrié [sic]». L’organisation du Carnet se montre peu stricte, le souci thématique se heurtant sans cesse au déroulement du temps . Il apparaît jouer un rôle de support temporaire – au moins en partie – un carnet « de poche », comme en l’a vu, qui devait accompagner l’auteur tel un vade mecum disponible à tout moment. On y trouve en effet des entrées, en sus des comptes à proprement parler, sur les prix du moment, les bons coins où acheter ou des astuces diverses à se rappeler. Ainsi Noël Vallant écrit-il le 28 novembre 1662.

Le Livre de Noël Vallant, ordre et expérience

Le Livre de Noël Vallant est en revanche principalement chronologique à l’exception de deux entrées annexe – au moins par la place qu’elles occupent graphiquement – placées en fin de volume, qu’il intitule « contracts » et « servantes ». Cependant le scripteur, s’il a acquit une expérience qui lui permet une forme répétitive et régulière n’est pas à l’abri, à l’occasion, d’une erreur d’estimation. Ainsi trouve-t-on en plein juillet 1681, les mots « aoust 1681 » biffés, centrés et sans lien apparent avec le texte qui l’encadre. Le médecin avait certainement voulut s’avancer et noter par avance le titre de son nouveau mois, avant de se raviser. Mais le Livreest somme touterégulier et bien organisé, ce qui fait pencher d’autant la balance en faveur d’une longue expérience de l’écriture ordinaire, de l’écriture généralement.

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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE
LES FORMES, LES SIGNES ET LES SENS
CHAPITRE 1 –DES TEXTES, DES EMPLOIS : MATERIALITES ET CONTENUS
Du petit in-folio de bonne facture au carnet de papier commun, le livre –objet
Les nombres, les temps et les matières
CHAPITRE 2 –UNE MAISON, UN LIVRE, UN FILS ? POURQUOI PRENDRE LA PLUME
« La rage d’écrire », les écrits du for privé et la culture de l’écrit
La rupture de la continuite de la vie ou la genèse de l’écrit du for privé
À la quête de l’identité, « des accès de puérile vanité » ?
DEUXIEME PARTIE
DES MOTS ET DES HOMMES
L’EXISTENCE SOCIALE DANS LES ECRITS DE NOËL VALLANT
CHAPITRE 3. FORTUNE ET ENTOURAGE OU LES INFLEXIONS DEL’EXISTENCE
Chronique d’une ascension sociale réussie
L’environnement relationnel, terreau d’un accomplissement personnel
CHAPITRE 4. LES EGO-DOCUMENTS, MIROIR DEFORMANT DE L’EXISTENCE SOCIALE
Cercles de pratique et mondanités
La maison : le premier cercle invisible
Le cap d’ostalet le prosélyte : des liens familiaux fondés sur l’argent et la piété en partage
Amitié et sentiments amoureux, au plus près du secret d’un cœur ?
TROISIEME PARTIE
LA COMPTABILITE DE L’HONNEUR
L’ENVIRONNEMENT MATERIEL DE NOËL VALLANTDANS SES ECRITS
CHAPITRE 5. LUXE ET CONFORT, LA MATERIALISATION D’UN STATUT ORIGINAL
Une histoire de choses banales
Luxe et exotisme, un mimétisme social
« La vêture et le pouvoir », la place cruciale des textiles
CHAPITRE 6. LA BIBLIOTHEQUE DE L’HONNETE HOMME
« Un meuble propre à mettre volumes de livres », écrits et habitat Janséniste, médecin, honnête homme : les livres comme identité
CONCLUSION

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