LUTTE, MYSTICISME, ISLAM : croyances, pratiques et représentations

Mysticisme

   Le mysticisme est un ensemble de croyances qui relèvent de l’ordre de l’imaginaire. Il est détenu par des marabouts qui se basent sur des rituels et prières pour accomplir le désir du client. Même s’il existe une forme de compréhension rationnelle et scientifique des événements, pour les Sénégalais le maraboutage est présent et existe au cœur de leur monde social et culturel et, en conséquence, leurs interprétations et compréhensions des événements attribuent une influence causale importante au rôle joué par les marabouts. Ceux-ci utilisent la sorcellerie, le culte de la possession par des esprits (rabs) et le travail magique des marabouts qui ont recours à des procédés animistes et islamiques, pour expliquer et interpréter les réalités sociales.35 (Loum, 2014) Ces pratiques et rituels mystiques sont de l’ordre de l’irrationnel contrairement à la pensée religieuse.

Islam

   La religion musulmane est un ensemble de paroles et de conduites révélées par le prophète Muhammad. C’est en fait des dogmes enseignés et inculqués aux disciples qui sont dans l’obligation de se conformer aux règles préétablies. Dans sa thèse intitulé l’Islam au Sénégal, les Confréries ou l’émiettement de l’autorité spirituelle, Wane précise : « L’Islam, comme religion révélée, a écrit de merveilleuses et impérissables pages pour la guidance de l’humanité tout entière. Son Dogme, son unité comme son expansion laissent dans les annales de l’histoire universelle l’empreinte de la grandeur, de la sagesse, et de l’humanisme d’un homme d’exception ».36 (Wane, 2010) Mais comme tous les textes sacrés, le texte de l’Islam est sujet à interprétations, loin d’être toutes identiques. La controverse interprétative se retrouve du reste dans le domaine de la lutte et la position des imams à ce sujet : celle-ci va de l’exigence d’interdiction pure et simple à la tolérance la plus souple, et ce toujours en référence au texte fondateur. C’est une religion fortement représentée qui se base sur des stratégies de diffusions. C’est ce qui permet à Wane de continuer son propos en postulant: « La pratique de la religion est collective et repose sur ce fond cultuel qui doit sous tendre tout acte de dévotion, tel qu’enseigné par l’Illustre Fondateur de l’Islam et largement relayé par les écoles juridiques de base, dont la malékite cristallise la grande majorité des musulmans au Sénégal ».38 (Wane, 2010)

L’enjeu économique, un déterminant de l’appropriation du mystique

   Aujourd’hui, la lutte est plus qu’un simple sport, elle intègre beaucoup de pratiques à la fois mystique et folklorique. Son enjeu économique semble favoriser la présence et l’abondance de toutes les activités magico-religieuses. Coly nous explique : « Elle est plus qu’un simple sport. C’est aussi du folklore, une culture du mysticisme et aujourd’hui de gros enjeux financiers. Depuis, il a cessé d’être ce jeu dans lequel on ne connaissait pas les coups. Ce qui pousse certains à lui renier dans sa forme actuelle, le statut de sport traditionnel du Sénégal».59 (Coly, (2008). Cette nouvelle approche sportive tournée essentiellement sur la recherche du profit reste tributaire des pratiques mystico-magiques. Le lutteur se donne alors le devoir de réussir sa vie sociale et économique en utilisant tous les moyens mystiques possibles. Les enjeux financiers qu’offre la lutte sont énormes et constituent les véritables soubassements de l’ancrage mystique. Ces écrits de Sow nous semblent plus adéquats pour appuyer notre argumentaire. Il aborde le phénomène du maraboutage sous l’angle des enjeux économiques. Le milieu de la lutte est un endroit favorable à l’accroissement du gain. Si le monde de la lutte est un lieu manifestement pénétré de maraboutages pour nuire et pour impressionner les adversaires, c’est parce qu’il est aussi centré sur des enjeux financiers très importants qui justifient précisément le recours au magique pour avoir gain de cause. Entre les lutteurs, les promoteurs, les entraîneurs, les agents et les marabouts, de fortes sommes d’argent sont en jeu, et les marabouts ne comptent pas rester en rade. Ils sont très conscients de la considération dont ils jouissent par le crédit et la croyance que la société accorde à leurs pouvoirs, réels ou imaginaires.60 (Sow 2014) La lutte est concrètement un lieu d’interaction et d’interconnexion des réalités socioculturelles. Elle génère des ressources financières énormes, c’est sans doute ce qui explique la surabondance des pratiques magico-religieuses. Les enjeux économiques sont partagés entre lutteurs, marabouts qui multiplient leurs efforts mystiques pour s’octroyer les présents de ce milieu. Dominique Cheve met un accent fort sur la dimension incontestable du mystique sur les exploits réalisés par le lutteur. Dans Corps Construits, Corps investis, Corps effigiés : Etre lutteur à DAKAR elle écrit : « Nous avons, en revanche, travaillé sur l’évaluation par les lutteurs de leurs performances et des causes plurielles de celles-ci. Nos résultats attestent la nécessité, le caractère incontournable, la prégnance de « l’arsenal mystique » chez ces derniers ».61 (Cheve, 2014)

La lutte, un sport banni par l’islam

   Pourtant, la lutte est le sport le plus débattu dans le milieu religieux sénégalais. Oustaz, Imam et acteurs religieux ont toujours engagé des discussions allant dans le sens de fustiger certaines pratiques et rituels mystiques à l’œuvre dans la lutte. Les propos suivants viennent d’un article d’Ousmane Diop intitulé La lutte et l’islam, les religieux défient les « gladiateurs ». L’auteur donne la parole aux Imams : Imam Cheick Fall est connu pour ses prêches qui renvoient à la foi islamique et aux respects des préceptes de la religion musulmane. C’est fort de ces enseignements que l’imam de la grande mosquée de Ndiang Fall avait haussé le ton pour mettre en garde les défenseurs de la cause des lutteurs et de ce sport qui, tel qu’il est pratiqué aujourd’hui au Sénégal, «sape l’éducation des enfants et le détourne du travail». Aux prêcheurs qui affirment que la lutte est acceptée par l’islam, l’imam dit qu’ils se trompent. «Le prophète (Psl) n’a jamais recommandé à quelqu’un de pratiquer la lutte pour gagner sa vie. Dieu l’a envoyé pour qu’il aide les fidèles à se départir de la mécréance, du fétichisme et autres pratiques occultes. Et il est constaté que la lutte telle qu’elle est pratiqué, aujourd’hui encourage tout ce que le prophète avait prohibé, notamment la croyance à des statues, au fétichisme. Il y a certes beaucoup d’argent, mais c’est de l’argent sale qui n’est pas profitable. L’Imam poursuit son propos en fustigeant les allégations de certaines personnes qui affirment que le prophète a lutté. Il explique que la seule fois qu’il a eu à le faire, c’était lors d’un combat avec Roukana qu’il va voulu convertir et lui démontrer que cela ne valait pas la peine de montrer la force. Nous pouvons adjoindre à ces arguments, ceux d’Imam Mouhamadou Lamine Diop (Guédiawaye) qui s’inscrivent dans la même perspective. En effet, le religieux revient sur certaines pratiques à l’œuvre dans la lutte qui sont de l’ordre de l’interdit. Pour lui, c’est une grave erreur d’affirmer que le prophète (psl) a lutté. Ce qui est plus grave dans tout cela, c’est le fait de frapper son prochain .jusqu’à le faire saigner. C’est interdit par l’islam. Si jamais il y avait un mort dans l’arène au cours d’un combat, l’auteur ne serait pas poursuivi, et c’est très grave. Le Prophète (Psl) avait interdit de verser le sang d’autrui, comme il avait interdit de dire du mal de son prochain et de le lui faire. Il n’y a aucune somme qui puisse justifier le versement du sang d’un individu par un autre. C’est aussi valable pour le fait d’exposer ses parties intimes, même si l’essentiel (le sexe) est caché. Il y a aussi la pratique du mystique qui est interdite par l’islam. Le Prophète (Psl) l’a classé parmi les sept péchés qui peuvent emmener l’individu en enfer. Rien de ce qui se fait dans la lutte n’est accepté par l’Islam. Mais puisqu’il y a toujours des pratiques spécifiques à un pays, on pourrait au moins enlever la pratique mystique et remplacer le « Nguimb » par une tenue qui couvrirait les parties intimes des lutteurs. Ce serait plus acceptable que ce qui se fait actuellement. On ne peut pas toutefois interdire le Sport car c’est un art, mais il faut le faire sans blesser personne et avec des tenues décentes. Il s’agit d’un art qui pourrait aider à faire d’un adversaire un individu pour combattre l’ennemi en temps de guerre.75 (Diop, 2017) Au sein de toute la controverse conduite par certains individus sur l’acceptabilité ou non de la lutte, la religion, selon ces hommes de foi, reste ferme à l’encontre de certaines pratiques qui relèvent du domaine de l’animisme selon les acteurs religieux. Pour eux, la lutte ne pourra jamais être compatible avec 1’Islam. Cependant, malgré tout le travail de sensibilisation et de dénonciation effectué par les chefs religieux, certains lutteurs et organisateurs continuent de lever le fardeau qui pèse sur la lutte. Cette dernière est un sport national regroupant plusieurs acteurs qui bénéficient des avantages à la fois sociaux et économiques. Lutteur et acteurs s’insurgent contre les propos tenus par les chefs religieux pour protéger leur patrimoine culturel et financier. Ils sont catégoriques face à l’idée d’un sport prohibé. Pour eux, la lutte n’a aucun aspect négatif, c’est une activité qui permet aux jeunes de développer et de hausser leur niveau de vie individuel et familial. Ces paroles de Khadim Gadiaga mettent en garde les religieux : Il faut que les religieux qui le font, arrêtent de s’attaquer à notre sport favori. C’est notre travail et nous ne faisons rien de mal. Les lutteurs aident leurs parents avec l’argent qu’ils gagnent. Ils ne font pas autre chose bannie par l’islam.» Mieux, Khadim Gadiaga ajoute : «Le Prophète (PSL) avait une vaste cour derrière sa mosquée. C’est là-bas que les gens pratiquaient la lutte qui leur servait à se mettre en condition pour la guerre. Même dans la Grèce et la Rome antiques, on pratiquait la lutte. C’est pourquoi ils étaient les deux plus grands empires de l’histoire. En Arabie Saoudite, on pratique pourtant le football, car c’est un sport. Pourquoi donc la lutte est-elle critiquée au Sénégal ? Autrement dit, ces propos montrent que les acteurs de la lutte sont toujours révoltés à l’idée d’une lutte prohibée par la religion. Pour eux, ce n’est qu’un métier comme tous les autres. « Par conséquent, ils pensent qu’il y a des détracteurs qui s’acharnent sur leur activité sportive. Ce conflit relèverait à la fois du conflit d’intérêt en ce sens, mais aussi de loyauté : qui peut légitimer une pratique d’un point de vue religieux ? On constate que, quelles que soient les religions, une instance représentative de l’institution religieuse, ou au pouvoir ou désignée et reconnue par les fidèles, approuve ou désapprouve telle ou telle pratique. Ce n’est pas spécifique à l’Islam. Mais il reste à se demander si un autre mode de légitimation, par la pratique justement et la conviction religieuse de ceux qui pratiquent ne serait pas également à l’œuvre ? »

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Table des matières

CHAPITRE I. CADRE THEORIQUE
Introduction
Problématique
Objectifs
Hypothèses
Opérationnalisation
Cadre d’analyse
Revue de la littérature
CHAPITRE II. CADRE METHODOLOGIQUE
Méthodologie
Techniques d’investigation
CHAPITRE III. TRAITEMENTS ET ANALYSES DES DONNEES
Traitement et analyses des données

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