L’utopie de la prédiction génétique ou l’impatience d’un mieux

De la volonté de maîtrise à l’idéologie de la santé parfaite : aux sources de la fascination génétique

    La génétique, par sa capacité prédictive, prétend nous faire accéder à la maîtrise de nos vies. De la volonté de bien vivre à la volonté de maîtriser sa vie, sa santé et d’éradiquer la maladie voire la mort, quelle différence ? De la capacité de prédire, et ainsi de prévenir une maladie, à l’utopie de la prédiction au service d’une santé parfaite ou d’hommes sans défaut ? Qui ne souhaiterait pas éviter la maladie et ses souffrances, pour lui-même ou pour son enfant ? Mieux soigner ou maîtriser la nature et ses défauts pour ne plus avoir à soigner ? N’est-ce pas la promesse de la génétique ? L’objectif de la génétique médicale est de lutter contre les maladies et leur expression qui entraînent souffrance physique, psychique et spirituelle. Ainsi, comprendre les mécanismes qui aboutissent à un état pathologique est l’un des enjeux majeurs de la recherche médicale et du savoir scientifique. Combien de personnes ont souffert de ne pas savoir de quels maux elles étaient atteintes ! L’errance diagnostique isole les personnes malades, car à défaut d’identification de leur maladie, elles ne peuvent bénéficier d’aucune aide sociale ou financière, d’aucune reconnaissance non plus de leur état dans leur vie quotidienne professionnelle et familiale. Après détermination des mécanismes de la maladie sont recherchées des solutions thérapeutiques pour guérir, pallier, soigner, accompagner les personnes malades. Autant de mots pour autant de situations différentes. Par l’essor de la génétique, des situations pathologiques ont enfin pu être comprises : la répétition de cet état dans la famille, les sauts de générations, pourquoi seuls les garçons sont atteints, etc. Par les mécanismes de la génétique et certaines corrélations directes entre la présence d’une mutation sur un gène et l’expression d’une maladie ou une forte prédisposition à la développer, associés au caractère héréditaire de la génétique, cette science semble porter en elle la capacité de prédire et donc, avec quelques efforts, de contrer un insupportable destin. De la Pythie grecque, que l’on interrogeait pour connaître son avenir, à nos connaissances actuelles, prédire l’avenir et le maîtriser semble répondre à un désir profond de l’Homme, un désir peut-être même ontologique. Prédire son avenir pour le maîtriser ou même le transformer. Désir ou utopie ? Ne sont-ce pas des moteurs de l’action : pour mieux soigner, pour envisager une santé parfaite, pour construire Le Meilleur des mondes ? Après être revenus sur les risques d’une idéologie, nous nous interrogerons sur la pulsion épistémophilique qui semble être à l’œuvre dans la science moderne, afin de mieux comprendre comment une logique gestionnaire de la vie semble poindre sous-tendant une volonté consciente ou inconsciente de légitimer un droit à la santé.

L’utopie de la prédiction génétique ou l’impatience d’un mieux

    L’articulation du désir et de l’utopie. La bascule de l’un à l’autre résulte sans doute de l’exaspération d’une situation et de l’impatience d’en trouver l’issue. Face à certaines maladies génétiques, comment ne pas s’impatienter alors que la science prétend progresser, alors qu’on annonce des prouesses qui permettront bientôt d’éviter que la maladie ne s’exprime, par simple modification du génome ? Du désir d’être soigné, ou mieux soigné, comment résister à l’utopie d’un génome maîtrisé ? L’utopie est-elle une expression du désir ou une déformation de celui-ci ? On retient souvent une définition négative de l’utopie comme un monde inaccessible, fantasmagorique, pour des personnes empreintes d’angélisme ou pour des fous. Pourtant, l’imagination n’est-elle pas ce qui nous permet de vivre nos réalités comme l’évoquait Rousseau ? Face à certaines réalités du monde, l’Homme se prend en effet à rêver d’un ailleurs. Comme le relate Claude Mazauric à propos de l’œuvre Utopia de Thomas More : « l’utopie remplit une triple fonction : en nourrissant le rêve d’une société meilleure parce que différente, elle alimente l’espoir rétrospectif d’une transformation volontaire du monde réel ; en décrivant l’organisation idéale de ce monde inaccessible, elle favorise la prise de distance critique à l’égard des institutions politiques et sociales inégalitaires dans lesquelles nous vivons ; en opposant la possibilité d’une autre vie à l’esprit d’accoutumance et d’acceptation de ce qui nous entoure, la démarche utopique peut devenir une invitation à la contestation pratique, en tout cas un refus de la résignation au malheur de vivre11 ». Nous observons bien ici, en vertu d’une utopie d’un monde meilleur, l’ambivalence possible dans l’orientation de nos désirs et les conséquences que cela peut engendrer pour les personnes comme pour les sociétés. Dans la triple fonction que More donne à l’utopie, c’est la transformation du réel, des pratiques et des institutions, qui semble visée par refus de la résignation et prise de distance critique. Il ne semble pas indiquer le chemin d’une révolution souvent animée d’idéologies. Fonctions de l’utopie en génétique humaine. Ne pas se résigner à la souffrance ou à la maladie en poursuivant la recherche pour comprendre et définir des solutions thérapeutiques. Prendre de la distance pour analyser les manques dans les structures de recherches et de soins et dans les politiques qui en ont la charge. Prendre également de la distance avec ce que les sciences peuvent nous conduire à envisager. Et ainsi, nous mettre en action pour transformer nos réalités, avec pragmatisme et détermination pour que l’utopie d’un monde sans maladie oriente l’avenir vers une médecine plus efficace d’un point de vue thérapeutique et humain, plutôt que vers une hiérarchisation des individus selon que la qualité de leur génome leur autorise ou non l’accès à une vie douce. Le risque d’une instrumentalisation néfaste d’une utopie d’un monde sans maladie réside peut-être dans la tentation de commencer par une transformation de nos réalités et donc du vivant et cela, avant même d’avoir analysé les possibles et leurs conséquences. En finir avec le monde de la maladie, du handicap et de la mort, n’est-ce pas en finir avec le monde de la souffrance ? Pour une part certainement ! Plus de handicap, plus de maladies ! Qui pourrait s’y opposer ? Prenons toutefois un moment pour nous demander si cela suffirait à éradiquer les souffrances, et demandons-nous également par quels moyens nous y parviendrions. Le vivant et la personne humaine seraient-ils respectés ? L’utopie est-elle a-topos, un lieu qui n’existe pas ou l’eu-topos, le bon lieu ? L’utopie est l’impatience du désir, l’impossibilité de se satisfaire des injustices et des souffrances du monde et assez rapidement de la condition humaine elle-même. En bref, elle est la nostalgie d’un Eden perdu. Cette exaspération, cette impatience se nourrit aujourd’hui des progrès de la connaissance et de la science, de la promesse de la venue d’une situation meilleure, plus belle. Plus on se rapproche de l’objet désiré, plus l’écart avec lui est insupportable. Comment supporter d’être impuissant face à la maladie avec tant de connaissances et de moyens ? La désespérance et les idéologies ne sont alors pas très loin. Aidons-nous, pour comprendre les risques encourus, de l’œuvre Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley. L’auteur a montré comment le désir d’un monde meilleur peut se transformer en utopie du meilleur des mondes et finir par nier la personne humaine elle-même pour assurer un ordre, une société stable. L’ouvrage porte l’épigraphe suivante sur les limites des utopies : « Les utopies apparaissent bien plus réalisables qu’on ne le croyait autrefois. Et nous nous trouvons actuellement devant une question bien autrement angoissante : comment éviter leur réalisation définitive ? … Les utopies sont réalisables. La vie marche vers les utopies. Et peut-être un siècle nouveau commence-t-il, un siècle où les intellectuels et la classe cultivée rêveront aux moyens d’éviter les utopies et de retourner à une société non utopique moins “parfaite” et plus libre. » Est dénoncée ici non pas l’utopie de Thomas More, mais celle d’une perfection : le passage du désir d’un monde meilleur, d’un état de santé meilleur, au fantasme du meilleur des mondes construit, conditionné, maîtrisé… par quelques-uns. Utopie comme source d’inspiration créatrice et évitement du fatalisme, ou utopie comme enfermement ? Face à la maladie génétique, s’impatienter d’un mieux, par l’accès aux prédictions du génome et à nos capacités croissantes de compréhension et d’intervention, semble pousser chercheurs et médecins à la créativité : utopie créatrice. En revanche, comment se prémunir d’un enfermement, d’une lecture génétique de l’ensemble de notre existence pour tenter de la maîtriser, de la perfectionner ? Comment discerner ? Quelle sagesse ? Quelle limite à l’utopie, à la transformation du réel ?

Le généticien, le Prométhée moderne

     Penchons-nous alors, à l’aide de Monette Vacquin, sur l’œuvre de Mary Shelley, Frankenstein, Le Prométhée moderne, décrivant Victor Frankenstein ayant réussi l’exploit de fabriquer une créature vivante par agglomérat de morceaux de cadavres. Monette Vacquin, psychanalyste, nous montre comment par cette mise en scène sont en réalité abordés les comportements et psychismes des proches de Mary Shelley. « Ce serait plus facile pour Dieu de faire des hommes entièrement nouveaux que d’essayer de purifier de tels monstres ». Cette phrase tirée du journal de Mary Shelley, deux ans avant d’écrire son célèbre ouvrage, fait référence à des personnes de son entourage dont les comportements la faisaient souffrir. Monette Vacquin fait la corrélation entre certaines expérimentations ou pratiques actuelles et les fantasmes révélés dans l’ouvrage de Mary Shelley. Ces fantasmes sont propres à chacun et sans doute à l’œuvre aujourd’hui dans la recherche et la médecine ainsi que dans la société et le monde politique. Monette Vacquin s’interroge en ces termes : « Comment se fait-il que des chercheurs nés pendant la guerre ou dans l’immédiat après-guerre, souvent militants antifascistes, donnent au monde les outils de l’eugénisme le plus fou, au rebours de leurs idéaux les plus précieux, comme si une répétition s’était jouée d’eux 32? » Dans Main basse sur les vivants, le même auteur, nous rappelle Jacques Testart dans la préface de Frankenstein aujourd’hui, rend compte des rapports entre science et politique et nous fait revenir à la rupture de la Révolution : « en demandant à la seule raison de rendre compte du monde, la Révolution marquait en même temps une rupture sans précédent dans la chaîne de la transmission. Dans cette béance, allait s’engouffrer la science33 ». Qu’est-ce qui est à l’œuvre ? Et pour en revenir à notre sujet de la génétique, qu’est-ce qui est à l’œuvre dans la fascination qu’elle suscite ? À lire Monette Vacquin comme Dominique Folscheid ou Olivier Rey à propos les mythes fondateurs révélant nos désirs et pulsions profondes, d’une Main basse sur les vivants, nous pensons qu’il s’agit profondément d’une main basse sur la conscience. Monette Vacquin nous éclaire sur l’apparition de « l’inconscient le plus archaïque dans la science la plus pointue » ainsi que sur les causes profondes de l’œuvre de Mary Shelley et, plus précisément, sur ce qui pousse Victor Frankenstein à fabriquer sa créature : « Le monstrueux ne résidait pas dans le savoir […] il était dans la prodigieuse puissance de l’énergie pulsionnelle qui sous-tend le désir de savoir […]. Le savant Victor Frankenstein avait fabriqué sa créature pour se rendre intelligible à lui-même, comprendre l’énigme qu’il était à ses propres yeux. » N’est-ce pas ce qui anime certains pans de la recherche et de la médecine ? Procréation médicalement assistée, dons de gamètes, recherches pour un homme augmenté : transhumanisme, voire post-humanisme, recherches pour l’immortalité, clonage, etc. Nous pouvons déjà entendre des objections à cette énumération incomplète : scandale d’associer la procréation médicalement assistée et les dons de gamètes avec le transhumanisme. Nous parlons bien évidemment de pratiques et de conséquences qui semblent à des années-lumière. Dans les premiers cas, la question est de pallier l’infertilité des couples… Comment ne pas le souhaiter ? Mais en resterons-nous là quand nous pourrons assurer que l’enfant ainsi conçu aura un bon génome et que nous pourrons ainsi améliorer ses performances ?

Quelle est cette énergie pulsionnelle qui sous-tend notre désir de savoir ?

     Ne sommes-nous pas animés dans notre agir par une volonté de maîtrise intrinsèque à l’homme ? De la connaissance à la maîtrise, de la connaissance pour la maîtrise ? Et maîtrise du vivant pour comprendre l’énigme que nous sommes ? Nous verrons dans une partie ultérieure si le terme d’énigme est le plus approprié à notre existence (I-III). Se poser ces questions revient-il à faire de l’obscurantisme à l’égard de la science et du progrès ? Jacques Testart, dans la préface de l’ouvrage de Monette Vacquin, nous rapporte quelques phrases d’intérêt sur ce que Mary Shelley vivait aux côtés de ses compères Shelley et Byron : « Rien ne les arrêterait […] la raison deviendrait rationalisation, cet alibi suprême du désir, sans qu’eux-mêmes s’en aperçoivent. Ni pères, ni menaces, ni institutions ne les freineraient dans leur impatience, leur toute-puissance, leur effrayant désir de preuves. » Monette Vacquin nous décrit Mary Shelley et son rapport au savoir : « Le savoir ne comportait rien de répréhensible à ses yeux. Mais elle avait débusqué la passion, l’obsession de maîtrise derrière l’alibi du savoir […] elle avait deviné que le monstrueux était de faire d’autrui l’instrument d’une passion implacable35. » L’alibi de la science, de la connaissance, de la compréhension des mécanismes responsables de nos maladies, si rationnels, si vertueux, ne peuvent-ils pas être brandis pour cacher d’autres désirs inconscients ? Victor Frankenstein a donc créé « sa » créature. Celle-ci s’est retournée contre lui. Pour quelles raisons ? Que réclamait la créature à son auteur ? « Puisque Victor l’a abandonné sans semblables dans un monde hostile (ou puisque ses semblables ne l’ont pas reconnu pour un des leurs), il lui doit une compagne de la même espèce : “une créature d’un autre sexe, mais aussi hideuse.” Telle est la revendication du monstre : que l’amour lui soit accordé ‒ qu’un autre en qui il se reconnaisse lui soit donné. Il s’engage à l’exil, à une existence séparée des hommes. S’il n’est pas satisfait, il menace. » Le monstre s’exprime : « Si je ne peux inspirer l’amour, je sèmerai la peur, et surtout en ce concerne, vous mon ennemi mortel, je fais un serment de haine inépuisable. Soyez sur vos gardes, je travaillerai à votre destruction et je ne m’arrêterai que lorsque j’aurai si bien versé le désespoir en votre cœur, que vous maudirez l’heure où vous êtes né. » Il ajoute plus loin : « Souviens-toi ! Je suis ta créature, j’étais bienveillant et bon ; la misère a fait de moi un démon […]. Fais ton devoir à mon égard […]3. » Victor commence à fabriquer une compagne, mais s’y refuse finalement en songeant à la descendance que cela engendrerait. À cela, la créature réplique : « souvenez-vous de ma puissance […] Vous êtes mon créateur, mais je suis votre maître, obéissez39 ! » La créature renvoie ici son créateur à sa responsabilité. Cette créature est le résultat d’une fabrication, d’un fantasme à assouvir de lutte contre la mort, mais cette créature est hideuse. Sommes-nous toujours conscients des conséquences de nos désirs transformés en actes ? N’aurions-nous pas de comptes à rendre aux êtres que nous serions capables de fabriquer avec telle ou telle exigence, tel ou tel critère ? Ne deviendrions-nous pas ainsi esclaves de nos fabrications ?

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Table des matières

Première partie – Génétique : de l’utopie de la prédiction à une nouvelle finalité du soin ?
Chapitre premier – De la connaissance à la maîtrise du vivant : promesses de la génétique ?
I. De la volonté de maîtrise à l’idéologie de la santé parfaite : aux sources de la fascination génétique
II. Génétique, révolution du savoir ? Révolution de la médecine ?
III. De la maîtrise à la démaîtrise : puissance du Vivant
Chapitre II – Et le gène s’est fait chair : de la donnée génétique à l’information personnelle
I. Et le gène s’est fait chair : tests génétiques et révélations
II. L’information génétique face au défi de la technique, de l’incertitude et de l’interprétation
III. Impératif pluridisciplinaire, recherche du sens et herméneutique pour une éthique de l’information génétique
Deuxième partie – Identité génétique et caractère familial : dépassement de l’individu ?
Chapitre III – Qui a droit à l’information génétique ?
I. Génétique : de l’individuel au collectif ou de la nécessité du secret
II. Droits et devoirs en génétique humaine ?
III. Information à la parentèle en génétique humaine
Chapitre IV – Génétique médicale : la vulnérabilité comme force d’unité
I. La génétique ou ôter le voile d’Isis ?
II. La génétique ou le changement de regard sur autrui
III. Éloge de la vulnérabilité pour une éthique de responsabilité renouvelée

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