L’utilisation du diagramme de phases dans le génie des procédés
La thermodynamique est un pilier du génie des procédés. Le diagramme de phases renseigne des informations essentielles telles que : l’état physique de la matière, la composition des phases à l’équilibre, les effets de la température et la pression, le chemin à suivre pour la séparation des constituants, l’énergie nécessaire pour le changement de phases, etc. Ces informations permettent soit de concevoir un nouveau procédé (constitué de plusieurs opérations unitaires) soit d’optimiser un procédé existant selon différentes contraintes.
La conception et l’optimisation des procédés reposent sur les bilans des grandeurs extensives : la masse, l’énergie et la quantité de mouvement. Pour établir ces bilans, les propriétés thermophysiques des fluides sont indispensables. Les propriétés thermophysiques sont divisées en deux catégories : les propriétés de transport (viscosité, conductivité thermique etc.) et les propriétés thermodynamiques (masse volumique, enthalpie, entropie, capacité calorifique, équilibre entre phases, etc.). Nous pouvons citer le cas de la distillation pour illustrer l’emploi des bilans de matière et d’énergie.
La distillation est une opération unitaire pour séparer un mélange de substances dont les températures d’ébullition sont différentes. Un schéma typique de la colonne de distillation est présenté dans la Figure 1-4. Le mélange à séparer est introduit dans la colonne de distillation (alimentation). Les substances les plus volatiles s’enrichissent dans la vapeur (section d’enrichissement), mais s’épuisent dans le liquide (section d’épuisement). Une partie de la vapeur condensée en tête de la colonne est renvoyée, afin d’assurer la circulation à contrecourant du liquide et de la vapeur. Le liquide riche en substances les moins volatiles est partiellement rebouilli, et puis renvoyée vers la colonne.
Pour la séparation d’un mélange binaire, la méthode de McCabe-Thiele 14 est souvent utilisée pour pré-dimensionner la colonne de distillation. La colonne est assimilée à une superposition de plusieurs plateaux théoriques. Les phases sortant de chaque plateau théorique sont à l’équilibre. Nous admettons que le débit molaire de chaque phase (liquide et vapeur) est constant d’un plateau à l’autre. Les deux constituants ont des enthalpies de vaporisation molaires proches. Avec ces hypothèses, nous pouvons établir les bilans de matière pour les sections d’alimentation, d’enrichissement et d’épuisement. Les compositions des phases à l’équilibre sous les conditions opératoires (T et P) sont calculées par le modèle thermodynamique utilisé pour représenter le diagramme de phases du mélange.
Une autre méthode proposée par Ponchon et Savarit 15,16 introduit le bilan enthalpique (d’énergie). Les débits molaires de chaque phase (liquide et vapeur) deviennent variables pour chaque plateau. En plus du diagramme Equilibre Liquide-Vapeur (ELV), la connaissance du diagramme enthalpique du mélange (enthalpie composition) est indispensable pour l’application de cette méthode. Par cette méthode, nous pouvons aussi estimer les énergies à apporter au bouilleur et à dégager au condenseur à l’aide du diagramme enthalpique.
En réalité, les mélanges rencontrés dans l’industrie sont multi-composants. Pour résoudre les bilans, des outils numériques sont indispensables. De nos jours, la simulation du procédé est une étape essentielle pour la conception et l’optimisation de procédés. Les modèles thermodynamiques sont sollicités pour déterminer les propriétés thermodynamiques hors ou à l’équilibre. Le développement des modèles thermodynamiques nécessite non seulement de solides connaissances théoriques concernant les interactions moléculaires, mais aussi de disposer d’un minimum de données expérimentales (souvent de type équilibre entre phases) afin d’ajuster les paramètres du modèle et le valider. Dans le cas des composés soufrés, toutes les données expérimentales (souvent de type équilibre entre phases) ne peuvent pas être mesurées pour plusieurs raisons. La complexité des mélanges industriels entraîne un nombre important de systèmes à étudier. La difficulté d’avoir certains produits suffisamment purs et/ou en quantité suffisante ne permet pas d’effectuer toutes les mesures demandées. Pour pallier ces problèmes, l’utilisation des modèles thermodynamiques « prédictifs » s’avère être une alternative.
En plus des corrélations empiriques, il existe des modèles thermodynamiques prédictifs dédiés aux propriétés de mélanges :
• des modèles de coefficient d’activité, tels que UNIversal Functional Activity Coefficient (UNIFAC) 29 et ses variantes 30,31 ;
• des EdEs cubiques soumises à la conception de contribution de groupes, comme Predictive Soave-Redlich-Kwong (PSRK) 32 et Predictive Peng-Robinson (PPR78) 33 ;
• le couplage d’une EdE de la famille Statistical Associating Fluid Theory (ex. SAFT original 34,35, LJ-SAFT 36, SAFT-VR 37,38 et PC-SAFT 39,40) et une méthode de contribution de groupes 41–45 . Hajiw et al. 46 ont proposé récemment une extension de l’EdE PPR78 (dit « GC-PR-CPA ») en introduisant le terme associatif de l’EdE Cubic Plus Association (CPA) .
Discussion sur le choix du modèle prédictif
Les composés soufrés organiques sont essentiellement constitués des groupes hydrocarbonés et soufrés. Les différents types d’interactions moléculaires (notamment l’association et la multipolarité) sont plus faciles à traiter par le principe de contribution de groupes. Dans la littérature, l’application du principe de contribution de groupes aux mélanges est plus développée que le principe des états correspondants. D’ailleurs, le manque de connaissance des coordonnées critiques pour les composés soufrés organiques conduit également à éviter l’utilisation du principe des états correspondants. Un autre avantage du principe de contribution de groupes est la flexibilité de la façon de découper les molécules. A titre d’exemple dans le cadre de composés soufrés, le 1-propanethiol (CH3-CH2-SH) est a priori découpé en groupes CH3, CH2 et SH. Toutefois, les modèles UNIFAC 29–31 suggèrent de regrouper les groupes CH2 et SH comme un groupe entier CH2SH. Il se peut que cette façon de découpage donne de meilleurs résultats, malgré le manque de sens physique.
Cependant, le point faible des modèles basés sur le principe de contribution de groupes réside dans leur incapacité à prendre en considération les isomères ou la formation de cycle lorsque les chaines carbonées sont longues. Les modèles UNIFAC 29–31 sont parmi les modèles prédictifs les plus utilisés dans le monde industriel, en raison de la disponibilité des paramètres de groupes. Deux catégories de groupes sont définies. Le traitement des interactions moléculaires nécessite des paramètres d’interactions entre les « groupes principaux ». Ces paramètres d’interaction doivent être ajustés à partir de nombreuses données expérimentales de mélanges (souvent de type ELV et enthalpie d’excès). Les paramètres géométriques de molécules sont déduits à partir des paramètres de « sous-groupes ». .Nous ferons une présentation brève du modèle UNIFAC original 29 dans le paragraphe 4.5.1. Les EdEs cubiques sont largement employées grâce à leurs simplicités et leurs fiabilités. Lors des traitements des molécules associatives et/ou polaires, des adaptations spécifiques sont requises aux niveaux de la fonction alpha (pour les corps purs) et des règles de mélange. Ces adaptations entraînent le besoin des données expérimentales de corps purs et de mélanges pour ajuster les paramètres. La prise en compte des différents types d’interactions moléculaires reste implicite. Le développement des EdEs SAFT repose sur la mécanique statistique. Ces EdEs permettent de prendre en considération explicitement les divers types d’interactions moléculaires (ex. la dispersion, l’association, la multipolarité etc.). Ces derniers sont présents dans les corps purs de composés soufrés et/ou les mélanges contenant des composés soufrés. Les EdEs SAFT nous semblent ainsi plus adaptées à l’étude des composés soufrés. Dans ce travail, nous avons retenu l’EdE PC-SAFT et la méthode de contribution de groupes initialement proposée par Tamouza et al. 43 (nommé « GC-PC-SAFT ») pour étudier les composés soufrés. Le lecteur est invité à lire le Chapitre 3 pour plus de détails sur l’EdE PC-SAFT et la méthode de contribution de groupes. Pour le développement de l’EdE GC-PC-SAFT, ainsi que d’autres modèles prédictifs, il est indispensable de disposer de données pour ajuster les paramètres et valider les modèles. Ces données sont souvent de type équilibres liquide-vapeur (ELV) de corps purs (tension de vapeur Psat et masse volumique liquide à saturation ρliq.sat) et de mélanges. La démarche consiste à ajuster les paramètres de groupes sur les données de corps purs (Psat et ρliq.sat), à prédire les données de corps purs non comprises lors de l’ajustement et à prédire les ELV de mélanges.
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Table des matières
Introduction
1. Contexte de l’étude
1.1. Les composés soufrés dans l’industrie
1.2. L’utilisation du diagramme de phases dans le génie des procédés
1.3. Choix de notre modèle prédictif
1.3.1. Principe des états correspondants
1.3.2. Principe de contribution de groupes
1.3.3. Discussion sur le choix du modèle prédictif
1.4. Recherche bibliographique des données expérimentales.
1.4.1. Corps purs
1.4.2. Mélanges
1.5. Remarques conclusives
Références du Chapitre 1
2. Développement du nouveau dispositif
2.1. Etude bibliographique des techniques de mesures d’ELV
2.1.1. Méthode synthétique isotherme (SynT)
2.1.2. Méthode synthétique visuel (SynVis) et non visuel (SynNon)
2.1.3. Méthode analytique isobare (AnP)
2.1.4. Méthode analytique par spectroscopie (AnSpec)
2.1.5. Méthode analytique isotherme (AnT)
2.1.6. Conclusion de l’étude bibliographique de technique
2.2. Développement du nouveau dispositif
2.2.1. L’échantillonneur capillaire ROLSI™
2.2.2. Les schémas éventuels
2.2.3. Présentation générale du nouveau dispositif
2.2.4. Système d’échantillonnage pour la phase vapeur
2.2.5. Système d’échantillonnage pour la phase liquide
2.3. Procédure expérimentale
2.3.1. Etalonnages
2.3.2. Protocole expérimental
2.3.3. Incertitude de mesure
2.4. Validation du nouveau dispositif
2.4.1. n-Butane + éthanol
2.4.2. n-Pentane + 1-butanol
2.4.3. Diéthyle sulfure + n-butane et diéthyle sulfure + éthanol
2.5. Nouveaux systèmes étudiés
2.6. Remarques conclusives
Références du Chapitre 2
3. EdE PC-SAFT et contribution de groupes
3.1. Interactions moléculaires
3.1.1. Interactions répulsives
3.1.2. Interactions attractives
3.1.3. Représentation du potentiel d’interactions
3.2. Théorie de la perturbation
3.3. Les différents termes de l’EdE PC-SAFT
3.3.1. Terme de sphère dure (a hs)
3.3.2. Terme de chaîne (a chain)
3.3.3. Terme associatif (a ass)
3.3.4. Terme dispersif (a disp)
3.3.5. Terme multipolaire (a pol)
3.4. Contribution de groupes
3.4.1. Les MCGs basées sur l’approche par segment homogène
3.4.2. Les MCGs basées sur l’approche par segment hétérogène
3.5. Philosophie d’ajustement
3.5.1. Fonction « objectif »
3.5.2. Evaluation des paramètres
3.6. Paramètres de groupes existants
3.7. Remarques conclusives
Références du Chapitre 3
4. Application de l’EdE GC-PC-SAFT aux composés soufrés
4.1. Les méthodologies de traitement de corps purs
4.1.1. n-Alcanes et méthyle-alcanes
4.1.2. Sulfures
4.1.3. 1-Mercaptans
4.1.4. 1-Alcools
4.2. Ajustement des paramètres de groupes
4.2.1. Base de régression
4.2.2. Base de validation
4.3. Résultats de régression
4.3.1. Sulfures
4.3.2. 1-Mercaptans
4.3.3. 1-Alcools
4.4. Prédiction des propriétés de corps purs
4.4.1. Sulfures
4.4.2. 1-Mercaptans
4.4.3. 1-Alcools
4.5. Prédiction des propriétés de mélanges
4.5.1. Présentation de l’EdE SRK-MHV2-UNIFAC
4.5.2. Les systèmes sulfure + n-alcane
4.5.3. Les systèmes 1-mercaptan + n-alcane
4.5.4. Les systèmes sulfure + 1-alcool
4.5.5. Les systèmes binaire C5-SH+C5-OH et ternaire nC6+C5-OH+C5-SH
4.5.6. Les systèmes 1-alcool+1-alcool : comparaison entre deux EdEs GC-PCSAFT
4.6. Remarques conclusives
Références du Chapitre 4
Conclusion générale
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