L’utilisation du chant comme support pédagogique

Finalités du chant à l’école

              Georges Snyders insiste, dans sa philosophie, sur l’importance de ce qu’il appelle la « joie scolaire ». La musique est, selon lui, un intermédiaire majeur pour provoquer cette émotion18 : « L’école ne peut pas être seulement préparation à l’avenir, à la vie adulte, au travail adulte, à la rudesse du principe de réalité ; la joie présente est dimension essentielle de la pédagogie ». Le musicologue Jean-luc Leroy invite l’éducateur à ne pas rechercher chez les élèves la performance vocale, mais « l’intention » vocale avec la « dynamique psycho-affective » qui la sous-tend19 Snyders évoque aussi les bénéfices de la musique dans le vivre-ensemble: « La classe de musique peut constituer une occasion de se placer à « l’unisson » les uns des autres (…), bref recevoir des autres et être soi. » 20 Il affirme « qu’on se cache moins en musique qu’on ne le fait par prudence dans les autres disciplines ». L’enseignante en technique vocale Muriel Marschal-Richard souligne aussi cet aspect communautaire de la musique : « Le chant devient le lien le plus immédiat du « je »à l’autre ».21 Pour préciser son propos, elle s’appuie sur toutes les manifestations socioculturelles où les personnes sont amenés à chanter ensemble : hymnes nationaux, chants dans les stades, chants religieux, concerts,… A ce titre, on peut penser que l’apprentissage d’une leçon en musique pourrait contribuer à créer un vécu mutuel dans la communauté de la classe, la « culture de la classe », qui transcenderait les cultures individuelles en faisant partager à ses membres un moment de symbiose sans pour autant effacer les individualités qui composent le groupe.

Le conditionnement opérant (Skinner)

               Ici, l’animal doit effectuer une action précise dans son environnement qui déclenchera automatiquement une réponse immuable (ex : appuyer sur une barre qui libérera alors de la nourriture une demi-seconde plus tard). Au bout de plusieurs tentatives, l’animal aura associé son action sur le réel à cette conséquence grâce au faible intervalle de temps qui se sera écoulé entre son action et la réponse. Ce conditionnement peut faire l’objet de « renforcement » qui peut se définir selon Skinner comme ce qui accroît la probabilité d’émission (ou de diminution) d’une réponse. « C’est un événement qui augmente la fréquence d’apparition d’un comportement grâce à l’apparition d’un stimulus agréable. » Si l’intellect humain est également soumis à ces apprentissages primaires, il a les potentialités pour les dépasser et peut effectuer des apprentissages en utilisant ce qui est à l’échelle supérieure de la pyramide présentée précédemment : sa mémoire. Le paléoanthropologue Antoine Balzeau précise que les animaux ont également les facultés pour utiliser cette dernière mais que l’homme présente des capacités intellectuelles plus poussées notamment parce qu’il est capable de conceptualiser des choses complexes, de se projeter dans l’avenir pour anticiper certains problèmes. »

L’oubli

          L’idéal de l »éducateur serait qu’une notion vue en classe pendant la journée soit à jamais gravée dans la mémoire des apprenants et que ceux-ci puissent récupérer cette information immédiatement, sans obstacles. La réalité est évidemment toute autre et il m’apparaît nécessaire de mieux connaître ce qui provoque l’oubli afin de pouvoir éventuellement développer des stratégies pour s’en prémunir ? Deux processus semblent être à l’œuvre dans l’oubli :
1. Les interférences : lors de l’apprentissage d’une notion, d’autres apprentissages postérieurs à celui-ci peuvent venir perturber la mémorisation des apprentissages premiers, c’est l’interférence rétro-active. On observe aussi l’inverse, des apprentissages antérieurs peuvent venir parasiter des apprentissages ultérieurs, c’est l’apprentissage proactif.40
2. Le déclin : Une information que l’on a pas fait l’effort de ré-activer va petit à petit disparaître avec le temps.
La logique spiralaire des programmes et de certains manuels semble donc avoir comme objectif de prévenir ces deux phénomènes.

Motivation intrinsèque et extrinsèque ( Deci et Ryan )

              Ce dernier exemple qui concerne le goût que l’on peut avoir pour une matière pourrait être qualifié de motivation intrinsèque par Deci et Ryan. Elle est en jeu quand on effectue une tâche pour elle même, et elle s’oppose à la motivation extrinsèque où l’individu effectue une tâche en fonction des renforcements que la tâche va entraîner. L’utilisation du chant à visée pédagogique dans la classe vise donc la motivation intrinsèque où l’élève éprouverait un intérêt authentique pour la tâche. Le chercheur Roch Chouinard s’est intéressé à la motivation d’un point de vue scolaire. Selon lui, la motivation scolaire comprend plusieurs éléments 44 :
– Le sentiment d’efficacité personnelle : on peut considérer que la faculté de chanter est à la portée de tous. La musique pourrait-elle alors accroître ce sentiment de compétence?
– Les buts de l’élève dans les apprentissages : a-t-il un désir de performance? ; souhaite-t-il travailler pour obtenir la note minimum qui lui permette de passer au prochain niveau ? ; travaille-t-il par simple plaisir pour la matière ?
– La valeur accordée aux matières : si l’élève à une perception négative associée à une matière, des apprentissages médiatisés par la musique pourraient-ils changer ce rapport ?

Les langues vivantes : Une discipline de premier plan dans l’utilisation de la musique comme support pédagogique

                Michel Boiron, Directeur au CAVILAM (Centre d’approches vivantes des langues et des médias), insiste sur l’idée que dans l’apprentissage d’une langue, la mission de l’enseignant consiste « à créer un affect positif entre l’apprenant et la langue cible » avant de proposer des contenus d’apprentissages théoriques (grammaire, prononciation,…). Il propose une vision assez large de l’enseignement qui toucherait les sens de l’être humain et rappelle la mission principale des langues : communiquer. Son approche justifie donc selon lui l’utilisation de la musique comme outil de communication, d’ouverture culturelle mobilisant les sens de l’être humain. Dans cette discipline, une autre finalité de la musique semble apparaître : la musique comme vecteur culturel. Les programmes insistent d’ailleurs sur cette dimension des compétences culturelles49 en L.V.E. La communication comme objectif des langues nécessite des compétences orales, notamment en compréhension, production, et en respectant la phonologie de la langue. Sandra Cornaz et Diane Cossade ont fait une méta-analyse de plusieurs études mêlant activités de production orale en Langue Étrangère en lien avec la musique50. Ces études indiquent un effet positif dans la prononciation des sons de la langue. Elles précisent en outre que « la perception auditive, la mémoire phonologique et la conscience phonologique semblent accrues s’il y a fonctionnement adjacent ou parallèle des mécanismes de discrimination mélodique ». La comptine, très largement utilisée en Cycle 1 notamment a aussi son intérêt en LVE. Ainsi des comptines à visée didactique ont vu le jour afin de cibler un phonème de langue cible, notamment dans l’apprentissage du Français pour des non francophones grâce au « soutien mnémotechnique » qu’elles apportent. Une méthode utilisant parole et voix chantée est même née pour corriger les erreurs dans la prononciation phonétique : La méthode verbo-tonale. Ces chercheuses ont aussi mis en avant une étude dirigée par Julia Andrews51, qui comparait les performances et la motivation de deux groupes d’élèves : le premier avec un enseignement classique de la langue étrangère, le deuxième avec un enseignement intégrant la musique. Elle n’a pas observé de différences au niveau des performances mais une motivation bien plus accrue chez le deuxième groupe. Le CECR (Cadre Européen Commun de Référence), qui fournit des recommandations sur l’enseignement des LVE en Europe, met en avant l’utilisation de la chanson dans les cours de LVE comme support pour des apprentissages. Le domaine des LVE trouve donc plusieurs avantages à l’utilisation du chant dans sa didactique : Le chant est porteur d’une culture, il facilite la perception et la production de la langue et influe positivement sur la motivation des élèves.

Le choix des mélodies : Les Jingles publicitaires

                 Ma pratique personnelle de musique m’amène à créer des morceaux, notamment en musique électronique. Cependant, j’ai voulu commencer en m’appuyant sur des mélodies ayant déjà fait leurs preuves. L’encyclopédie Larousse dans sa définition de la mélodie rappelle que « La mélodie occidentale est aussi supposée être « logique », et « prégnante », c’est-à-dire identifiable et mémorisable »55. Le neurobiologiste Jean-Pierre Changeux apporte un éclairage scientifique sur cette définition : nous avons évoqué plus haut les liens entre musique et système de récompense, le neurobiologiste va plus loin en parlant « d’anticipation de la récompense ». En effet, en citant des travaux sur les neurosciences, il explique que « du fait de l’existence d’une cohérence entre les parties et le tout dans l’œuvre d’art, l’amorçage de la composition par un fragment, par exemple mélodique, comme un début de phrase, crée une attente de complétion de la composition ou du sens de la phrase » 56. Il explique donc qu’il « existe une physiologie de l’attente de la récompense, dont l’artiste sait « jouer » pour manipuler les émotions de l’auditeur. Cet argument va dans le sens de la définition du Larousse qui souligne que la structure d’une bonne mélodie crée cet effet d’attente et de résolution, élément propice à la libération d’hormones du plaisir et qui participe à la rendre cohérente et mémorisable. Une mélodie efficace serait donc une mélodie qui « va de soi », où l’auditeur n’a pas besoin de se poser de questions sur sa direction ou faire d’efforts pour la comprendre et la mémoriser tant elle est limpide et provoque le désir de la retrouver. J’ai donc pensé au détournement de mélodie dont la popularité serait un indicateur d’efficacité. J’aurais pu emprunter aux grandes chansons populaires des 50 dernières années, mais également à des mélodies ayant traversé les générations et perpétuant leur existence de nos jours ( ex : Sur le pont d’Avignon,… ). J’ai fait le choix d’aller chercher chez les jingles publicitaires ; j’y vois là plusieurs avantages :
– Il n’y aura pas d’apprentissage à effectuer car la mélodie existe déjà, et on peut supposer qu’ils l’ont déjà entendue et même si ce n’est pas le cas, elle sera rapide à apprendre. ( On peut émettre l’hypothèse qu’ainsi la mélodie sera assez « significative et familière » ce qui favorisera son traitement profond selon Craik et Lockhart ).
– Les publicitaires ont un but assez proche du mien : là où je souhaite associer une mélodie à des savoirs, ils souhaitent associer celle-ci à une marque, un produit. Dès les premières notes, l’image de la marque doit être évoquée.
– De plus, si la mélodie peut avoir un côté « viral » et se répéter dans le cerveau sans contrôle volontaire, on peut penser que les compositeurs de jingle de pub ont des compétences aguerries dans la « science de la mélodie » afin de la rendre addictive et d’ancrer profondément l’image de la marque de manière inconsciente. Je profite ainsi de la fréquence régulière des diffusions publicitaires, pour renforcer en mémoire la trace mnésique du savoir associé à la mélodie de manière passive, par simple exposition.
– Une portée plus philosophique de ma démarche consistera à transformer la visée consumériste du jingle d’origine (faire vendre) en consumérisme de savoir ( faire savoir), qui sied à mon éthique enseignante.

Conclusion

                On pourrait qualifier ma stratégie tout au long de ce mémoire de « ruse éducative », où l’élève apprendrait de manière « passive » sans s’en rendre compte. Dans l’idéal, l’élève aurait acquis des « mélodies-savoirs » qui pourraient se ré-activer quand la situation l’impose : un problème orthographique ou encore quand il serait exposé à la mélodie originale non détournée et diffusée à la radio par exemple. Cet outil paraît donc être un outil intéressant dans la palette du professeur désireux de transmettre des connaissances de manière originale et attrayante. Il semble important d’intégrer cette modalité de travail à d’autres moyens d’apprentissage ; en effet, on peut imaginer qu’il y aurait une interférence entre toutes les mélodies si ce mode d’enseignement était systématique. Les savoirs déclaratifs attendus des élèves étant très nombreux, on peut imaginer que les professeurs pourraient utiliser des moyens comme celui-ci pour fournir aux élèves un catalogue de « méthodes et outils pour apprendre », où l’on pourrait inclure des cartes mentales, des apprentissages kinesthésiques, des moyens mnémotechniques ,… ; pour faciliter la transmission de savoir mais également pour fournir aux apprenants un éventail de techniques pour mémoriser des savoirs favorisant ainsi leur autonomie et leur créativité. A l’issue de cette recherche, je retire plusieurs éléments pour appliquer ces mélodies dans la classe :
– Les mélodies sont connues ou facilement identifiables, mémorisables. (L’emprunt semble être une valeur sûre quand on ne dispose pas de compétences de composition).
– Elle sont courtes, et leur contenu va droit au but sans habillage ludique.
– La mélodie gagne à intervenir au « bon moment », elle prend plus de sens dans le bon contexte, au moment d’une institutionnalisation par exemple et après un traitement sémantique effectué sur le savoir-cible.
– Elle est répétée plusieurs fois pour favoriser un encodage de manière durable. Elles peut intervenir en échauffement d’une séance de chant par exemple ou comme rituel au début de la journée.
– Le professeur lors du geste professionnel de « démonstration » (proposé par Jérôme Bruner) peut utiliser ces mélodies pour montrer à l’élève la démarche systématique liée à l’écriture qui consiste à aller chercher dans ses connaissances déclaratives pour résoudre un problème orthographique.
Avec les incitations à utiliser le numérique dans la classe afin de préparer l’élève à vivre dans un monde où ces outils risquent d’avoir une place toujours plus importante, on pourrait constituer avec les élèves des traces écrites sonores qui constitueraient la « culture de la classe » et qui seraient regroupées dans un CD ou disponibles sur Internet sur une plate-forme qui accueille des extraits audio. Mes recherches et mon expérimentation sur le terrain montrent que les temps de chant dans la classe, en chorale, sont souvent des moments appréciés par les élèves qui sont déçus quand ils sont déprogrammés pour différentes raisons. Ce travail m’a conforté dans l’idée de créer ces « mélodiessavoirs » afin de me constituer une banque de ressources utilisables en classe. Qu’en est-il de la joie scolaire proposée par Snyders ? Il rappelle que « L’école fonctionne sur le mode du non-choix, pour ne pas dire de la contrainte, dont la première est d’être présent à des heures qu’on n’a pas fixées pour étudier des matières prévues par l’autorité ». Sur ces 13 années de scolarité obligatoire (3 à 16 ans), il apparaît donc essentiel de créer des moments de joie dans l’enceinte de l’école, pour que l’élève soit heureux de venir à l’école d’une part et également sur le plan de la réussite éducative. En effet, les travaux d’Éric Debarbieux60 ont montré l’importance du climat scolaire dans la réussite des élèves. A ce titre, on peut espérer que le chant puisse avoir son rôle à jouer dans cet équilibre. En prolongement de ce mémoire, il serait possible de se demander si l’utilisation du chant, par les affects positifs qu’il suscite, pourrait être un moyen efficace pour changer le rapport négatif qu’un élève entretient avec une matière.

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Table des matières

Introduction
Première Partie – Cadre théorique 
I/ Le chant
I-A/ Finalités du chant à l’école
I-B/ Voix et émotions
I-C/ Les méthodes actives
II/ L’apprentissage
II-A/Qu’est-ce que l’apprentissage ?
II-B/ Le conditionnement classique (Pavlov)
II–C/ Le conditionnement opérant (Skinner)
II- D/ La mémoire :Le modèle d’Atkinson et Shiffrin
II-E/ Les différents systèmes de la Mémoire à Long Terme
II-F/ Le contexte d’apprentissage
II-G/ Théorie de Craik et Lockhart (1972 )
II-H/ Mémoire, mélodie et émotions
II-I/ L’oubli
III/ La motivation 
III-A/ Motivation intrinsèque et extrinsèque ( Deci et Ryan )
III-B/ L’attention
Deuxième Partie – Les initiatives utilisant le chant pour apprendre dans d’autres matières que la musique
I/ Les langues vivantes : Une discipline de premier plan dans l’utilisation de la musique comme support pédagogique
II/ Les tables de multiplication en chanson
Troisième Partie – Démarche d’expérimentation
I/ Interdisciplinarité : Quelle matière ?
II/ Le choix des mélodies : Les Jingles publicitaires
III/ Deux exemples de mélodie-savoir : (Annexe 1 piste 4 et 5 )
IV/ Récolte et analyse des données 
A/ L’impact sur la motivation
2/ L’impact sur les apprentissages
Conclusion
Annexe

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