Expression et reconnaissance
L’expression et la reconnaissance des expressions émotionnelles faciales permettent non seulement la transmission à grande vitesse d’une quantité significative d’informations mais également, la régulation des comportements. En inférant l’état émotionnel d’autrui, il est possible de mettre en place une panoplie de comportements adaptés à la situation et à l’environnement, ainsi qu’ à la relation interpersonnelle (Blair, 2003).
L’expression d’émotions sera émise, dans la majorité des cas, lorsqu’un stimulus émotionnel émerge dans l’environnement d’une personne et que des individus sont présents pour percevoir l’expression émotionnelle faciale. Toutefois, la production d’expressions faciales n’est pas exclusivement automatique. Les humains sont généralement capables de contrôler et de manipuler les démonstrations d’émotions en les inhibant ou non, notamment en fonction des normes sociales de l’environnement (Ekman & Friesen, 1981). Les régions cérébrales sous-corticales seraient impliquées dans l’expression émotionnelle faciale spontanée, alors que les régions corticales seraient davantage associées à la production contrôlée d’expressions (Rinn, 1984).
Il a donc été suggéré que la reconnaissance des expressions émotionnelles faciales est rendue possible grâce à deux voies neurologiques, soient la voie sous-corticale (retinocollicular-pulvinar-amygdalar) et la voie corticale (retinogeniculostriate-extrastriate-fusiform). La voie sous-corticale serait rapide et permettrait de transmettre, de manière automatique, de l’information à propos de l’expression faciale émotionnelle à l’amygdale qui modulerait ensuite le traitement de l’ information via la voie corticale. Cette dernière implique principalement les régions occipitale et temporale postérieure du cortex visuel (Adolphs, 2002). Un débat portant sur l’existence et l’importante de la voie de traitement sous-corticale des émotions a émergé entre certains auteurs. Pessoa et Adolphs (2010) soutiennent une vision traditionnelle corticocentrique et affirment que le rôle de la voie sous-corticale serait de soutenir la voie corticale lors de l’évaluation de la signification biologique de stimuli visuels affectifs. Toutefois, en réponse à l’article publié par ces derniers, de Gelder, van Honk, et Tamietto (2011) affirment qu’ils n’ont pas pris en compte l’entité des données et informations connues à ce jour.
Problématiques cliniques et cognition sociale
Malgré l’universalité de l’expression et du traitement de l’expression des six émotions universelles, certains troubles psychopathologiques et neurodéveloppementaux peuvent occasionner divers déficits de reconnaissance des émotions. Ces déficits, à leur tour, entrainent des difficultés au plan du fonctionnement interpersonnel et social. Les personnes présentant des troubles envahissants du développement sont reconnues, notamment, pour présenter d’importants déficits de cet ordre (Anckarsater, 2006; Constantino, Przybeck,Friesen, & Todd, 2000; Kaufmann et al., 2004; Krantz & McClannahan, 1998; Wehmeier, Schacht, & Barkley, 2010; Wing & Gould, 1979). Un problème de reconnaissance des émotions d’ autrui pourrait entrainer des perturbations importantes au niveau des habiletés de socialisation et pourrait, du moins partiellement, contribuer au maintien de certaines pathologies.
On pense notamment aux troubles de la personnalité (Barbeau, Joubert, & Felician, 2009;Snowden, Craig, & Gray, 2013), aux personnes souffrant de dépression qui surévaluent des expressions de tristesse (Hastings, Tangney, & Stuewig, 2008), et aux difficultés notoires de reconnaissance des émotions d’autrui associées à l’autisme. Ces individus présenteraient un traitement perceptif atypique, utilisant des indices visuels différents de la population générale. Leur stratégie de balayage visuel, par exemple, met l’ accent davantage sur la région de la bouche plutôt que sur la région des yeux, zone associée à une reconnaissance plus efficace. De plus, ils privilégieraient les indices verbaux au détriment des indices visuels. Ils présentent donc des problèmes de reconnaissance des expressions faciales puisqu’ils ne perçoivent pas la valeur émotionnelle d’un visage et n’y portent donc pas d’attention particulière (Dapretto et al., 2005 ; Labruyère & Hubert, 2009). Des déficits de cognition sociale et de reconnaissance des émotions exprimées par autrui s’observent également chez les individus présentant un syndrome d’Asperger (Baron-Cohen, Wheelwright, Hill, Raste, & Plumb, 2001 ; Lindner & Rosén, 2006), un trouble de la personnalité antisociale (Dolan & Fullam, 2004) ou une. schizophrénie (Addington, McCleary, & Munroe-Blum, 1998; Anckarsater, 2006; Bediou et al., 2005; Huang et al., 2011 ; Jayaram et al. , 2013 ; Kohler, Walker, Martin, Healey, & Moberg, 2009; Penn, Corrigan, Bentall, Racenstein, & Newman, 1997; Wolfkühler et al., 2012).
Techniques permettant la mesure de l’expression des émotions faciales
Le développement de techniques d’analyse, comme le F.A.CS. et l’utilisation de l’électromyographie (Ekman, 1993; Tassinary & Cacioppo, 1992), a permis de mesurer avec plus de précision la reconnaissance des émotions faciales. Plus récemment, un nouvel essor de ce type de recherche a pu être observé grâce à l’utilisation de modèles virtuels ou avatars (Garcia-Molina, Tsoneva, & Nijholt, 2013; Haag, Goronzy, Schaich, & Williams, 2004). Les avatars permettent au chercheur ou au clinicien de présenter plusieurs types de personnages exprimant diverses émotions d’ intensités variables. En outre, ils devraient permettre le développement de thérapies basées sur l’interaction cerveau-machine.
Électromyographie
L’électromyographie permet de mesurer le mimétisme facial avec précision (microvolts) et de quantifier la reconnaissance des émotions chez les participants. L’électromyographie mesure l’activité des muscles en amplifiant les influx électriques émis lors de leur contraction. Elle est très utile pour des études de reconnaissance émotionnelle puisque la présentation d’expressions faciales déclenche, chez des personnes en santé, une activité congruente au niveau des muscles du visage (Dimberg, 1982; Sato & Yoshikawa, 2007). Cela permet de créer des interactions sociales harmonieuses et de renforcer les liens interindividuels (Lakin & Chartrand, 2003).
Dimberg (1982) a démontré que la simple présentation d’une photo d’une expression faciale suffit pour activer certains muscles du visage. Ekman et Friesen (1976), pionniers de l’électromyographie faciale, suggéraient que les électrodes doivent être placées sur trois muscles spécifiques (corrugator supercili, zygomaticus major et orbicularis oculi). Plusieurs recherches ont par la suite utilisé ces trois muscles ou différentes combinaisons de ceux-ci (Cacioppo, Petty, Losch, & Kim, 1986; Hess & Blairy, 2001; Van Den Broek, Schut, Westerink, van Herk, & Tuinenbreijer, 2006). Cependant, le visage d’un individu exprime plusieurs émotions en n’activant que le corrugator supercili, qui induit le froncement des sourcils, et le zygomaticus major, responsable de l’ élévation et de l’abaissement des commissures de la bouche. Larsen, Norris et Cacioppo (2003) ont démontré que la mesure électromyographique de ces deux muscles est suffisante pour l’étude des émotions fondamentales puisqu’ils représentent la meilleure estimation d’ émotions négatives et positives.
Poursuite oculaire
La poursuite oculaire est aussi une excellente approche pour évaluer les stratégies de reconnaissance des émotions. Elle permet de décrire les trajectoires oculaires d’une personne qui regarde un visage.
Selon Hall, Hutton et Morgan (2010), une attention accrue à la région entourant les yeux pourrait être liée à une reconnaissance supérieure. Ceux-ci ont utilisé des avatars statiques et ont confirmé la supériorité des femmes lors de tâches de reconnaissances des émotions, qui s’ attardent plus sur les yeux de l’autre. Aussi, puisque la reconnaissance des émotions chez autrui est liée à la capacité d’empathie affective, il est attendu que les femmes démontrent une plus grande facilité dans ce domaine. De plus, l’étude conclut qu’une attention réduite au niveau des yeux peut être synonyme d’une reconnaissance plus faible (Hall et al., 2010). D’ ailleurs, il semble que les individus atteints d’ autisme aient tendance à regarder les différentes parties d’un visage de façon aléatoire, sans porter une attention particulière à la région des yeux ou de la bouche. Les temps de fixation respectifs aux commissures des yeux sont significativement plus faibles (Dalton et al., 2005) alors que le nombre de fixations sur des régions faciales non caractéristiques (régions autres que celles entourant les yeux, la bouche et le nasion) augmente significativement chez les personnes autistes comparativement aux différents groupes contrôle (Pelphrey et al., 2002).
Les gens atteints de schizophrénie semblent aussi présenter une stratégie de poursuite oculaire particulière. En comparaison à une population non clinique, les personnes schizophrènes démontrent de plus longues et plus nombreuses fixations oculaires sur les différentes régions d’intérêt (Zhu et al., 2013). Le traitement est inefficace, mais aucune différence de stratégies de poursuite oculaire entre le groupe clinique et le groupe contrôle n’a pu être enregistrée. Il est donc possible de constater, chez ces deux différentes populations cliniques, un traitement perceptif atypique qui suggère une utilisation des informations faciales qui diffère de celle de la population générale lors de l’analyse de contenu émotionnel complexe (Sasson et al., 2007).
Stimuli réels
La reconnaissance des émotions exprimées par autrui est essentielle aux interactions sociales cohérentes et adaptées (Lakin & Chartrand, 2003). Depuis plusieurs années, il a été établi que la présentation de photographies d’hommes et de femmes exprimant des émotions offre la possibilité d’évaluer cette capacité de reconnaitre des expressions faciales émotionnelles (Ekman & Friesen, 1976). De nombreuses équipes de recherche ont utilisé des ensembles de stimuli statiques réels (p. ex., photographies d’hommes et de femmes exprimant une émotion) à cette fin.
D’abord, Beaupré et Hess (2005) ont élaboré le Montreal Set of Facial Displays of Emotion afin d’investiguer les différences culturelles pouvant affecter la précision de la reconnaissance ainsi que l’hypothèse d’avantage intragroupe (in-group advantage hypothesis) pour la reconnaissance émotionnelle au sein des groupes Africains, Chinois et Canadiens francophones habitant au Canada. Les stimuli créés à partir d’expressions faciales émises par quatre hommes et quatre femmes canadiens francophones, chinois et africains ont été sélectionnés afin de former l’ensemble de stimuli. Les données recueillies par cette équipe de recherche n’appuient pas l’hypothèse d’un avantage intragroupe. Toutefois, des effets d’encodeur et de décodeur ont été trouvés. Les expressions de honte et de tristesse étaient reconnues plus précisément lorsqu’elles étaient démontrées par les Canadiens français alors que l’expression de peur l’était davantage lorsque des Africains l’exprimaient.
Réalité virtuelle
Grâce à la montée de l’intérêt porté aux nouvelles techniques informatiques, la réalité virtuelle a connu d’importants développements lors des dernières décennies. Non seulement cette technologie s’ est raffinée, mais son potentiel s’ est accru puisque nombreuses sont les disciplines scientifiques qui l’emploient aujourd’hui. La psychologie est l’un des domaines pour lequel la venue de la réalité virtuelle et son utilisation de plus en plus accessible permettent d’ effectuer des recherches jusqu’alors impossibles. De plus, les raisons d’être de la réalité virtuelle en psychologie vont bien au-delà de la recherche, elles s’étendent jusqu’à la psychologie clinique.
Avatars
La création d’ avatars (visages virtuels exprimant diverses émotions) pourrait permettre de pallier les limitations induites par l’utilisation des ensembles de stimuli faciaux déjà existants (Roesch et al., 2011). L’animation synthétique de ces visages offrirait la possibilité de contrôler un grand nombre de paramètres potentiels (p. ex., intensité, direction et temps de latence du regard, apparence physique, variables sociodémographiques, angle de positionnement de la tête, luminosité, etc.) tout en donnant aux chercheurs un outil afin de créer des stimuli spécifiques correspondant à leur demande. Toutefois, avant de pouvoir être utilisés dans un contexte clinique ou de recherche en interaction cerveau-machine, ces ensembles de stimuli virtuels doivent être validés. Bien que leur nombre soit restreint (Krumhuber, Tamarit, Roesch, & Scherer, 2012), certains résultats intéressants ont émergé d’études réalisées précédemment.
Premièrement, les émotions universelles sont bien reconnues lorsqu’elles sont représentées uniquement par des lignes simples à l’ordinateur reproduisant les mouvements des muscles faciaux (Wehrle, Kaiser, Schmidt, & Scherer, 2000).
Deuxièmement, les émotions universelles exprimées par des visages synthétiques sont reconnues de manière équivalente (une exception réside pour le dégoût), sinon supérieure, à celles exprimées par de vraies personnes (Dyck et al., 2008).
Troisièmement, les expressions émotionnelles faciales d’ avatars provoquent des activations sous-corticales de magnitude équivalente aux expressions émotionnelles faciales réelles (Moser et al., 2007). Quatrièmement, les populations cliniques présentant des problématiques de cognition sociale présentent aussi une performance déficitaire lorsqu’ils doivent reconnaitre des expressions émotionnelles faciales provenant d’ avatars (Dyck, Winbeck, Leiberg, Chen, & Mathiak, 2010). Ainsi, les avatars exprimant des émotions représentent une avenue prometteuse dans l’évaluation de la cognition sociale tant au sein d’un contexte de recherche fondamentale que clinique (Mühlberger et al.,2009).
Apport de la réalité virtuelle
La réalité virtuelle permettrait de créer différents environnements s’inscrivant dans une rééducation, une réadaptation ou une réinsertion adaptée à l’individu, à son vécu et à ses déficits (idiosyncrasie). Ce type de paradigme et les interfaces bidirectionnelles pourraient servir à de nombreux cliniciens. Par contre, avant de mettre en place un tel instrument dans les milieux de pratique, plusieurs conditions doivent être remplies. L’un des éléments les plus importants de l’interaction cerveau-machine est la crédibilité des avatars (Magnenat-Thalmann & Thalmann, 2005). Ceux-ci doivent se comporter comme de vrais humains et avoir des capacités homologues telles la perception, la compréhension du langage et des émotions, la généralisation, la réactivité à l’environnement et à ses modifications, la mémoire, la personnalité, les interactions interpersonnelles et les compétences sociales. Il est aussi important qu’ ils aient un comportement général semblable à celui de l’humain avec lequel il va entrer en relation. Finalement, pour assurer que ce rapport soit le plus naturel possible, il faut que les humains soient capables de reconnaitre, d’identifier et de traiter les informations qui leur proviennent de l’ avatar avec autant de justesse que s’ il s’agissait d’ une personne de leur entourage. Il est donc crucial d’être en mesure de garantir que la reconnaissance des émotions chez un avatar se fait aussi fidèlement et implique les mêmes processus que si l’ individu était en face d’un humain réel.
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Table des matières
Chapitre 1. Introduction générale
Émotions
Expression et reconnaissance
Problématiques cliniques et cognition sociale
Techniques permettant la mesure de l’expression des émotions faciales
Électromyographie
Poursuite oculaire
Stimuli réels
Réalité virtuelle
Avatars
Apport de la réalité virtuelle
Cadre de la recherche
Objectifs et hypothèses
Chapitre 2. Virtual face expressing emotions: An initial concomitant and construct validity study
Summary
Introduction
Materials and methods
Participants
Materials and measures
Statistical analyses
Ethical consideration
Results
Discussion
Author note
Conflict of interest statement
References
Chapitre 3. Conclusion générale
Forces et limites de l’étude
Retombées et perspectives pour les recherches futures
Références générales
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