L’utilisation de la mythologie pour développer l’expression des élèves atteints de tda/h 

Données épidémiologiques et troubles associés

Comme l’explique le docteur Gramond, « le TDA/H est un trouble dont la prévalence est très importante puisqu’il touche jusqu’à 5% des enfants d’âge scolaire.
Le TDA/H est plus fréquent chez les garçons avec un sex ratio de trois garçons pour une fille. »
Des élèves porteurs de ce trouble se retrouvent ainsi en nombre sur nos bancs d’école, où ils sont en situation d’échec plus souvent que les autres. Ces échecs sont souvent aggravés par d’autres troubles concomitants. Sonja Finck , neuropédiatre à Strasbourg, cite parmi les comorbidités du TDA/H des troubles du comportement, des troubles des conduites, des troubles anxieux, des troubles dépressifs ou des troubles des apprentissages tels la dyslexie, la dysorthographie, la dyscalculie, la dysgraphie. La capacité à s’exprimer, quantitativement et qualitativement, est également en souffrance, ce qui est le cas des élèves de ma classe concernés par ce trouble.
Dans ce mémoire, je souhaite mettre en place des aménagements pédagogiques afin de permettre à mes élèves TDA/H de recouvrer la prise de parole. C’est avec cette finalité en tête que je souhaite étudier ici les ressorts qui pourraient expliquer, ou aggraver la difficulté de s’exprimer.
Je vais d’abord essayer de mettre en évidence et d’analyser au travers d’exemples vécus en classe les carences pour l’expression engendrées par la présence des TDA/H.

DIFFICULTES OBSERVEES EN CLASSE POUR S’EXPRIMER

Conséquences directes des TDA/H sur la difficulté de s’exprimer

Le premier trouble commun à tous les élèves porteurs de TDAH est l’altération de leur attention. Qu’est-ce que l’attention ? Comme le soulignent Christophe Boujon et Christophe Quaireau , la plupart des dictionnaires donnent généralement deux définitions très éloignées du terme « attention » : elle est soit l’action de se concentrer, de s’appliquer, soit une marque d’affection ou d’intérêt. Ces deux définitions ont donné deux adjectifs possibles pour parler d’un individu, on pourra dire qu’il est attentif lorsqu’il se concentre ou qu’il est attentionné lorsqu’il montre un intérêt.
Un élève souffrant de troubles de l’attention peut donc voir ces deux versants altérés et engendrer une capacité d’expression diminuée. Occupons-nous d’abord de la première définition, celle s’intéressant au caractère attentif d’une personne.

Une attention labile (Aurélie)

L’attention sous l’angle de l’être attentif pourra s’exercer au niveau de la perception de l’environnement mais aussi au niveau de nos fonctions intellectuelles, cognitives.
Pour Boujon et Quaireau, « cette attention-là consiste à donner un ordre d’importance, une priorité temporelle à nos idées, à nos opérations intellectuelles » . Anne Gramond la définit comme « un processus neurophysiologique complexe qui nous permet de nous orienter dans notre environnement de façon adéquate en filtrant les stimuli appropriés ».
Aurélie est une élève âgée de 10 ans, elle est en CM2. Elle a une sœur jumelle inscrite dans une autre classe de l’école, un petit frère et une petite sœur. Aurélie est arrivée de Guadeloupe très jeune, elle vit aujourd’hui avec sa maman, son beau-père, son frère et ses sœurs. C’est une jeune fille très grande et très fine. Aurélie travaille de façon très convenable en classe, mais ne s’exprime pas. Elle a de grandes difficultés pour mener une phrase orale à son terme et ses feuilles de production écrite restent blanches. Interrogée, elle est en grande détresse pour produire un message oral ou écrit.
Elle semble incapable de se concentrer sur ma question, et détourne inlassablement son regard puis son attention entière.
Lorsque je propose un récit d’invention ou initie un débat autour d’une idée rencontrée en classe, elle est tournée vers moi, j’ai le sentiment d’avoir son attention.
Elle est concentrée sur cette nouvelle activité. C’est ce que Boujon et Quaireau appellent la « réaction à la nouveauté » . L’apparition nouvelle d’un objet attire l’attention. Après quelques minutes seulement, elle commence à se dissiper. Elle fera tomber plusieurs fois son stylo consécutivement, pourra avoir besoin de jeter une dizaine de papiers. Ces manifestations variées se retrouvent en un point : j’ai perdu son attention. Comme l’expliquent Boujon et Quaireau, « l’exposition répétée d’un objet nouveau entraîne progressivement une diminution de l’attention. C’est l’habituation. »
Afin de s’exprimer, de mener un discours logique ou de livrer sa penser, il faut être capable de maintenir son attention suffisamment longtemps vers une même consigne, pour une même idée. La construction de la pensée, l’analyse d’un texte, l’élaboration d’une phrase nécessitent de faire des pauses, pendant lesquelles l’attention est en danger. Aurélie, qui n’accumule pas de retard dans les autres apprentissages, pourra se retrouver bloquée par des situations de communication paraissant pourtant simples pour un observateur. Elle pourra donner le sentiment ponctuel de réfléchir, d’avoir compris une question, une consigne et de s’atteler à la mise en place d’une réflexion mais cette pensée s’éteindra quelques minutes plus tard. Il arrive qu’une histoire racontée sur laquelle je souhaite poser des questions, imaginer une suite, puisse avoir été instantanément oubliée alors que je pensais sentir dans son regard une réelle attention.
C’est une expérience courante et désarmante à vivre. L’explication serait qu’échafaudée sur une attention trop labile, l’écoute et l’analyse n’ont pu se construire, et encore moins se consolider. Le développement de son expression passera par la possibilité de capter son attention dans la durée.

Un manque de motivation et un manque de symbolisme (Jonathan)

D’après les définitions précédentes, la motivation est liée à l’attention. Essayons d’affiner ce lien. Le dictionnaire Larousse définit la motivation comme « des processus physiologiques et psychologiques responsables du déclenchement, de la poursuite et de la cessation d’un comportement ». Cette motivation apparaît pour répondre à un besoin.
C’est ce qu’explique Jean Piaget lorsqu’il écrit que « l’enfant pas plus que l’adulte, n’exécute aucun acte, extérieur ou même intérieur, que mû par un mobile, et ce mobile se traduit toujours sous la forme d’un besoin (un besoin élémentaire ou un intérêt, une question) ».C’est ici que se rejoignent motivation et trouble de l’attention, attention synonyme d’intérêt. L’élève TDA/H possède un intérêt troublé. Cet intérêt, ce besoin qui n’existe pas, ou peu longtemps, ne pourra déclencher de motivation chez cet élève. J’ai beau me démener pour initier chez lui un intérêt, rien n’y fait. J’ai parfois même l’impression que l’écart entre certains élèves qui ne sont pas porteurs de troubles de l’attention et les autres s’amplifie, comme si la motivation des uns s’auto-alimentait à mesure que les autres se démotivaient. Il est possible d’expliquer ce constat par le fait qu’un besoin satisfait par le déclenchement de la motivation et d’un comportement adapté amène du plaisir. Ce plaisir va devenir désir, lequel réalimente le besoin. C’est, en quelque sorte, le cercle vertueux de la motivation. Si ce besoin de découverte, cette attention n’est pas présente, comme chez les élèves porteurs de TDA/H, elle va limiter l’enfant dans son désir de connaissance : sa motivation présente et future en sera d’autant plus amoindrie.
Ce constat définitif doit pourtant être nuancé. Il arrive qu’un élève atteint de TDA/H, non motivé par les activités scolaires, puisse l’être par d’autres intérêts. Pourquoi ?
Qu’est-ce que crée un besoin dans un cas et pas dans l’autre ? Je voudrais m’intéresser au cas de Jonathan.
Jonathan est un élève de dix ans présent à l’école de Plein Air depuis cinq ans. C’est un garçon de petite taille, frêle. Il a une grande sœur et vit chez ses parents. Jonathan est très introverti en classe, replié sur lui, il ne manifeste aucun intérêt particulier pour ce que je peux faire ou dire. Il n’est pas rare de le voir bailler en tenant laborieusement sa tête dans ses mains. Jonathan s’anime en revanche dès lors qu’il est hors de la classe. Il aime particulièrement reproduire des scènes de guerre car il est passionné par les jeux vidéo violents, les armes à feu. Il passe énormément de temps devant les écrans avec ses parents et sa sœur pour jouer à ce type de jeux. En classe, il peut rester la journée entière la tête couchée sur la table si je ne le stimule pas activement. Même alors, ses phrases sont désorganisées et pas toujours compréhensibles. Il sera en mesure d’entrer en activité face à un exercice que je propose, oralement ou à l’écrit, mais il est capable de produire un travail complètement hors sujet, de recopier des mots sans les avoir saisis, les avoir réfléchis. Nous sommes trois adultes en classe, il pourrait facilement demander de l’aide mais il n’en fait rien. Il reste isolé à écrire sans réfléchir, sans âme. Il s’anime à nouveau dans les moments hors de la classe, à la cantine ou en récréation, pendant lesquels il retranscrit physiquement ses jeux, mimant une mitraillette ou un corps croulant sous les balles. Revenu en classe, il perd cette énergie, sa curiosité et son intérêt disparaissent. Pourquoi sa motivation existe dans un cas et pas dans l’autre ? Je pense que la pratique de ses jeux vidéo est très symbolisante pour lui, il s’est totalement identifié à son personnage virtuel. C’est là que se trouve la différence avec ce que lui propose l’école : il a pu symboliser dans un cas et pas dans l’autre. Le problème de Jonathan est que l’identification qu’il a développée est très excluante. La pratique intensive de son jeu et l’évolution de son personnage fictif s’est faite au détriment de sa vie relationnelle, affective, créant chez lui une conduite addictive. Cette identification symbolique à un objet excluant autrui l’empêche de s’exprimer puisque les autres n’ont plus d’intérêt à ses yeux. Dans son cas, il lui faudra transférer sa pensée symbolique et donc son intérêt sur une activité scolaire. Sinon, son activité lui donnant une satisfaction simple à obtenir, qui ne nécessite pas de communiquer ou d’entrer en relation aux autres, au monde, il ne développera pas sa capacité à s’exprimer.

Une angoisse paralysante (Zineb)

L’inhibition correspond à une limitation plus ou moins intense de l’expression intellectuelle, verbale et motrice. Chaque élève vit des situations inhibitrices, c’est un phénomène normal. Un contrôle scolaire, la rencontre d’un personnage admiré ou redouté, un changement de classe ou un départ en colonie de vacances sont souvent des moments d’inhibition marquante. Lorsque cette inhibition dure, qu’elle est continue toute la journée, cela devient problématique pour la vie de l’élève et sa faculté à s’exprimer. Il sera touché socialement et mentalement. Zineb est une élève de 9 ans. Elle est en CM1 mais nous travaillons davantage des compétences de CE2. Zineb vit chez ses parents avec sa sœur. Elle est arrivée à l’école
il y a quatre ans pour des troubles épileptiques. Elle a depuis été diagnostiquée TDA/H.
C’est une fille en léger surpoids, très discrète. Entre son arrivée le matin et son départ en fin de journée, il est courant de ne pas l’avoir entendue une fois. Si j’ai pu imaginer au début une grande timidité, amplifiée par le fait qu’elle est arrivée à 4 ans d’Espagne, et ne dispose pas d’un vocabulaire étoffé, j’ai vite compris que ce silence était plus que de la timidité. Une fois à l’école, Zineb est capable de rester assise sans activité aussi longtemps que je la laisserai faire. Elle a les yeux dans le vague, proche du mutisme, et ne réagit que si je trouble volontairement et activement son quotidien. Même dans ce cas, elle baisse le regard et a du mal à verbaliser une émotion, un avis ou une envie.
Cette attitude se retrouve dans les temps de récréation ou à la cantine. Ses gestes sont empruntés, elle donne l’impression d’être figée, au ralenti.
Lorsque je lui demande de raconter son week-end, ou de me rappeler ce que nous avons fait le matin, elle ne parvient pas à évoquer quoi que ce soit. Cette difficulté est comparable lorsque je lui demande d’imaginer une histoire. Ces difficultés massives ont pu laisser penser à une déficience intellectuelle. Pourtant, Zineb montre des résultats très satisfaisants dès lors qu’il s’agit d’appliquer une règle dans des exercices plus répétitifs.
Cette limitation autant verbale, motrice, qu’intellectuelle est une véritable inhibition qui peut s’apparenter à une situation d’adaptation en ce sens qu’elle permet d’éviter la confrontation avec l’angoisse générée par les conflits entre l’élève et ce que l’enseignant lui demande. L’inhibition est pour Zineb un refoulement massif pour protéger son « Moi » trop fragilisé par les situations vécues en classe. Il est possible de penser que des troubles anxieux développés de façon concomitante au TDA/H l’ont conduit à cette inhibition. Si l’école est une source de déplaisir, si elle développe une angoisse chez Zineb, celle-ci ne va pas avoir d’autre choix que de s’en éloigner, quitte à couper toute relation avec elle, développant cette inhibition.
Son cas mérite une attention supplémentaire, Zineb subit des crises d’épilepsie depuis ses premières années. Si elles se sont aujourd’hui stabilisées au rythme de quatre à cinq par mois, elles sont difficiles à vivre pour Zineb. Elle ne sait pas à quel moment elles peuvent arriver, ni l’intensité avec laquelle elles vont s’exercer. Ces crises sont dures à vivre pour elle, non seulement de par leur douleur, mais aussi pour le caractère imprévisible de leurs venues. Aucun signe ne lui annonce l’arrivée d’une crise, elle est comme en sursis permanent, prête à subir une douleur venant de tout son corps et sur laquelle elle n’a pas de prise. Cette situation génère aussi une angoisse forte, dont l’origine est son corps lui-même qui l’accable, mais aussi son esprit qui ne la prévient pas. Serait-il possible alors de vouloir s’en éloigner ? Zineb qui ne communique pas, ne bouge pas, est détachée de l’autre, et peut-être aussi d’elle-même. Elle s’est enferméequelque part où elle se sent plus en sécurité. Pour développer son expression et diminuer son inhibition, il sera donc nécessaire de trouver une manière de la mettre en sécurité.

Des troubles de l’opposition (Kévin)

Une autre comorbidité du TDA/H est la présence de troubles du comportement, et notamment de trouble oppositionnel avec provocation (TOP). Sans adaptation de l’environnement, en premier lieu l’école, ces TOP vont perdurer et même s’accroître.
Ils apparaissent, selon Anne Gramond , dans 50% des cas et se caractérisent par un ensemble de comportements négativistes, hostiles et provocateurs, dus notamment à une incapacité à accepter la frustration. Kévin est un élève de dix ans qui peut vite devenir grossier, provocateur et entrer en contact physique pour manifester sa colère s’il pense être victime d’un enfant ou même d’un adulte. Ces situations arrivent fréquemment dans les moments hors de la classe.
Les temps de récréation ou les passages par les couloirs et les escaliers sont régulièrement le théâtre de ces oppositions entre Kévin et le reste des élèves ou des adultes de l’école. Pour des motifs variables, allant de « Il ne veut pas me laisser aller gardien de but car il dit que je suis trop gros. » à « Il a insulté ma mère ! » en passant par « Elle a marché exprès sur mon cartable. », il existe toujours une bonne raison pour qu’il se sente persécuté par les autres et entre en opposition. Le problème est qu’à force de susciter des situations conflictuelles avec ses camarades, ces derniers en jouent car ils se délectent de créer chez Kévin ces sentiments d’injustice qui le font sortir de ses gonds. Celui-ci, incapable de gérer ses réactions, est encore plus malheureux, et ne sort plus de ces persécutions permanentes qui l’étiquettent « seul contre tous ».
Cette opposition affecte aussi son travail en classe et particulièrement le domaine de l’expression. En effet, s’il ressent une difficulté qui ne lui semble pas justifiée, s’il bute sur une consigne en estimant ne pas avoir les armes pour en venir à bout, Kévin se bloque complètement, intellectuellement et aussi physiquement. Comme dans les situations décrites précédemment, il peut devenir grossier et s’opposer physiquement face à une demande à laquelle il ne peut, selon lui, répondre. Lui demander son avis, inventer la fin d’un récit ou expliquer l’action d’un personnage sont souvent pour lui des situations d’échec qui le bloquent sans qu’il ait pu réellement réfléchir, penser, s’exprimer. C’est pour lui comme si je l’avais mis, sciemment, en situation d’échec.

Origine, structure et valeurs des mythes

Le terme de « mythe » vient du latin mythus qui signifie récit, fable. Colette Estin et Hélène Laporte définissent le mythe comme « un récit imaginaire qui met en scène des éléments de la nature ou des créatures surnaturelles » . Un ensemble de mythes propres à une civilisation forme ce qu’on appelle une mythologie. Je ne parlerai dans ce mémoire que de la mythologie grecque. La mythologie grecque est d’abord un formidable recueil d’histoires d’une richesse quantitative et qualitative inégalée. Elle met en scène des forces élémentaires à l’origine du monde (Chaos et l’abîme, Gaia et la Terre, Ouranos et le ciel), des dieux de la « première génération » nés des forces élémentaires (les Titans et les Titanides, dont Cronos et Rhéa, parents de Zeus), des grands dieux de la « seconde génération » qui sont les plus connus (Zeus, le roi des dieux, sa femme Héra, Hadès, Poséidon, Héphaïstos, Arès, Dionysos, Apollon, Hermès, Athéna, Artémis, Aphrodite, Déméter…), des héros mortels ou demi-dieux dont les aventures sont de grandes épopées (Ulysse, Thésée, Achille, Héraclès,…), des créatures extraordinaires (les cyclopes, les satyres, la Chimère, l e lion de Némée, l’Hydre de Lerne…)
Les récits fondateurs offrent aussi de nombreuses références culturelles pour mieux comprendre le monde passé et actuel car ils traversent les époques en laissant leurs empreintes sur de nombreuses œuvres artistiques.
Ces aventures mythologiques répondent enfin à des questions fondamentales telles l’origine du monde, de l’Homme et même des dieux. Ces questions communes à l’ensemble de l’humanité unifient la société des Hommes et inscrivent la mythologie dans un patrimoine culturel commun qui donne aux mythes, au-delà de références culturelles utilisables par chacun, une véritable valeur sociale. Toutes ces raisons expliquent la résonnance que peut avoir la mythologie sur les programmes officiels.

La mythologie dans les programmes officiels

La mythologie grecque apparaît clairement dans les nouveaux programmes officiels de 2016. Ainsi, en CM1 – CM2, « découvrir des contes, des albums adaptant des récits mythologiques, des pièces de théâtre mettant en scène des personnages sortant de l’ordinaire ou des figures surnaturelles ; comprendre ce qu’ils symbolisent » est « un enjeu littéraire et de formation personnelle » . En histoire de l’Art, les œuvres faisant référence à la mythologie sont également inscrites au programme puisque les élèves doivent pouvoir « identifier des personnages mythologiques », « [connaître] des mythes antiques », et mettre en relation un mythe et ses représentations artistiques.
Malgré ces références, la mythologie reste avant tout étudiée en classe de sixième autour notamment de L’Odyssée, des textes issus de la Bible et des métamorphoses d’Ovide. La réforme des nouveaux programmes de 2016 rassemblant les classes de CM1, CM2 et sixième au sein d’un même cycle renforce l’intérêt de l’étude de la mythologie en CM1-CM2 puisqu’elle facilitera la continuité avec le collège pour une meilleure cohérence de la liaison CM2-sixième.

Choix du support et séance type

Je souhaitais pouvoir raconter un passage mythologique chaque matin à mes élèves.
Leur proposer une lecture personnelle était intéressante, mais les niveaux de lecture et de compréhension de chacun sont si hétérogènes que cela impliquait inévitablement une individualisation de ces lectures. Or je voulais exactement l’inverse, mon but est de les ouvrir aux autres et de les inviter au partage, vers une lecture synonyme de plaisir partagé. Je cherchais un ouvrage qui me permette une lecture oralisée à mes élèves, avec un niveau de langue à la fois compréhensible de tous et suffisamment ambitieux pour le cycle trois. Mon choix s’est porté sur la série d’ouvrages écrits par Murielle Szac , « Le voyage d’Hermès », « Le voyage de Thésée », « Le voyage d’Ulysse ». L’auteur raconte dans ces livres les récits fondateurs de manière romancée, en découpant le fil de l’histoire en plusieurs épisodes adaptés à une lecture oralisée et quotidienne. Si leur lire une histoire était pour moi le levier pour entrer en conversation avec mes élèves, ce support était le bon. Il restait néanmoins à utiliser ce lien tissé entre eux et moi, à ne pas le perdre, à s’en servir de socle pour bâtir un langage riche, confiant et structuré. C’est cette utilisation que je vais développer dans les parties qui suivent.

Identification aux héros

Le terme « identification » renvoie en français à deux définitions. Comme l’explique André Lalande, l’identification est à la fois « l’action d’identifier, c’est-à-dire de reconnaître pour identique » mais également « l’acte par lequel un individu devient identique à un autre, ou par lequel deux êtres deviennent identiques. »
J’utiliserai dans cette partie la seconde acception, celle faisant référence au fait de « s’identifier ». Le concept d’identification a été développé par Sigmund Freud pour qui l’identification est une opération par laquelle le sujet humain se constitue. Comme nous l’avons vu dans la première partie, certains élèves développent une inhibition qui est probablement le reflet d’une angoisse prégnante. Bien que chacun diffère dans sa construction personnelle, ces élèves semblent avoir pour mêmes difficultés la production d’images nécessaires pour mettre des mots sur leur ressenti ou évoquer des évènements imaginaires. Ils sont en difficulté pour passer du perceptif au représentatif. L’étude de héros mythologiques tels Thésée, Héraclès, Œdipe ou Ulysse peut les aider à se représenter au travers d’une identification à ces personnages. Lorsque Sophie explique à Thésée comment ne plus être triste en utilisant le pronom « je », elle est dans cette identification qui lui permet de créer des images nécessaires à l’expression. Il est intéressant de noter ici que Sophie identifie à Thésée sa propre personne. Max Scheler parle dans ce cas d’ « identification idiopathique » tandis qu’Henri Wallon la qualifie de « centrifuge » . Cette identification facilite son expression en apaisant les peurs nées de l’inconnu. Elle permet aussi des variations dans les formes d’énonciation qui étoffent les mécanismes de l’expression orale et écrite (cf. annexe III). Faire écrire mes élèves pour réaliser des actions mécaniques tel un exercice de grammaire est une activité que j’ai pu mener à bien lorsque les élèves étaient assez rassurés par la perspective de faire juste. Ecrire un texte libre à partir d’une consigne large comme « Racontez-moi une expérience où vous avez dû faire un choix important » était en revanche inconcevable en début d’année pour la plupart de mes élèves souffrant de TDA/H. J’ai alors souhaité proposer cette consigne en parallèle avec une histoire vécue par un de nos héros. Il s’agit d’Alexandre qui doit indirectement choisir la plus jolie des déesses parmi Héra, Athéna et Aphrodite en optant pour un seul des trois cadeaux qui lui sont proposés (cf. annexe IV). A la question « A la place d’Alexandre, quel cadeau choisirais-tu ? », Kévin a répondu « Je choisirai le cadeau d’Aphrodite parce que j’adore être aimé par la plus belle femme ». Il est dans une identification « hétéropathique » qui l’aide à comprendre l’histoire d’Alexandre puis à s’imaginer la sienne. Je lui demande par la suite « raconte quand tu as dû toi aussi faire un choix ». Là où Kévin était bloqué quelques semaines auparavant, il écrit : « quand je devais choisir quelque chose, c’était au foot quand j’ai pris le meilleur joueur de mon équipe. »

Question de transgression

La transgression peut se définir comme l’acte de « ne pas obéir à un ordre, une loi, ne pas les respecter » . La transgression renvoie à la notion de désobéissance, de violation et induit l’existence d’un cadre de référence. Les actes de transgression existent parce que la société s’est dotée de règles et de lois que, de tout temps, certains individus ont cherché à ignorer ou contourner. Parmi ces individus se trouvent quelques héros de la mythologie grecque. Je pense que la lecture et des échanges en classe autour des transgressions qu’ils sont amenés à commettre peuvent aider certains élèves, notamment ceux souffrant de troubles de l’opposition, à s’engager dans l’échange langagier. Nous avons vu que l’opposition de certains peut s’expliquer par le refus de toute frustration qui les amène à se couper des autres et du langage. C’est le cas de Kévin ou parfois de Jonathan qui transforment régulièrement des consignes qui leur semblent irréalisables en frustration qui stoppe tout fonctionnement intellectuel. Comme le suggère Serge Boimare, ces élèves ont une vraie curiosité pour le monde mais ils ne « parviennent pas à dépasser la frustration car elle fait rejaillir les pensées les plus archaïques telles le sadisme, le voyeurisme ou la mégalomanie » . Ce n’est d’ailleurs pas étonnant que Jonathan soit un grand consommateur de jeux vidéo violents puisqu’ils activent ces intérêts primaires. Je pense que la confrontation aux transgressions des héros mythologiques peut les aider à dépasser cette frustrati on car ils vont activer ces pensées archaïques dans le but d’en parler avec leurs pairs sans jugement.
Les histoires mythologiques qui font référence à ces mauvaises pensées primaires ne manquent pas. Je choisis d’étudier Héraclès car c’est un héros terriblement sensible à la frustration. Il n’est pourtant pas mauvais puisqu’il lui arrive de venir en aide à ses compagnons mais il ne peut maîtriser ses colères qui découlent de frustrations qu’il n’accepte pas. Cela peut l’amener à dépasser tous les interdits, même les plus élémentaires comme tuer ses propres enfants. Lorsqu’après avoir lu cet épisode, il se trouve condamné à réaliser douze travaux, je demande « Héraclès est-il une bonne personne ? » (cf. annexe VI), Jonathan écrit « Moi je réponds non parce qu’il a tué ses deux enfants aussi il est violent. », Zineb écrit « Non, il n’est pas courageux, il ne réfléchit pas toujours. » tandis que Kévin note « Non parce qu’il ne réfléchit pas toujours mais oui parce qu’il a sauvé Thésée des griffes de Cerbère ». Aucun n’a semblé gêné ou paralysé pour écrire une réponse. En s’appuyant sur les ressorts de la curiosité, Kévin et Jonathan peuvent échanger autour de ces pensées primaires, des transgressions que commet Héraclès. Ils les expriment sans crainte puisque la mythologie leur apporte la sécurité affective et la légitimité pour penser ces transgressions, relançant le fonctionnement intellectuel préalable à l’expression. Je note par ailleurs que Jonathan, qui éprouvait des difficultés à faire des liens logiques et notamment de causalité, a pu ici expliquer son avis.

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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : DES ELEVES DE MA CLASSE AU CHOIX DE L’ETUDE DE LA MYTHOLOGIE
1. PRESENTATION DU CADRE DE TRAVAIL
2. QU’ENTEND-ON PAR TROUBLES DE L’ATTENTION AVEC OU SANS HYPERACTIVITE (TDA/H)
a) Historique du TDA/H
b) Origine des troubles et diagnostic
c) Données épidémiologiques et troubles associés
3. DIFFICULTES OBSERVEES EN CLASSE POUR S’EXPRIMER
a) Conséquences directes des TDA/H sur la difficulté de s’exprimer
i) Une attention labile (Aurélie)
ii) Un manque de motivation et un manque de symbolisme (Jonathan)
b) Des stratégies d’adaptation limitantes pour s’exprimer
i) Une angoisse paralysante (Zineb)
ii) Des troubles de l’opposition (Kévin)
iii) Une faible estime de soi (Sophie et Célia)
4. L’UTILISATION DE LA MYTHOLOGIE EN CLASSE
a) Origine, structure et valeurs des mythes
b) La mythologie dans les programmes officiels
c) Choix du support et séance type
DEUXIEME PARTIE : L’UTILISATION DE LA MYTHOLOGIE POUR DEVELOPPER L’EXPRESSION DES ELEVES ATTEINTS DE TDA/H 
1. LES MYTHES, VECTEURS D’AFFECTS
a) Naissance de la curiosité et de l’étonnement
b) Identification aux héros
c) Question de transgression
2. LA MYTHOLOGIE, MEDIATEUR SYMBOLIQUE
a) Un médiateur spécifique
b) A la rencontre des peurs des élèves
c) Valeur symbolique du héros
d) Un contenant symbolique pour structurer la pensée
3. LES MYTHES, SOURCES DE DEBATS
a) Naissance et élaboration du débat en classe
b) Une prise de parole stimulée
c) Développement d’une approche réflexive
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE 
ANNEXES – SOMMAIRE

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