L’urbanisation au cours des deux derniers siècles a changé le visage du monde, à tel point qu’en 2007, le nombre d’urbains dans le monde a dépassé celui des ruraux. Les taux d’urbanisation sont de plus en plus élevés. Désormais la moitié de la population mondiale est constituée d’urbains : 3 milliards d’être humains vivent en ville. Dans les pays développés, le nombre d’urbains a dépassé celui des ruraux dans les années 1950 suite à la Révolution Industrielle et à l’exode rural. Dans les pays en voie de développement, cela arrivera probablement autour de 2020, c’est-à dire dans une décennie. Parallèlement à ce phénomène, les mégalopoles de plusieurs millions d’habitants fleurissent sur tous les continents. Mais une grande majorité d’urbains vit encore dans des villes de moins de 500 000 habitants [Arnould 2008].
La ville : définitions et fonctions
L’agriculture urbaine et périurbaine se définit par rapport à la ville. Or la définition de la ville est floue et évolutive dans un monde en mouvement et s’appuie sur des critères divers. En effet, il existe des définitions statistiques de la ville, basées sur des données telles que le nombre d’habitants ou des critères administratifs et économiques, des définitions analytiques qui s’appuient sur les spécificités du milieu urbain, et des définitions géographiques fondées sur l’utilisation de l’espace.
La ville statistique
La définition statistique de la ville est la plus simple. La ville est définie par le nombre d’habitants en valeur absolue et éventuellement par un seuil de densité urbaine. Ces seuils varient d’un pays à un autre : en France, une commune urbaine est une commune d’au moins 2 000 habitants et les constructions ne doivent pas être distantes de plus de 200 mètres ; aux Pays-Bas le seuil est de 1500 habitants et en Inde, il est de 5 000 [Pelletier 1994]. En Afrique, les critères varient aussi selon les pays. Le seuil de 2 000 habitants est retenu dans un certain nombre de pays comme le Kenya, le Gabon, la Sierra Leone, l’Ethiopie, l’Erythrée ou l’Angola ; mais il est de 5 000 habitants au Ghana et de 10 000 au Bénin. Souvent, le critère statistique est associé à un critère socio-économique : en Côte d’Ivoire est considérée comme ville une commune de plus de 10 000 habitants ou de plus de 4 000 si plus de 50% des habitants ont une activité non-agricole. On retrouve ce genre de définition au Congo où la ville a plus de 2 000 habitants et des activités non agricoles prédominantes, et au Nigéria où il faut 20 000 habitants dont les activités ne sont pas principalement agricoles [Smith 2004]. Cependant, le critère statistique a ses limites. La densité qui permet d’accéder au rang de ville diffère énormément d’un pays à l’autre car elle dépend de la densité globale du pays et de références culturelles. Certains villages sont très peuplés, atteignant les 10000 habitants [Coquery-Vidrovitch 1993], mais la société ne s’organise pas d’une manière particulière. Chaque famille produit de quoi subvenir à ses besoins et aucun pouvoir central n’établit son hégémonie. Le village reste un village, malgré le grand nombre d’habitants. D’autres critères ont une grande importance pour définir une ville, notamment ses fonctions.
La ville fonctionnelle
Les critères fonctionnels sont probablement les mieux perçus par tous. La ville doit comporter un certain nombre de fonctions, notamment des fonctions de « relation » : c’est un lieu d’échanges, de services et d’activités tertiaires (commerces, banques, administrations, services de santé, activités culturelles…). La ville est caractérisée par la densité, la diversité et la concentration des activités et des hommes. Elle est le lieu d’activités secondaires de transformation ou de plus en plus tertiaires. En revanche, la fonction agricole et nourricière est « naturellement » chevillée au rural, même si le rural ne peut se fondre dans l’agricole, et inversement. Ainsi, la production d’un surplus de production agricole est une condition de l’urbanisation [Coquery-Vidrovitch 1993]. Ces définitions portent en elles l’opposition entre l’agriculture et la ville : la ville est le lieu d’activité non-agricole.
L’IAU-IDF distingue trois catégories d’usage du sol en Ile de France : rural, urbain construit (bâti ou revêtu), urbain ouvert (parcs et jardins, terrains de sport, cimetières). Rural et urbain sont deux catégories permettant de penser les organisations et les dynamiques spatiales et sociales. Les espaces urbains et ruraux se distinguent par leurs formes, leurs structures et leurs fonctions. L’approche fonctionnelle articule davantage les deux catégories socio-spatiales par l’analyse des flux, des mouvements entre ville et campagne. Les limites sont de plus en plus floues entre urbain et rural, tant les mobilités et la généralisation de modes de vie brouillent les catégories [Arnould 2008], au Nord comme au Sud. L’économie urbaine rejaillit sur la sociologie et l’ambiance de la ville. La présence de services compte beaucoup, le rythme urbain, l’animation et la profusion de divertissements aussi. C’est aussi en ville que l’on trouve le plus de cols blancs, de cadres, de dirigeants [Pelletier 1994]. Cette vision de la ville est applicable aux pays industrialisés mais également aux pays africains où la ville est perçue comme le lieu de l’ascension sociale.
La ville géographique
Les définitions géographiques considèrent la ville physique, c’est-à-dire l’agglomération telle qu’elle peut être repérée à partir de l’observation visuelle. L’espace défini comme urbain rassemble les parcelles bâties, portant un revêtement empêchant la végétation de se développer (dallage, ciment), ou de sol tassé pour permettre la circulation. Ce qui définit l’urbain est alors l’absence de végétation et l’imperméabilité des sols. La ville est alors un espace urbain de surface [Tricaud 1996]. Lorsque l’on rencontre des parcelles agricoles, peut-on considérer que l’on est encore en ville ? C’est en tout cas en contradiction avec la définition de l’espace urbain démuni de végétation. On peut également considérer d’autres critères visuels: l’architecture, la densité du bâti, la hauteur des immeubles. Les notions de centralité et le symbolisme architectural sont des références dans l’imaginaire collectif et permettent aux populations de s’ancrer à la ville [Pelletier 1994]. Mais beaucoup de villes modernes ne suivent plus ces modèles : elles sont étalées, ne possèdent pas de centre ville, ni de monuments historiques. La ville peut être horizontale ou verticale. La ville horizontale est faite d’une multitude de maisons individuelles. Elle engendre des coûts d’infrastructure, provoque une pollution automobile et consomme beaucoup de surface. Elle n’est pas propice à une vie sociale développée mais favorise l’intimité familiale, et les jardins sont souvent très recherchés. La structuration spatiale de la ville est surtout définie par le réseau inter-urbain et intra-urbain des voies, ferrées ou routières [Doucouré 2004]. La ville verticale est très dense, elle privilégie les immeubles de grande hauteur, qui libèrent au sol de vastes surfaces non bâties disponibles pour des espaces verts. Les atouts environnementaux sont nombreux : réduction des coûts et des nuisances liés à la circulation, meilleur partage de la lumière, abaissement des coûts grâce à l’industrialisation de la fabrication de la ville, collecte et traitement des déchets [Doucouré 2004]. En Afrique, les villes se caractérisent par leur horizontalité à cause des nombreuses habitations spontanées et donc précaires et très denses : elles ne présentent pas les avantages de la ville horizontale en Europe (intimité familiale, jardin) mais en subissent les désagréments (pollution, problème de transport…). Le paysage urbain en Afrique garde les traces de la colonisation, dont sont issues presque toutes les villes africaines.
En conclusion, la ville est un lieu délimité, construit, humanisé. La ville a une dimension sociale, c’est le lieu d’un regroupement d’individus hétérogènes ; politique car elle incarne le pouvoir qui s’étend sur un territoire ; culturel, lieu de métissage et de transmission culturelle [Coquery-Vidrovitch 1993].
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
PARTIE I – CULTIVER LA VILLE AFRICAINE
INTRODUCTION
CHAPITRE 1. L’URBANISATION EN AFRIQUE SUB-SAHARIENNE : HISTOIRE, MODALITES ET ENJEUX
1.1. LA VILLE : DEFINITIONS ET FONCTIONS
1.2. HISTOIRE DES VILLES EN AFRIQUE SUB-SAHARIENNE
1.3. LES VILLES AFRICAINES : DES SPECIFICITES CONTINENTALES
1.4. L’URBANISATION EN AFRIQUE ET LE DEVELOPPEMENT
CHAPITRE 2. L’AGRICULTURE URBAINE ET PERIURBAINE EN AFRIQUE
2.1. L’AGRICULTURE URBAINE ET PERIURBAINE : DEFINITION, HISTOIRE, CONTEXTE
2.2. LES FORMES D’AGRICULTURE URBAINE ET PERIURBAINE EN AFRIQUE
2.3. LA DURABILITE DE L’AGRICULTURE URBAINE ET PERIURBAINE
CHAPITRE 3. LA QUESTION FONCIERE SUR LES ESPACES AGRICOLES URBAINS ET PERIURBAINS EN AFRIQUE SUB-SAHARIENNE
3.1. DYNAMIQUES AGRICOLES ET FONCIERES EN AFRIQUE
3.2. INSECURITE FONCIERE ET PERENNITE DE L’AGRICULTURE SUR LES ESPACES URBAINS ET PERIURBAINS
CHAPITRE 4. LE FONCIER EN AFRIQUE
4.1. LA TENTATION D’UN MODELE DE DEVELOPPEMENT A L’ « OCCIDENTALE »
4.2. LA COMPLEXITE DU FONCIER EN AFRIQUE
4.3. DE NOUVELLES VISIONS DU FONCIER AFRICAIN
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
PARTIE II – L’AGRICULTURE URBAINE ET PERIURBAINE A YAOUNDE ET ACCRA..
INTRODUCTION
CHAPITRE 5. LA VILLE AFRICAINE DANS SA DIVERSITE : YAOUNDE ET ACCRA
5.1. DEUX CAPITALES D’AFRIQUE SUB-SAHARIENNE
5.2. TOPOGRAPHIE ET CLIMAT
5.3. HISTOIRE COLONIALE ET POSTCOLONIALE
5.4. L’EXPLOSION DEMOGRAPHIQUE ET SES VISAGES
5.5. LES INSTITUTIONS POLITIQUES
CHAPITRE 6. L’AGRICULTURE URBAINE ET PERIURBAINE DANS LA VILLE
6.1. YAOUNDE OU LA VILLE DANS LA FORET
6.2. L’AGRICULTURE DANS LA METROPOLE D’ACCRA
6.3. MISE EN PERSPECTIVE DE L’AGRICULTURE DANS LES DEUX VILLES
CHAPITRE 7. L’AGRICULTURE URBAINE ET PERIURBAINE SUR LES ZONES D’ETUDE
7.1. SITUATION DES TERRAINS D’ETUDE
7.2. UN QUARTIER VALLONNE DE YAOUNDE : ETOUG-EBE
7.3. LE BAS-FOND DE NKOLBISSON A LA PERIPHERIE PROCHE DE YAOUNDE
7.4. UN VILLAGE PERIURBAIN DE YAOUNDE : MINKOAMEYOS
7.5. CONCLUSION SUR LES TERRAINS DE YAOUNDE
7.6. UN OPEN SPACE D’ACCRA : LE CSIR
7.7. UN VILLAGE PERIURBAIN D’ACCRA : AKWAPIM
7.8. CONCLUSION SUR LES TERRAINS D’ACCRA
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE
PARTIE III – LE FONCIER DANS L’AGRICULTURE URBAINE ET PERIURBAINE A YAOUNDE ET ACCRA
INTRODUCTION
CHAPITRE 8. REGLES FONCIERES ECRITES ET ORALES SUR LES ESPACES AGRICOLES URBAINS ET PERIURBAINS
8.1. LES REGLES FONCIERES ECRITES A YAOUNDE
8.2. LES REGLES COUTUMIERES DES BETIS DU CENTRE DU CAMEROUN
8.3. LES PRATIQUES FONCIERES INFORMELLES A YAOUNDE
8.4. LES ACTEURS DU FONCIER A YAOUNDE
8.5. LES REGLES FONCIERES ECRITES A ACCRA
8.6. LES REGLES COUTUMIERES DES GA D’ACCRA
8.7. LES ACTEURS DU FONCIER A ACCRA
CHAPITRE 9. LES ENJEUX DU FONCIER
9.1. LA DYNAMIQUE DE MIGRATION ET D’URBANISATION
9.2. DE NOMBREUX CONFLITS FONCIERS
9.3. LA REPARTITION DU POUVOIR ET DE LA RENTE FONCIERE
9.4. LES PRATIQUES INFORMELLES
CHAPITRE 10. PRATIQUES FONCIERES LOCALES
10.1. PRATIQUES FONCIERES A ETOUG-EBE
10.2. PRATIQUES FONCIERES A NKOLBISSON
10.3. PRATIQUES FONCIERES A MINKOAMEYOS
10.4. PRATIQUES FONCIERES A L’OPEN SPACE DU CSIR
10.5. PRATIQUES FONCIERES A AKWAPIM
CHAPITRE 11. L’ACCES AU FONCIER : FONDEMENTS ET CONSEQUENCES
11.1. MISE EN EVIDENCE D’UN LIEN ENTRE STATUT SOCIAL, DROITS FONCIERS ET PRATIQUES AGRICOLES
11.2. L’ORGANISATION SPATIALE DES PARCELLES
11.3. L’INSECURITE FONCIERE ET LES PRATIQUES AGRICOLES
CONCLUSION DE LA TROISIEME PARTIE
CONCLUSION GENERALE
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