L’urbanisation des eaux les relations entre espaces urbains et ruraux

Dans son sens premier, l’urbanisation renvoie aux processus « de concentration de la population et des activités dans des agglomérations de caractère urbain » (Lévy & Lussault, 2003 : 961) et « de croissance de la population urbaine et d’extension des villes » (Géoconfluences, en ligne7). Dans ce chapitre, une conception différente de l’urbanisation est explorée, mettant l’accent sur la mobilisation de ressources naturelles. La ville comme lieu de concentration du pouvoir et des besoins est envisagée par rapport aux espaces qui lui permettent de s’approvisionner en eau. Cette relation de dépendance fait partie des critères de définition des villes puisque « les citadins ne peuvent vivre qu’avec des denrées produites aux alentours ou à des distances plus ou moins lointaines » (Lacoste, 2003 : n.p.).

Plusieurs notions et concepts permettent d’analyser les relations entre l’eau, la ville et d’autres espaces. Le cycle hydrologique (Horton, 1931), fondement théorique de l’hydrologie, traduit la circulation de l’élément H2O à travers les différents compartiments terrestres. Ce cycle « naturel » (AESN, en ligne8) est aussi appelé « grand cycle de l’eau », notion récente issue de la territorialisation de la gestion de l’eau (Carré, 2015) qui permet de distinguer un « petit cycle de l’eau ». Ce dernier correspond au cycle domestique de l’eau dans sa dimension technique, des prélèvements aux rejets. Le cycle urbain de l’eau, étudié par l’hydrologie urbaine renvoie aux conditions particulières de circulation de l’eau en ville (Carré & Deutsch, 2015). Le concept d’hydrosystème offre un cadre spatial pour l’étude des interactions de ces différents cycles. Il permet de mettre en évidence les perturbations du cycle hydrologique induites par l’urbanisation (e.g., réallocation des ressources en eau, modification du débit et de la qualité des cours d’eau, disparition des zones humides, etc.). La circulation de l’eau vers, dans et hors des villes s’inscrit elle-même dans un cadre plus large de flux de matières et d’énergie appelé métabolisme urbain (Barles, 2002, 2008, Coutard et al., 2013 ; Barles, 2017). Ce dernier désigne « l’ensemble des processus par lesquels les villes mobilisent, consomment et transforment [l]es ressources naturelles » (Barles, 2008 : 21). Le métabolisme urbain impacte directement et indirectement des territoires extérieurs à la ville, à commencer par ceux qui constituent son hinterland immédiat (Billen et al., 2012). Ces impacts sont exprimés par la notion d’empreinte environnementale9 (Barles, 2008) et, dans le cas de l’eau, aquatique (Hoekstra & Chapagain, 2007). Aujourd’hui, l’empreinte environnementale des villes des pays industrialisés est éclatée à l’échelle globale, ce que traduit par exemple le concept d’eau virtuelle10 (Allan, 1998 ; Barles, 2017). Néanmoins, si l’hinterland immédiat a perdu de son sens traditionnel dans une économie mondialisée, l’AEP des villes y reste inscrite pour des raisons techniques (Billen et al., 2012 ; Carré, 2003). Ce sont ces territoires relativement proches et en même temps bien distincts des villes qui assurent leur approvisionnement en eau de consommation.

Depuis la fin des années 1990, un groupe de chercheur.se.s revendique une autre approche du rôle de l’eau dans le processus d’urbanisation (Heynen et al., 2006 ; Swyngedouw, 1997, 2006 ; Swyngedouw et al., 2002). Ils remettent en cause la conception moderne d’une eau neutre, séparée de la sphère sociale et simple objet des politiques de gestion (Linton, 2010, 2014). Au contraire, la dimension politique de la circulation de l’eau est affirmée, notamment à travers le concept de cycle hydrosocial (Linton & Budds, 2014). Ces auteur.e.s s’inscrivant dans le courant de la political ecology, la première sous-partie de ce chapitre reviendra sur les bases de cette branche de la géographie tout en précisant le positionnement de la thèse. La deuxième sous-partie présentera les apports conceptuels de la political ecology de l’eau qui s’inscrit souvent dans une approche radicale. La troisième sous-partie traitera du processus d’« urbanisation des eaux » tel que le conçoivent les political ecologists et de ses implications sur les relations avec les territoires extérieurs à la ville.

Les bases de la political ecology 

En introduisant leur Manifeste pour une géographie environnementale, Denis Chartier et Estienne Rodary (2016 : 16–17) soulignent « la réticence flagrante de la géographie française à problématiser son rapprochement avec l’écologie et la politique ». Alors que dans les années 1970, l’environnement ouvrait un nouveau champ d’investigation scientifique, les deux auteurs regrettent l’incapacité de leur discipline à s’y investir pleinement. En particulier, ils soulignent la prédominance des approches apolitiques qui conçoivent l’environnement comme un simple cadre pour l’analyse traditionnelle des relations entre nature et sociétés. L’ambition d’une géographie intégrant mieux les problématiques environnementales s’inspire du dynamisme de la political ecology observé au sein de la géographie anglophone. Ce courant formalisé dans les années 1980 « propose en effet une voie pour étudier des problématiques écologiques en refusant le cadre apolitique de l’écologie scientifique» (Caillaut, 2016 : 306). Depuis les années 1990, la political ecology est au cœur des recherches sur l’environnement et le développement en géographie et en anthropologie anglo-américaines (Benjaminsen & Svarstad, 2009). Parfois critiquée (Laslaz, 2017) la popularité qu’elle gagne en France s’illustre par des ouvrages et des numéros thématiques consacrés (Gautier & Benjaminsen, 2012 ; Arnauld de Sartre et al., 2014 ; Bassett & Gautier, 2014). Cette sous-partie revient sur les fondements de la political ecology et sur les débats et les perspectives qu’elle soulève.

Les fondements engagés de la political ecology

Dans un article consacré, Tor Benjaminsen et Hanne Svarstad (2009 : 3) définissent la political ecology comme une approche visant à analyser « le pouvoir et les luttes pour le pouvoir en matière de gestion de l’environnement ». Plus généralement, elle consiste en « une analyse politique des enjeux d’environnement » (Chartier & Rodary, 2016 : 22). Elle se distingue de l’écologie politique française, dont le socle est politique et non universitaire (Gautier & Benjaminsen, 2012). Néanmoins, elle s’en rapproche par son fort engagement politique, du moins à ses débuts.

La political ecology est née dans les années 1980 de la diversification des études sur les relations sociétés-environnement en géographie anglophone (Kull & Batterbury, 2016). Elle s’inspire des approches écologiques (y compris humaines et culturelles) tout en rejetant leur tendance à négliger l’influence des déterminants économiques et politiques (Benjaminsen & Svarstad, 2009 ; Chartier & Rodary, 2016). La political ecology puise ses fondements dans les courants de l’anthropologie et la géographie radicales des années 1960–1970. Elle est alors marquée par « l’explication marxiste du monde et le cadre de pensée structuraliste » (Gautier & Benjaminsen, 2012 : 10). La thématique de l’érosion des sols a été particulièrement analysée sous cet angle. Ainsi, Michael Watts (1983) a mis en évidence le rôle des structures de marché sur la fragilisation des paysan.ne.s du nord du Nigéria, conduisant à une moins bonne gestion des terres et à l’érosion des sols. De même, les ouvrages The Political Economy of Soil Erosion in Developing Countries (Blaikie, 1985) et Land Degradation and Society (Blaikie & Brookfield, 1987) analysent la manière dont les structures politiques et économiques multiscalaires contraignent les producteur.rice.s à la surexploitation des terres. Le phénomène de dégradation des sols n’aurait rien de « naturel » et révélerait plutôt des logiques de marginalisation sociale et politique (Kull & Batterbury, 2016). Piers Blaikie et Michael Watts, proches de l’économie politique marxiste, sont considérés comme des pionniers de la political ecology (Benjaminsen & Svarstad, 2009). À l’origine, ce courant s’affirme donc sous une forme radicale, proche des travaux du géographe David Harvey. La political ecology se caractérise par l’attention qu’elle porte à l’influence des structures politiques et économiques sur les phénomènes écologiques. Dès la fin des années 1980, cette perspective néo-marxiste a été complétée par une approche poststructuraliste attachée à l’étude de la dimension discursive du pouvoir.

L’approche post-structuraliste : les discours sur l’environnement comme objet d’étude

Les théories post-structurelles soulignent « l’importance des idées, des discours, des manières de penser et des cadres culturels de référence dans le façonnement des relations de pouvoir et de l’évolution des actions humaines » (Kull & Batterbury, 2016: 241). Ainsi, « ce qui est dit et décrit sur un phénomène est considéré comme objet d’analyse » (Benjaminsen & Svarstad, 2009 : 6). Ce courant a poussé la political ecology à porter une attention particulière aux modes de production de savoirs sur l’environnement à travers l’étude des discours (Escobar, 1996). En effet, les discours jouent un rôle majeur dans la définition des problèmes environnementaux et la légitimation des modes de gestion des milieux (Chartier & Rodary, 2016). Selon Tor Benjaminsen & Hanne Svarstad (2009 : 4), les discours sont un « mode de production de connaissances ou de vérités sur un thème ». Ils constituent « a socially shared perspective on a topic » (Svarstad et al., 2018 : 356). Les discours se fondent sur des idées, des normes et des valeurs, donc une vision du monde. Ils peuvent être décelés dans les récits des acteur.rice.s. Un récit est un « scénario concret ancré dans le régime de compréhension d’un discours déterminé » (Benjaminsen & Svarstad, 2009 : 4). Les idées donnent naissance à des discours qui s’expriment à travers des récits : « some actors exercise power through the establishment of discourses on issues and narratives of specific cases in ways that are suitable to themselves » (Svarstad et al., 2018 : 356). Les conflits liés à l’environnement et aux ressources s’enracinent souvent dans l’affrontement d’idées opposées sur un même objet ou problème.

L’étude des discours sur l’environnement permet de comprendre « les mécanismes, les intérêts et les rapports de pouvoir qui motivent ces discours » (Magrin, 2015 : 185). Il est particulièrement important d’analyser les discours dominants qui établissent des « vérités » sur l’environnement et influencent des mesures politiques et de gestion, parfois en contradiction avec les connaissances scientifiques (Benjaminsen & Svarstad, 2009 ; Magrin, 2015). Hanne Svarstad et al. (2018 : 356) parlent de « pouvoir discursif » : « when actors such as corporations, government agencies or NGOs, produce discourses and manage to get other groups to adopt and contribute to the reproduction of their discourses ». L’étude de ces discours dominants éclaire la manière dont certaines modalités de gestion des ressources naturelles sont légitimées, quand bien même leurs effets sont socialement injustes ou écologiquement néfastes. Par exemple, Aziz Ballouche (2016) et Sébastien Caillaut (2016) montrent comment en Afrique de l’Ouest, les conceptions écologiques des forêts, des brousses et du feu héritées de l’époque coloniale ont justifié des politiques de gestion condamnant les pratiques agropastorales locales. De même, un discours hégémonique attribue au changement climatique les problèmes d’accès à l’eau dans la vallée du fleuve Elqui au Chili sans remettre en question les usages agricoles, industriels et miniers (Nicolas-Artero, 2019). Ce discours permet de préserver ces activités tout en justifiant un contrôle accru des autres usages de l’eau. L’un des objectifs de la political ecology est de confronter les discours dominants aux observations empiriques (Svarstad et al., 2018).

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Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
PREMIÈRE PARTIE – Cadre théorique
Chapitre 1 – L’urbanisation des eaux : les relations entre espaces urbains et ruraux par le prisme de la political ecology
Chapitre 2 – Protéger les ressources en eau des villes : des territoires hydrosociaux à la territorialisation des politiques de l’eau DCH
DEUXIÈME PARTIE – Cadre géographique et démarche méthodologique
Chapitre 3 – Le drinking waterscape parisien dans le cadre du bassin de la Seine
Chapitre 4 – Démarche méthodologique
TROISIÈME PARTIE – L’évolution des relations entre Paris et son hinterland hydrique
Chapitre 5 – L’adduction des sources de la Voulzie et de l’Avre à Paris : la matérialisation d’un territoire hydrosocial contesté
Chapitre 6 – Des transferts d’eau à la protection des ressources : vers un nouveau territoire hydrosocial ?
QUATRIÈME PARTIE – L’appropriation des enjeux de protection des captages parisiens à l’échelle des AAC
Chapitre 7 – Le concernement territorial des acteur.rice.s locaux.ales par les AAC parisiennes
Chapitre 8 – L’usager.e des réseaux d’AEP, un.e acteur.rice concerné.e ? Le cas provinois
CONCLUSION GÉNÉRALE
Bibliographie
Annexes

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