L’uranium, écotoxicité

L’uranium, écotoxicité

L’uranium peut présenter une toxicité à la fois en tant que métal lourd et en tant que radioélément. Son activité spécifique étant relativement faible (2, 57 10⁴ Bq g−1 U), sa radiotoxicité, même si elle ne doit pas être négligée a priori, est plus faible que sa chimiotoxicité. Différentes études l’ont ainsi confirmé. Ainsi, dans une revue sur les seuils d’écotoxicité de l’uranium, Sheppard et al. (2005) rapporte des travaux réalisés sur l’Homme, en conclu que la toxicité chimique de l’uranium est la principale source d’effets chez l’Homme et que cette prépondérance de la chimiotoxicité devrait se retrouver pour les biotopes non humains. Ce résultat a également été retrouvé chez plusieurs autres espèces. Zeman et al. (2008) ont comparé leurs résultats, obtenus lors de l’exposition de Daphnia magna à de l’uranium appauvri, avec ceux obtenus par Alonzo et al. (2006) (exposition de D. magna à de l’américium 241). Ces auteurs ont observé que les effets de l’uranium — émetteur α tout comme l’241Am — sur l’ingestion et la fécondité des organismes étaient obtenus pour des débits de dose beaucoup plus faibles pour l’uranium que pour l’américium (2,1 à 13 µGy h−1 pour l’uranium contre 7,9 mGy h−1 pour l’241Am) ce qui suggère que les effets de l’uranium ne sont pas liés seulement à l’émission α. Des mesures mettant en avant sa chimiotoxicité ont également été effectuées chez des poissons zèbres (Danio rerio) exposés à de l’uranium appauvri ou à de l’uranium 233 — présentant une activité spécifique 14 000 fois supérieure à celle de l’uranium appauvri — (Bourrachot, 2009). La bioaccumulation de l’uranium étant indépendante de sa composition isotopique (Barillet et al., 2007), les différences d’effets qui auraient pu être observées lors d’une exposition à de l’233U ou à de l’appU à des concentrations d’exposition identiques seraient dues à l’effet radiotoxique de l’uranium. Bourrachot (2009) a mis en évidence une différence d’effet à faible concentration (20 µg L−1 ) mais n’a pas retrouvé de différence significative d’effet à des doses de 100 µg L−1 . Ils ont donc conclu à la prépondérance de la chimiotoxicité de l’uranium sur sa radiotoxicité.

La toxicité de l’uranium est fortement liée à sa biodisponibilité et par conséquent, à sa spéciation chimique. Ainsi, selon Fortin et al. (2004) et Markich et al. (1996), la bioaccumulation ainsi que la toxicité de l’uranium seraient proportionnelles à la concentration et à la biodisponibilité en ion uranyle (UO2+2) libre dans le milieu. L’ion uranyle peut se retrouver sous forme libre dans le milieu via la dissolution de composés solubles tels que le nitrate d’uranyle (UO2(NO3)2), le chlorure d’uranyle (UO2Cl2) ou encore l’acétate d’uranyle (UO2(CH3- COO)2) par exemple (WHO, 2001). Différentes études ont montré que la toxicité de l’uranium diminuait d’une manière générale avec l’augmentation du pH, de la dureté, de la concentration en carbonate et en phosphate du milieu. Ainsi, plusieurs études ont démontré que la toxicité de l’uranium sur les plantes est dépendante de la concentration en phosphate du milieu (Misson et al., 2009; Tailliez et al., 2013). Ces résultats sont concordants avec ceux observés lors d’expériences préliminaires sur C. elegans exposé à de l’uranium sur un milieu riche en phosphate (Dutilleul et al., 2013). De même, Zeman et al. (2008) ont démontré que la toxicité de l’uranium sur D. magna diminue fortement avec l’augmentation du pH (CL50 plus faible à pH 7 qu’à pH 8). Ces résultats sont concordants avec ceux de Fournier et al. (2004) qui avaient mis en évidence une diminution de la sensibilité du bivalve Corbicula fluminea à l’uranium avec l’augmentation du pH. Cette diminution de la toxicité en fonction de l’augmentation du pH serait due à une augmentation de la complexation des ions uranyles par les carbonates et les hydroxydes du milieu (Fortin et al., 2004).

Les effets de l’uranium sur l’environnement ont été étudiés à plusieurs reprises, tant sur les organismes aquatiques, que sur des organismes inféodés au sol ou des vertébrés terrestres. Sheppard et al. (2005) ont ainsi établi des PNEC (predicted no effect concentrations) à partir de la littérature existante. Ces auteurs ont établi une PNEC pour les plantes terrestre à 250 mg kg−1 , une PNEC pour les autres biotopes du sol à 100 mg kg−1 , une PNEC pour les plantes et les invertébrés d’eau douce à 0,005 mg L−1 et une PNEC pour les organismes benthiques à 100 mg kg−1 de sédiment sec. Zeman et al. (2008) ont étudié l’effet de l’uranium sur D. magna pour deux valeurs de pH différentes. Ces auteurs ont trouvé, à 48 h, une CL50 = 390±40 µg L−1 à pH 7 et une CL50 = 7, 8±3, 2 mg L−1 à pH 8. Ces résultats sont concordants avec ceux de Poston et al. (1984) qui ont trouvé, à 48 h, une CL50 = 5, 3 mg L−1 à pH 7,6 et une CL50 = 7, 6 mg L−1 à pH 8,1. Sur le nématode de type sauvage C. elegans souche N2, Jiang et al. (2009) ont mis en évidence une CL50 = 66, 9±30, 9 µM U (≈ 15 ± 7 mg L−1 ) à 24 h et Dutilleul et al. (2013) une CL50 = 1, 71 mM U (≈ 407 mg L−1 ) à 48 h (IC 95% = 1,62-1,80 mM U). Concernant ces études, la différence dans le niveau de réponse pourrait être expliquée par une biodisponibilité différente de l’uranium, liée à la physico-chimie des matrices d’exposition. En effet, Jiang et al. (2009) ont exposé leurs individus durant 30 minutes en milieu liquide alors que les individus étudiés par Dutilleul et al. (2013) ont été exposés sur un milieu gélosé. L’uranium affecte donc la survie des organismes tant aquatiques que terrestres dans des gammes allant des microgrammes aux milligrammes par litre en milieu liquide et pouvant attendre plusieurs centaines de milligramme par litre en milieu solide (gésole par exemple). Il est néanmoins possible de retrouver des effets précoces à des concentrations bien plus faibles. Ainsi, des essais de courte durée (5 heures), réalisés sur le bivalve Corbicula fluminea ont mis en évidence une concentration entrainant 50% de fermeture de la valve (EC50) de 0,05 µM U (≈ 11 µg L−1) à pH 5,5 et de 0,13 µM U (≈ 31 µg L−1) à pH 6,5 (Fournier et al., 2004).

Les effets de l’uranium ont également été analysés lors d’expositions chroniques. Poston et al. (1984) ont étudié les effets de l’uranium sur la reproduction de D. magna sur 21 jours et ont mis en évidence une réduction de la reproduction à partir de 0,52 mg L−1 . Ce résultat a été affiné par Zeman et al. (2008) qui, lors d’une étude comparable, ont observé 10% de mortalité à 100 µg L−1 et 10% d’effets sur la reproduction à 14 ± 7 µg L−1 . Une réduction significative de la masse des individus a également été retrouvée par ces mêmes auteurs à partir de 25 µg L−1 . Bourrachot et al. (2008) ont observé des résultats concordants sur le poisson zèbre Danio rerio (LOEC reproduction à 20 µg L−1 ). Une étude sur le macroinvertébré benthique Chironomus tentans a également révélé un impact sur la croissance de ce diptère avec, après 10 jours d’exposition au stade larvaire, une NOEC de 39 µg L−1 et une LOEC de 157 µg L−1 (Muscatello & Liber, 2009). Cette même étude n’a, en revanche, pas mis en évidence d’effet sur la reproduction à des concentrations d’exposition allant jusqu’à 835 µg L−1 . Dias et al. (2008) ont, quant à eux, observé à 10 jours une LOEC de 2,97 µg g−1 de sédiment sec sur la survie, le temps de développement et la croissance de larves de C. riparius. Une influence de l’uranium sur la survie du macroinvertébré benthique Tubifex tubifex a également été démontrée par Lagauzère et al. (2009) dès 599 µg g−1 de sédiment sec à 12 jours d’exposition. Cette diminution de la survie s’accompagnait d’une diminution de la biomasse totale, de l’activité de bioturbation ainsi que de l’apparition de malformations. En revanche, aucun effet sur la survie ou le poids du ver du fumier Eisenia fetida exposé durant 28 jours à 600 µg g−1 de poids sec de sol n’a été mis en évidence par Giovanetti et al. (2010). Ces auteurs ont néanmoins observé l’apparition de désorganisations tissulaires de l’épithélium intestinal dès 300 µg g−1 pour des individus exposés durant 7 jours. Enfin, de rares études, se sont intéressées aux effets de l’uranium sur des populations exposées durant plusieurs générations. Ainsi, Plaire et al. (2013) ont examiné les mécanismes impliqués dans l’augmentation de la sensibilité de D. magna à l’uranium au cours des générations. Ces auteurs ont analysé l’accumulation des dommages à l’ADN au cours des générations par utilisation d’une technique de RAPD-PCR (random amplified polymorphic DNA et PCR en temps réel). Ils ont mis en évidence une transmission des dommages accumulés à la descendance concomitante avec une augmentation de la sévérité des effets sur les traits d’histoire de vie (survie, croissance, fécondité) au cours des générations. Beaudouin et al. (2012a) ont, quant à eux, étudié la réponse évolutive de populations de C. riparius exposés durant huit générations à une gamme de concentrations en uranium (de 0 à 128 µg g−1 de sédiment sec). Les auteurs ont mis en évidence une NEC de 28,3 µg g−1 de sédiment sec ainsi que l’apparition d’effets sur la croissance et la reproduction impliquant une sélection phénotypique au sein de la population via une survie différentielle. De même, Dutilleul (2013) a exposé des populations de C. elegans à 1,1 mM (262 mg L−1 ) d’uranium durant 22 générations. Cette expérience d’écotoxicologie évolutive a permis de démontrer que la stratégie d’évolution mise au point par C. elegans en présence d’uranium implique une sélection d’individus présentant une fertilité élevée, une croissance plus rapide, ainsi qu’un temps de génération plus court. Cette sélection a aussi induit une réduction de la valeur sélective de la population exposée à l’uranium (via une réduction de la diversité génétique par élimination des génotypes les plus sensibles). Ainsi, une forte réduction de la variance génétique, et par conséquent de l’héritabilité des caractères, a également été mise en évidence par Dutilleul (2013) en appliquant la technique des lignées isofemelles (Cf. revue par David et al. 2005) à C. elegans exposé à de l’uranium. Une exposition chronique à des doses sublétales d’uranium entraine donc l’apparition d’effets indésirables à des concentrations de l’ordre du micro-gramme par litre pour les écosystèmes aquatiques (à partir d’environ 10 µg L−1 pour les organismes aquatiques et environ 3 µg g−1 de sédiment sec pour les organismes inféodés au sédiment). Les organismes inféodés au sol présentent, quant à eux, une sensibilité plus faible à l’uranium avec une apparition d’effets à partir de plusieurs centaines de micro-gramme par gramme.

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Table des matières

Introduction générale
Partie 1 État des connaissances
I Uranium
I.1 Propriétés et utilisations
I.2 L’uranium, écotoxicité
II Biologie de Caenorhabditis elegans
II.1 Écologie
II.2 Développement
II.2.1 Embryon
II.2.2 Stade larvaire
II.2.3 Développement en conditions défavorables
II.3 Reproduction
III Caenorhabditis elegans en écotoxicologie
III.1 Outils et milieux d’études
III.1.1 Les matrices d’étude
III.1.2 Les outils d’étude
III.2 Effets et réponses de C. elegans aux métaux lourds
III.2.1 Les effets moléculaires
III.2.2 Les effets individuels
III.2.3 Les effets sur les populations
III.2.4 Les métaux lourds, des réponses biphasiques
III.2.5 Les métaux lourds, l’importance du stade d’exposition
IV Étude de l’évolution
IV.1 Les processus évolutifs
IV.2 Évolution expérimentale
IV.3 Évolution en condition de stress
V Modélisation mécanistique au niveau individuel en écotoxicologie
V.1 Modélisation des effets sur les individus : approches toxicocinétique / toxicodynamique
V.1.1 Toxicocinétique
V.1.2 Modèles toxicodynamiques en écotoxicologie
V.2 Les modèles bioénergétiques
V.2.1 Les théories bioénergétiques majeures : DEB et MTE
V.2.2 La théorie DEB
V.3 Les modèles toxicodynamiques appliqués à l’analyse des perturbations bioénergétiques
V.3.1 Méthodes basées sur le modèle DAM
V.3.2 Modèle à seuil de concentration sans effet : le modèle DEBtox
V.4 Modélisation DEBtox appliquée à C. elegans
Partie 2 Matériels et méthodes générales
VI Origine et maintenance de notre population d’étude
VI.1 Population d’intérêt et conditions de maintenance
VI.1.1 Population étudiée
VI.1.2 Maintenance de la population
VII Estimation des paramètres et analyses de modèle
VII.1 L’estimation des paramètres, la méthode Bayésienne
VII.1.1 Les méthodes d’inférence
VII.1.2 L’inférence Bayesienne
VII.1.3 Distributions a priori
VII.1.4 Méthodes d’échantillonnage en Bayesien
VII.1.5 Logiciel JAGS
VII.2 Analyses du modèle
VII.2.1 Analyse d’incertitude
VII.2.2 Analyse de sensibilité
Partie 3 Résultats
VIII Exposition multigénérationnelle de C. elegans à de l’uranium
VIII.1 Présentation du chapitre
VIII.2 Plan expérimental succinct
VIII.3 Matériel supplémentaire
Conclusion générale 

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