L’Un-mesuré, solitude et infini en consultation médicale

« Regarder, regarder encore, regarder toujours, pour enfin parvenir à voir « . J.-B Charcot .

Au nom de quoi, et au nom de qui, puis-je décrire et valider l’expérience professionnelle d’une vie de médecin, qui n’aurait eu de ressort qu’une pratique médicale, même jugée de qualité ? Dans la pratique que j’accomplis, existerait-il des racines que je n’ai pas vues, ou que je ne sais plus, et qui pourraient peut-être mieux ancrer l’histoire de mon dit ? D’ailleurs, que veux-je dire ? De quoi veux-je témoigner ? Est-ce à propos d’une supposée compétence médicale, dans des circonstances ou des façons de faire, ou s’agit-il aussi, d’un en plus, ayant trait, origine, et lien avec qui je suis ? Avec quelque chose que je sais, sans avoir jamais osé me le dire ? Qu’est-ce qui m’a fait médecin et devenir ce médecin ? Les patients, oui, et qui, et quoi ? Qu’est-ce qui pourrait valider la raison de mon récit, de mon approche, de mon écriture philosophique, avant même de commencer d’envisager de m’élancer ? Qu’est-ce qui ne tient, qu’à moi, d’origine ?

Aussi, et de fil en fil, j’en finis par m’interroger sur ce qui pourrait avoir été une première marque indiscutable, reconnue ainsi par moi, comme fondatrice de ma particularité d’être. Je suis alors face à ce sentiment du temps passé et celui de la finitude, retournant aux moments accomplis et conservés, m’essayant à ceux oubliés ou refoulés, pour tenter de m’approcher des sources, de mes sources, ce qui, par ailleurs, me donne une curieuse impression, car s’il y a une multitude d’impacts et de revécus, chacun d’eux se noie dans un ensemble, y perdant en partie, et sa spécificité de qualité et celle de son intensité. Comme devant un indéterminé, que je sens plus que je ne regarde.

Je me pose cette question préalable, première, immobile dans des jours qui se suivent. Sans réponse autre que celle de la tension d’une attente. Et puis, je ne cherche plus, je n’attends plus, je laisse venir, suspendu de tout moi en un point qui s’allège, et se vide pour laisser place. Je suis prêt.

Comme dans un hasard qui survient en une nécessité, quelque chose apparaît et lentement se dévoile, telle une lumière dans des liens enchevêtrés, comme en une éclaircie et un point scintillant qui grandit, effiloche et déstructure gaiement l’ensemble du sombre, l’allégeant alors d’une déchirure irrémédiable et joueuse. Comme dans un sourire, qui se donne et qui me prend :

J’ai une vie, voici comment, pour moi, elle a commencé. Avec les palmiers.

Les palmiers ?
Oui pour moi, ce sont les palmiers, c’est comme cela que je me souviens, c’est le premier de mes souvenirs, celui qui demeure d’un avec moi. Celui qui a été une accroche, un point de départ, celui qui a été une authentification rassurée de ma présence à moi, celui de mon premier vrai étayage, celui de la réalité de mon premier mouvement vers. Ma première é-preuve, d’une altérité qui m’a aidé à être à mes yeux, dans toute cette impression de vie qui soudain me réapparaît. De ce brouhaha de mes toutes premières vies, qui, présentes, me reviennent à l’esprit, je ne me souviens pas de ma présence, une, associée à celle d’un moi identifié. Dans ce remugle, ce torrent, j’ai seulement le souvenir d’avoir senti, et j’ai le sentiment d’avoir existé dans un tumulte d’émotions diverses. Je me souviens de mon corps, ému et traversé. Je me souviens, ainsi, et au-delà de ces peurs qui ont baigné mes premiers instants, avoir appris à construire des fils et des liens, pour pouvoir, en partant de ce maelström d’effluves et de mouvements intérieurs accompagnant mes sentis, parvenir à suffisamment les analyser pour en faire des perceptions, c’est-à dire des débuts d’identifications, m’apprenant ainsi et me répétant, pour finir par les regrouper en des premières catégories ressemblantes. Je suis ici, dans ma toute première vie.

J’ai appris à vivre ainsi, dans l’odeur des corps présents qui me frôlaient, et, de cette immensité échogène et contradictoire que je sentais en moi, je vivais de désirs et de peur. Tout, je m’en souviens, m’allait trop vite, ne me laissant ni le temps suffisant à l’analyse, ni celui d’une intégration psychique complète, du monde dans lequel je me trouvais ; ni de celui, aussi, qui se vivait en moi, par la rencontre de mes sens.

J’étais si souvent bousculé, à peine au fait d’une connaissance d’un sens identifié, dans cette congruence d’émotions qui semblaient aussi infinies que tumultueuses. Je cherchais à être, d’abord, comme chez moi, en me connaissant et sans peur, avant de pouvoir me présenter au monde qui m’entourait. Ma maison se voulait déjà être celle de mon corps, content de lui et contenant. Je ne fus ainsi, durant cette longue période qu’a été ma toute première enfance, qu’une tentative d’inscription dans une vibrance de survie.

Et je voyais les autres en ayant le sentiment de ne pas être vu, comme si personne, dans ce premier temps tout du moins, qui me regardait, me touchait, me parlait, n’évoquait dans un miroir qui me ressemblait, cette présence que je sentais par moments comme mienne, proche, et toujours comme dans la distance un peu trop éloignée, d’une portée de main. J’existais, ou tout du moins j’essayais, me ramassais, me compactais, sans encore trouver une altérité ressentie qui puisse me conforter. Sans un autre, pour me permettre le premier pas. De ces premiers moments, comme toujours en retard dans ce présent qui me bousculait, je finis par ne plus bouger, en moi. J’ai, alors, était-ce seulement par peur, choisi la seule façon de subsister qui me fut possible : je décidai de fermer les yeux, et de rester volontairement aveugle. Je fis donc mine de dormir, longtemps, presque dans un tout du temps.

Mon lit d’enfant se trouvait sous une fenêtre située au rez-de-chaussée, de plein pied avec la rue, et la pièce où je vivais était presque toujours dans une pénombre froufroutante d’ombres qui se profilaient, intermittentes, par l’interstice entrebâillé des lourdes persiennes de métal. J’étais derrière, près du sol, et la vie était dehors, faite de bruits.

Divers, étranges, fusionnés, violents, quelquefois totalement inattendus et me faisant sursauter… Séduisants, intrigants ou effrayants, ils prenaient tous et chacun dans leur répétition rythmée, une place en moi, comme des invités qui se présentaient à ma porte, tout d’abord en une attente d’une sorte de reconnaissance aléatoire, animale, reniflante, avant que d’être acceptés.

Le sommeil éveillé fut ce jeu où longuement je m’occupais d’eux, les bruits, dans une cécité qui était à la fois repos et à la fois voyage, et dans laquelle ma liberté de vie appris précautionneusement à s’ouvrir et à se déployer. Je voyageais ainsi longtemps, circulant dans le dédale de mes sous-sols intérieurs, et de ce sombre qui s’éclairait, une vie s’organisait et se structurait, dans une intériorité qui, encore, se dissimulait. En quelque sorte, ces tout premiers moments de vie, qui furent certes marqués d’impossibilité, furent peut-être aussi une forme de préparation à ma présentation au monde, comme si, déjà, cette future première rencontre, fut attachée à une imposante ritualité. Je construisais ainsi inlassablement dans l’attente de cette première présentation officielle à moi et au monde (les deux se devant d’une simultanéité de reconnaissance). Les choses devinrent ainsi des échos de mieux en mieux identifiés, et moi, soulagé de les reconnaître, je les classais, à la fois proches et différents dans leur résonnance, chacun ayant un placement qui lui semblait naturel, en un endroit de mon corps. Et plus je pratiquais, et plus les nuances faisaient les différences, et plus le classement s’affinait. J’ai appris mon monde les yeux fermés, et en l’apprenant, je me suis appris. Mais un voile, un hors-portée, toujours, semblait m’empêcher.

Et puis un jour fut un dehors, la prémisse d’un jour « où je sortis de mon intimité » . Comme dans l’apparaître de la figure d’autrui, qui ici fut, aussi, moimême. Le soleil pointait et nous étions le matin. Ma mère s’était levée heureuse, comme déjà emplie d’un bonheur. Nous sommes sortis, dans ce qu’il me sembla être, comme dans une première fois. Ébloui et radieux du vent, du mouvement, de la lumière, et du soleil vite aperçus, ainsi que d’autres ombres flottantes qui passaient au loin, je commençais comme d’habitude à fermer les yeux, si peu endormi et en éveil, avide. Les perceptions me venaient de toutes parts, et se canalisaient en moi, et en ma pratique d’aveugle. Je continuais d’apprendre pendant le chemin, à explorer, à reconnaitre, mes sensations, et mes perceptions. Cela dura à peine, me semble-til. Nous sommes rentrés à l’appartement. J’avais gardé les yeux fermés. Mais j’étais content et j’avais souri, en moi, les yeux brillants derrière les paupières. De nouvelles sensations formidables venaient de me combler et j’avais soif du travail qui m’attendait une fois rentré. Se souvenir de tout, ne rien laisser se perdre, revivre, ressentir à nouveau la qualité des émotions que les perceptions avaient créée, je passais le temps suivant dans la jouissance et l’effroi joyeux de ces moments, comme s’ils étaient déjà imprimés dans mon corps, comme tel ou tel mouvement de la poussette, ce mouvement de main de ma mère sur ma couverture, ce bruit étrange et inattendu venant du chemin. Cela paraissait, et me paraissait, comme dans un inouï.

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Table des matières

INTRODUCTION
Prologue
Corps et origine
Un après-face
Les palmiers ?
Mon approche philosophique
Introduction
Les débuts
Quelle pratique médicale ?
Comment pouvoir dire ?
L’écriture et son outil
Chapitre Premier
Le lieu des corps en présence
Le lieu, avant d’entrer
Un homme est entré
Le lieu, avant de sortir
Mon premier pas
En matière et en mouvement
Une première poignée
Chapitre 2
Vécus et pensées autour d’une clinique
1. Les vécus
Un corps qui devient étranger
1. Les impressions de la première rencontre
Son impression
Mon impression
Une impression qui dure
Un autre qui s’installe en nous
Un mois plus tard
Première temporalité de mon corps soignant
Une narrativité qui dénoue
2. Qu’entendre et penser ?
Un accord de principe
Le sens, l’écoute, l’action
La parole des corps
Quelle idée de l’action ? Quels outils ?
Les mots du soin
Un être-ensemble
3. La recherche du mal
À propos de l’examen des corps
Aller à sa rencontre
Tout va bien
Un apparaître corpo-réel
CONCLUSION

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