L’économie d’énergie est devenue l’une des principales préoccupations de cette décennie. Les appareils électroménagers que nous trouvons sur le marché répondent désormais à des normes environnementales, les habitations sont pensées pour limiter les pertes de chaleur, et l’éclairage occupe une place majeure dans ces préoccupations. Que ce soit au travail ou à la maison, la lampe est devenu un objet incontournable… Que ferions-nous sans lumière?
Depuis quelques années, nous avons pu voir arriver sur le marché des lampes de nouvelle génération remplaçant progressivement les lampes à incandescence classiques. Il s’agit des lampes fluorescentes compactes (ou fluocompactes), reconnaissables à leur forme torsadée. Elles portent aussi la nomination « basse consommation » car elles consomment moins d’énergie pour autant de lumière rendue que les lampes à incandescence. Ces nouveaux systèmes requièrent l’utilisation de matériaux luminescents, les luminophores, qui sont connus depuis fort longtemps. Leur développement a débuté entre la fin du XIXe s. et le début du XXe s. lorsque Lenard et al. ont montré que certaines matrices peuvent émettre une lumière visible grâce à l’introduction d’impuretés métalliques. Ces centres luminescents sont appelés communément dopants.
Les luminophores désignent l’ensemble des matériaux solides qui émettent de la lumière visible grâce à un dopant qui peut être un élément de transition ou une terre rare, et un apport énergétique extérieur sous forme de rayonnement. Cette irradiation permet l’excitation des électrons de la couche externe du dopant qui, en revenant à l’état fondamental, restituent l’énergie absorbée sous forme de photons visibles. Le terme de luminescence a été inventé par l’allemand G.H. Wiedemann en 1888 et caractérise toute émission lumineuse émanant d’un corps sous l’effet d’une perturbation d’une réaction chimique (c’est la chimiluminescence) ou d’un processus physique, tel que le bombardement par des particules énergétiques ou l’application de contraintes (un broyage par exemple). Dans le cas des dispositifs d’éclairage, la source d’irradiation est constituée de photons UV. C’est la photoluminescence. Sous ce terme, deux mécanismes différents sont regroupés : la fluorescence et la phosphorescence. Le premier correspond à une émission spontanée qui ne dure que le temps de l’excitation (à l’échelle de la perception humaine), et le second engendre une émission visible persistante après la fin de l’excitation. Les luminophores pour lampes fluorescentes et DEL ne sont sujets qu’à la fluorescence.
Concernant les luminophores pour les dispositifs d’affichage et d’éclairage, il existe une multitude de matériaux. Compte tenu de leurs propriétés optiques qui leur confèrent la possibilité de produire une émission à caractère monochromatique, chaque terre rare est utilisée en fonction de la couleur désirée. De fait, l’europium trivalent est utilisé dans certaines matrices pour obtenir un luminophore rouge, ou encore le terbium sera utilisé dans un autre composé pour avoir une émission verte. Les lampes fluorescentes reposent sur le principe de synthèse additive des couleurs et nécessitent alors l’utilisation de luminophores bleu, vert et rouge pour obtenir une émission blanche. Il est donc possible de reconstituer le spectre visible à partir de plusieurs matériaux.
Les lampes fluorescentes
Historique
Depuis les travaux de Joseph Swan et Thomas Edison en 1879 à qui l’on doit la lampe à incandescence, les progrès en matière d’éclairage n’ont cessé dans le but de satisfaire les besoins de notre vie quotidienne. La lampe à filament de tungstène tend à disparaître et est progressivement remplacée par la Lampe Fluorescente Compacte (LFC), ou fluocompacte, et les Diodes Electroluminescentes (DEL). Les premiers tubes à décharge plasma furent inventés en 1857 par Geissler, qui dans un tube en verre, introduisit un gaz rare mélangé à une vapeur de mercure ou une autre substance ionisable tel que le sodium. La mise sous tension et le flux électrique engendré provoquent la formation d’un plasma, qui va alors émettre une lumière dont la couleur dépend des gaz utilisés. En 1859, Becquerel introduisit des luminophores dans ces dispositifs, créant ainsi la première lampe fluorescente, mais qui ne se développa pas du fait du faible rendement lumineux. En 1895, Edison fabriqua également une lampe sur le même principe en enduisant de tungstate de calcium l’intérieur d’un tube à rayons X. Si l’efficacité lumineuse était bien supérieure à celle d’une lampe à incandescence, la dangerosité des rayons X a définitivement écarté ce procédé. En 1916, le français Claude inventa la lampe néon, et la General Electric Company déposa un brevet en 1938 pour une lampe dotée de sulfure de zinc dopé au manganèse comme luminophore, avec un plasma formé d’un mélange d’argon, de néon et de mercure. Entre temps, en 1931, fut fondée la Compagnie Internationale de l’Eclairage (CIE), qui établit des normes de rendu de couleurs en tenant compte de la perception de l’œil humain. Tous ces évènements majeurs marquèrent le début du développement des luminophores et des lampes fluorescentes, qui nous conduisit aux LFC.
Description et fonctionnement
Une LFC, telle que nous en utilisons quotidiennement, consiste en un tube fluorescent enroulé sur lui-même (cf. Figure 1.1). Ces tubes sont de nos jours maladroitement appelés « néons ». La différence entre un tube néon et un tube fluorescent est que le premier fonctionne grâce à une décharge dans du néon, lui conférant une émission rouge, alors que le second utilise la décharge du plasma pour exciter les luminophores présents sur la paroi interne (cf. Figure 1.2). Ce plasma est composé d’un mélange basse pression d’argon et de mercure qui produit des photons UV. Les luminophores forment un dépôt sous forme de poudre blanche très fine, recouvrant la paroi interne de l’ampoule sur une épaisseur de quelques dizaines de micromètres (les grains ayant une taille moyenne de 5 micromètres). L’excitation de ces matériaux se fait dans l’UV et les luminophores retransmettent l’énergie absorbée en une couleur visible qui leur est propre. Il existe plusieurs luminophores pour chaque couleur primaire, et d’autres luminophores émettent également des couleurs telles que l’orange ou le rose. L’obtention d’une lumière blanche est due à la synthèse additive des couleurs et nécessite la combinaison de plusieurs luminophores. Le mélange le plus commun est composé des matériaux Ba1-xEuxMgAl10O17 (bleu), La1-xyCexTbyPO4 (vert) et Y2-xEuxO3 (rouge). Pour adapter la couleur d’émission de la lampe, il suffit donc de modifier la composition de la couche de luminophores.
Les électrodes présentes aux extrémités du tube sont identiques : chacune consiste en un filament de tungstène enrobé par un matériau émetteur d’électrons (oxyde à base de strontium, calcium ou encore baryum). Lors du fonctionnement, la première étape est l’échauffement du matériau qui va émettre des électrons. Sous la différence de potentiel qui est bien contrôlée, les électrons sont accélérés dans une direction donnée. Ils acquièrent une énergie cinétique qui augmente progressivement, et lorsqu’ils rencontrent un atome de mercure, celui-ci se retrouve excité et son retour à l’état fondamental génère des photons UV à 254 nm. Les électrons continuent d’être accélérés, et de ce fait certains d’entre eux, lorsqu’ils rencontrent un atome de mercure, le font passer à un état excité plus haut en énergie, et le retour à l’état fondamental s’accompagne d’une émission de photons UV à 185 nm. Sur la totalité de l’émission UV, l’émission à 185 nm ne représente que 10% de l’intensité, le reste étant à la longueur d’onde de 254 nm. Une lampe fluorescente compacte est également dénommée « basse consommation » car elle possède un rendement énergétique jusqu’à six fois supérieur à celui d’une lampe à incandescence. Dans ces lampes, une partie de l’énergie électrique introduite est convertie en rayonnement UV (65 %), le reste étant dissipé sous forme de chaleur. L’efficacité de conversion du rayonnement UV en rayonnement visible par les luminophores est d’environ 40%. Au bilan, 25% de l’énergie électrique est donc convertie en énergie lumineuse.
Fabrication d’une lampe fluorescente
Le procédé de fabrication des lampes comporte plusieurs étapes, que ce soit pour une lampe fluocompacte ou un tube fluorescent. Une couche d’alumine de quelques micromètres est d’abord déposée à l’intérieur de l’ampoule. Le dépôt des luminophores doit être fait d’une manière homogène. Pour cela, les poudres sont mélangées à un liquide organique, et la barbotine est ensuite appliquée sur la paroi interne. Afin d’éliminer totalement la phase organique, l’ampoule est calcinée à haute température (environ 600°C) sous air durant quelques minutes. Cette étape, qui permet également l’adhérence des luminophores à la paroi, est appelée le baking. Enfin, l’ampoule est munie d’électrodes puis mise sous vide secondaire pour éliminer l’air, puis le gaz rare et le mercure sont introduits, et la lampe est scellée.
Normes d’émission pour lampes fluorescentes
Les luminophores régissent les performances d’une lampe qui sont caractérisées par l’intensité lumineuse, mais également par la couleur émise. Ces grandeurs doivent donc être quantifiées de façon absolue.
Flux lumineux
Le flux lumineux des lampes fluorescentes est donné en lumen (lm). Par définition, 1 lumen correspond au flux lumineux émis dans un angle solide de 1 stéradian par une source ponctuelle uniforme située au sommet de l’angle solide et dont l’intensité vaut 1 candela. La candela est l’intensité lumineuse, dans une direction donnée, d’une source qui émet un rayonnement monochromatique à 555 nm et dont l’intensité énergétique dans cette direction est précisément 1 / 683 watt par stéradian [3]. Pour les dispositifs d’éclairage et d’affichage, il est également fréquent de parler de luminance, qui s’exprime en Cd.m-2 , et qui correspond au rapport entre l’intensité d’une source étendue dans une direction et l’aire apparente de cette source vue dans la même direction.
Par la suite, lors des mesures de fluorescence sur les échantillons, nous n’utiliserons pas ces unités, mais le terme d’intensité de photoluminescence (PL) pour désigner l’aire des spectres d’émission (calculée sur le domaine visible), et nous les comparerons à celle d’un étalon.
Colorimétrie
L’intensité émise par un luminophore n’est pas le seul critère dont il faut tenir compte. La couleur doit également répondre à certaines normes et sa mesure équivaut à celle de la longueur d’onde émise. Cependant, les spectres d’émission des luminophores ne sont pas constitués uniquement d’un pic donnant une longueur d’onde spécifique, mais d’un ensemble de raies ou de bandes plus ou moins larges. Aussi, si la couleur majoritaire est déterminée par la raie la plus intense, la sensation éprouvée par l’observateur ne se limite pas à cette seule longueur d’onde. L’évaluation de la couleur est subjective et varie d’un observateur à un autre. La Commission Internationale de l’Eclairage (CIE) a mis en place un système muni de coordonnées dites chromatiques, et dans lequel la couleur perçue est positionnée. Il existe plusieurs systèmes de coordonnées, comme celui appelé « RVB » (Rouge Vert Bleu) mais que nous n’utiliserons pas. Nous préférerons le système « XYZ » établi en 1931. A partir du spectre d’émission, il est possible de calculer les coordonnées chromatiques qui se positionneront sur un diagramme de chromaticité établi par la CIE.
Matériaux luminescents : généralités
Matrice hôte et dopant
Nous nous intéressons uniquement ici aux matériaux cristallins inorganiques. Un luminophore est constitué d’un réseau hôte et d’un ou plusieurs dopants qui sont introduits, en général en substitution d’un ion de la matrice d’accueil et qui sont à l’origine de la luminescence par la mise en jeu de leurs transitions électroniques. Notons par ailleurs que dans certains matériaux, il n’est pas nécessaire de réaliser un dopage pour obtenir une émission visible (ZnO par exemple, qui émet dans le vert grâce à ses défauts), mais cela ne constitue pas l’objet des travaux présentés ici. Les éléments pouvant émettre une lumière visible sont nombreux, et l’on compte parmi eux certains éléments de transition, des métaux nobles, les terres rares et l’uranium. Les matrices d’accueil sont également nombreuses et de diverses natures: oxydes, fluorures, phosphates, sulfures.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE 1 LUMINOPHORES ET LAMPES FLUORESCENTES
1.1 Les lampes fluorescentes
1.1.1 Historique
1.1.2 Description et fonctionnement
1.1.3 Fabrication d’une lampe fluorescente
1.1.4 Normes d’émission pour lampes fluorescentes
1.1.4.1 Flux lumineux
1.1.4.2 Colorimétrie
1.2 Matériaux luminescents : généralités
1.2.1 Matrice hôte et dopant
1.2.2 Mécanismes de luminescence
1.2.2.1 Absorption
1.2.2.2 Transitions radiatives
1.2.2.3 Transitions non radiatives
1.2.2.4 Transfert d’énergie. Exemple du LAP:Ce3+,Tb3+
1.2.2.5 Modèle du diagramme de configuration
1.3 Propriétés optiques des terres rares
1.3.1 Configuration électronique
1.3.2 Transitions intraconfigurationnelles. Exemple du YOX:Eu3+
1.3.3 Transitions interconfigurationnelles. Exemple du BAM:Eu2+
1.4 Synthèse des luminophores
1.4.1 Les différentes étapes de synthèse
1.4.2 La synthèse assistée par fondant
1.5 Présentation du système étudié – le BAM:Eu2+
1.5.1 Structure cristalline
1.5.2 Synthèse du BAM
1.6 Problématiques
1.6.1 Influence de fondants sur les performances lumineuses
1.6.2 Dégradation du BAMEu sous baking
1.6.3 Vieillissement dû à l’utilisation
Bibliographie du chapitre 1
CHAPITRE 2 EFFETS DES FONDANTS
2.1 Introduction
2.1.1 Systèmes étudiés
2.1.2 Interaction chimique fondant/matériau
2.1.2.1 Détection de phases secondaires
2.1.2.2 Détection de résidus de fondant
2.2 Propriétés microstructurales
2.2.1 Notion de cristallinité
2.2.2 BAMEu sans fondant
2.2.3 BAMEu avec fondants
2.2.3.1 Résultats
2.2.3.2 Discussion
2.3 Propriétés structurales en fonction du fondant
2.3.1 Evolution des paramètres de maille
2.3.2 Evolution des taux d’occupation
2.3.2.1 Distribution de l’europium
2.3.2.2 Influence de LiF
2.3.2.3 Influence de NH4F
2.3.2.4 Influence de MgF2
2.4 Bilan des propriétés structurales et microstructurales
2.5 Propriétés optiques
2.5.1 Positionnement des niveaux d’énergie de Eu2+
2.5.2 Rendements de luminescence
2.5.3 Spectres d’émission
2.5.3.1 Coordonnées CIE et décomposition des spectres
2.5.3.2 Temps de vie
2.5.4 Spectres d’excitation
2.6 Conclusion
A.II Annexes du chapitre 2
A.II.i Indexation des échantillons
A.II.ii Résultats des analyses Rietveld pour les divers fondants
A.II.iii Diffractogrammes et valeurs de RBragg
Bibliographie du chapitre 2
CHAPITRE 3 DEGRADATION DE LA LUMINESCENCE SOUS BAKING
3.1 Introduction
3.1.1 Etudes antérieures
3.1.2 Schéma d’étude : influence du temps de baking et de la vitesse de refroidissement
3.2 Propriétés optiques en fonction des paramètres d’étude
3.2.1 Rendements de luminescence et microstructure
3.2.2 Diminution des centres émetteurs
3.2.2.1 Signal d’émission de Eu3+
3.2.2.2 Evolution de la quantité d’Eu2+ : étude RPE
3.2.3 Spectres d’excitation et d’émission
3.2.3.1 BAMEu sans fondant
3.2.3.2 BAMEu + 2% LiF
3.3 Caractérisations par DRX
3.4 Etude de la surface des grains
3.4.1 Etudes antérieures par mesures XPS sur BAMEu
3.4.2 Identification de la phase de surface
3.4.3 Evolution de la phase de surface
3.4.4 Influence de la vitesse de refroidissement
3.5 Impact de la microstructure sur la diffusion
3.5.1 Perte de PL en fonction de la surface spécifique
3.5.2 Luminescence en température
3.6 Mécanisme de dégradation : bilan
3.7 Conclusion et perspectives
A.III Annexes du chapitre 3
A.III.i Vérification de la température effective de baking
A.III.ii Résonance Paramagnétique Electronique
A.III.iii Calcul de la profondeur de pénétration en XPS
Bibliographie du chapitre 3
CONCLUSION GENERALE