L’on a souvent qualifié le silicium de matériau du siècle et son règne depuis plus de 50 ans sur l’industrie de la microélectronique a été également comparé à celui du fer sur l’industrie métallurgique durant le siècle dernier. Pour les inconditionnels du silicium, une telle assertion est plus que légitime, compte tenu des efforts portés sur ce matériau et les applications stupéfiantes qui en ont résulté depuis plus d’un demi-siècle. Depuis l’invention du transistor en 1948, nous assistons à une révolution technologico-culturelle quasi ininterrompue et sans précédent dans l’histoire de l’humanité.
Avec ses multiples formes, ce matériau « providentiel » a connu des fortunes diverses et toutes exaltantes. De la structure mono et polycristalline des années 50 et 60, on est passé à une phase amorphe « hydrogénée » en couche mince qui a accaparé d’énormes efforts durant les années 70 et 80. La présence d’hydrogène dans le plasma de dépôt des amorphes a engendré la croissance directe d’une structure nanocristalline aux propriétés électroniques et optiques remarquables, présentant de réelles potentialités d’applications en microélectronique (transistors en film mince). L’intérêt continue à être porté à toutes ces formes dont les propriétés spécifiques exceptionnelles, combinées à la parfaite maîtrise de la technologie du silicium, ont conduit au quasi monopole de ce matériau sur l’industrie de la microélectronique avec plus de 95 % du marché.
Le seul domaine qui échappe encore au silicium est celui de l’optoélectronique. Son emploi en ce domaine se heurte à deux inconvénients majeurs. Il y a, d’une part, la largeur de la bande interdite qui, à l’état massif, vaut 1,1 eV et correspond, par conséquent, à des transitions radiatives interbandes se situant dans le domaine de l’infrarouge et non celui du visible. A signaler, d’autre part, le caractère indirect des transitions en question, responsable du piètre rendement radiatif du silicium : il est 10000 fois plus faible que celui des matériaux ou composés à gap direct tels que l’arséniure de gallium GaAs, le phosphure d’indium InP, et dernièrement le nitrure de gallium GaN. Ces composés occupent jusque-là le créneau de l’optoélectronique avec la difficulté que l’on sait pour leur intégration à la technologie du silicium, sans oublier leur coût relativement élevé.
Cependant, cette situation est susceptible d’être radicalement bouleversée avec les perspectives ouvertes par la découverte de L.T. Canham, à l’aube de cette décennie, d’une émission visible et intense à température ambiante du silicium poreux obtenu par anodisation électrochimique. Cette découverte a suscité un nombre impressionnant de travaux sur le silicium poreux, donnant lieu à quelques 1500 publications recensées au début de ce travail. Des conclusions souvent divergentes ont été tirées de l’inextricable foisonnement de résultats sur le poreux, conjugués à des conditions de fabrications diverses impliquant des processus physico-chimiques fort complexes. Outre le mécanisme de confinement quantique des porteurs dû à la taille nanométrique du silicium, déjà établi pour les nanostructures III-V et IIVI à gap direct mais jamais mis en évidence jusque-là pour les semi-conducteurs à gap indirect, l’origine de l’émission lumineuse a été aussi recherchée dans des défauts radiatifs et dans des espèces moléculaires, par exemple.
Parallèlement, les études ont été vite étendues vers des systèmes similaires dans lesquels les nanostructures de silicium sont incrustées dans de la silice. Le gap élevé de la silice (8,8 eV) autorise un confinement efficace des porteurs tout en permettant de disposer d’un système plus stable et de meilleure tenue mécanique que le poreux. Différentes méthodes ont été utilisées pour l’agrégation ou la précipitation de nanoamas ou nanograins de silicium au sein de la matrice de silice. Pour ne citer que les plus courantes, nous rappelons la méthode d’implantation d’ions silicium dans la silice, celle de dépôt par décomposition de la phase vapeur assistée par plasma et ou celle de copulvérisation magnétron. A cela s’ajoutent les récentes tentatives d’élaboration de multicouches Si/SiO2, conduisant à un confinement bidimensionnel dit 2D, par contraste avec le confinement dans un grain dit 0D ou dans un filament (cas du poreux) dit 1D. Dans un grand nombre de cas, l’énergie de la photoluminescence a augmenté lorsque la taille du grain, la section du filament ou l’épaisseur de la couche de silicium a diminué. Ce constat suggère une origine provenant du confinement quantique des porteurs ; elle mérite d’être solidement confirmée et d’être accompagnée d’un éclaircissement du rôle de l’interface Si/SiO2 en ce qui concerne les propriétés photoluminescentes du silicium nanostructuré. De surcroît, une étude systématique portant sur cette nouvelle forme de silicium élaborée à l’aide de l’une des méthodes compatibles avec la technologie du silicium est devenue indispensable.
Luminescence des nanostructures de silicium
Depuis la découverte par L.T. Canham [1] en 1990 de l’intense photoluminescence émise à température ambiante par le silicium poreux, de très nombreuses études ont été consacrées de par le monde entier au silicium nanostructuré dans ses formes les plus variées et les plus sophistiquées. Le silicium cristallin massif est quasiment non luminescent à température ambiante et n’émet que très faiblement à très basse température dans le domaine de l’infrarouge, puisque sa largeur de bande interdite est proche de 1,12 eV à 300 K et 1,17 eV à 4,2 K. Il ne présente donc aucun intérêt pour la réalisation de dispositifs optoélectroniques telles que les diodes électroluminescentes ou laser. En revanche, le spectre intense du silicium poreux dans le domaine du visible obtenu à 300 K permet d’envisager une utilisation de ce matériau pour des dispositifs optoélectroniques, qui représente le double avantage d’être de bien moindre coût que les matériaux utilisés jusqu’ici (GaAs, GaAlAs, InP…) et de s’intégrer aisément à la technologie à grande échelle (Very Large Scale Integration : VLSI ) du silicium. Dans ce chapitre, nous commencerons par rappeler les propriétés électroniques et optiques du silicium massif, puis nous présenterons les principaux résultats obtenus sur les propriétés optiques du silicium poreux. Il s’agit bien évidemment, de résultats sélectionnés parmi les innombrables études qui lui ont été consacrées depuis 1990. Nous décrirons ensuite les résultats obtenus sur des structures similaires que sont les films de silice renfermant des grains de silicium obtenus par différentes méthodes. L’accent sera mis sur les nanostructures préparées par la technique de pulvérisation utilisée dans ce travail ainsi que ceux élaborés à partir de l’implantation ionique et de décomposition en phase vapeur assistée par plasma (Plasma Enhanced Chemical Vapor Deposition : PECVD).
Rappel des propriétés électroniques et optiques du silicium monocristallin massif
Le silicium est un élément simple, de numéro atomique 14, situé dans la quatrième colonne de la classification périodique des éléments de Mendéleiev, inséré entre le carbone, plus léger, et le germanium, plus lourd. Dans le cristal, les atomes de silicium occupent les nœuds d’un réseau cubique à faces centrées dont la moitié des sites tétraédriques est occupée.
La jonction d’une zone n et d’une zone p constitue une diode qui a pour propriété de ne laisser passer le courant électrique que dans un sens en raison du champ électrique qui s’établit à la jonction et qui s’oppose au passage d’un type de porteurs dans l’autre sens. La jonction d’une zone n (resp. p) et de deux zones p (resp. n) constitue un transistor pnp (resp. npn), lequel permet le passage d’un courant électrique sous l’action d’une tension entre la zone n (resp. p) et l’une des zones p (resp. n). L’intégration à grande échelle de diodes et de transistors conduit à la construction de circuits allant du plus simple amplificateur opérationnel au plus complexe des microprocesseurs. Tout semi-conducteur est susceptible d’être utilisé pour fabriquer ces dispositifs mais le silicium occupe une place hégémonique puisqu’il est utilisé dans près de 95% des circuits intégrés. Ses avantages résident dans ses caractéristiques physiques, bien évidemment, mais aussi dans sa grande abondance naturelle (il représente près du quart de la composition de la croûte terrestre, sous forme de sables siliceux et de silicates minéraux). Son oxyde, la silice, est un excellent isolant qu’il est facile de faire croître thermiquement à la surface d’une plaquette de silicium. Très demandé, se prêtant à un usinage facile et une purification aisée, le silicium est donc accessible à un prix nettement inférieur à celui des autres semi-conducteurs : un revendeur américain [3] propose du germanium ultra-pur à 2,4 $ par gramme, du gallium à 3,0 $ par gramme, et du silicium pour seulement 0,19 $ par gramme.
Le silicium poreux: élaboration et propriétés optiques
Élaboration du silicium poreux
Le processus de la fabrication du silicium poreux consiste en une attaque électrochimique (anodisation) de la surface d’une plaquette de silicium par une solution comprenant principalement de l’acide fluorhydrique (HF). Le mécanisme de formation des pores n’est pas complètement élucidé mais parmi les modèles proposés, Allongue et al. [7] suggèrent une explication ayant pour origine la formation de microdéfauts induite par l’anodisation via l’accumulation de molécules d’hydrogène qu’elle provoque, et que ces défauts subissent à leur tour une attaque préférentielle par la solution. Le type d’électrolyte employé a une certaine influence sur les propriétés structurales du silicium poreux : Barla et al. ont montré [8] que l’ajout d’éthanol permettait d’uniformiser la couche via une minimisation de la formation de bulles d’hydrogène lors de l’anodisation. L’électrolyte de Canham [1,9] (solution aqueuse concentrée d’acide fluorhydrique) induit la formation de silicium microporeux (taille de pores inférieure à 2 nm), alors que des solutions aqueuses diluées ou des solutions à base d’éthanol et d’acide fluorhydrique privilégient la formation d’une structure mésoporeuse (taille de pores comprise entre 2 et 50 nm) qui, par voie de conséquence, réduit la section des filaments de silicium. Outre la composition de l’électrolyte, la densité de courant [10], le type et le taux de dopage du silicium [11], la température de l’électrolyte [12] et l’éclairement [13, 14] sont des paramètres auxquels sont sensibles la morphologie des nanostructures de silicium et l’efficacité de la photoluminescence.
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1 : Luminescence des nanostructures de silicium
1. Rappel des propriétés électroniques et optiques du silicium monocristallin massif
2. Le silicium poreux: élaboration et propriétés optiques
2.1. Élaboration du silicium poreux
2.2. Propriétés du silicium poreux
2.2.1. Le matériau « brut »
2.2.2. Oxydation par traitement thermique
2.2.3. Oxydation chimique
2.2.4. Oxydation par vieillissement sous air
2.3. Dispositifs optoélectroniques à base de silicium poreux
3. Propriétés des films de silice renfermant des nanograins de silicium
3.1. Nanostructures fabriquées par copulvérisation radiofréquence magnétron
3.2. Nanostructures obtenues à partir d’implantation d’ions Si+ dans une matrice de silice thermique
3.3. Dépôt en phase vapeur assisté par plasma (Plasma-enhanced chemical vapor deposition : PECVD)
3.4. Nanostructures préparées par diverses autres techniques
3.4.1. Pyrolyse laser de silane SiH4 suivie d’une oxydation
3.4.2. Ablation laser d’un barreau de silicium suivie d’une oxydation
3.4.3. Implantation d’ions oxygène en cours d’épitaxie de silicium
3.4.4. Évaporation de silicium suivie d’une oxydation thermique
3.4.5. Évaporation de monoxyde de silicium
3.4.6. Broyage mécanique de silicium et de silice
3.5. Conclusion
Références du chapitre 1
Chapitre 2 : Les modèles d’interprétation de l’émission visible des nanostructures de silicium
1. Origine de la faible émission du silicium massif
2. Modèles sur l’origine des émissions visibles du nanosilicium
2.1. Le confinement quantique des porteurs
2.1.1.Une première approche
2.1.2. Le modèle de Brus
2.1.3. Utilisation des méthodes de calculs itératifs
2.1.4. Rôle des liaisons pendantes à la surface des cristallites
2.1.5. Confinement dans un nanograin de silicium amorphe
2.1.6. Bilan
2.2. Émission lumineuse par des défauts radiatifs
2.2.1. L’oxygène non-pontant
2.2.2. Lacunes neutres d’oxygène
2.2.3. Bilan
2.3. Modèles associant le confinement quantique et les états de surface
2.4. Autres mécanismes de luminescence : émission par des molécules
2.5. Synthèse
Références du chapitre 2
Chapitre 3 : Les techniques expérimentales
1. L’élaboration des échantillons de silice enrichie en silicium
1.1. Le bâti de pulvérisation magnétron
1.1.1. Description
1.1.2. Préparation des échantillons
1.1.3. Le processus de dépôt
1.2. Le traitement thermique des échantillons
2. Les techniques employées pour les caractérisations des couches minces
2.1. Spectroscopie de photoluminescence
2.1.1. Principe de la photoluminescence
2.1.2. Description du spectromètre de photoluminescence
2.1.3. Mesure de la durée de vie de photoluminescence
2.2. Ellipsométrie spectroscopique
2.2.1. Les grandeurs optiques
2.2.2. Principe de l’ellipsométrie
2.2.3. Analyse des résultats d’ellipsométrie
2.3. Spectroscopie d’absorption infrarouge
2.4. Microscopie électronique en transmission
2.5. Mesures de profilométrie
2.6. Spectrophotométrie optique
2.7. Spectroscopie de diffusion Raman
2.8. Spectroscopie de photoélectrons X
Références du chapitre 3
Chapitre 4 : Étude des propriétés optiques et structurales
1. Influence des conditions de recuit
1.1. Photoluminescence avant recuit
1.2. Rôle de la température de recuit
1.2.1. Photoluminescence
1.2.2. Évolution structurale
1.2.3. Corrélation structure-photoluminescence
1.3. Influence de la durée de recuit
1.4. Influence de l’atmosphère de recuit
1.5. Synthèse
2. Influence des conditions d’élaboration
2.1. Rôle de la température du substrat pendant le dépôt
2.1.1. Comportement du signal de photoluminescence
2.1.2. Spectroscopie d’absorption infrarouge
2.1.3. Spectroscopie de diffusion Raman
2.1.4. Spectres de photoélectrons X
2.2. Rôle du taux surfacique de pulvérisation du silicium lors du dépôt
2.2.1. Photoluminescence
2.2.2. Spectroscopie d’absorption infrarouge
2.2.3. Cas particulier des échantillons peu riches en silicium
2.3. Synthèse et discussion
3. Étude comparative avec des structures similaires
3.1. Comparaison avec les échantillons implantés
3.2. Comparaison avec des échantillons de silicium poreux
3.3. Étude de la décroissance de photoluminescence
3.4. Conclusion
4. Bilan
Références du chapitre 4
Conclusion