Lui, Le livre ou les paradoxes du récit
Textes « abymés »
Avant d’entamer notre l’analyse, il nous semble nécessaire de montrer avant tout comment l’auteur a partagé son livre. Notre corpus contient « deux romans », le premier, qui se retrouve comme titre à la première de couverture, s’intitule LUI, LE LIVRE ou les vieux démons d’une ville inconnue il comporte neuf (09) chapitres portant respectivement les titres suivants : 1/ Parce qu’en ce récit, Partir. 2/ Le rôle du lion. 3/ Au-delà de ce récit. 4/ La même phrase. 5/ Fille de la voix. 6/ Le rôle du chien. 7/ Il y avait un mort. 8/ Jeu de l’Absent. 9/ L’achèvement de l’Achèvement. Le deuxième roman porte le titre suivant L’AUTRE, L’AUTRE LIVRE accompagné du sous-titre ou les neuf villages de l’enfer et comporte lui aussi, non pas neuf (09) chapitres comme le premier livre mais neuf (09) histoires, prenant comme titres les noms de villages qui suivent : 1/ LE PREMIER. 2/ AKKALIS. 3/ SIDNACHAR. 4/ TASTA-GUILEF.5/ QÖM-ALLAH. 6/ DAGROUG. 7/ GOURAYENE. 8/ TIKDARINE. 9/ LE DERNIER. Ce qui est aussi intéressant à signaler c’est cet avertissement de l’auteur apposé au milieu des deux « romans ».
Le livre qui va suivre est la suite supposée de Lui, le livre, supposée et agréablement imposée par une suite étouffante d’histoires aussi peu fictives et peu nombreuses que les Neuf villages qu’elles supposent raconter, seulement raconter, d’un souffle et dans les souffles de quelques bouches agréablement violentes, excessivement hâtives, indispensablement narratives, assez peu bavardes et assez peu gourmandes pour pouvoir avaler d’autres langages que celui de l’Indispensable1 Comme le dit l’auteur, le deuxième livre est donc – même si c’est supposé – la suite du premier mais à la première lecture ce lien est difficile à établir. C’est ce que nous nous efforcerons de démontrer. Par conséquent, nous comptons analyser les deux livres indépendamment l’un de l’autre, dans un premier moment, et en réunir les enseignements dans la conclusion de ce chapitre dans un second moment. Pour le reste de l’analyse nous les (les deux « romans ») considérerons ensemble, tout en précisant bien évidemment à quelle partie du livre nous faisons allusion à chaque fois que cela est nécessaire.
Lui, Le livre ou les paradoxes du récit Tout lecteur possède et emploie des points des repères qui le guident et lui permettent de se retrouver dans les méandres labyrinthiques du récit. Ces jalons sont principalement constitués de lignes de partage, qui établissent des frontières nettes entre l’acte racontant d’une part, et ce qui est raconté de l’autre, et qui, en même temps, garantissent un ordre aussi solidement structuré pour l’ensemble du narré que pour celui de la narration1 Cette logique qui s’apparente à une doxa du récit confère au lecteur une lecture franche et droite de tous les récits et le lecteur voit en elle une certaine normalité de la narration, ce qui nous amène à dire que toute violation délibérée de cette doxa est immanquablement considérée comme une désobéissance à la norme qui peut produire des effets de bizarreries et causer l’exaspération ou l’admiration de son lecteur. Notre corpus s’inscrit justement dans cette logique de destruction, et de la narration et de l’histoire.
En effet sa diégèse est complètement éclatée, le récit-cadre qui normalement guide le sens ou du moins impose un schéma narratif conventionnel, est noyé dans une prolifération ininterrompue de récits insérés, aussi courts qu’inachevés, tout cela pris en charge par une multiplicité de voix narratives, formant ainsi des cercles qui éloignent le texte et le lecteur du centre du récit à tel point qu’il est difficile de voir où toutes ces histoires se rencontrent ou du moins de comprendre leur lien. Comment démêler cet écheveau ? Pour ce faire et dans un premier temps nous appliquerons à notre corpus une analyse dictée par les enseignements de la narratologie dont les outils théoriques ont été apportés par Gérard Genette, et dans un second temps nous nous interrogerons sur le procédé de la mise en abyme étudié entre autres par Lucien Dällenbach1.
Où est le récit-cadre ?
La diégèse de notre corpus tourne autour d’un personnage mystérieux qui a quitté sa ville pour partir à Alger travailler au port, puis et il y revient, mais on ne sait quelles sont ses motivations, ni à quel moment de l’histoire cela se passe réellement. Jamais nommé mais toujours présent dans la bouche des différents narrateurs, lui-même par moment devient narrateur, il hante le texte et les personnages par sa précence-absence. Sa vie est livrée au lecteur par bribes d’informations, morcelant ainsi tout le texte à tel point qu’il devient très ardu de reconstituer son parcours, dans la mesure où les anachronismes sont trop nombreux. Néanmoins, et même si on a cette impression que ce personnage constitue un élément important, presque central de l’histoire, comme on vient de le justifier plus haut, un paradoxe se profile.
En effet, comment considérer et comprendre le début de ce « roman » puisque le « je » dès l’entame du texte, un « je » d’ailleurs toujours anonyme, semble en même temps qu’il prend la parole, qu’il soit en train d’écrire, d’écrire peut-être l’histoire ou plutôt les histoires qui se formeront au fur et à mesure devant nos yeux. Et pour cause, les allusions à un travail d’écriture en réalisation sont nombreuses comme en témoignent ces différents passages : Bien au-delà de ce jour, c’est un chapitre jamais allé au livre.2 Perte de tout cela, tout le meilleur en récit, l’écrire, puis partir.3 Un dernier non. Un dernier saut dans l’océan. Un dernier mot : est-ce cela la raison d’être de mon récit ? Non.
Des récits dans le récit
Comme on vient de le signaler, tout le texte est tellement jalonné de petits récits des personnages que souvent le lecteur se perd entre celui qui raconte et ce qu’il raconte, ce qui l’empêche de suivre le fil de l’histoire, car ces petites histoires ou plutôt les réminiscences des narrateurs s’emboîtent, s’entremêlent et se parasitent allégrement, ce qui rend la compréhension impossible sinon très laborieuse, et c’est au prix de plusieurs relectures qu’on peut en déceler les mécanismes. La stratégie de l’auteur est donc claire, elle consiste en la multiplication des passages d’un niveau extradiégétique à un niveau intra diégétique et enfin à un niveau métadiégétique sans avertissements ni indices précis puisqu’ils se font d’une façon si brutale que le lecteur est constamment désorienté.
La narration est souvent prise en charge par des narrateurs intradiégétiques qui se passent le relais presque d’une manière incongrue et pour compliquer un peu plus les choses, les récits enchâssés véritablement s’entremêlent provoquant ainsi le vertige du lecteur. A titre d’exemple nous retiendrons pour étayer nos dires les passages suivants : Sa femme avait étendu sa plus belle robe sur sa tombe ; personne ne savait qui pouvait être le voleur ; au cours de la même semaine, sa radio avait disparu du comptoir1 Ce premier passage illustre bien cette destruction de la narration, en effet, alors que le décès d’un des personnages est raconté par un narrateur omniscient, voilà que brutalement nous basculons, certes avec le même narrateur, vers une partie d’un autre récit, celui d’un cafetier nommé Rachid dont on ne comprendra qu’il s’agit de lui qu’en arrivant au chapitre intitulé Jeu de l’Absent.
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre I : Textes « abymés »
Introduction :
1.Lui, Le livre ou les paradoxes du récit
1.1. Où est le récit-cadre ?
1.2. Des récits dans le récit
1.2.1. Rôles des métarécits
1.2.2. La métalepse
1.2.3. Les anachronies
1.3. L’Autre, l’autre livre. Quelle construction
1.3.1. Les ressemblances et les différences.
1.3.2. Récits emboîtés
1.3.3. La polyphonie
2.La mise en abyme
2.2. Mise en abyme de l’énonciation
2.1.1 Figure du lecteur
2.1.2. Mise en abyme de la lecture
2.1.3. Figure de l’écrivain
2.2 Mise en abyme de l’énoncé
2.3 Mise en abyme du code
Chapitre II : D’un texte à l’autre
Introduction :
1.L’intertextualité
2.Autour du conte
3.Le conte de Zelgoum ou la main coupée
3.1. Zelgoum démultipliée
3.1.1 Les allusions
3.1.2 L’intérêt du conte de Zelgoum
3.2. Récritures et inventions
3.Faulkner pastiché
3.1. Dédoublement des personnages
3.2. Temporalité et narration
3.3. Les monologues intérieurs
4.A l’ombre de Nedjma
4.1. La même figure féminine
4.2. Autres personnages
4.3. Aspects formels
Conclusion
Chapitre III : Mélange des genres
Introduction
1.Ecriture fragmentaire
1.2. Définition de l’écriture fragmentaire
1.3. Une organisation fragmentaire
1.4. Y a-t-il une esthétique du fragmentaire ?
1.5. L’effet-recueil
2.De la fiction à l’essai :
2.1 Définition de l’essai
2.2 Subversion du discours religieux
2.3 L’écriture entre réflexion et réflexivité
3.Allégement des canons du roman
3.1 Les personnages
3.2 Viduité de l’espace
3.3 Absence d’intrigue
3.4 Dialogue suspendu
4.Un récit poétique
4.1 Définition du récit poétique
4.2 Quels critères d’analyse ?
4.2.1. Le primat du signifiant
4.2.2. Aspect cyclique
4.2.3. La densité
4.2.4. Autres critères
5.Théâtralisation
5.1. Dialogues théâtralisés
5.2. Enchâssement d’une scène de théâtre
Conclusion
Conclusion générale
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
1- Mots clés
2- Résumé
3- Summary
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