L’ubiquitination
L’ubiquitine et les protéines ubiquitin-like (Ubl)
L’ubiquitine (Ub) est un peptide de 76 acides aminés (8,5 kDa) présents chez les eucaryotes. Cette petite protéine a été très conservée au cours de l’évolution puisque seulement trois acides aminés diffèrent de la levure à l’Homme. L’ubiquitination, ou ubiquitinylation, est le processus qui permet la liaison covalente et réversible de l’ubiquitine à un résidu lysine (K) des protéines cibles (Fig. 1) Au même titre que la phosphorylation, l’ubiquitination intervient dans la majorité des processus cellulaires, comme la dégradation des protéines par le protéasome, l’endocytose des récepteurs et l’activation des protéines (Haglund and Dikic, 2005; Herrmann et al., 2007). Bien que l’ubiquitine ne soit présente que chez les eucaryotes, la superfamille des protéines Ubl (Ubiquitin like) se retrouve dans tout le règne du vivant (Maupin-Furlow, 2013). Les Ubl n’ont pas d’homologie de séquence particulière avec l’ubiquitine, mais elles présentent une structure tridimensionnelle commune et un résidu glycine en C-terminal, dont le groupe carboxyle est le site de liaison au résidu lysine des substrats par la formation d’une liaison isopeptidique (Herrmann et al., 2007). Chez les eucaryotes, les protéines Ubl, tout comme l’ubiquitine, sont impliquées dans de nombreux processus biologiques, comme la dégradation protéasomale ou vacuolaire, l’autophagie, la régulation transcriptionnelle ou la progression du cycle cellulaire (Vierstra, 2012). Chez les procaryotes, les protéines Ubl sont principalement impliquées dans le transfert du soufre. La première protéine Ubl caractérisée en cellules de mammifères est ISG15 (InterferonStimulated Gene 15), qui ressemble à un dimère d’ubiquitine (Loeb and Haas, 1994). De plus, cette famille comprend aussi, entre autres, les protéines NEDD88 (Neural cell-expressed, Developmentally Downregulated 8) et SUMO (Small Ubiquitin-related Modifier) (van der Veen and Ploegh, 2012). Par la suite, nous nous intéresserons exclusivement aux modifications impliquant l’ubiquitine.
Le processus d’ubiquitination
L’ubiquitination fait intervenir trois enzymes, qui vont agir séquentiellement pour permettre la liaison isopeptidique entre le dernier acide aminé de l’ubiquitine (glycine 76) et un résidu lysine de la protéine cible. D’abord, une enzyme «ubiquitin activating» E1 forme une liaison thioester avec la glycine terminale de l’ubiquitine. Cette réaction nécessite la consommation d’une molécule d’ATP et induit un changement conformationnel de l’ubiquitine du côté C-terminal, qui permet son activation. Ensuite, l’ubiquitine activée est transférée sur une cystéine du site actif d’une enzyme «ubiquitin conjugating» E2. La liaison de E2 à l’ubiquitine permet de recruter une «ubiquitin ligase» E3. La E3 va finalement catalyser le transfert de l’ubiquitine activée de E2 à la protéine cible (Herrmann et al., 2007; Pickart and Eddins, 2004; Weissman, 2001) (Fig. 2). Les ligases E3 sont des protéines isolées ou des complexes multiprotéiques et sont réparties en deux classes. La première classe est distinguée par la présence d’un domaine HECT (Homologous to E6-AP Carboxyl Terminus) et la deuxième par un domaine RING (Really Interesting New Gene) finger. Les E3 de type HECT participent à la réaction catalytique en formant une liaison thioester avec l’ubiquitine, grâce à un résidu lysine conservé au sein du domaine HECT, et la transfère ensuite sur le substrat (Pickart, 2001). Ces E3 sont souvent formées par une seule grosse protéine. En outre, les E3 ligases de type RING sont de loin les plus abondantes dans la nature. Bien qu’elles n’aient aucune activité catalytique intrinsèque, elles coordonnent le transfert de l’ubiquitine sur le substrat, en s’associant aux ligases E2. Il est probable que ces E3s apportent la structure qui permet de rassembler le site actif de la E2 et la lysine acceptatrice du substrat (d’Azzo et al., 2005) (Fig. 2). L’ubiquitination de certaines protéines nécessite la présence d’une enzyme supplémentaire E4 qui favorise la formation de chaînes d’ubiquitine sur E3 (Hoppe, 2005), tandis que pour d’autres protéines possédant un domaine de liaison à l’ubiquitine (UBD), l’ubiquitination se fait sans l’intervention d’une E3 (Sorkin, 2007).
Ce système est construit comme une pyramide à la complexité accrue, puisque deux E1, trente-cinq E2 et plus de six cents E3 ont été identifiées chez l’Homme (Bhowmick et al., 2013). Ce sont donc les ligases E3 qui vont assurer la spécificité de la réaction, en sélectionnant et activant l’enzyme E2 appropriée et en recrutant le bon substrat. La dernière étape du processus d’ubiquitination est fortement régulée, par des interactions protéiques et des modifications post-traductionnelles (d’Azzo et al., 2005). Les enzymes E2 sont ellesmêmes modifiées par les protéines Ubl SUMO (Pichler et al., 2005; Wolf et al., 2003). Toutes ces régulations vont assurer une bonne synchronisation, localisation et spécificité de la réaction d’ubiquitination. Cependant, les mécanismes permettant au complexe E2-E3 d’attacher un type d’ubiquitine précis à la lysine appropriée du substrat ne sont pas encore bien compris. Des études émergentes proposent que ce sont les caractéristiques structurales globales et celles du corps catalytique des enzymes E2 et E3, qui importent pour le positionnement optimal et l’ubiquitination de lysines spécifiques (Sadowski et al., 2012).
La variabilité des modifications par l’ubiquitine
Plusieurs modifications post-traductionnelles sont effectuées à partir de l’ubiquitine (Fig. 3). La mono-ubiquitination correspond à l’attachement d’une seule molécule d’ubiquitine sur la protéine cible (Hoeller et al., 2006). De plus, plusieurs lysines d’une même protéine peuvent être modifiées par des mono-ubiquitines. On parle alors de multiubiquitination (Haglund et al., 2003). Par ailleurs, comme l’ubiquitine contient elle-même plusieurs résidus lysine, les molécules d’ubiquitine peuvent former différentes chaînes de poly-ubiquitine. Les sept résidus lysine (en position 6, 11, 27, 29, 33, 48 et 63) de l’ubiquitine sont donc, en théorie, susceptibles d’être impliqués dans la formation de chaînes de polyubiquitine (Weissman, 2001). Ce sont en tout premier lieu les chaînes d’ubiquitine K48 et K63 qui ont été mises en évidence ; puis, une étude de protéomique globale à partir de cellules de mammifères a montré que les chaînes K48 étaient les plus abondantes et que les sept résidus lysine de l’ubiquitine étaient impliqués dans la formation de chaînes de polyubiquitine (Kim et al., 2011). Plus récemment, des chaînes linéaires (ou M1) de polyubiquitine ont été mises en évidence chez les mammifères. Elles consistent en la liaison de la glycine 76 du côté N-terminal d’une molécule d’ubiquitine à la méthionine 1 du côté Cterminal d’une autre ubiquitine. Ce type de poly ubiquitination est réalisé par un complexe E3 appelée LUBAC (Linear Ubiquitin Assembly Complex) (Emmerich et al., 2011; Tokunaga and Iwai, 2012). Le complexe LUBAC régule positivement la voie NF-κB, en ajoutant des chaînes linéaires d’ubiquitine sur les lysines 289 et 305 de la kinase NEMO (NF-κB Essential Modulator) (Tokunaga and Iwai, 2012).
Selon le type d’ubiquitination et la longueur des chaînes associés, les protéines cibles vont avoir différents destins, pouvant aller de l’activation à la dégradation protéasomale (Rahighi and Dikic, 2012). Ce point sera évoqué plus précisément dans le prochain chapitre «Le destin des protéines ubiquitinées».
Les déubiquitinases
L’action des déubiquitinases
L’ubiquitination est un processus réversible, qui peut être inversé par l’action d’enzymes appelées déubiquitinases (DUBs). Les DUBs constituent un large groupe d’enzymes (environ 90 chez l’Homme) qui clivent la liaison à l’ubiquitine après le groupe carbonyle (C=O) du résidu glycine 76 (Amerik and Hochstrasser, 2004) (Fig. 1). Ces enzymes assurent de nombreuses fonctions dans la cellule (Fig. 4). Tout d’abord, l’ubiquitine est exprimée sous forme de chaînes linéaires de poly-ubiquitine ou en fusion avec des protéines ribosomales (Komander et al., 2009a). L’action de certaines DUBs, comme celles de la famille des UCHs (Ubiquitin C-teminal Hydrolases), va donc permettre de générer de l’ubiquitine libre et activée à partir de ces précurseurs. Par ailleurs, l’ubiquitine peut complexer de façon inappropriée avec de petits éléments nucléophiles intracellulaires, comme les polyamines et la glutathione. Certaines DUBs interviennent alors pour dissocier l’ubiquitine de ces composants (Amerik and Hochstrasser, 2004). En outre, il a été remarqué que les cellules possédaient un pool constant d’ubiquitine (Haas and Bright, 1987; Swaminathan et al., 1999). Cela s’explique par le fait que certaines DUBs permettent la déubiquitination de protéines avant leur dégradation, ce qui conduit au recyclage de l’ubiquitine et, donc, au maintien de l’homéostasie de l’ubiquitine dans la cellule. Par exemple, le protéasome est associé à de nombreuses DUBs. Ces DUBs permettent, d’une part, de recycler l’ubiquitine avant la dégradation des substrats ubiquitinés. C’est le cas de ApUCH (Aplysia UCH), qui est associée au protéasome, et de la métalloprotéase Rpn11 (Regulatory Particle Non-ATPase 11) appartenant à la sous-unité 26S du protéasome (Berndt et al., 2002; Hegde et al., 1997). D’autre part, l’isopeptidase T des mammifères (ou Ubp14 chez la levure) dissocie les chaînes libres d’ubiquitine qui pourraient s’associer aux sites de liaison à l’ubiquitine du protéasome et entrer ainsi en compétition avec les substrats ubiquitinés destinés à la dégradation (Amerik and Hochstrasser, 2004; Hadari et al., 1992). Pour finir, les DUBs sont aussi un moyen de corriger spécifiquement l’ubiquitination d’une protéine et, par conséquent, de réguler le destin de la protéine cible dicté par le type d’ubiquitination associé. Dans ce cas, l’ubiquitine ligase E3 et la DUB partagent le même substrat et ont des actions opposées. Mais, il est aussi possible que l’enzyme E3 s’autoubiquitine et que certaines DUBs permettent de contrer cette modification (Clague et al., 2012a). A titre d’exemple, l’ubiquitine ligase MDM2 (Murine Double Minute-2) induit sa propre dégradation en s’auto-ubiquitinant par des chaînes K48 et USP2 stabilise la ligase en hydrolysant les polymères d’ubiquitine K48 (Stevenson et al., 2007).
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Table des matières
Introduction
A.L’ubiquitination
1. L’ubiquitination
a. L’ubiquitine et les protéines ubiquitin-like (Ubl)
b. Le processus d’ubiquitination
c. La variabilité des modifications par l’ubiquitine
2. Les déubiquitinases
a. L’action des déubiquitinases
b. Les familles de déubiquitinases
Les Ubiquitin Specific Proteases (USPs)
Les Ubiquitin C-terminal Hydrolases (UCHs)
Les Ovarian Tumor proteases (OTUs)
Les protéases Machado Joseph Disease (MJD)
Les métalloprotéases aux domaines JAB1/PAD1/MPN (JAMMs)
c. La spécificité des
La spécificité pour un type d’ubiquitination
La spécificité du substrat
La régulation des déubiquitinases
3. Le destin des protéines ubiquitinées
B. L’endocytose
1. L’ubiquitination des récepteurs membranaires dans l’endocytose
2. Le processus d’endocytose
3. La machinerie ESCRT
4. Les protéines Rab
5. Les DUBs impliquées dans l’endocytose
a. AMSH
b. USP8/UBPY
c. Autres DUBs impliquées dans la régulation de l’endocytose des récepteurs
C. L’immunité
1. Le système immunitaire
a. La réponse immunitaire
b. La reconnaissance du «non soi»
c. La réponse immunitaire chez la drosophile
2. Les voies de l’immunité
a. Les voies Toll de la drosophile et TLRs des mammifères
Activation du ligand Spätzle chez la drosophile
La voie Toll de la drosophile
La voie TLR chez les mammifères
b. Les voies IMD de la drosophile et TNF-R des mammifères
c. La régulation par ubiquitination des voies Toll et IMD de drosophile
L’ubiquitination dans la voie IMD
L’ubiquitination dans la voie Toll
3. Les protéines PGRPs de la drosophile
a. Les protéines PGRP-SA et PGRP-SD
b. La protéine PGRP-LE
c. La protéine PGRP-LF
d. Le récepteur immunitaire PGRP-LC
4. L’endocytose des récepteurs immunitaires
a. Endocytose du récepteur TLR4 des mammifères
b. Endocytose des récepteurs TNF-R des mammifères
c. Endocytose du récepteur Toll de Drosophila
5. Immunité innée et pathologies
Résultats
Conclusion