L’os, un tissu très vascularisé
De par ses caractéristiques anatomiques et physiologiques, la vascularisation du tissu osseux est particulièrement difficile à étudier (7). Le nombre très important d’études portant sur l’histologie et la physiologie du tissu osseux contraste avec le faible nombre de publications concernant l’exploration de la vascularisation osseuse (25). Les raisons principales sont :
– le nombre d’os : 206 os indépendants
– l’hétérogénéité tissulaire : périoste, cortex et os spongieux lui-même inhomogène, composée de moëlle rouge (MR) et de moëlle jaune (MJ), intriquées, et distribuées différemment d’un os à l’autre
– la complexité du réseau vasculaire Dans une optique clinique, il est ainsi bien plus intéressant de mesurer une vascularisation régionale que globale (7)
La technique de référence pour la mesure des flux sanguins osseux est malheureusement inadaptée à la pratique clinique (7). Elle nécessite l’utilisation de microsphères radioactives, injectées dans le ventricule cardiaque gauche, et le prélèvement de sang artériel périphérique et de tissus osseux. Cette technique a permis d’estimer la part relative des flux vasculaires intra-osseux : elle est de 5 ml/min/100g de tissu pour l’os cortical et le périoste, de 20 ml/min/100g pour l’os spongieux (7).
Si l’on combine ces données avec les données volumiques précédentes, il apparaît que même si le flux sanguin est faible dans l’absolu (par comparaison à d’autres organes), il est en fait très conséquent si on le rapporte à la masse osseuse (7). Ceci suggère que le flux sanguin a un rôle allant au-delà de la nutrition cellulaire, en premier lieu homéostatique pour la régulation de la concentration plasmatique en calcium (6) .
L’adiposité médullaire
La graisse située entre les travées de l’os spongieux et dans la cavité médullaire des os longs n’est pas identique aux autres dépôts adipeux, viscéraux ou sous-cutanés (8). Sa composition en acides gras est différente, ses adipocytes sont plus dispersés, et elle entre en interaction avec le tissu osseux (9). Elle n’est corrélée ni avec le poids, ni avec l’indice de masse corporelle, ni avec la masse graisseuse (8). L’exemple de l’anorexie mentale, dans laquelle l’augmentation du contingent adipeux médullaire contraste avec la perte de masse graisseuse, illustre le comportement métabolique différent de la graisse médullaire (10). Les caractéristiques génétiques des adipocytes médullaires humains différent de celles des adipocytes sous cutanés (11). Ils sont issus des mêmes cellules souches mésenchymateuses que les ostéoblastes (12).
Le contingent graisseux augmente au cours des premières années de vie, au fur et à mesure de la « conversion » de moëlle rouge en moëlle jaune, ce phénomène se réalisant de manière centripète, et étant considéré comme achevé à 25 ans (la moëlle rouge se cantonnant alors essentiellement au squelette axial). Chez l’adulte, la graisse médullaire des os longs se situe essentiellement dans la diaphyse et les épiphyses, tandis que la moëlle rouge est retrouvée dans les métaphyses. Elle représente 7% de la masse grasse d’un individu adulte. D’importantes variations individuelles existent cependant, la fraction graisseuse étant par exemple plus importante chez les hommes (par rapport aux femmes) et les sujets âgés (par rapport aux sujets plus jeunes). Cette répartition est également modifiée en conditions pathologiques, le contingent graisseux augmentant dans l’ostéoporose (13), diminuant dans le syndrome d’apnée du sommeil (8). L’adiposité médullaire peut être aisément explorée de manière qualitative par des séquences d’IRM courantes : T1 et T2 avec suppression du signal de la graisse. De par sa plus grande part de graisse, la moëlle jaune présente un signal supérieur à la moëlle rouge en pondération T1, inférieur en T2 avec suppression du signal de la graisse. Sa prise de contraste est quasi inexistante après injection de gadolinium. L’estimation quantitative requiert des techniques d’IRM plus complexes, à la fois dans l’acquisition comme dans l’analyse, telle la spectroscopie IRM. Ces séquences permettent de mesurer la part relative de graisse et d’eau, par l’analyse comparative de leurs pics spectraux. Elles ont permis de confirmer que l’adiposité médullaire augmente avec l’âge, et, ce, plus rapidement chez les femmes que chez les hommes (14).
Rôle probablement sous-estimé de la moëlle osseuse: exemple de l’arthrose
Si la moëlle osseuse (MO) est affectée de manière évidente dans certaines pathologies (remplacement médullaire tumoral, lésion infectieuse…), son rôle est probablement sous-estimé dans certaines pathologies. Prenons l’exemple de l’arthrose. L’arthrose est communément considérée comme une maladie du cartilage. Cependant, de nombreux travaux s’intéressent à la place de l’os sous chondral dans sa physiopathologie. On ne sait toujours pas aujourd’hui si les lésions de la MO présentes dans l’arthrose peuvent être des marqueurs primitifs de progression de la maladie, ou si elles constituent des phénomènes réactionnels aux lésions cartilagineuses (15,16). La caractérisation de la vascularisation de l’os sous chondral peut être un atout dans cette problématique. Il est démontré qu’une néovascularisation est présente dans l’os sous-chondral arthrosique et que cette néovascularisation contribue à la dégradation articulaire (17). L’angiogénèse se produit à travers la jonction ostéochondrale : la croissance vasculaire se réalise à partir de l’os sous-chondral et s’immisce dans le cartilage articulaire (18,19). De plus, l’angiogénèse et l’inflammation sont des phénomènes intriqués dans la pathologie arthrosique (20). L’inflammation et l’innervation sensitive accompagnant les néo vaisseaux pourraient jouer un rôle dans la survenue de la douleur (17,19). Une surexpression du facteur de croissance endothélial (Vascular Endothelial Growth Factor,VEGF) et une immunoréactivité ont été identifiées dans l’os sous-chondral arthrosique (17,20–22). A terme, une meilleure connaissance des mécanismes de l’angiogénèse est essentielle pour identifier de nouvelles cibles thérapeutiques (17 20). Des recommandations concernant la recherche sur l’arthrose ont été émises par la ligue européenne contre les rhumatismes (European League Against Rheumatism, EULAR) (23) et la société internationale de recherche sur l’arthrose ( Osteoarthritis Research Society International, OARSI) (24). Parmi les priorités identifiées, sont mises en avant une meilleure compréhension des mécanismes physiopathologiques générant l’arthrose et l’amélioration des capacités diagnostiques en imagerie (23,24). L’EULAR met l’accent sur la compréhension du rôle de l’os sous-chondral et la compréhension des mécanismes en jeu dans la phase initiale de l’arthrose. Le rôle de l’IRM est mis en avant (23). L’OARSI insiste également sur les pistes de recherche en IRM: être capable de quantifier les lésions survenant lors des phases inaugurales et améliorer la précision de la mesure de ces lésions, notamment celles concernant la moëlle osseuse (24). L’IRM DCE semble avoir la capacité de répondre à ces exigences.
Une expérimentation sur des cochons d’Inde a rapporté une diminution de la perfusion osseuse dans l’os sous-chondral de plateaux tibiaux, mesurée par IRM DCE, à différentes étapes de progression de l’arthrose (25). L’hypothèse sousjacente est que l’IRM DCE pourrait détecter des changements de perfusion osseuse liés aux mécanismes de dégradation du cartilage et au remodelage osseux (26). Chez l’être humain, il a été démontré que la perfusion osseuse est différente dans les plateaux vertébraux lombaires victimes de discarthrose par rapport à des étages sains (27,28), mais également dans l’œdème osseux de genoux arthrosiques (29). Une seule étude d’IRM DCE a concerné la hanche arthrosique, et ne comportait que peu de sujets (29). L’essentiel de la recherche sur l’arthrose en IRM DCE se concentre sur le genou (30). L’étude de la hanche en IRM est plus difficile car la tête fémorale est sphérique et le cartilage d’encroûtement bien plus mince qu’au genou.
Là encore, les paramètres de perfusion normaux de l’os sous-chondral ne sont pas connus. Comme l’arthrose et les phénomènes de sénescence sont difficiles à séparer (17), il m’a semblé important de tenter de décrire les propriétés de vascularisation des régions sous-chondrales de la tête fémorale au moyen de l’IRM DCE. J’ai posé l’hypothèse que la perfusion de l’os sous-chondral de la tête fémorale n’était pas homogène, cette tête étant exposée à des contraintes mécaniques géométriquement différentes.
L’IMAGERIE DE PERFUSION IRM « DCE »
Principe de la séquence
L’imagerie de perfusion vise à suivre en temps réel l’évolution du signal IRM d’un tissu au cours de l’injection du produit de contraste (31). Nous parlerons ici de la perfusion T1 DCE (« Dynamic Contrast Enhancement »), la plus utilisée, notamment dans le domaine musculosquelettique. Des séquences d’angiographie dynamique 3D de type TRICKS ou TWIST (basées sur un codage elliptique centrique de l’espace k) peuvent également être utilisées (32). Les séquences sans injection de type Arterial Spin Labelling ne sont a priori pas utilisables en pathologie osseuse en raison d’un rapport signal à bruit insuffisant (1). L’étude de la perfusion se fait en deux étapes : paramétrage et acquisition de séquences dynamiques avant, pendant et après l’administration d’un agent de contraste, puis post-traitement de ces données permettant le calcul de paramètres quantitatifs, explorant la perfusion mais aussi la perméabilité capillaire des tissus. En effet, l’administration d’un bolus d’agent de contraste va induire une réponse propre à chaque tissu avec deux composantes, l’une vasculaire correspondant à la perfusion, et l’autre liée à la fuite capillaire en rapport avec la perméabilité́ capillaire. L’étude de la perfusion nécessite ainsi une haute résolution temporelle pendant un temps d’acquisition limité, étudiant le premier passage, tandis que les études de perméabilité requièrent un temps d’acquisition plus long, étudiant l’accumulation dans l’interstitium liée à la perméabilité capillaire. Néanmoins, le terme de « perfusion » est souvent utilisé dans la littérature pour décrire l’un ou l’autre de ces phénomènes, et nous adopterons également cette terminologie globale. L’acquisition IRM permet d’obtenir une courbe d’évolution de l’intensité du signal T1 en fonction du temps (figure 1). A la différence d’autres modalités d’imagerie comme la tomodensitométrie, la relation entre le signal et la concentration du produit de contraste n’est pas linéaire à cause de la dépendance du signal à de multiples paramètres techniques (de champ ou de séquence). Toute la difficulté de la perfusion DCE est donc d’extrapoler à partir des données acquises la variation de la concentration de gadolinium en fonction du temps (33).
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Table des matières
INTRODUCTION
L’OS
L’os, un tissu très vascularisé
L’adiposité médullaire
Rôle probablement sous-estimé de la moëlle osseuse: exemple de l’arthrose
L’IMAGERIE DE PERFUSION IRM « DCE »
Principe de la séquence
Modalités d’analyse
Reproductibilité
Paramétrage et acquisition
Analyse des données (« post-traitement »)
Sécurité de la technique
L’IRM DCE EN PATHOLOGIE MUSCULOSQUELETTIQUE: REVUE DE LA LITTERATURE
Tumeurs solides
Hémopathies
Pathologies rhumatismales
Ostéoporose
Traumatologie
TRAVAIL TECHNIQUE : IMPLEMENTER UNE SEQUENCE DCE SUR IRM 3T
OBJECTIFS
IMPLEMENTATION DE LA SEQUENCE
Données de la littérature
Définition du cahier des charges : problématique du choix
Résultats de l’étude technique préliminaire
ETUDE PRÉLIMINAIRE
Matériels et méthodes
Résultats
Discussion
Conclusion
ETUDE DE LA PERFUSION OSSEUSE A LA HANCHE
MATÉRIELS ET MÉTHODES
Population
Protocole IRM
Post-traitement
Etude statistique
RÉSULTATS
Population
IRM
Paramètres de perfusion
DISCUSSION
CONCLUSION
ETUDE DE LA PERFUSION OSSEUSE DE LA TETE FEMORALE
MATÉRIELS ET MÉTHODES
Analyse statistique
RÉSULTATS
Population
IRM
Paramètres perfusionnels
Données cliniques
DISCUSSION
Perfusion du segment épiphysaire de la tête fémorale
IMC
Sexe
Âge
Limites
CONCLUSION
ETUDE DE LA PERFUSION DE L’OS ARTHROSIQUE
ETUDE TOXART
CONCLUSION
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