L’origine des documents d’archives
Les archives pénitentiaires, ces archives oubliées
Longtemps négligées, ces archives connaissent un véritable engouement depuis la deuxième moitié du XXe siècle. Toutefois, cet enthousiasme de la part des chercheurs est rapidement freiné par la situation des archives judiciaires. Un travail important est nécessaire afin de mettre ces fonds à disposition. Cette prise de conscience tardive de l’intérêt des archives judiciaires a été amenée par une réflexion sur les prisons et ces archives suite à la publication en 1975 du livre Punir et Surveiller. La naissance de la prison8 de Michel Foucault. Ce livre retraçant l’histoire des prisons et de leur architecture a été suivi par de nombreux autres ouvrages sur l’histoire de la justice et des prisons se basant sur les archives judiciaires. À la fin du XXe siècle, Michel Foucault opère un tournant majeur en réintroduisant la réflexion sur l’univers carcéral à travers ces archives et a eu une influence sur les recherches qui ont suivi. Cet intérêt ininterrompu depuis s’est concrétisé à travers l’élaboration d’une législation sur les archives judiciaires et notamment pénitentiaires. Cette clarification réglementaire et législative a permis la rédaction du Guide des archives judiciaires et pénitentiaires de Jean-Claude Farcy9. Cet ouvrage faisant encore autorité parmi les archivistes et historiens a permis de répertorier les fonds judiciaires et de les rendre ainsi accessibles aux chercheurs et plus largement au public des archives. L’usage de ces archives est favorisé à travers différentes initiatives telles que la création d’une Commission des archives de la justice par le ministère et des associations de professionnels. Des généalogistes s’y intéressent également lors de recherches sur des ancêtres ayant été incarcérés.
Un héritage révolutionnaire
« Au gré des époques et des conceptions, la peine peut être un châtiment spectacle, une sanction juridique, un acte de vengeance sociale, une manière de réaffirmer ce qui fait tenir une société »11. La signification et le rôle de la prison changent selon les régimes politiques. Cette évolution en France est visible notamment lors du basculement entre la période d’Ancien Régime où la prison est synonyme de lieu transitoire et d’attente avant le jugement déterminant l’issue finale et la Révolution voulant instaurer la République12. Durant l’Ancien Régime, la punition consiste alors en un transfert dans un dépôt de mendicité ou dans une prison d’Etat (telle que celle de la Bastille) ou, de façon plus spectaculaire, en supplices sur la place publique. Destinés à marquer l’esprit du peuple, ces supplices sont une manière pour le pouvoir royal de témoigner de sa puissance dissuadant ainsi les éventuelles tentations d’outrepasser la loi royale. Ce mode de punition est « l’instrument et le vecteur 13» du pouvoir royal. Toutefois, la nécessité d’une réforme se fait sentir sous la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Le courant philosophique des Lumières s’insurge contre le système judiciaire en place et réclame la mise en place d’une punition plutôt que d’une vengeance à travers les supplices qualifiés « d’atrocités »14. Selon ces érudits, les supplices contribuent davantage à fragiliser le pouvoir royal qu’à le renforcer.
La Révolution éclate en 1789.
La prison apparaît comme marquée par les abus du pouvoir en place15. Elle se trouve associée à l’illégalisme du pouvoir du prince. Les cahiers de doléances rédigés suite à la réunion des Etats Généraux la rejettent unanimement car ils l’estiment incompatible avec l’application d’une bonne justice. La période révolutionnaire introduit alors une nouvelle législation où la détention devient la peine par excellence. Il s’agit d’une forme simple de « privation de liberté 16» dans une société où la liberté est un bien qui appartient à tous de la même façon et auquel chacun est attaché par un sentiment «universel et constant 17». Cette peine apparaît comme la plus juste et équitable car la perte de liberté a le même prix pour tous et que sa durée est établie dès le début. La justice se veut être « égalitaire » et « autonome», « mieux que l’amende, elle est le châtiment « égalitaire » »18. Elle consiste à quantifier la peine suivant le temps. Les nouveaux fondements juridico-économiques font apparaître la prison comme la peine étant la plus immédiate et la plus civilisée car elle permet d’effacer la violence et l’arbitraire en diminuant les révoltes qu’ils provoquent. De plus, cette peine individuelle considérée comme la moins barbare, favorise par son isolement la réflexion et les remords. C’est une référence claire au modèle monastique. Les prisons n’ont pas pour but d’effacer le crime mais prétendent pouvoir éviter la récidive. Elles aspirent à tourner les détenus vers l’avenir : « la prévention des crimes est la seule fin du châtiment »19. Afin d’abroger définitivement l’arbitraire royal, un code pénal est rédigé en 1791 notamment par le Constituant Michel le Peletier de Saint-Fargeau afin d’établir une équité entre les accusés et d’effacer le favoritisme. Ce Code se revendique comme étant dans la lignée des philosophes et les encyclopédistes du siècle des Lumières20. Les Constituants, à travers leurs débats en amont de ce Code, en mai-juin 1791, veulent instaurer des peines plus humaines et en rapport avec le délit, témoignant d’une possibilité de rachat de l’homme21. Ils suppriment ce qui relève de la cruauté et de l’arbitraire22. Depuis la Révolution, « la prison, cette « peine obscure » est devenue, dans l’imaginaire collectif et dans la pratique judiciaire, le lieu de punition ».
Le tournant amorcé par Michel Foucault
Les archives judiciaires, longtemps oubliées par les chercheurs, furent mises en avant en 1975 à l’occasion de la publication du livre Surveiller et punir. Naissance de la prison écrit par Michel Foucault, philosophe et professeur au Collège de France depuis 197037. Cet intellectuel est connu médiatiquement depuis le début des années 1970 pour son engagement auprès des prisons et pour sa participation à la création du Groupe d’Information sur les Prisons (GIP). Fondée le 8 février 1971 avec Jean-Marie Domenach et Pierre Vidal-Naquet, cette association a pour objectif de faire entendre la voix des prisonniers et de toutes les personnes en contact avec cet univers grâce à des entretiens et des questionnaires38. Le GIP veut informer et faire sortir du silence la prison en donnant la parole à ceux qui ne peuvent pas s’exprimer. Ce groupe parvient à regrouper autour de cette cause des militants venant de divers horizons (gauchistes, chrétiens, membres de la profession judiciaire, médicale)39. Divisé en quatre parties selon une évolution chronologique, ce livre s’appuie sur les archives judiciaires et des entretiens pour retracer l’histoire des prisons et de leur architecture. Le succès de ce livre s’explique par le travail de pensée qui y est opéré et l’attention portée au contemporain s’inscrivant dans la veine actuelle de « l’Histoire du présent »40. Michel Foucault a recours aux archives pour se positionner par rapport aux historiens travaillant sur ce sujet. Cela lui permet de prendre une certaine distance par rapport au discours académique qui tend à montrer l’évidence de l’institution pénitentiaire41. Il pointe du doigt la naissance des prisons et invite le lecteur à s’interroger sur cet élément qui touche à une pratique qui est quotidienne42. Ce livre est à l’origine des débats contemporains sur les sanctions fortes43.
En travaillant sur la notion de dangerosité, Foucault a inspiré bon nombre d’auteurs dont des historiens car il s’agit d’une matière à réflexion qui connaît à cette époque un véritable écho dans la société. Ce livre s’inscrit dans une portée plus générale que le seul cercle de la recherche historique. En effet, Michel Foucault ne peut être considéré comme étant le premier de son époque à se pencher sur l’histoire pénitentiaire. Cette branche de l’histoire sociale depuis le début des années 1970 s’inscrit dans un débat international44. Cet intérêt n’est pas non plus le fruit du hasard. Jacques-Guy Petit, professeur émérite à l’Université d’Angers, avance l’hypothèse que cet attrait historique de la question pénale est lié à une meilleure connaissance des « systèmes totalitaires et des instances répressives45 ». Ces années 1970-1980 connaissent également une nouvelle remise en question du rôle de la prison. Ceci est dû au contexte politique et social français. La contestation des formes de contrôle social débute avec les évènements de mai 1968. Puis, au début des années 1970, de grandes révoltes soulèvent les prisons les mettant de fait sur le devant de la scène politique. Un travail de remise à jour du Code pénal est également entrepris ainsi que des débats apparaissent autour de la peine de mort en 198146, année de son abolition par le ministre de la Justice Robert Badinter. Les années 1980 sont aussi une période de questionnements et d’interrogations sur la manière d’écrire et de concevoir l’Histoire47. Les historiens prônent un retour au sujet et aux acteurs48. L’accent est mis dès le début sur le pénal et plus particulièrement sur la prison49 : « l’actualité sociale et intellectuelle a encouragé les études dans cette direction »50. Ces modifications se modélisent dès 1982 lors de la réalisation d’un colloque international d’histoire pénitentiaire au Centre culturel de l’Ouest à Fontevraud51.
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Table des matières
TABLE DES SIGLES
INTRODUCTION GENERALE
PARTIE 1 : LES ARCHIVES PENITENTIAIRES, CES ARCHIVES OUBLIEES
1 La prison, un champ large de réflexions
a. Un héritage révolutionnaire
b. Le tournant amorcé par Michel Foucault
2 Les archives pénitentiaires, une ouverture récente
a. La Commission permanente des archives et de la justice : une impulsion du ministère
b. Une législation établie
c. Le guide des archives judiciaires et pénitentiaires de Jean-Claude FARCY : l’ouvrage incontournable
3 Les usages de ces archives
a. Les associations de professionnels
b. L’engouement généalogique
Conclusion
BIBLIOGRAPHIE
ETAT DES SOURCES
PARTIE 2 : LES ARCHIVES DE LA MAISON CENTRALE DE FONTEVRAUD, DE L’ENFERMEMENT A LA COMMUNICATION
1. La maison centrale de Fontevraud, un fonds à la taille de son histoire
a. L’origine des documents d’archives
b. De la réhabilitation à l’action culturelle
2. La valorisation à travers une exposition permanente de documents d’archives
a. Le document d’archives, coeur de l’exposition
b. Les archives au parloir : une valorisation originale des témoignages oraux
c. Le public pris au jeu
Conclusion
CONCLUSION GENERALE
ANNEXE
TABLE DES ILLUSTRATIONS
TABLE DES MATIERES
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