L’origine des Aires Marines Protégées (AMP)
Dès la fin du 19ème siècle, certains Etats décidèrent, à travers la création des premiers Parcs Nationaux, d’appliquer une protection intégrale de la faune et de la flore sur des espaces remarquables de leur territoire (Cazalet, 2004).
L’augmentation globale de la pression de pêche combinée à l’effondrement récent de nombreuses pêcheries ont amené les écologistes marins et gestionnaires de l’environnement à réévaluer les méthodes traditionnelles de gestion des ressources. C’est ainsi que les réserves marines sont devenues des zones d’interdiction de tout type d’extraction d’organismes. Elles sont rapidement considérées comme une alternative aux options de gestion traditionnelle (Halpern et al., 2002). Dans un premier temps, les réserves marines ont été créées comme des outils de conservation de l’environnement. Elles étaient souvent liées soit à l’existence d’un biotope spécifique, soit à la conservation d’une espèce emblématique tant animale que végétale. Face à la généralisation de la surexploitation halieutique, des zones marines de plus en plus grandes, interdites partiellement ou complètement à l’exploitation, ont été mises en place avec l’espoir de reconstituer les stocks halieutiques. Les AMP sont nées des grands engagements internationaux de protection de l’environnement à savoir la conférence des nations unies sur l’environnement et le développement tenue en juin 1992 à Rio de Janeiro (Brésil) et le sommet de la terre de Johannesburg (Afrique du Sud) en 2002. Elles font partie des nouvelles stratégies de gestion durable des milieux marins et de leur biodiversité. L’union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) a défini en 2005, une AMP comme « Tout espace intertidal ou infra tidal ainsi que ses eaux sus-jacentes, sa flore, sa faune et ses ressources historiques et culturelles que la loi ou d’autres moyens efficaces ont mis en réserve pour protéger en tout ou en partie le milieu ainsi délimité» (Kelleher, 1999). L’UICN a recensé 6 catégories d’aires protégées avec un niveau de conservation qui varie des réserves intégrales (zones de petite ou de grande taille dans lesquelles les activités d’extraction humaines ou leur impact significatif ne sont pas autorisés) aux AMP à usages multiples (dans lesquelles les activités humaines sont autorisées et réglementées) (Kelleher, 1999). L’AMP de Bamboung est créée par décret présidentiel en 2004 et toute activité d’extraction d’organismes de tout type y est interdite sauf les pêches expérimentales saisonnières pour des besoins de suivi scientifique. C’est un site «à vocation démonstrative» retenu en concertation avec les pêcheurs artisans. Le choix du site de Bamboung est particulièrement pertinent, d’un point de vue bio-écologique. Il concerne, en effet, une zone d’estuaire à mangrove réputée pour sa productivité mais aussi pour certaines fonctions essentielles au maintien des populations et des peuplements de poissons, estuariens mais aussi côtiers, dont l’importance économique et sociale est considérable (Albaret, 2004).
La notion d’effet réserve
L’étude des effets attendus des AMP sur les écosystèmes et sur les stocks (regroupés sous la notion d’effets biologiques des AMP) nécessite de faire la distinction entre deux grands types de zone de protection en fonction principalement des objectifs, de la taille et du degré de protection : les réserves intégrales et les aires multi-usages (Kelleher, 1999). La création d’une AMP n’est pas sans effet sur les peuplements de poissons et sur leurs habitats. Bell (1983) a défini l’effet réserve comme étant l’ensemble des conséquences positives des mesures de protection sur les peuplements benthiques. Sur le plan écologique, l’effet réserve englobe plusieurs modifications des caractéristiques structurelles et fonctionnelles du milieu, qui peuvent être regroupées en trois catégories : les bénéfices provoqués dans l’AMP, les effets bénéfiques provoqués à l’extérieur de l’AMP et les effets négatifs de l’AMP. En ce qui concerne les réserves intégrales, les effets peuvent se produire à l’intérieur de leurs frontières (McClanahan et al., 1999 ; Mosquera et al., 2000 ; Gell et Roberts, 2003 ; Westera et al., 2003 ; Evans et Russ, 2004 ; Stobart et al., 2009) comme à l’extérieur de leurs frontières (Schroeder et Love, 2002 ; Graham et al., 2003 ; Halpern, 2003 ; Stobart et al., 2009). D’après Gell et Roberts (2003), les meilleurs résultats sont obtenus lorsque la zone protégée est de l’ordre de 10 à 35% des zones exploitées. L’effet réserve possède une composante spatiale (effet refuge) et une composante temporelle (effet tampon). La composante spatiale représente les différences qui peuvent exister entre secteurs protégés et non protégés (Francour, 2000). L’effet refuge consiste à une variation de l’abondance, une augmentation de la biodiversité, de la taille moyenne des organismes et de la richesse spécifique. La variation de l’abondance des organismes est surtout étudiée sur les peuplements de poissons et se traduit par une augmentation ou une diminution significative de l’abondance relative globale (nombre total d’individus appartenant à toutes les espèces) de poisson dans l’AMP (Stobart et al., 2009 ; Edgar et Barett, 1999 ; Evans et Russ, 2004 ; McClanahan et al., 1999 ; Halpern, 2003 ; Harmelin-Vivien et al., 2008 ; Garcia-Charton et al., 2004 ; Westera et al., 2003). L’augmentation de la biodiversité se traduit par le retour de certaines espèces qui avaient disparu de la zone sous les diverses pressions anthropiques (Francour, 2000 ; Côté et al., 2001 ; Halpern, 2003 ; Lester et al., 2009). La création d’une AMP peut entrainer une réhabilitation de structure de taille (Edgar et Barret, 1999 ; Rowe, 2002 ; Jouvenel et Pollard, 2001 ; Willis et al., 2003 ; Halpern, 2003 ; Gell et Roberts, 2003 ; Floeter et al., 2006). En effet, la pêche entraine la disparition des individus de grande taille. Il reste alors dans le milieu des individus de plus en plus petits. La mise en place d’une AMP, qui entraîne la réduction de la pression de pêche, autorise donc une espérance de vie plus élevée des espèces cibles. Ce qui se traduit globalement par une augmentation des tailles moyennes et maximales (Mosquera et al., 2000). Le troisième effet est l’effet cascade qui se traduit par une diminution de l’abondance de certaines espèces suite à un phénomène de prédation accrue (Pinnergar et al., 2000; Westera et al., 2003). Le quatrième effet réserve est l’effet « modification des comportements ». La mise en AMP d’une zone maritime permet de préserver les zones de nurseries, les habitats des espèces et ainsi sauvegarder les lieux d’implantation des larves, le recrutement, l’alimentation et la reproduction des espèces. Elle permet aussi à la faune marine de se réinstaller dans son habitat originel, sans risque de prédation humaine (Château et Wantiez, 2005 ; Chiapone et Sealey, 2000 ; Gell et Roberts, 2003 ; Jones et al., 2007 ; Yemane et al., 2008).
Les effets bénéfiques provoqués à l’extérieur de l’AMP sont communément appelés effet de débordement ou effet « spillover » (Russ et al, 2003 ; Stobart et al., 2009). Il s’agit de l’émigration d’adultes et de juvéniles de poissons. Pour le premier effet, la création d’une AMP entraîne une augmentation de l’abondance des individus au sein des réserves qui se retrouvent assez rapidement confrontés à des compétitions inter et intra-spécifique sévères (Russ et al., 2003). Ce phénomène favorise l’émigration des adultes et des juvéniles vers les zones non protégées (Alcala et Russ, 1990). Les effets négatifs d’une AMP sont l’augmentation de la pression de pêche sur les zones voisines de l’AMP et les effets nuisibles dus aux usages de non exploitation (Kellner et al., 2007).
Présentation de l’estuaire du Sine-Saloum
L’estuaire du Sine-Saloum draine un bassin versant de 29 720 km2 dont le relief est en général plat et la pente très faible. La superficie en eau est de 90 000 ha. La marée monte deux fois par jour jusqu’en amont de Kaolack situé à 112 km de l’embouchure (Bousso, 1996). La situation environnementale du Sine-Saloum est très particulière : il s’agit d’un estuaire sursalé dont le gradient halin est inversé en permanence (croissant de l’embouchure vers l’amont). Les parties situées en extrême amont du fleuve Saloum atteignent des salinités de plus de 70 au delà de Foundiougne. La salinité peut atteindre des valeurs de 130 en amont de Kaolack, soit près de 4 fois la salinité moyenne de l’eau de mer. Cette situation environnementale est susceptible d’évoluer plus ou moins rapidement en fonction des tendances climatiques à moyen terme. Le complexe du Sine-Saloum est constitué de trois bras principaux : le Saloum au nord et nord-est, le Bandiala au sud ouest et le Diomboss entre les deux (Fig. 1). Il est caractérisé par un système complexe et diffus de canaux appelés bolons et de mangroves caractéristiques des zones humides saumâtres intertropicales (Albaret, 2004).
AMP de Bamboung
Le bolon de Bamboung (13°50 N – 16°33 W) est un affluent du Diomboss situé dans l’estuaire du Sine-Saloum, à 130 km au sud-est de Dakar (Fig. 1). Les eaux sont peu profondes et la biodiversité y est réputée importante, notamment pour les oiseaux, les poissons et les mammifères marins (dauphins et lamantins) (Albaret et al., 2005). L’AMP de Bamboung, située au cœur de la réserve de Biosphère du delta du Saloum, a une superficie de 6 800 ha. Elle est divisée en 3 zones. La première est une zone terrestre, qui se décompose en une zone de mangrove et une zone continentale. La mangrove est localisée en bordure des rives de toute la zone de l’AMP de Bamboung. Elle couvre plus de la moitié de la surface totale de l’AMP. La végétation y est abondante et composée de différentes espèces de palétuviers. Rhyzophora racemosa et Rhyzophora harrisonii sont trouvés en bordure des chenaux. À l’arrière, Rhizophora mangle est beaucoup plus abondant et occupe les terres élevées susceptibles d’être immergées lors des hautes marées. Cette espèce forme le peuplement le plus important du bolon, tandis qu’Avicennia africana se développe dans la partie supérieure des vasières. Les palétuviers étant à la fois source de matière organique et support d’une forte production de périphyton, constituent un vivier pour la faune estuarienne, les juvéniles principalement. La zone continentale est représentée par l’île Coco. Cette zone de savane arborée occupe 15 à 20 % de la surface de l’AMP. La deuxième zone est une zone tampon localisée à l’embouchure du bolon, au niveau de la rencontre des eaux du Diomboss et du Bamboung. C’est une zone de transition. La troisième zone qui est l’aire marine centrale, constituée par le bolon de Bamboung et ses ramifications, a une longueur de 15 km à partir du confluent avec le Diomboss jusqu’aux vasières de la forêt de Kolé. Sa superficie est d’environ 300 ha. La largeur maximale est d’environ 500 mètres alors que la profondeur fluctue entre 0 et 15 m (Albaret et al., 2005) (Fig. 2). La zone centrale est à 17 km de l’embouchure du Diomboss (Fig. 1).
Le bolon de Sangako
Le bolon de Sangako est situé dans l’estuaire du Sine-Saloum. C’est un affluent du Diomboss situé en amont de celui-ci. Son embouchure est large d’environ 270 m. Les profondeurs varient de 0 et 14 m (Fig. 2). D’une superficie d’environ 378 ha, le bolon de Sangako s’étend sur environ 11 km de son embouchure (jonction avec le Diomboss) jusqu’à la vasière de la forêt de Sandikoli. On note la présence de mangrove dense sur les deux rives, avec de petites ramifications et des îlots de mangroves très denses. Cette végétation de mangrove est composée d’espèces de palétuviers comme dans l’AMP de Bamboung. L’espèce dominante reste toujours Rhizophora mangle. L’accès à ce bolon est libre et des activités humaines comme la pêche et la récolte des fruits de mer y sont pratiquées régulièrement.
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Table des matières
1. INTRODUCTION
1.1. L’origine des Aires Marines Protégées (AMP)
1.2. La notion d’effet réserve
1.3. Les objectifs de l’étude
2. MATERIEL ET METHODES
2.1. Présentation de l’estuaire du Sine-Saloum
2.2. AMP de Bamboung
2.3. Le bolon de Sangako
2.4. Stratégie d’échantillonnage
2.5. Méthodes d’analyse des données
3. RESULTATS
3.1. Etude comparative des paramètres physico-chimiques
3.2. Etude comparative des indicateurs bioécologiques
3.3. Etude comparative des peuplements de poissons des deux sites
4. DISCUSSION
4.1. Environnement aquatique
4.2. Les indicateurs bioécologiques
4.3. Répartition spatiale des peuplements de poissons
5. CONCLUSION ET PERSPECTIVES
REFERENCE BIBLIOGRAPHIQUE
ANNEXE