L’ORIGINE ASIATIQUE DU PEUPLEMENT
L’hypothèse de l’origine asiatique (et unique) de tous les Amérindiens est formulée dès le XVIème siècle par le jésuite espagnol José de Acosta. A partir de la moitié du XXème siècle et avec l’utilisation de la biologie étendue à l’étude des populations, l’origine asiatique des populations amérindienne est confirmée. L’inventaire immuno hémotypologique (ensemble des systèmes sériques, protéiques et enzymatiques du sang) dressé par Cavalli-Sforza et al. (1994) et Dugoujon et al. (1995) révèle en effet de nombreux gradients de fréquences entre les populations des ensembles Asie et Amérique. La présence de ces gradients suggère une entrée par le Détroit de Béring; un point que nous aborderons plus loin. Enfin, l’analyse de l’ADN mitochondrial a conforté l’hypothèse de l’origine asiatique des populations amérindiennes, du fait de la présence de lignées amérindiennes typiquement dérivées de lignées asiatiques (Wallace et al., 1985; Torroni et al., 1993; Bailliet et al., 1994; Merriwether et al., 1996; Bandelt et al., 2003).
Mais dans un modèle de peuplement par le Nord, il est intéressant de noter le plus faible degré d’affinité génétique entre les populations amérindiennes et les groupes sibériens adjacents. En effet, les études génétiques montrent que les populations asiatiques apparentées aux Amérindiens se situent plus profondément dans le continent asiatique, dans une région comprise entre la Mongolie, les montagnes de l’Altaï et du Saïan (populations Setkups et Kets) et l’aire peri-Baïkal (Figure 1; Merriwether et al., 1996 ; Santos et al., 1999; Karafet et al., 1999). Les fluctuations climatiques qu’a connues cette partie de l’Asie depuis la glaciation du Würm ne sont certainement pas étrangères aux mouvements de populations qui peuvent expliquer ces apparentes anomalies.
ANCIENNETE DU PEUPLEMENT ET VOIES DE PASSAGES VERS L’AMERIQUE
La Béringie
Hypothèse formulée par José de Acosta puis confirmée par de nombreuses études génétiques, le peuplement de l’Amérique aurait commencé par le Nord (Figure 1). A la faveur d’évènements climatiques froids, des populations d’Asie auraient joint l’Amérique après avoir traversé le Détroit de Béring par voie terrestre. Cette traversée a certainement été possible au cours des dernières glaciations quaternaires (-30.000 à -11.000 ans environ), quand les actuels hauts-fonds étaient émergés (Crubézy et al., 2002; Eshleman et al., 2003). Ces estimations sont confortées par de nombreux éléments archéologiques mis au jour en Amérique du Nord et en Sibérie. Notamment, la culture lithique de Clovis (Nouveau Mexique, environ 11.500 ans) a longtemps défendu l’hypothèse d’un peuplement aux alentours de 12.000 ans avant notre ère; ses artisans étant alors perçus comme les véritables premiers occupants du continent par l’école nord-américaine.
Le littoral Pacifique
Cependant, de nombreux chercheurs pensent que lorsque la Béringie était franchissable, l’Amérique du Nord ne l’était certainement pas; à cause d’immenses glaciers qui recouvraient le continent et n’avaient du laisser que peu souvent ouvert le couloir qui les sépare (couloir de l’Alberta; Dalton, 2003). Une autre hypothèse de plus en plus soutenue avance un peuplement par le littoral Pacifique (Dalton, 2003; Eshleman et al., 2003; Schurr et Sherry, 2004). Ainsi, des populations d’Asie auraient atteint l’Alaska puis longé le littoral ouest du continent américain à pied ou par cabotage, évitant ainsi les glaciers qui occupent l’espace nord-américain (Figure 1). Ce chemin permettrait notamment d’expliquer la présence en Amérique du Sud de sites contemporains voire antérieurs à l’industrie de Clovis, et dont l’ancienneté est aujourd’hui communément acceptée par la communauté scientifique (sites de Monte Verde au Chili: 12.500 voire 33.000 ans ; Dillehay et Collins, 1988; Meltzer, 1997; site de Pedra Furada Pedra Pintada au Brésil: respectivement 50.000 et 11.200 ans; Bahn, 1993; Roosevelt et al., 1996). Cependant, les preuves matérielles de cette voie de passage sont aujourd’hui submergées (Dalton, 2003).
Les voies de passage plus hypothétiques
Afin d’expliquer l’ancienneté des sites archéologiques sud-américains, un passage par l’Australie via l’Antarctique et le Cap Horn a été suggéré (Crubézy et al., 2002). Malheureusement, aucune donnée matérielle ne peut confirmer une telle hypothèse. Par ailleurs, à la faveur de certaines de ces données génétiques, notamment la prédominance de l’haplogroupe mitochondrial B chez les populations andines, une vague de peuplement par voie trans-Pacifique a été imaginée par Cann (1994) (repris dans Rothhammer et Bianchi, 1995). Encore, la faiblesse de cette hypothèse tient dans l’absence d’argument scientifique concret (Bonatto et al. 1996). Enfin, la description de l’haplogroupe X chez des populations modernes et anciennes d’Amérique du Nord (Brown et al., 1998; Stone et Stoneking, 1998), une lignée anciennement liée au X européen, a permis d’envisager la possibilité d’une migration issue d’Europe à l’Holocène (Brown et al., 1998). Là aussi, l’absence de preuves matérielles d’une telle migration ne permet pas de l’accréditer.
L’outil génétique et l’ancienneté du peuplement
Pour évaluer l’ancienneté du peuplement de l’Amérique, la génétique et ses techniques de datations ont été employées (Tableau 1). Ces techniques permettent une estimation de l’âge de séparation de deux lignées (temps de divergence), à partir de l’analyse de la diversité interne de celles-ci. Il convient de préciser que les dates de divergences estimées à partir d’un marqueur ne traduisent pas forcément l’histoire évolutive des populations mais en premier lieu celle du marqueur. Malgré cette considération, l’écart entre les estimations avancées et l’industrie de Clovis (plus de 20.000 ans contre 11.500 ans) n’écarte pas la possibilité d’un peuplement avant Clovis (Torroni et al., 1994; Forster et al., 1996; Bonatto et Salzano, 1997). Toutefois, les récentes évaluations chronologiques des lignés paternelles Q-M242, QM3 et Q-M19 (Bortolini et al., 2003; Seielstad et al., 2003; Zegura et al., 2004) proposent un peuplement plus récent, il y a 14.000 ans, par des populations porteuses des chromosomes QM242 (Bortolini et al., 2003). Ces chromosomes auraient ensuite dérivé sur place en Q-M3 puis Q-M19. L’apparition « fulgurante » de ces lignées suggère d’ailleurs une dispersion rapide dans le continent accompagné d’un processus de différenciation de même ampleur (tribalization process; Bortolini et al., 2003). De la même manière, les dates de divergence des haplogroupe mitochondriaux et spécialement de l’haplogroupe B suggèrent également un flux migratoire plus récent. Certains auteurs ont même supposé qu’il ait été introduit tout récemment (il y a 1000 ans; Demarchi et al., 2001a) car excepté le sujet de 4000 ans examiné par Ribeiro-dos-Santos et al. (1996), très peu de restes amérindiens (antérieurs au XIXème siècle!!) ont été attribués à l’haplogroupe B (Monsalve et al. 1996; Lalueza et al., 1997; Stone et Stoneking, 1998; Demarchi et al., 2001a; Dejean et al., 2005; Moraga et al., 2005).
LE NOMBRE DE VAGUES DE MIGRATION
Théorie des trois vagues migratoires
Au milieu des années 1980, un schéma de peuplement de l’Amérique par trois vagues successives venues d’Asie a été proposé à partir d’éléments linguistiques, dentaires et génétiques (Greenberg et al., 1986). Cette théorie repose essentiellement sur un regroupement linguistique des Amérindiens en trois groupes distincts (Figure 2). Selon ce modèle tripartite, la première vague serait arrivée il y a 12.000 ans pour donner naissance aux groupes de langue Amérinde et dont les artisans de Clovis feraient partie. La seconde vague serait à l’origine des populations Na-déné qui occupent actuellement l’Alaska, la côte Nord du Pacifique et un petit espace du Sud-Ouest de l’Amérique du Nord. Enfin, la troisième et dernière vague aurait amené les groupes Esquimau-aléoute, situés sur la périphérie Nord de l’Amérique du Nord. L’indépendance des vagues Amérinde et Na-déné a recueilli plus tard le soutien de l’ADN mitochondrial. Les auteurs placent entre 18.000 et 35.500 ans l’arrivé des précurseurs de l’Amérinde et entre 5 et 16.000 ans pour les précurseurs des groupes Na-déné (Torroni et al., 1992, 1993). La révision du modèle tripartite de Greenberg et al. (1986) par ces mêmes auteurs soutient cependant l’hypothèse d’une arrivée antérieure à l’industrie de Clovis, en accord avec les récentes données archéologiques sud-américaines (Dillehay et Coollins, 1988; Bahn, 1993; Roosevelt et al., 1996; Meltzer, 1997). Par ailleurs, il convient de souligner que depuis, l’homogénéité biologique de chaque tronc linguistique est de plus en plus remise en question (Rothhammer et al., 1997; Tarazona-Santos et al., 2001; González-José et al. 2001a,b; 2002, 2003, Pucciarelli et al., 2006). D’après Gibbons (1996), il est également difficile de classer l’ensemble des langues amérindiennes précisément en trois groupes; un chiffre 3 que l’auteur qualifie de « magique » tant les données génétiques et dentaires lui correspondent trop parfaitement. Mais malgré ses déroutes, le modèle tripartite de Greenberg et al. (1986) demeure l’hypothèse de départ des études menées jusqu’à présent sur le peuplement de l’Amérique (Horai et al., 1993; Bailliet et al., 1994; Bonatto et Salzano et al., 1997; GonzálezJosé et al., 2001a; Salzano, 2002; Schurr; 2002; Santos, 2004).
Théorie de la vague migratoire unique
Cette théorie apparaît dans la deuxième moitié des années 1990, quand Merriwether et al. (1995), Forster et al. (1996), Underhill et al. (1996), Bianchi et al. (1997), Bonatto et Salzano (1997), Karafet et al. (1997), puis récemment Silva et al. (2002) suggèrent à partir de l’analyse de la variation de l’ADN mitochondrial et du chromosome Y que les lignées observées ont été introduites simultanément sur le continent. Ces travaux montrent par ailleurs plus de similitudes entre les groupes Amérinde, Na-déné et Esquimaux-aléoutes qu’avec quelconque population asiatique. D’après les analyses de diversité nucléotidique de l’haplogroupe A, cette migration se serait produite à partir d’une expansion survenue dans l’Est de l’Asie Centrale, il y a 30 à 40.000 ans (Bonatto et Salzano, 1997). Autre aspect de cette théorie, les modèles de peuplement de l’Amérique proposés notamment par Greenberg et al. (1986) et Forster et al. (1996), communément appelée Out of Asia, considèrent la Béringie comme une passerelle. Dans le scénario proposé par Bonatto et Salzano (1997), dénommé Out of Beringia, la Béringie est plutôt perçue comme un refuge. Quittant l’Asie il y a environ 30.000 ans, des populations s’y seraient longtemps installées avant de se propager en Amérique par le couloir de l’Alberta. Puis, il y a approximativement 14 ou 20.000 ans, la fermeture de ce dernier aurait isolé les populations situées au Sud (à l’origine des groupes de langues amérinde) de celles restées en Béringie (qui donneront naissance aux groupes na-déné, esquimaux aléoutes et probablement Chukchi). Cet isolement permettrait d’expliquer les affinités entre les populations Na-déné et Esquimaux d’une part, et leurs relations plus distantes avec les populations amérindiennes d’autre part (Bonatto et Salzano, 1997).
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Table des matières
Introduction générale
1ère PARTIE : le peuplement de l’Amérique: synthèse et questions
I.1 L’origine asiatique du peuplement
I.2 Ancienneté du peuplement et voies de passage vers l’Amérique
I.2.1 La Béringie
I.2.2 Le littoral Pacifique
I.2.3 Les voies de passage plus hypothétiques
I.2.4 L’outil génétique et l’ancienneté du peuplement
I.3 Le nombre de vagues de migration
I.3.1 Théorie des trois vagues migratoires
I.3.2 Théorie de la vague migratoire unique
I.3.3 Théorie des deux composantes biologiques
I.4 Les questions qui demeurent
2ème PARTIE : Anthropologie, génétique des populations et marqueurs moléculaires
I.1. Les concepts de la génétique des populations
I.1.1 Définir la population et choisir l’échantillon
I.1.2 Le polymorphisme génétique
I.1.3 Le déséquilibre de liaison, l’haplotype et l’haplogroupe
I.1.4 L’équilibre de Hardy-Weinberg
I.1.5 Les variations du polymorphisme génétique
I.1.5.a Le choix non panmictique du conjoint
I.1.5.b Les variations d’effectif: dérive génétique et goulot d’étranglement
I.1.5.c Les mouvements d’individus: migration, effet fondateur et fusionfission
I.1.5.d La sélection naturelle
I.1.6 Les problèmes rencontrés par l’Anthropologue
I.1.6.a Les limites des méthodes classiques
I.1.6.a Le polymorphisme, dérive génétique ou sélection naturelle?
II.2 Les marqueurs moléculaires
II.2.1 L’ADN: structure et fonction biologique
II.2.2 Les marqueurs moléculaires fréquemment utilisés
II.2.2.a Les SNPs (Single nucleotide polymorphisms)
II.2.2.b Les SINEs (Short Interspersed Repetitive Elements)
II.2.2.c Les SSLP (Simple Sequence Lenght Polymorphisms)
II.2.3 L’ADN mitochondrial
II.2.3.a Description
II.2.3.b La région de contrôle (D-Loop)
II.2.3.c La 9bp deletion
II.2.3.d Propriétés de l’ADN mitochondrial
II.2.4 Le chromosome Y
II.2.4.a Description
II.2.4.b La région non-recombinante (NRY)
II.2.5 Quelques exemples d’application
II.2.5.a Populations anciennes et identification
II.2.5.b Paléoépidémiologies et paléopathologies
II.2.5.c L’Eve et l’Adam africains
II.2.5.d L’horloge moléculaire
II.2.5.e Métissage
II.2.5.f Peuplement et mouvement de populations
II.3 Les marqueurs à transmission uniparentale en Amérique
II.3.1 La diversité génétique de l’ADN mitochondrial amérindien
II.3.1.a L’haplogroupe X
II.3.1.b Les haplogroupes composés
II.3.2 Variabilité génétique du chromosome Y amérindien
II.4 Conclusion
3ère PARTIE. La Guyane française : entre Guyanes et Amazonie
III.1 Description physique du cadre de notre étude
III.1.1 Les Guyanes
III.1.2 Géographie et climat de la Guyane française
III.1.3 Couverture végétale de la Guyane française
III.2 Les populations amérindiennes de Guyane française : aspects culturels, historiques et démographiques
III.2.1 Les familles linguistiques de Guyane et leur histoire
III.2.1.a Les Arawak
III.2.1.b Les Karib
III.2.1.c Les Tupí-guaraní
III.2.2 Les populations amérindiennes de Guyane française
III.2.2.a Les populations du littoral
– Kaliña
– Palikur
– Arawak-Lokono
III.2.2.b Les populations de l’intérieur
– Wayampi
– Emerillon
– Wayana
III.2.3 Le groupe voisin Apalaí
III.2.4 Les Matsiguenga: une population Arawak péruvienne
III.3 Le peuplement autochtone postcolombien
III.4 Conclusion
Conclusion générale