L’organisation spatiale de la relocalisation alimentaire des circuits courts

Depuis les années 2000, en France, et plus généralement dans les pays occidentaux, un grand nombre d’initiatives de commercialisation alimentaire se développent sur le principe de la proximité. Ces initiatives sont issues d’une prise de conscience sociétale des conséquences de l’alimentation pour notre santé, mais aussi de l’impact environnemental et social de l’agriculture et de la grande distribution (distances kilométriques du producteur au consommateur, prix d’achat à perte pour les producteurs, gaspillage de produits, etc.).

Ainsi, en France, sont apparues dans les années 2000 les associations pour le maintien de l’agriculture paysanne (AMAP), tandis que les marchés de producteurs connaissent un certain engouement, et que le nombre de points de vente directe augmente. Les consommateurs et les producteurs qui utilisent ces chaînes font le choix d’une alimentation et d’une agriculture « alternatives », sur la base de considérations éthiques et politiques – on va jusqu’à parler d’un consumérisme politique concernant les consommateurs (Dubuisson-Quellier et Lamine, 2004 ; Deverre et Lamine, 2010 ; Siniscalchi Valeria, 2013).

La mobilisation croissante des collectivités sur la question des circuits courts (études, dispositifs de financements spécifiques, observatoires) est justifiée par les enjeux qu’ils représentent en termes de développement local (Pecqueur, 2001 ; Renting, 2003). Ainsi la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) a-t-elle connu ces dernières années la mise en place du plan Barnier, annoncé en avril 2009, du réseau rural PACA en novembre 2009, et l’initiative du Conseil Régional PACA de créer un observatoire des circuits courts de proximité en décembre 2010. De multiples acteurs partagent la volonté de structurer et d’institutionnaliser les circuits courts et suscitent la mobilisation de financements comme le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER). Les circuits courts sont ainsi vus comme des leviers du maintien d’ « une économie et de services dans les zones rurales [valorisant] une agriculture locale et favorisant le renforcement du lien social.».

La définition du terme de circuit court, même si elle a été fixée au niveau national, reste floue dans l’usage qu’en font la plupart des acteurs. De même, le développement réel de ces circuits reste méconnu et n’a guère été abordé par l’analyse de données spatialisées. À notre connaissance, seuls Hein et al 2006 ; Pouzenc et al. 2008 ; Scheffer et Dalido, 2010 ; Raynal .

J.-C., Razafimahefa L., 2013 ; Guido et al 2014, ont développé cette approche pour rendre tangible la localisation de ces circuits. Il nous a ainsi semblé opportun de proposer une approche quantitative de l’état et du potentiel de développement des circuits courts en région PACA, première région française en ce qui concerne la part de Surface Agricole Utile en bio (selon les chiffres agreste 2010 et l’agence bio en 2013) en nous concentrant en particulier sur le maraîchage. En effet, les producteurs de fruits et légumes, après les apiculteurs, sont les plus largement engagés dans la vente directe (Agreste Primeurs 2012).

Cette étude se base sur trois diagnostics alimentaires au niveau communal: la demande potentielle, l’offre potentielle et l’existant. Les données, quantitatives et qualitatives sont issues de plusieurs sources (Recensement général agricole (RGA) de 2010, Bio de Provence, INSEE, Observatoire régional) et leur récolte a été initiée au sein de l’observatoire régional des circuits courts en 2012. Nous catégorisons les modalités de circuits courts en fonction de deux critères : la présence ou non d’un intermédiaire d’une part, l’aspect collectif ou individuel de la commercialisation d’autre part. Les bassins de consommation et de production sont aussi répartis au sein de catégories pour établir leurs potentialités pour l’alimentation locale. La confrontation de ces deux typologies nous permet de mettre en avant l’existence de territoires clés en matière d’alimentation locale. Sur la base de ces résultats et en tenant compte (qualitativement) des dynamiques de gouvernance, nous proposons un indicateur des potentialités de développement des circuits courts.

Les circuits courts : une diversité de formes face à des volontés d’encadrement

Un phénomène bien établi, mais mal cerné

Les phénomènes du « bio » et du « local », portés par le débat public et la mobilisation citoyenne, ont pris une ampleur telle qu’ils représentent aujourd’hui un enjeu économique. Une demande et une offre spécifiques ont émergé. Ces dernières années, un certain nombre de modes de commercialisation de la grande distribution ont mis en avant les filières locales dans leur offre afin de séduire les consommateurs déjà sensibilisés : des grandes surfaces et des prestataires de la restauration collective utilisent l’identification de l’origine et du mode de production des aliments. On pense notamment à Sodexo, qui est le premier fournisseur en France de la restauration hors domicile, et qui s’est adapté à cette demande en participant au Programme « manger bio local en entreprise ». Elle propose par ailleurs 400 lignes de produits bio, qui représentent 2,5 % des approvisionnements effectués et a créé un poste de responsable d’achats bio, locaux et en circuits courts.

Parallèlement, les institutions locales, nationales et européennes se sont emparées du sujet, voyant dans ces circuits un moyen de contribuer à une reconversion partielle d’un secteur agricole en difficulté. En 2011, le conseil régional de PACA s’est doté d’une politique-cadre qui porte sur les circuits courts de proximité et a mis en place un observatoire regroupant des acteurs techniques. En 2010, le recensement général agricole a intégré pour la première fois des informations sur les circuits courts. Le ministère de l’Agriculture a défini les circuits courts en 2009 lors du lancement d’un groupe de travail (composé de structures de la société civile et de la recherche ) et d’un plan de soutien aux circuits courts (« améliorer les connaissances sur les circuits courts, adapter la formation aux agriculteurs, favoriser l’installation d’agriculteurs en circuits courts, mieux organiser les circuits courts »). Depuis, le ministère ne s’est pas plus engagé sur la thématique si ce n’est par un effort de flexibilité concernant l’application des normes sanitaires pour les petites structures en circuits courts. Ainsi les termes « circuit court » et « proximité » n’apparaissent pas dans la récente loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt et la demande en alimentation locale est évoquée une seule fois (p. 3) au sujet des spécificités des territoires d’outre-mer. A contrario, le commissaire européen à l’agriculture et au développement durable, M. Dacian Ciolos, s’est exprimé régulièrement sur la question des circuits courts et a impulsé une étude (Kneafsey M. et al, 2013) et un projet de création d’un label « circuit court » européen, notamment en s’appuyant sur le fait que « 15% des exploitations en Europe déclarent vendre plus de la moitié de leurs produits en circuits courts ». Cependant, il n’y a pas de mesure spécifique dans la nouvelle PAC et le projet de labellisation divise fortement.

Définir pour encadrer : attentes et réticences

La mobilisation des collectivités et des institutions se traduit aussi par un besoin de délimiter l’objet circuits courts. Cet aspect est éminemment politique puisqu’il détermine ce qui sera et ce qui ne sera pas pris en compte dans leurs dispositifs. Un rapport de l’Agreste du Limousin souligne qu’il existe une certaine défiance vis-à-vis des démarches normatives et d’institutionnalisation. Ces crispations émanent surtout d’acteurs agricoles et de consommateurs qui craignent un dévoiement du sens qu’ils donnent aux circuits courts.

La croissance de la demande en alimentation locale ne doit pas faire oublier que les circuits courts sont un mode d’organisation alternatif pour un secteur agricole en crise, un secteur agroalimentaire dévalorisé et décrié et un mode de consommation en manque d’informations et de liens sociaux. Cette alternative s’est construite par des innovations institutionnelles qui reposent sur la dimension collective de la création du circuit, puis de son fonctionnement. L’ensemble des modalités circuits courts (dont les modalités traditionnelles : marchés, vente à la ferme) ont bénéficié d’un regain d’intérêt à travers la médiatisation de ces questionnements et des formes innovantes de circuits alimentaires.

On peut caractériser les modalités de circuit court selon deux principaux critères. L’existence ou non d’un intermédiaire, premier critère, est repris dans l’ensemble des définitions officielles : le ministère de l’Agriculture a ainsi défini les circuits courts en 2009 comme étant des circuits de commercialisation alimentaire en vente directe ou avec un intermédiaire maximum. L’Union européenne a, quant à elle, ajouté un critère relatif à la proximité géographique comme un élément définissant les circuits courts. Pour préciser ce critère de proximité, certains acteurs choisissent une distance seuil, 100 km est souvent évoqué, d’autres un territoire fixe (l’agglomération marseillaise ou le Parc Naturel Régional du Lubéron par exemple). Nombre d’acteurs présentent cette proximité géographique comme devant permettre la proximité sociale et la dimension solidaire (soutien à l’agriculteur) : le seuil de distance correspond alors à la distance qui permet l’échange physique et régulier entre les producteurs et les consommateurs, pour les uns une heure de route, pour d’autres cinquante kilomètres. La proximité peut également se traduire par le fait que l’offre alimentaire se trouve sur le trajet quotidien du consommateur ce qui n’induit pas de nouveaux déplacements ni de nouveaux coûts.

En guise de synthèse, nous prendrons à notre compte la définition suivante de l’observatoire des circuits courts de proximité de la région PACA : Les circuits courts sont des circuits de commercialisation de produits agricoles et agro-alimentaires soit en vente directe, soit indirecte (avec au plus un intermédiaire), selon des critères de proximité. Sont pris en compte, dans l’observatoire régional, les projets collectifs (points de vente collectifs, marchés) et les projets individuels, mais au sein d’un réseau (bienvenue à la ferme, Amap). Les produits de la viticulture sont exclus de la viticulture, filière déjà fortement accompagnée et structurée. On voit que l’observatoire rejoint la vision institutionnelle en excluant la filière viticole, qui est considérée comme un secteur à part : déjà fortement structurée sur une vente directe spécifique (les caves) et peu connectée aux autres filières alimentaires.

De cette définition découlent cinq types de modalités de circuits alimentaires de proximité : les marchés de producteurs, les paniers, les ventes à la ferme, les points de vente collectifs et les intermédiaires commerciaux (internet ou commerces de proximité). Une forme nouvelle commence à se constituer, celle des plateformes d’approvisionnement de la restauration hors domicile.

Nous apportons trois nuances supplémentaires à cette catégorisation des modalités issue de la définition de l’observatoire : l’ancienneté de la forme de commercialisation, le secteur d’origine du porteur de projet et le caractère collectif ou non de la modalité. En effet, les anciennes (marchés, vente à la ferme) et les récentes (paniers, points de vente collectifs) coexistent, mais n’ont pas les mêmes origines : les premières permettent la valorisation d’une rente de proximité ; les secondes reposent sur le récent changement de paradigme alimentaire au regard des considérations environnementales, sanitaires, culturelles et même sociales que l’opinion publique porte sur l’agriculture via l’alimentation (Lamine, 2008). De plus, certaines sont initiées majoritairement par les producteurs (marchés, points de vente collectifs et vente à la ferme), d’autres par les consommateurs (paniers) et les commerçants (intermédiaires commerciaux). Enfin on observe une différence dans la création puis le fonctionnement selon que le projet soit défini et porté par un seul acteur (comme la vente à la ferme), ou par un collectif d’acteurs (points de vente collectif, Amap). Cette dernière nuance renvoie à la manière dont s’organisent les circuits courts :

● La démarche individuelle vient généralement renforcer des filières/activités existantes : diversification des débouchés pour un producteur en ouvrant une vente à la ferme ou en organisant un panier « texto » , épiceries s’approvisionnant en partie au carreau des producteurs du marché d’intérêt national (MIN), ou contractualisant un partenariat avec un producteur local ;
● Les démarches collectives permettent plus souvent l’émergence de nouvelles filières locales : réseau de paniers permettant des contrats mutualisés ; création de marchés de producteurs ; plateformes d’approvisionnement pour la restauration hors domicile. Dans ces circuits, les acteurs, des producteurs aux consommateurs, sont plus investis dans le fonctionnement quotidien : processus de décision, évaluation des activités, mise en place de systèmes participatifs de garantie, SPG. Ces derniers sont pensés dans les réseaux AMAP depuis 2006 en région PACA et des expérimentations ont lieu depuis 2009, mais leurs applications restent quelque peu chaotiques et ils ne sont pas encore reconnus par les collectivités (Mundler P., Bellon S., 2011).

En outre, ces démarches collectives valorisent le territoire dans lequel elles se développent : à la façon d’une rente territoriale (Mollard, Pecqueur, 2007) ou simplement pour mettre en avant une identité sans aller plus loin dans la mobilisation des ressources territoriales (Gumuchian, Pecqueur, 2007).

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Table des matières

Introduction générale
1. les circuits courts se développent et s’institutionnalisent
2. Circuits courts et systèmes alternatifs
3. La proximité comme principe actif
4. Observer le développement des circuits courts en région PACA
5. Considérations pour la lecture de la thèse et annonce du plan
Partie 1 – L’organisation spatiale de la relocalisation alimentaire des circuits courts : la proximité géographique en action
Chapitre 1 – Une géographie des circuits courts en région PACA : état des lieux et potentialités de développement
Propos du chapitre
Introduction
1. Les circuits courts : une diversité de formes face à des volontés d’encadrement
2. Une approche géographique du développement des circuits courts
3 Identification des systèmes alimentaires territoriaux en PACA
4. Vers une donnée synthétique de l’alimentation locale en région PACA
Conclusion
Chapitre 2 – La dimension spatiale du « local » des paniers des Bouches-duRhône de 2001 à 2015. Un retour au modèle de Von-Thünen ?
Propos du chapitre
Introduction – la distance pour mesurer le local des paniers
2. Une analyse diachronique de l’éloignement du maraîcher par le recensement exhaustif des paniers
3. Une organisation spatiale centre-périphérie des paniers
4. Le local correspondrait-il à une rente de localisation ?
Conclusion
Transition – Des niveaux d’organisation de la relocalisation alimentaire appelant à une coordination régionale
Partie 2 – Gouverner la relocalisation alimentaire : une visée commune des circuits courts en tension
Chapitre 3 – L’Observatoire régional des circuits courts. Vers une évaluation du dispositif
Propos du chapitre
Introduction
1. Qualifier le rôle de l’Observatoire
2. Observer l’Observatoire : Morphogénèse d’un réseau
3. Décrire la proximité organisée de l’Observatoire : production et participation
4. Discussion
Chapitre 4 – La visibilité comme ressource dans la gouvernance des circuits courts. Une approche institutionnaliste de l’évaluation
Propos du chapitre
1. Observer pour gouverner ?
2. La genèse des institutions : du dilemme social aux règles et la confiance
3. Dilemmes dans la voie de développement des circuits courts
Conclusion
Conclusion générale
Bibliographie
Table des matières
Table des figures
Encadrés
ANNEXES

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