L’organisation industrielle des systèmes électriques : vers l’ouverture des réseaux

L’analyse économique de l’accès aux réseaux électriques doit être replacée dans le contexte plus général des évolutions réglementaires en cours dans le secteur de la fourniture d’électricité. C’est qu’en effet le processus d’ouverture des réseaux touche aux fondements de l’organisation industrielle traditionnelle des systèmes électriques.

Peut-être, pour éviter tout quiproquo, faut-il d’emblée préciser ce que nous entendons par organisation industrielle. Nous retenons de cette expression l’acception la plus large. Appliquée à un secteur économique, en l’occurence la fourniture d’électricité, elle recouvrira sous notre plume à la fois l’organisation économique interne des entreprises actives dans le secteur, l’organisation du secteur lui-même et les relations entre les entreprises qui le composent, et le cadre réglementaire dans lequel le secteur s’inscrit. On reconnaît ici le triptyque coasien : l’entreprise, le marché, la loi , qui s’avère particulièrement fécond pour l’étude du secteur électrique. En effet, comme on le verra, les évolutions réglementaires actuelles soulèvent deux problèmes essentiels, auxquels le cadre coasien est bien adapté : la nature et la délimitation des activités respectives de chaque entreprise (qui fait quoi ?) d’une part, et le rôle de la réglementation publique (qui doit faire quoi?) d’autre part.

Des racines profondes pour affronter un vent violent 

L’organisation industrielle du secteur électrique dans l’ensemble des pays industrialisés est prise dans un mouvement de changements rapides, rythmé par les décisions, les actions et les réactions des acteurs économiques, politiques et institutionnels concernés. Sur le seul continent européen, il ne se passe guère de mois sans qu’un gouvernement n’annonce une réforme du secteur électrique national, qu’une entreprise du secteur ne noue une alliance stratégique, que la Commission européenne n’envoie une mise en demeure à un Etat de l’Union, ou que la Cour de justice européenne n’arrête quelque décision spectaculaire. Le vent déréglementaire souffle fort.

Dans ce contexte, s’il veut simplement prémunir ses analyses contre le risque d’une péremption trop rapide et réduire le contexte d’incertitudes dans lequel elles s’inscrivent, l’économiste de terrain doit aller au-delà du simple constat de l’état du rapport des forces à un instant donné. Il doit amener au jour les mécanismes plus fondamentaux qui modèlent l’organisation industrielle qu’il observe. Or, celle-ci a des racines profondes ; elle est le produit d’une évolution historique souvent longue (plus que centenaire dans le cas qui nous occupe) qui intègre des éléments économiques et juridiques bien sûr, mais aussi, et sans doute plus profondément, géographiques , techniques, organisationnels, politiques (donc sociaux et culturels).

L’ORGANISATION TRADITIONNELLE DES SYSTÈMES ÉLECTRIQUES

DE L’INTERCONNEXION À L’INTÉGRATION VERTICALE ET HORIZONTALE 

Depuis les tout débuts, une logique de l’interconnexion est à l’oeuvre dans l’organisation des systèmes électriques, qui s’enracine dans les caractéristiques technico-économiques de l’activité. En essence, l’interconnexion découle de ce qu’il est d’autant moins cher d’alimenter chaque consommateur que l’on alimente par ailleurs un plus grand nombre de consommateurs différents. C’est cette logique qui sous-tend l’extension des réseaux électriques, pour former de grands systèmes ‘interconnectés’ de dimensions subcontinentales, seulement bornés le plus souvent par des frontières naturelles ou politiques infranchissables. Cependant la logique de l’interconnexion ne suffit pas à rendre compte du modèle industriel du secteur, incarné par des monopoles territoriaux verticalement intégrés. D’autres considérations ont joué, que la puissance publique a pour la plupart relayées. En particulier l’électricité s’est rapidement imposée comme un bien indispensable à la vie moderne. Les compagnies monopolistiques ont tôt eu la double mission (assumée et souvent même revendiquée) de fournir l’électricité au moindre coût et à tous.

A priori cette exigence d’universalité coïncide avec la logique de l’interconnexion : une même compagnie qui alimente tout le monde maximise nécessairement les gains permis par la mise en réseau. C’est d’ailleurs ici qu’il faut chercher la principale raison de la stabilité de l’organisation industrielle du secteur pendant plusieurs décennies. Cependant une analyse plus fine, portant davantage son attention sur les marges du modèle, les exceptions à la règle, met en évidence les zones de fragilité, les lignes de fracture possibles de ce modèle. Il ne sera dès lors pas étonnant de retrouver ces ‘maillons faibles’ au coeur des discussions sur l’ouverture des réseaux .

La logique de l’interconnexion 

Les vertus (progressivement dévoilées) du système universel 

Le grand système technique dissimulé derrière la prise (behind the plug) offre dès le début du siècle l’exemple d’une organisation particulièrement complexe, partiellement imposée par la nature particulière de l’électricité. Il nous faut pour débuter notre propos en pénétrer les arcanes, en exposer les principaux fondements.

L’électricité, un produit paradoxal
Débutons par un paradoxe : l’électricité, bien immatériel donc non stockable, est également instantanément disponible. Des rudiments de gestion nous ont pourtant appris que le moyen économique permettant d’adapter les rigidités de la production d’un bien (ou d’un service) aux fluctuations de la demande, est précisément le stock . Le produit étant non stockable, il faut donc, à chaque instant (presqu’à chaque seconde) assurer l’équilibre global au sein du système entre offre et demande d’électricité. Or le fonctionnement d’un système électrique, suivant en cela une loi universelle, est soumis à des événements imprévus (les aléas) affectant la production ou des écarts de la consommation par rapport aux prévisions, phénomènes dont les effets négatifs peuvent être rapides (sensibles en quelques secondes) et, surtout s’ils n’ont pas été anticipés, considérables (interruptions d’alimentation plus ou moins importantes). Pour pallier cette éventualité, des réserves de puissance électrique doivent être constituées, réserves qui ne croissent pas aussi vite que la taille du système du fait de la compensation statistique des aléas . La variété des consommations vient renforcer cette première raison d’accroître la taille et la diversité du système. D’une part chaque consommateur ne consomme pas à chaque instant mais seulement au cours de périodes relativement courtes, la puissance maximale pour laquelle il a souscrit. D’autre part ces périodes individuelles de pointe ne coïncident pas dans le temps, de sorte que la pointe du système est très inférieure à la somme des pointes individuelles. La capacité de production nécessaire pour satisfaire globalement un ensemble de consommateurs est très inférieure à celle qui serait nécessaire pour satisfaire séparément chacun des consommateurs. Faisant le calcul en 1915 pour la ville de Chicago, Samuel Insull, directeur local de la compagnie de distribution d’électricité d’Edison, calcule que le gain sur la capacité installée pour satisfaire la pointe du système (par rapport à la satisfaction séparée des pointes individuelles) est de 13% en considérant seulement quatre catégories de consommateurs et de 63% en considérant onze catégories de consommateurs .

Un troisième facteur, qui vient comme en surplus, contribue à justifier l’accroissement de la taille des systèmes électriques : c’est la diversité des coûts de production. Les groupes ont en effet des coûts (d’investissement et d’exploitation) très différents et l’on peut retirer de ces écarts des gains substantiels. On peut en effet distinguer les moyens de production selon le rapport entre coût d’investissement et coût variable de production propre à chaque technologie. Les groupes à coût d’investissement relativement élevé » (on peut penser dans le contexte français aux groupes nucléaires) sont efficaces pour fournir une énergie régulière tout au long de l’année. Les groupes à coût d’investissement relativement faible (mais à coût d’exploitation élevé) sont efficaces pour des fournitures plus ponctuelles. A long terme, il existe compte tenu de la consommation globale à satisfaire un dosage optimal entre les différentes technologies compétitives —les technologies coûteuses en investissement et en exploitation étant rejetées… Lorsque le parc de production est constitué, on réalise encore des gains importants par la coordination à court terme des moyens de production, coordination consistant dans son principe à faire produire en priorité les groupes dont le coût variable de production est le plus faible : c’est la règle dite de dispatching économique ou de merit order. Cette (sommaire) analyse technico-économique met en évidence l’importance cruciale du caractère non stockable de l’électricité dans l’accroissement irresistible de la taille des ensembles électriques interconnectés. Cette tendance est encore renforcée par la nature des usages de l’électricité ; le bon fonctionnement des économies et des villes repose de plus en plus largement sur une alimentation électrique fiable et de qualité ; la sécurité des systèmes électriques, comme plus récemment celle des systèmes informatiques et de télécommunications, est un enjeu stratégique. Que l’on songe par contrepoint à la tolérance de la puissance et de l’opinion publiques en matière de congestion routière.

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Table des matières

Introduction générale
Partie A. L’organisation industrielle des systèmes électriques : vers l’ouverture des réseaux
Chapitre 1. L’organisation traditionnelle des systèmes électriques : de l’interconnexion à l’intégration verticale et horizontale
1.1. La logique de l’interconnexion
1.2. L’intégration : le réseau, support d’un monopole de service
Conclusion du chapitre 1
Chapitre 2. Evolutions réglementaires aux Etats-Unis et en Europe
2.1. Les évolutions réglementaires aux Etats-Unis
2.2. Les évolutions réglementaires dans l’Union européenne
2.3. Les enjeux de l’ouverture des réseaux électriques
Conclusion de la première partie. Economie et rhétorique des réseaux
Partie B. La tarification au coût marginal du transport d’électricité
Introduction
Chapitre 3. La théorie de la vente aux prix spot et son extension à la tarification du transport d’électricité
3.1. Des prix spot au coût marginal de transport
3.2. Prix de rachat de la production décentralisée
3.3. Concurrence à la production et prix spot de transport et d’accès
Conclusion du troisième chapitre
Chapitre 4. Le coût marginal de transport en pratique
Introduction
4.1. Les indivisibilités dans les investissements de réseau
4.2. Le phénomène de pointe
4.3. Economies d’installation et rendements d’échelle croissants dans le développement des réseaux électriques
4.4. Les incitations à la ‘bonne’ localisation sur le réseau
4.5. Certains effets de la variabilité du coût marginal de court terme de transport d’électricité
Conclusion de la deuxième partie
Partie C. La réglementation de l’accès aux réseaux électriques
Chapitre 5. Les conditions réglementaires de l’efficacité économique des systèmes électriques ouverts
5.1. L’efficacité de la compagnie de réseau
5.2. La forme des prix de fourniture d’énergie et son influence sur l’efficacité économique des systèmes ouverts
Chapitre 6. La recherche d’équilibres réglementaires de long terme
Introduction
6.1. Contestabilité du marché et nouvelles technologies de production
6.2. Vertus et limites de la ‘dépéréquation amont’
6.3. Le service universel en question ,
Conclusion de la troisième partie
Conclusion générale
Annexes

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