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Histoire du squat
Georges Cochon et les premiers cas de squats concrets.
« 1912! Les cheminots viennent de reprendre le travail, les mineurs sont en grève, les inscrits maritimes déposent leur cahier de revendication. Au congrès de Marseille le C.G.T. a voté la grève géné- rale contre la guerre qu’on prépare. Dans l’Europe agitée d’inquiétants bruits de bottes retentissent. Le bourgeois apeuré par les rumeurs de la rue où l’on crie «Vive la sociale» se couche tôt. Le bruit du sabre qui résonne quelque part du côté d’Agadir rend son sommeil léger. C’est alors que tout éclate. Dévalant des pentes de Montmartre, de Ménilmontant, de la Montagne Sainte-Geneviève la carriole rebondit sur les cailloux pointus. Les casseroles tintent contre la fonte du poêle. Le sommier métallique grince. Brandissant des cloches, cognant à tour de bras sur des seaux, quelques démons en blouses, à barbes hirsutes poussent la charrette en hurlant. Le bourgeois dresse sa tête finement ornée du bonnet de coton à pompons avant de se replonger sous les draps.
C’est Georges Cochon qui part en guerre contre M. Vautour. »1
Considéré comme le « précurseur de l’Abbé Pierre », Georges Cochon était un ancien ouvrier tapissier, affilié à la CGT durant la grande époque Syndicaliste révolutionnaire en France. Expulsé de son logement, il regroupe plusieurs militants et crée le syndicat du Raffut de la Saint-Polycarpe, en 1911, dont le but est de lutter contre les expulsions et les propriétaires abusifs (« Mr Vautour »). Le syndicat sera plus tard renommé l’Union syndicale des locataires ouvriers et employés.
Il aide alors les locataires en difficulté à déménager à la cloche de bois2 (clandestinement), puis à investir des logements inoccupés ; scène qui est donc retranscrite dans l’extrait du Raffut de la Saint Polycarpe. Autrement dit, squatter est la dernière possibilité vers laquelle les délogés peuvent se tourner. Mais plus encore, squatter devient un moyen de dénoncer les difficultés financières des classes les moins aisées. Le squat est à ce moment-là à l’initiative d’un syndical aux tendances anarchistes. L’action que Mr Cochon entreprend vise à aider les sans-logis en organisant notamment des campements impromptus. En février 1912, il aide une famille de 8 enfants venant de se faire expulser à se reloger :
«Une nuit, en l’espace de treize minutes, ils l’installèrent au beau milieu des jardins des Tuileries. Puis ce furent la cour de la chambre des députés, l’hôtel de ville, la caserne du Château-d’eau, à l’assaut de laquelle Cochon partit à la tête de 15000 fédérés. (…) Sans parler des maisonnettes exposées au Grand Palais lors du Salon de l’habitat que Cochon remplit de nécessiteux : Vous avez créé ces maisons, j’ai inventé la façon de s’en servir».1
L’intrusion dans les jardins des Tuileries aura été épaulée par le syndicat des charpentiers qui y construisit une baraque de fortune. Ses actions démontrent alors combien George Cochon incrimine le rôle de l’État dans le manque de logements et dans la politique immobilière de l’époque. En effet, en visant des haut-lieux comme l’hôtel de ville, la chambre des députés, ou encore l’occupation de maisonnettes exposées au Grand Palais lors du Salon de l’habitat ressemble à une démonstration de force vis-à-vis de l’État, radicale voire anarchiste.
Des causes antérieures déjà présentes.
Mais les premières formes de squat sont apparues encore avant, même si les actions de Mr Cochon ont été les premières à avoir autant d’impact, et surtout ont été retranscrites concrètement. Car bien que l’on ne puisse connaître avec exactitude la date des premiers cas, on imagine que le phénomène ait pu apparaître dès les premières formes de civilisations et de « socialisation […] par structure étatique »2. En effet, le squat désigne par définition l’occupation illégale d’un lieu, sans titre de propriété. N’importe qui pourrait alors devenir « squatter » dès lors qu’il s’installe de façon prolongée et non autorisée dans un espace déjà détenu par une tierce personne.
Cependant, au-delà de la simple occupation illégale d’un lieu, les premières formes de squat démontrent d’autres intentions : une mobilisation et une revendication au droit au logement pour tous. À l’instar de Mr Cochon, Gerrard Winstanley, marchand drapier puis activiste politique britannique du XVIIème siècle, mena le mouvement des Diggers (« Bêcheux » en français) dans l’optique d’occuper des terres illicitement dans la banlieue de Londres.
Le phénomène est alors déjà motivé et marqué par une revendication sociale voire anarchiste puisque les Diggers prônent l’expropriation des seigneurs et le partage des terres en formant une communauté qui s’installe sur des terres cultivables, en vivant en toute autonomie. Le mouvement ne durera qu’un an, obligé de se rétracter sous la pression de la « gentry ». Il explique dans son écrit La loi de la liberté aspirer à l’instauration d’une démocratie égalitaire, ainsi qu’à la propriété collective des terres sur le territoire anglais. Ainsi chacun devrait avoir libre accès à tout terrain. Dans une telle organisation du territoire sur la propriété, le terme de squat n’aurait plus vraiment de sens puisqu’il ne serait plus possible d’occuper illégalement un lieu. Nous pouvons donc comprendre ici qu’indirectement, l’acte de squatter est signe de précarité et d’instabilité économique dans le pays.
Deux siècles après le mouvement des Diggers, vers 1830, le terme de « squatter » réapparaît plus significativement et désigne les éleveurs de moutons qui occupaient les prairies illégalement. Ces derniers s’opposaient alors aux settlers, cultivateurs sédentaires : « Lorsque le gouvernement australien, pour contrôler l’expansion anarchique de l’activité pastorale, prit la décision de vendre les concessions et que celles-ci donnèrent lieu à une spéculation intense, les squatters cherchèrent à échapper à ce contrôle en reportant la conquête du sol vers l’intérieur du pays. On comptait, en 1842, plus de cinq mille éleveurs de moutons qui disposaient d’un million de bêtes. Leur force fit reculer le gouvernement qui dut reconnaître l’occupation de fait des terres. Le Waste Lands Occupation Act (1846) sanctionna le succès des pionniers. Cependant, vers 1855, les squatters se heurtèrent à leur tour aux nouveaux immigrants, qui contraignirent les États du Sud à examiner le problème des immenses domaines accaparés par les squatters. De nouveaux partages de terres eurent lieu, la spéculation fut combattue. Le Torrens Act (1857, Australie du Sud) imposa l’enregistrement de toutes les terres qui faisaient l’objet de transactions ; il inspira la législation généralement adoptée dans le pays. »1
Le Torrens Act contribue à la précision de la définition de squatter puisqu’il met en place la cadastration du territoire, avec inscription écrite obligatoire du propriétaire dans un registre. Il définit donc clairement la propriété d’autrui et apporte la sécurité juridique de la propriété aux propriétaires. Par conséquent, il permet d’identifier plus facilement un cas de squattage.
Ce cas permet aussi d’étendre la définition du squat en élargissant sa zone d’intervention : l’occupation peut se faire aussi bien dans des régions agricoles, sur des terres, dans des champs, … que dans les villes, dans des immeubles, des friches, …
À la fin du XXème siècle, Alain Coteau met en parallèle l’émancipation des squats avec les luttes ouvrières, durant cette même période dans l’Europe industrielle. « On peut penser que ces attitudes étaient liées au taux élevé des loyers des habitations ouvrières »1. Ainsi durant cette période un nombre important d’ouvriers déménagent, laissant plusieurs logements vides du jour au lendemain. Dans un contexte de lutte des classes, le squat apparaît dès lors comme un réseau d’entraide et de partage. Cette idée d’entraide et de partage se répercute dans notre société actuelle avec notamment le mouvement des Miles de Viviendas à Barcelone, que Christophe Coello suivra dans son film reportage « Squat, la ville est à nous », sur lequel nous reviendrons plus tard.
Les luttes modernes et le premier mouvement de squatters.
Dans la suite des événements induits par Georges Cochon, qui opéra au début du Xxème siècle, la Confédération National du logement, le Mouvement populaire des familles ainsi que l’Abbé Pierre (1912-2007) trouveront dans le squat une façon de « mettre en évidence un parc de logements vides et une masse de sans-abris »2. En effet, la seconde guerre mondiale aura défiguré une partie importante dans les villes et les campagnes, détruisant « 20% [des habitations] en France et aux Pays-Bas, 30% en Grande-Bretagne, 40% en Allemagne. La pénurie des transports aggravait les conditions du ravitaillement des villes et des régions spécialisées en cultures industrielles ou en vignobles. Seules subsistaient les relations ville-campagne fondées sur le troc, de sorte que partout la famine était menaçante.»3
Ce sont les éléments déclencheurs à l’origine de la lutte moderne pour le respect de l’article 25 de la Déclaration des Droits de l’Homme, le Droit au logement pour tous, qui fut alors pour la première fois reconnu au niveau international. Ce fut en 1948:
« Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté. » (article 25)
En effet, les revendications portées par Georges Cochon, l’Abbé Pierre, ou encore les mouvements sociaux et anarchistes comme le Mouvement Populaire des Familles ont permis d’établir de nouvelles conditions et de nouvelles dispositions vis-à-vis de l’accession au logement pour tous. Même si ces expériences n’ont pas été toujours réellement efficaces.
Par exemple, en 1945, le gouvernement français institue le droit de réquisitionner des logements vacants au profit des familles sans logis. Cependant, la procédure est assez longue et laisse le temps au propriétaire de faire échouer l’étude.
« C’est peut-être à Marseille que l’inefficacité de la loi est la plus évidente : en un an, l’Office municipal du logement avait été saisi de 76000 demandes; 2200 dossiers furent retenus ce qui aurait dû conduire à la signature de 2200 arrêtés prononçant les réquisitions. Or, pas une seule ne fut appliquée. »1
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Table des matières
Introduction
I. Squat et « squat artistique »
1. Définition du terme de squat
2. Histoire du squat
3. Du squat à l’atelier d’artistes
II. L’organisation amenant de la solitude au partage
1. Vivre le squat, un lieu stéréotypé
2. Activités et relations au sein du squat artistique
3. Evolution du squat artistique par sa publicité
III. Un lieu entre illégalité et légalité
1. L’occupation illégale des squats d’habitation
2. Le squat en tant que lieu d’expression artistique
3. Du squat artistique au « lieu indépendant »
Conclusion et perspectives
Bibliographie
Annexes
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