L’opportunité et les prétentions disruptives du réseau social d’entreprise

L’opportunité et les prétentions disruptives du réseau social d’entreprise

Comprendre le réseau social d’entreprise à partir de ladite « révolution numérique »

« Partout dans le monde, la transformation numérique représente une nouvelle étape de la profonde réorganisation économique et sociale engagée depuis plusieurs décennies sous l’effet des technologies d’information. Depuis 2008, nous sommes dans une nouvelle phase désignée par un nouveau mot : le numérique. À chaque étape, on a parlé de révolution. Mais avec le numérique, la transformation s’accélère et se radicalise ».

Le numérique apparaît comme le vecteur d’une révolution, d’une rupture radicale, d’un changement de modèle de société. Cette révolution culturelle semble être de l’ordre de la révolution de l’imprimerie à la Renaissance. Alors que la culture du livre correspond à une approche individuelle et solitaire dans l’accès au savoir, la culture du numérique s’inscrit dans un réseau de collaboration, d’échange de commentaires, d’avis partagés, etc., sur le modèle de Wikipédia qui développe une encyclopédie collaborative (Silva et Scouarnec, 2016).

L’origine de la cyberculture est à rechercher dans la contre-culture californienne des années 1970, le cyber-libertarianisme des hackers et l’anarchisme des théoriciens du logiciel libre (Turner, 2006). Le mouvement du logiciel libre, initié en 1985 par l’informaticien Richard Stallman annonce une révolution morale et juridique propre à influencer la société entière. De nouvelles valeurs sont défendues, celles de partage, de gratuité, d’horizontalité, de désintéressement qui fondent la révolution Internet (Cardon, 2015). Le collaboratif devient le leitmotiv de la révolution numérique avec l’idée de mise en réseau et de développement des échanges. Une « intelligence collective » émerge des contributions individuelles et représente un bien commun, quoiqu’appartenant aux plateformes qui l’hébergent et le rendent possible.

Une économie nouvelle se dessine à partir des plateformes. L’exemple du succès de Wikipedia montre comment, en quelques années, l’esprit de l’open source a pénétré la société. Les logiques entrepreneuriales sont elles aussi affectées par les valeurs de partage communautaire et de collaboration contributive. Le socle de l’idéologie numérique est de libérer la production, la diffusion d’information et l’innovation (Lessig, 2001). La communication en « peer to peer » (« pair à pair »), en est un moyen privilégié. Il s’agit de redonner du pouvoir à la masse. Le thème de la décentralisation du pouvoir des grandes institutions, l’Etat comme les grandes organisations, est alors central (Benkler, 2006).

De nouvelles formes et pratiques sociales émergent dans la société contemporaine, avec les nouvelles technologies de l’information et de la communication et notamment ladite « révolution » du web 2.0 (O’Reilly, 2007). La deuxième révolution numérique, celle du web relationnel et participatif repose sur la dimension sociale, communautaire, conversationnelle rendue possible par les technologies relationnelles, notamment les réseaux sociaux depuis les années 2000. Les usagers sont au centre, ils produisent, actualisent et diffusent des données qui peuvent être reprises et enrichies par d’autres.

« À côté des usages informationnels, administratifs, récréatifs et marchands, toujours plus importants, Internet s’est imposé comme une technologie multiforme de communication interpersonnelle. À l’utilisation de la messagerie électronique, ancienne et désormais massive, sont venus s’ajouter les réseaux sociaux en ligne, les messageries instantanées multimédias et la conversation vidéo, avec des outils comme Facebook, Messenger, Skype, WhatsApp ou Snapchat » (Mercklé, 2016, V, p. 71).

C’est en effet la dimension de sociabilité numérique qui nous intéresse principalement pour notre recherche. Que désigne-t-on par « social software » ? Le terme apparaît pour la première fois dans les années 1980 avec le groupware au sein de la communauté du « Computer Supported Cooperative Work » (CSCW) (Allen, 2004 ; Bibikas, 2010 ; Bruno, 2011 ; Christidis, 2012 ; Cook, 2008; Erol, 2010 ; Haefliger, 2011 ; Shirky, 2005). Il s’agit d’un collecticiel ou logiciel de groupe permettant de favoriser le travail collaboratif.

Le web 2.0 comprend différents types de médias (Cavazza, 2012) : blogue (WordPress, Blogger, etc.), forum (Doctissimo, Comment ça marche, etc.), wiki (Wikipedia, etc.), service de partage (YouTube, Slideshare, etc.), réseau social (Facebook, etc.), microblogue (Twitter), agrégateur (Posterous, etc.), FAQ (« foire aux questions ») collaborative, jeux sociaux, service de géolocalisation. Nous délimitons notre étude aux outils de réseau social, c’est-à-dire un site où chaque utilisateur possède un profil et interagit avec une ou plusieurs personnes. « Il existe aujourd’hui une multitude de réseaux sociaux qui ont chacun leur particularité : sociale (comme Facebook), culturelle (comme MySpace), de rencontre (Match) ou professionnelle (comme LinkedIn ou Viadeo), mais ont tous la même finalité : la mise en relation » (Portela, 2012, p. 30).

A la fin des années 2000 et au début des années 2010, les entreprises développent leur propre réseau social ou réseau social d’entreprise (RSE), tourné vers les parties prenantes internes de l’entreprise (la direction, l’ensemble des salariés et les partenaires sociaux) et potentiellement ouvert aux parties prenantes externes (clients, fournisseurs, partenaires, collectivités locales, etc.). Contrairement à l’intranet qui permettait une communication institutionnelle, descendante unilatérale et formalisée, le RSE vise une communication transverse avec la possibilité pour n’importe qui d’émettre un message, d’interagir avec n’importe qui au travers de messages peu formalisés, spontanément, sans cadre institutionnel apparent. « Pour synthétiser, le RSE est dans une logique de flux (circulation de l’information) et l’intranet dans une logique de stock (classement de fichiers) » (Poncier, 2012, p. 59).

Définition du réseau social d’entreprise

Nous allons commencer par définir le réseau social d’entreprise. Le RSE n’est à confondre ni avec l’utilisation de réseaux sociaux grand public dans l’entreprise de type Facebook ou Twitter, ni avec l’utilisation de réseaux professionnels tels que LinkedIn ou Viadeo utilisés très largement par les entreprises pour leur communication externe de type marketing ou institutionnelle, pour le recrutement et la communication de la marqueemployeur vis-à-vis des parties prenantes externes, notamment des clients.

La plateforme de réseau social d’entreprise désigne la mise en place par l’entreprise (souvent aidée par un cabinet de conseil) d’un réseau social spécifique à l’entreprise et dont l’usage est interne, visant à développer la communication interne à l’entreprise, souvent à partir de l’intranet, tels que Jive, Yammer, Chatter, BlueKiwi ou l’utilisation de plateformes publiques comme Google+, mais en accès privé pour l’entreprise. Deux entreprises étudiées utilisent la solution Google+ pour des raisons de budget notamment et de facilité d’accès, l’entreprise E2 et l’entreprise E3. Cette solution leur permet d’utiliser la suite Google (Google+, Google Drive, Hangout, etc.). Mais pour des raisons de sécurité des données et de gestion des ressources, les six autres entreprises étudiées ont développé leur propre réseau social. Par ailleurs, des groupes / communautés par site, métier ou affinité existaient sur des réseaux sociaux grand public (notamment Facebook) ou des messageries instantanées (notamment WhatsApp) avant la mise en place du réseau social d’entreprise. Ces groupes tendent à être rapatriés en interne pour sécuriser le contenu et les données, même si certains continuent à fonctionner, comme nous le verrons dans notre étude.

Pour finir, les plateformes de réseau social d’entreprise peuvent être ouvertes à l’ensemble des parties prenantes internes (la direction, l’ensemble des salariés et les partenaires sociaux) et des parties prenantes externes (clients, fournisseurs, partenaires, collectivités locales, etc.) de l’entreprise. Mais pour l’heure, l’ouverture aux parties prenantes extérieures reste relativement limitée dans les entreprises étudiées. Notre intérêt se porte sur le fonctionnement et sur les implications du réseau social d’entreprise sur la collaboration, sur la mise en relation des employés, donc sur les parties prenantes internes.

Littérature de conseil et chiffres clés du réseau social d’entreprise

Nous sommes partis d’un premier constat, en lisant la littérature managériale et de conseil sur les transformations organisationnelles et en interrogeant, lors d’entretiens exploratoires, certaines directions de grandes entreprises : les plateformes collaboratives sont à la mode dans les grandes entreprises. Il s’agit certes d’une pratique émergente dans les entreprises, mais d’une pratique qui est en voie de généralisation, tout au moins dans les grandes entreprises. Pour parler de cet effet de mode, la littérature de conseil n’hésite pas à parler de « viralité » et d’ « évangélisation » du réseau social d’entreprise.

Pour ce qui est de la littérature managériale et de conseil sur la transformation numérique à travers le déploiement de plateformes collaboratives de type réseau social d’entreprise, les principaux cabinets de conseil que nous pouvons citer, sans que cette liste soit exhaustive, sont : le cabinet Arctus consultants, le cabinet Lecko , Orange business services. Nous nous sommes aussi référés aux recherches et à la veille du blog du modérateur, du Journal du Net, du site Archimag , de l’Observatoire des Réseaux Sociaux d’Entreprise, de l’Observatoire e-transformation et intranet et d’autres encore que nous rencontrerons au cours de notre étude. Nous avons suivi également les ouvrages et activités sur les réseaux numériques grand public de professionnels et de consultants, spécialisés dans le RSE comme Anthony Poncier (2012), Bertrand Duperrin, Franck La Pinta, Ziryeb Marouf (2011), Didier Mazier, Deborah Ng (2011), Christophe Coupez (2015), Alain Garnier et Guy Hervier (2011), Clémence Bertrand-Jaume (2012), Virgile Lungu (2015), Louis-Pierre Guillaume (2014). Nous nous sommes également référés à la thèse d’Audrey Portela, Implantation et usages d’un réseau social d’entreprise : l’expérience d’Astral (2012), à la thèse de Karina Barrantes et aux travaux associés sur la Communauté de pratique, apprentissage informel et réseaux sociaux en entreprise : quels enjeux de partage ? Etude de cas comparative d’une population d’actuaires chez AXA France et AXA Mexique (2014), à la thèse de Tatiana Domingues Aguiar, La dimension organisante de la « veille collaborative » : entre communauté et organisation (2015).

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Table des matières

INTRODUCTION
Préambule
Objet de la recherche : le réseau social d’entreprise (RSE)
Contexte et enjeu de la recherche : l’idéal collaboratif au sein de l’entreprise traditionnelle
Problématique
Hypothèses
Positionnement disciplinaire
Sciences de l’Information et de la Communication (SIC) et Communication Organisationnelle
Approche critique
Philosophie sociale
Méthodologie et terrain
Epistémologie
Recherches exploratoires et complémentaires
Techniques de recueil de données
Techniques d’analyse de données
Limites méthodologiques
1. L’EMERGENCE DU RESEAU SOCIAL D’ENTREPRISE DANS LE CONTEXTE DES TRANSFORMATIONS SOCIALES, CULTURELLES ET ORGANISATIONNELLES
1.1. L’opportunité et les prétentions disruptives du réseau social d’entreprise
1.1.1. Comprendre le réseau social d’entreprise à partir de ladite « révolution numérique »
1.1.2. Définition du réseau social d’entreprise
1.1.3. Littérature de conseil et chiffres clés du réseau social d’entreprise
1.1.4. Enjeux du réseau social pour l’entreprise
1.1.5. Limites de l’appropriation des outils de réseau social en contexte organisationnel
1.2. Retour sur les transformations sociales et culturelles
1.2.1. L’environnement socioculturel
1.2.2. La question du déterminisme technologique
1.2.3. La société de l’information et de la communication ou la forme en réseau
1.2.4. L’émergence d’un nouveau paradigme ?
1.3. Retour sur la transformation des organisations pour comprendre l’idéal émergeant de « l’organisation collaborative »
1.3.1. « L’entreprise en réseau », transformations de l’organisation du travail : de la coordination prescrite à la collaboration volontaire
1.3.2. Transformations du management et nouvelles stratégies de mobilisation
1.4. Le renouveau des formes anthropologiques et sociales comme condition de possibilité de l’idéal collaboratif
1.4.1. Retour sur les notions de communauté et de société, catégories fondamentales de la sociologie pour comprendre les nouvelles formes de lien social
1.4.1.1. Définitions croisées de la communauté et de la société
1.4.1.2. La compréhension axiologique des formes sociales
1.4.1.3. Les écueils de la société moderne
1.4.1.4. La nécessité de repenser le social
1.4.1.5. Le passage d’une forme sociale à l’autre : holisme versus individualisme
1.4.2. Comprendre l’opportunité de nouvelles formes sociales aujourd’hui
1.4.2.1. Repenser l’être, de l’individu à la personne : une anthropologie relationnelle
1.4.2.2. Repenser le lien social au cœur de la société contemporaine : entre nouveaux collectifs et nouvelles communautés de travail
1.4.2.3. Le rôle des technologies numériques dans l’émergence des nouvelles formes sociales
1.4.2.4. Consistance de la catégorie de « communauté virtuelle » ?
2. EXAMEN DES FORMES SOCIALES PERMISES PAR LE RESEAU SOCIAL D’ENTREPRISE, EN PARTICULIER LA CATEGORIE DE COMMUNAUTE VIRTUELLE
2.1. Mise en place et ambitions du réseau social d’entreprise
2.1.1. La mise en place ambiguë du réseau social d’entreprise, un choix organisationnel dont le succès repose sur l’initiative des acteurs : entre expérimentation et accompagnement institutionnel
2.1.2. Description des fonctionnalités générales du réseau social d’entreprise
2.1.3. Comment le réseau social d’entreprise s’inscrit dans le paysage des différents outils déjà existants ?
2.1.4. Quels rapports entre le virtuel et le présentiel avec le réseau social d’entreprise ?
2.2. Caractérisation des membres sur le réseau social d’entreprise : vers une démocratisation des organisations ?
2.2.1. Trois modes d’accès aux communautés en ligne : ouvert, privé et réservé
2.2.2. Typologie des acteurs sur le réseau social d’entreprise
2.2.3. Décalage entre les sponsors et les membres actifs sur le réseau social d’entreprise : promotion par le haut versus participation par le bas
2.3. Caractérisation des communautés en ligne comme pratiques et formes sociales sur le réseau social d’entreprise
2.3.1. Les différents groupes sociaux dans les organisations
2.3.2. La dimension professionnelle des communautés en ligne revendiquée
2.3.3. Typologie des communautés professionnelles sur le réseau social d’entreprise
2.3.4. Critères de ressemblance et de différence entre les communautés professionnelles
2.3.5. Spécificité et/ou prolongement du groupe de type communauté virtuelle par rapport au groupe organisé
2.3.6. Retour sur la « communauté virtuelle » : une catégorie descriptive ou normative ?
3. TYPOLOGIE DES MODES DE REGULATION DES COMMUNAUTES VIRTUELLES SUR LE RESEAU SOCIAL D’ENTREPRISE : DE L’ANIMATION A LA PARTICIPATION
3.1. Propos introductif : retour sur la théorie de la régulation
3.2. Un nouveau rôle, celui d’animateur, gestionnaire de communauté virtuelle
3.2.1. Remarques préliminaires
3.2.1.1. Définition de l’animateur de communauté interne sur le réseau social d’entreprise
3.2.1.2. Différents profils, statuts, rôles et droits au sein d’une communauté
3.2.1.3. Les présuppositions
3.2.1.4. Qui anime ?
3.2.2. Le community manager, un rôle de transition vers l’organisation collaborative, autonomisation et auto-organisation des acteurs ?
3.2.2.1. L’impulsion première, donner vie et définir un espace commun
3.2.2.2. Encourager et développer la vie de la communauté comme espace communicationnel
3.2.2.3. L’animation de communauté, une nouvelle fonction dans l’accompagnement du changement et le développement des compétences comportementales
3.2.3. Le rôle stratégique du community manager dans la gestion de la production commune et la promotion de « bonnes pratiques »
3.2.3.1. Animer une communauté virtuelle, le rôle d’un communiquant ? Les stratégies de marketing interne pour faire le buzz
3.2.3.2. Le réseau social d’entreprise, un dispositif de production par la socialisation
3.2.3.3. Gestion des connaissances (knowledge management) : dispositif de capitalisation des connaissances et nouvelles formes de rationalisation
3.2.3.4. L’impact de l’animation de communauté virtuelle sur les modes de management : entre crise du management et innovation managériale
3.3. De l’idéal émancipatoire aux nouvelles formes de pouvoir : autocontrôle et dispositif de surveillance
3.3.1. Espace de liberté et charte d’utilisation minimaliste
3.3.2. Des « bonnes pratiques » ou normes implicites
3.3.3. De l’absence de contrôle à l’autocontrôle
3.3.4. Profilage et nouveaux dispositifs de surveillance
4. LE COLLABORATIF, IDEAL OU RECONFIGURATION DU CAPITALISME ?
4.1. Le réseau social d’entreprise, une mise en visibilité des contradictions de l’organisation collaborative : entre ouverture des possibles et poursuite des logiques gestionnaires
4.1.1. Examen des prétentions de rupture et risque d’exacerbation d’anciens paradigmes
4.1.2. La fonctionnalité « Profil » : collaboration et/ou promotion de soi ?
4.1.3. Part de subversion et/ou poursuite d’un modèle par d’autres moyens ?
4.2. Retour sur le néocapitalisme et les transformations de la grande entreprise pour comprendre l’avènement du modèle et des dispositifs collaboratifs
4.2.1. L’histoire du capitalisme et de la grande entreprise : des transformations du rapport salarial
4.2.2. L’idéologie néocapitaliste ou le nouvel esprit du capitalisme : la forme « réseau »
4.2.3. Le néocapitalisme et les formes d’exploitation d’un capital immatériel
4.2.4. Le néocapitalisme et les formes d’aliénation ou de rationalisation de la subjectivité : développement des compétences personnelles et normalisation des conduites
CONCLUSION

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