L’opportunité du mouvement maker et de l’opensource pour les laboratoires africains et ailleurs

Un exode rural massif

Ces taux démographiques élevés s’accompagnent d’une forte migration des habitants des zones rurales vers les régions urbaines (cf : Etude ONU Habitat 2014). Et cet exode rural massif, motivé par la nécessité d’étudier ou de trouver un travail, mais également par l’envie d’accéder à une forme de modernité, d’interagir avec les autres, semble un processus difficile à réfréner. (cf : Le débat africain RFI 12 septembre 2015).
Au sujet de la modernité, Felwine Sarr la définit dans son essai Afrotopia comme « un ensemble de conditions historiques qui permettent de penser l’émancipation de l’individu vis-à-vis des valeurs issues d’une culture traditionnelle » (Sarr 2016 : page 29). Il explique que dans le contexte africain, on a souvent opposé tradition et modernité. De plus, l’écrivain note la contribution à cet effet de la bibliothèque coloniale (expression du philosophe congolais Valentin Yves Mudimbé) qui a schématisé les traditions africaines comme étant caractérisées par une « temporalité immobile, réfractaire à la marche de l’Histoire et du progrès » (Sarr 2016 : page 30). Sarr dénonce avec ferveur l’injonction à la modernité, qui peut obliger l’Afrique à porter un vêtement, taillé ailleurs, qui ne lui sied pas. L’homme africain contemporain est ainsi déchiré entre une tradition qu’il ne connaît
plus vraiment, reléguée au village, et une modernité qui lui est tombée dessus sans qu’il n’ait le temps de l’appréhender et de se l’approprier.
La mondialisation s’est imposée sur le continent en un temps record.
Selon Sarr, la modernité occidentale exerce donc chez l’homme africain un complexe mélange de fascination et de révulsion, qui prend corps spécifiquement dans les centres urbains.

Une urbanisation exponentielle

Les villes séduisent, attirent, on y porte l’espoir d’un avenir meilleur, plus riche et confortable. En 2018, on dénombre pas moins de 471 millions, soit plus de 45% des africains, qui habitent des villes.
Force est de constater que l’Afrique s’urbanise à un rythme plus élevé que celui des autres continents (cf : Sarr 2016). A titre d’exemple, l’Europe est passée de 15 à 40% d’urbanisation entre 1800 et 1910, soit en 100 ans, là où l’Afrique vit la même croissance urbaine mais en seulement cinquante ans pour atteindre les 70% en 2050 (cf : Etude ONU Habitat 2014). Boubacar Seck, architecte sénégalais interviewé dans le journal TV5 Monde le 5 octobre 2017, précise cependant
que la croissance urbaine en Afrique, bien qu’elle soit inédite dans l’Histoire, se fait différemment que d’autres observées ailleurs dans le reste du monde et s’avère difficilement comparable à d’autres continents car elle n’est pas liée à l’industrialisation !
Cette augmentation exponentielle prévoit en 2030, 25 millions d’habitants pour Lagos au Nigeria, 16 millions à Kinshasa au Congo, 14 millions au Caire en Egypte, 5 millions à Dakar au Sénégal.
Etude ONU Habitat 2014). 56 grandes métropoles, 1100 villes moyennes et de nombreuses petites villes ont pour le moment été recensées, avec une répartition égale entre ces trois catégories (cf : Le débat africain RFI 19 mars 2017). Mais cet équilibre ne devrait pas durer, les grandes métropoles prenant de plus en plus d’ampleur. La précarisation de l’habitat A la veille et aux lendemains des indépendances, les villes africaines ressemblaient à des petits bourgs réservés le plus souvent aux services administratifs, aux fonctionnaires et aux nantis. Une cinquantaine d’années plus tard, elles se sont étendues, peuplées, à un rythme tellement effréné que les infrastructures n’ont pas suivies.
Le débat africain RFI 19 mars 2017). Cet afflux vers les villes engendre un phénomène de précarisation de quartiers amassés en périphérie urbaine, la ville n’ayant pas été préparée à accueillir un tel flux de nouveaux habitants.
Comment expliquer ce problème de planification ? C’est dans les années 1970-1980, au moment-même où les pays africains étaient engagés lourdement dans la construction de routes, de réseaux d’eau potable, de logements, que la crise est apparue. Dans son essai Afrotopia, l’écrivain sénégalais Felwine Sarr dénonce avec ferveur la propension des occidentaux à faire du continent africain un espace de projection de leurs fantasmes. Il explique que de ce fait, l’image attribuée au continent oscille entre deux tendances antagonistes, deux discours : la consternation devant un présent qui semble chaotique difficile à outrepasser et la foi en un avenir radieux, relayé par le mouvement afro-futuriste. Cette double image du continent se répercute sur l’identité attribuée à la ville africaine, tantôt décriée, tantôt rêvée.
D’un côté, il y a une vision du continent focalisée sur le chaos car dans l’imaginaire collectif, largement nourri par les médias et une littérature abondante (non africaine), le destin des africains est lié à la notion d’échec, de déficit, d’attente d’un retard à rattraper, d’un handicap (cf : Sarr 2016). Et en effet, chaque fois que je suis partie en Afrique dans le cadre de mon travail, je ne compte plus les fois où l’on m’a posé ces deux questions : « Vous travaillez dans quelle ONG ?
Vous êtes dans l’humanitaire ? ». Derrière ces mots se cristallisent en réalité une unique image du continent africain, volontiers relayée par les médias et affiliée systématiquement à la guerre, la maladie, la pauvreté, la famine. En bref, une Afrique à sauver, une Afrique en urgence. Les images diffusées renvoient à des villages isolés coupés du monde moderne, des brousses dangereuses, des difficultés. La ville africaine, ses buildings, ses boulevards, ses lampadaires solaires, sa cohésion sociale, y sont absents et par conséquent, inimaginables pour celui qui n’y a jamais mis pied. Et Vauthrin de renchérir que « la ville africaine contemporaine est mal jugée car elle ressemble trop aux images européennes : routes, voitures, commerces, banques, bistrots, buildings » (Vauthrin 1989 : page 16). Et ce sont ces ressemblances qui entraînent un effet de comparaison inadéquat.
Dans cette même optique, l’architecte et chercheur au Laboratoire Infrastructures Architecture Territoire (LIAT) Gilles Delalex, pose justement la question de la représentation de la ville africaine, constamment montrée comme une foule dense, désordonnée (cf : Rouillard 2015). Effectivement, cette représentation traduit bel et bien des faits véridiques : une démographie galopante, l’usage intense de la rue, du dehors au quotidien, l’importance de l’espace public et de la vie publique dans la culture africaine. Cependant, il s’interroge sur l’association systématisée ville-foule, qui traduirait un certain point de vue occidental, jugeant avant-tout un désordre apparent pour des occidentaux habitués à d’autres référentiels : « Cette figure n’émanet’elle pas de notre point de vue post-colonisateur qui tend à voir la ville africaine comme une masse primaire en phase de développement, mais qui s’opposerait encore à la structure claire et ordonnée des villes occidentales ? L’image récurrente de la foule dans les images de villes africaines n’en dit-elle pas plus long sur les mythes et idéologies modernes qui façonnent notre regard occidental que sur la ville africaine elle-même ? » (Rouillard 2015 : page 195).
La première fois que j’ai posé un pied en Afrique de l’Ouest, c’était le 13 janvier 2012, à Cotonou justement, capitale du Bénin comptant pas moins de 800 000 habitants. En sortant de l’avion, je me souviendrai toujours de cette odeur particulière, mélange de chaleur humide et de terre. Un parfum qui m’a marqué. Dans le bus qui nous a conduit à l’auberge, la nuit tombée, j’ai vécu mon premier contact avec une ville africaine. La circulation, les klaxons, les motos surgissant à gauche, à droite, la poussière, le brouhaha ambiant, la pénombre, l’odeur de l’essence vendue le long de la route, les piétons qui traversent à tout-va, la vitesse, la musique des bars, les enfants, les vendeuses. Une activité nocturne animée, pleine de vie, que j’identifie à la ville africaine. Selon Felwine Sarr, « marcher dans une ville africaine est une expérience cognitive et sensible » (Sarr 2016 : page 19). A force de séjours, j’ai compris que dans le désordre que je voyais, inhérent à mon référentiel d’occidentale, se trouve pourtant un ordre établi avec des codes connus de tous, une forme d’organisation certaine, différente.

Le besoin de réappropriation de la ville africaine par les africains

Profondément marqué par son passé colonial, le continent souffre selon Felwine Sarr de ce qu’il appelle la théorie de l’enveloppement (Sarr 2016 : page 21). Comme il l’explique, le mot développer s’oppose sur le plan étymologique à envelopper.
Développer signifie sur le plan étymologique, sortir quelque chose de son enveloppe ; alors que le terme envelopper signifie quant à lui entourer, recouvrir.
La notion de développement est devenue une sorte de norme indiscutable, mesurant le progrès des sociétés humaines en s’inscrivant prioritairement dans une perspective de croissance économique, en niant complètement la diversité des trajectoires possibles face aux défis posés. Les sociétés occidentales se sont finalement imposées comme cadres référents et par conséquent, toute société empruntant une trajectoire différente est perçue comme étant sous-développée. Sarr dénonce la volonté d’uniformisation des sociétés, fondée sur “l’utopie d’un monde déterministe et prévisible” (Sarr 2016 : page 22). La proposition a été faite aux africains de reproduire un modèle de société qui leur était étranger, où leur culture locale n’avait pas de place prévue. Elles se sont faites enveloppées. Cette transposition a eu pour lourde conséquence une perte de la personnalité de base des groupes sociaux africains, des réseaux de solidarité existants, de leurs significations, et un enfermement dans un système de valeur étranger, extraverti.
Au Bénin comme dans d’autres pays de la sous-région ouestafricaine, Felwine Sarr souligne la tendance à considérer comme étant une expertise ce qui vient de l’extérieur, et d’autant plus de l’Occident, jugé comme meilleur, plus fiable, plus qualitatif et ainsi, inspirant davantage confiance. Sarr va même plus loin en analysant cette situation comme un « décentrement pathologique, une absence à soi, qui se traduit par une incapacité à penser, juger, évaluer les choses par soi-même » (Sarr 2016 : page 89). Cet élément culturel est à envisager avec attention car déterminant dans des projets de valorisation de ressources locales et peut constituer un frein important.
Dans ce même sens, Felwine Sarr déclare qu’ « à des millions d’africains, on dit quotidiennement que la vie qu’ils mènent n’est pas appréciable » (Sarr 2016 : page 11). L’auteur déplore l’emploi de mots-valises tels que « développement », « émergence », « objectifs mondiaux de développement », etc. qui empruntent une grille de lecture qui ne trouve pas son sens en Afrique et qui a pour défaut de conforter l’obsession de tout dénombrer, évaluer, quantifier, mettre en équations. Cette volonté de résumer des dynamiques sociales, humaines, en des indicateurs censés refléter leur évolution entraîne finalement, selon lui, un jugement faussé qui nuit à l’appropriation ou la réappropriation du continent par les africains eux-mêmes. D’autant plus que le classement des pays avec l’Indice de Développement Humain (IDH) ou le Produit Intérieur Brut (PIB) ne dit rien sur la vie en elle-même, la qualité des relations sociales, leur intensité, la nature de la vie culturelle, spirituelle, etc. Et Sarr de rappeler que « la vie ne se mesure pas à l’écuelle, elle est une expérience et non une performance » (Sarr 2016 : page 19). Ce formatage et cette injonction à entrer dans des cases et à courir les courbes des graphiques s’avère donc dangereuse car elle contribue à tracer une voie érigée par d’autres.
Dans l’optique de créer une société qui fait sens pour ceux qui l’habitent, de se réapproprier cette société, Sarr avance deux notions indispensables : l’autonomie et le temps. L’autonomie se nourrit de la confiance en soi, de la croyance en son potentiel. Pour Sarr, un certain repli sur soi est même nécessaire, le temps de réapprendre à se connaître, de se créer ses propres univers de références. C’est ce que l’écrivain nigérian Wole Soyinka , qu’il cite, appelle la self apprehension : une appréhension de soi par soi, sans référence à l’autre, détermine pour lui la possibilité d’une pensée proprement africaine. Cela fait écho aux propos de Léopold Sédar Senghor, auteur sénégalais emblématique de la Négritude, un courant littéraire et politique crée dans l’entre-deux guerres et promouvant une vision anticolonialiste, qui déclarait : « Il nous faut penser par nous-même, pour nous-même, tout en tendant la main aux autres ».

Un manque de compréhension du rôle de l’architecte en Afrique

La ville africaine se trouve donc au coeur d’un défi de taille pour le continent africain : se réapproprier son identité, définir sa propre vision, se nommer. Sarr, dans le dernier chapitre de son essai Afrotopia, invite les architectes africains à considérer leur rôle, celui de construire des villes qui ressemblent aux africains, qui expriment la forme de vivre ensemble qui les caractérise et racontent, dans leurs apparences multiples, la variété de leurs formes sociétales, en écrivant « Ici, la construction commence par une déconstruction, celle du mimétisme et du détournement de soi » (Sarr 2016 : page 146).
La manière de vivre est fortement liée à la culture et ne doit pas être réfutée. La ville est un lieu d’expression à créer, dont il faut s’emparer selon l’auteur.
Seulement, comme l’a expliqué Boubacar Seck, la figure de l’architecte en Afrique est mal comprise de la plupart des gens, qui ne lui accordent pas leur confiance. Pendant longtemps, les architectes étaient sollicités seulement pour les gros projets, ce qui n’a pas contribué à faire comprendre ce métier et à rapprocher l’architecte de la population. L’architecte sénégalais déplore dans son interview pour TV5 Monde que 90% des productions de Dakar soient effectuées sans architectes. Aujourd’hui la ville africaine se trouve au coeur des dynamiques et impératifs économiques et est encore parfois assiégée par des regards extérieurs qui la transforment, la façonnent, sans prendre la peine de l’écouter, d’en comprendre son identité, de découvrir son âme singulière, sans attention portée à ses fondements culturels.
Cela peut s’expliquer premièrement par un déficit de connaissances sur l’importance de faire appel à des professionnels de la conception et de la construction. Et à cela s’ajoute un profond manque de confiance envers les professionnels nationaux. Quand il explique que moins de 10% des permis de construire déposés impliquent des architectes locaux, Boubacar Seck manifeste même sa colère au micro de TV5 Monde envers le manque de transparence, de débat public, de pluralité des réponses architecturales et urbaines choisies par les politiques. Au lieu de faire confiance aux architectes nationaux, en mesure d’analyser finement les besoins et apporter des réponses ad’hoc au mode de vie local, les politiques publiques optent délibérément pour des projets occidentaux à implanter brutalement dans l’environnement africain. Mais pourquoi ces choix ?
L’architecte et photographe béninois Romarick Atoké a apporté une réponse lors de sa conférence à Paris en 2013, en présentant le cas de l’Ouganda où de véritables villes sortent de terre, bâties par des compagnies asiatiques, en échange de l’exploitation des ressources naturelles du pays. C’est là la deuxième explication, en lien avec des choix politiques. Au travers de ces contrats déséquilibrés, Felwine Sarr voit en ces transactions une forme de prédation du continent africain qui se perpétue, une “recolonisation économique des pays par les anciennes puissances coloniales qui contrôlent à travers leurs grands groupes, l’essentiel du secteur privé productif et des banques commerciales” (Sarr 2016 : page 59). Sans compter l’arrivée des chinois sur ces marchés disputés et discutables.
Seulement, ces cités neuves sont qualifiées de “villesfantômes”.
Et pour cause, ces logements demeurent vides, inhabités et donc pas entretenus. En réalité, c’est là le résultat d’un fait social : le mode de vie africain diffère de celui de l’Occident et cette différence n’est pas assez prise en compte. Lors de sa conférence en Mai 2013, à l’occasion de la Journée de l’Habitat en Afrique, Romarick Atoké posait les questions suivantes : “ Comment piler de l’igname dans un appartement au 4è étage ? Comment aller saluer son voisin s’il faut monter six escaliers pour arriver chez lui ?” et dénonçait le manque de considération du mode de vie africain par les bailleurs étrangers. En imposant aux populations des habitats à la verticale, qui ne tiennent pas compte du mode de vie africain plutôt horizontal et de la culture locale, les promoteurs étrangers construisent des logements en masse, sur un format de HLM à l’occidentale, qui demeurent inadaptés et donc restent inhabités. Romarick Atoké poursuivait en ajoutant que ces logements dits « sociaux » sont trop onéreux, que ce soit à l’achat ou à la location, et que c’est finalement la classe moyenne, voire haute, qui occupe ces appartements, dans leur idéal de vie à l’occidentale.
Ainsi, les populations les plus défavorisées se regroupent, toujours plus exclues, en périphérie des villes dans des quartiers de fortune.
Cela a pour conséquence de faire accroître le nombre d’habitations qualifiées d’informelles et maintient inexorablement la précarisation des quartiers.

L’injonction au développement durable

Une problématique environnementale en béton 75% de la consommation d’énergie et des émissions de gaz à effet de serre en Afrique sont issus d’activités liées au bâtiment (cf : plaquette TyCCao, 2015). En effet, l’industrie africaine des matériaux de construction connaît un essor considérable qui, peu à peu, doucement mais sûrement, assure l’indépendance du continent en terme d’offre, tout du moins régionale. Au Bénin par exemple, cinq cimenteries permettent de couvrir 25% seulement de la demande (cf : Chenal MOOC 2015). De nombreux imports sont donc réalisés, essentiellement depuis le Nigeria avec le géant Dangote, qui a justement fait fortune dans le ciment. C’est pourquoi les investisseurs internationaux et régionaux misent ainsi sur l’industrie du ciment, convaincus par le besoin urgent en matériaux de construction rapides à mettre en oeuvre et à bas coût. Du 22 au 24 Mai 2017, j’ai assisté à Abidjan au Colloque sur les éco-matériaux en Afrique, financé en grande partie par Lafarge-Holcim dont le représentant commercial était venu vendre à l’auditoire des maisons en béton et baies-vitrées, avec climatisation intégrée…
A Lomé, lors de mon post-diplôme en 2014, je vivais dans une famille dont le chantier de construction d’une dépendance au fond du jardin a pris plus de sept mois de retard en raison de l’augmentation du coût du ciment sur le marché. En effet, à cause de problématiques logistiques, les sacs de ciment demeurent chers en raison de fréquentes pénuries qui occasionnent des variations de prix notables et également chers car difficiles d’accès pour les populations plus isolées.
Aussi, outre le coût économique, l’impact environnemental est conséquent : chaque année, environ 6 milliards de m3 de béton sont coulés dans le monde (cf : Anger, Fontaine 2009). Et la demande est exponentielle, particulièrement dans les pays africains, qui doivent héberger une population de plus en plus nombreuse et de plus en plus urbaine.
Or, la fabrication de ce béton nécessite énormément de sable, un ingrédient qui représente jusqu’à 80% de sa composition. En conséquence, l’extraction industrielle du sable s’est considérablement développée à travers le monde. Mais le sable du désert étant inadapté, les industriels vont désormais chercher cette ressource sous la mer ou bien dans les lagunes. Ainsi, les littoraux sont soumis à un pillage intensif et illégal, engendrant des désastres environnementaux, parmi lesquels des problématiques d’érosions côtières. De plus, si ce sable volé sur les plages (riche en sodium) n’est pas rincé à l’eau claire avant d’être mélangé, la qualité de la construction est directement impactée et celle-ci peut alors menacer de s’effondrer (cf : Le sable enquête sur une disparition, 2011).
Dans les pays ouest-africains, le manque de moyens ne permet pas la réalisation de filières de nettoyage fiables à grande échelle.
Cotonou par exemple, dans le quartier d’Akpakpa Dodomey Enagnon, les femmes viennent avec tamis et bidons d’eau laver le sable lagunaire, le trier, pour ensuite le revendre. L’exploitation de sable marin est pourtant désormais interdite au Bénin, ainsi qu’au Togo et au Sénégal, mais la demande est tellement forte que l’extraction continue, générant aussi des revenus pour les habitants de ces quartiers en quête de travail.
Enfin, le coût du béton se mesure également, selon Hugo Houben, co-fondateur et directeur scientifique du laboratoire de matériaux en terre CRAterre, au regard de son inadéquation aux
latitudes africaines. Le béton absorbe la chaleur, la stocke, générant un confort thermique médiocre. L’utilisation de ventilateurs ou même l’installation de climatiseurs, énergivore donc coûteuse, se révèle quasiment indispensable pour supporter la fournaise à l’intérieur.
Aussi, ces matériaux dits « modernes » menacent de faire disparaître les savoir-faire vernaculaires en matière de cultures constructives, qui font pourtant partie du patrimoine culturel africain.
Mais les populations, habituées à l’utilisation de ces matériaux, symbolisant un ailleurs idéal, ne semblent pas prêtes à les remettre en cause, ni à discuter de leur efficacité et de leur solidité. Selon Bernard Boyeux, directeur du bureau d’étude international BioBuild Concept, avec qui j’ai pu m’entretenir sur skype, au regard de l’urgence à construire et surtout du nombre considérable de logements et infrastructures à faire sortir de terre, il s’avère aujourd’hui primordial de faire évoluer le secteur de la construction en une filière écoresponsable, pour répondre durablement et de manière adaptée aux besoins en bâtiments actuels et à venir en Afrique.

De la terre à la paille pour construire

La terre sous toutes ses formes

Un tiers de la population mondiale vit dans un habitat en terre (Anger, Fontaine 2009 : page 10). La plupart du temps modestes, ces architectures sont présentes dans 190 pays : elles témoignent d’une qualité de vie au quotidien et d’innovations techniques reposant sur des savoir-faire ancestraux. Au Bénin, des terres de qualité sont accessibles en abondance.
La terre est une matière directement disponible sous nos pieds, plus précisément, sous la couche de terre végétale. C’est plus en profondeur dans le sol que l’on vient extraire la terre à bâtir qui permet l’élaboration de matériaux très durs et stables dans le temps.
Le sol provenant de la désagrégation et de l’altération de la roche, la terre est ainsi différente des autres matériaux. Correctement protégée de l’eau, sa durabilité est exceptionnelle, en témoigne les Mausolées de Tombouctou, bâtis à partir du 17è siècle (cf : Anger, Fontaine 2009).
Après son extraction, la terre est souvent utilisée sans transformation.
Parfois des opérations préalables de tamisage, broyage ou de malaxage sont nécessaires avant sa mise en oeuvre, dont les potentialités sont très diverses. Enfin la terre est totalement recyclable. Ainsi, en fin de vie d’un bâtiment, elle peut soit être broyée et mélangée de nouveau à l’eau pour fabriquer un matériau neuf, soit retourner à la terre sans laisser de traces. Le lien est direct entre la géologie du lieu et son architecture vernaculaire (cf : Anger, Fontaine 2009).
Le matériau terre a su fournir à des peuples des solutions pour répondre à des contraintes spécifiques. Aujourd’hui, face aux défis énergétique et climatique, la terre propose des pistes responsables et durables.
La terre est constituée de grains – sables, graviers, cailloux, limons – agrégés par de l’argile, son « ciment ». La proportion de ces éléments varie d’une terre à l’autre, ce qui génère une grande variété de caractéristiques. La connaissance de ces proportions est importante et va permettre de définir ses 4 propriétés fondamentales : granularité, plasticité, compressibilité, cohésion (cf : guide Bellastock 2017). Cela conditionne l’usage qui sera fait de chaque terre. Des essais faciles peuvent être exécutés directement sur le terrain pour connaître et identifier la terre dont on dispose. Ainsi il est possible de savoir si celleci est exploitable pour construire, si elle est polluée, et si elle est plus ou moins adaptée à une technique particulière.

Quelles sont ces techniques ?

Le granito

D’abord venu du Togo, le granito est un matériau de sol composé de débris de marbre et de pierres concassés liés avec du ciment. Malléable, très durable et avec une esthétique singulière, le granito a connu son heure de gloire dans les années 1980 et le savoirfaire s’est exporté au Bénin. François-Xavier Alico, artisan béninois spécialisé en granito depuis 1986, m’explique que le marché du granito s’est vu concurrencé dès 1987 par l’arrivée sur le marché des carreaux chinois, certes de moins bonne qualité, mais moins cher.
Un autre facteur de la chute du secteur du granito est la difficulté d’approvisionnement en matière première, qui bloque des chantiers, malgré les demandes. Au départ, la SOTOMA (Société Togolaise de Marbre) assurait l’approvisionnement mais en raison de difficultés financières, la structure a finalement fait faillite en 1988. En réalité, il existe quatre gisements de marbre au Bénin mais il n’y a pas de marbrerie, qui aurait pour mission de découper des blocs de 15 tonnes, de les scier en plaques, puis de découper des carreaux, et d’utiliser les chutes concassées pour la production de granito. En l’absence de marbrerie, la technique de la dynamite est utilisée dans les carrières, par blocs de 5 kg, ce qui représente un “grand gaspillage” selon Mr. Alico.

La vannerie et le bambou

« La liane dérange la brousse ». Michel Owolegbon, artisan vannier avec lequel je me suis entretenu, l’affirme. En effet, la liane empêche les arbres de bien pousser et gêne les villageois dans leurs déplacements à cause des épines. Dans la même famille de tiges existe aussi le bambou rônier, les branches des palmiers, qu’il faut enlever pour permettre au palmier de bien se développer. Les lianes servent à fabriquer des cordes et des brides plus ou moins souples ; le bambou rônier et le bambou servent de structures et remplissage de mobilier.
Un savoir-faire qui a conquis en premier lieu les étrangers selon Michel Owolegbon qui poursuit : « En 1990, au village, je voyais des blancs quitter Cotonou pour venir jusque dans notre brousse pour acheter nos meubles en vannerie. Ca m’a motivé. Salon sur la tête, j’ai commencé à me promener dans Cotonou ». Il a alors crée sa propre entreprise et formé des apprentis. La fabrication de mobiliers et la réalisation de faux-plafonds en vannerie et bambous utilise exclusivement des matières premières locales, disponibles en abondance, et apporte des solutions au traitement et à la valorisation de celles-ci.

Les valeurs des matériaux locaux au Bénin

Pourquoi ces matériaux locaux appropriés ne sont-ils pas plus utilisés ? En réalité, la faible utilisation des matériaux locaux est le résultat d’une combinaison de plusieurs facteurs.

Une valeur marchande mal perçue

Premièrement, le ciment bénéficie d’une forte publicité et se présente comme un matériau à faible coût, même si ce n’est pas tout à fait le cas.1 Or, les matériaux locaux appropriés ne sont pas plus chers mais manquent cruellement de visibilité et peinent à affronter le lobby cimentier, soutenu par l’Etat et par la plupart des architectes, qui sont les premiers prescripteurs des matériaux. Un architecte béninois m’a témoigné avoir été approché par une compagnie cimentière le jour de son inscription à l’Ordre National des Architectes du Bénin, avec bouteilles de champagne et cadeaux en tous genres. Selon lui, l’Etat ne fait rien pour arrêter ce lobby, au contraire, car c’est aussi dans son intérêt : les matériaux importés rapportent, grâce aux taxes d’importation.
Cependant, les mentalités évoluent. Au Bénin, l’association CFP-MLC (Communauté des Fabricants et Poseurs de Matériaux Locaux de Construction) a été créée le 2 Octobre 2017, en prélude à la Journée de l’Habitat, avec le soutien du Ministère du Cadre de Vie. Le président de l’association, Mr. Smith, également directeur d’une usine de production de tuiles et de BTC, se donne pour objectif de parvenir à fédérer les acteurs des matériaux locaux, pour mieux les promouvoir.
Les onzes membres du réseau visent aussi à faire évoluer la législation en leur faveur, à initier des collaborations avec des laboratoires afin de travailler à la normalisation et à mener des actions de formation car il existe un manque de main-d’oeuvre qualifiée. Selon Mr. Smith, « les matériaux d’importation font de l’ombre, certes, mais on doit faire avec et trouver des stratégies pour faire connaître aux béninois les bonnes choses que nous fabriquons ».
Cette problématique de l’import qui concurrence le marché local se vit dans le quotidien des béninois. A une autre échelle et sur un autre secteur, le kilogramme de pommes de terre produit localement coûte 800 Francs CFA (soit 1,20 euros€), alors que le kilogramme importé coûte 600 Francs CFA (soit à peine 1 euro). Ces 200 Francs CFA de ,différence pèsent énormément dans le portefeuille du béninois, pays où le SMIC mensuel s’élève à 40 000 Francs CFA (soit 61 euros). Il est important ici de noter que dans l’acte de consommation du béninois, le prix est le premier critère déterminant. Le moins cher est bien souvent privilégié, dans l’immédiat, peu importe la qualité. C’est ce qui m’a été confirmé à l’unanimité lors des entretiens que j’ai mené.

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Table des matières

Résumé
Remerciements
Table des matières
Glossaire
Liste des sigles
Prologue
Introduction
PARTIE 01. LES MAtériaux locaux au Bénin
Chapitre 1. Enjeux et perceptions
1.1. Le choix des matériaux au coeur du défi urbain africain
1.1.1. L’urgence de construire en Afrique
1.1.2. La question de l’identité de la ville africaine
1.1.3. L’injonction au développement durable
1.2. Panorama des matériaux locaux au Bénin
1.2.1. De la terre à la paille pour construire
1.2.2. Valeurs et perceptions des matériaux locaux au Bénin
Chapitre 2. Ecosystème des modes de production
2.1. Analyse cartographique des acteurs et des espaces
2.1.1. Inventaire des acteurs et des lieux
2.1.2. Analyse des chaînes de production
2.2. Deux processus, deux terrains de recherche
2.2.1. Autodidactie et transmission de savoir-faire avec l’Atelier des Griots
2.2.2. Recherche scientifique universitaire au laboratoire POTEMAT
Conclusion Partie 01
PARTIE 02. valoriser les ressources matérielles du territoire
Chapitre 3. Sourcer des matières premières
3.1. Vers des matériaux biosourcés
3.1.1. Les sous-produits agricoles, opportunité de développement durable des territoires
3.1.2. La valorisation des sous-produits de la filière coton au Bénin
3.2. Vers des matériaux recyclés locaux
3.2.1. Valoriser l’identité du quartier
3.2.2. Démarche de création de matériaux recyclés avec les Griots
Chapitre 4. Exploiter les moyens de production locaux
4.1. Faire avec les moyens du bord
4.1.1. Les logiques du système D
4.1.2. Perceptions du système D
4.2. Stratégie d’équipement wild-tech au POTEMAT
4.2.1. L’opportunité du mouvement maker et de l’opensource pour les laboratoires africains et ailleurs
4.2.2. Démarche wild-tech au POTEMAT
Conclusion Partie 02
PARTIE 03. mobiliser les savoirs endogènes
Chapitre 5. Co-créer les recettes de matériaux
5.1. Mixer les savoirs
5.1.1. Savoirs endogènes et savoirs exogènes
5.1.2. Les défis autour de la valorisation des savoirs endogènes
5.2. Expériences de co-création
5.2.1. La co-création au POTEMAT
5.2.2. La co-création avec l’Atelier des Griots
Chapitre 6. Fédérer et animer la communauté
6.1. Créer une communauté au POTEMAT
6.1.1. Diagnostic de la dynamique de recherche à l’EPAC
6.1.2. Stratégies de mobilisation
6.2. La méthode Griot
6.2.1. Approche anthropologique
6.2.2. Les cinq attitudes
Conclusion Partie 03
Conclusion
Bibliographie
Annexes

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