Les sources orales et les sources audiovisuelles
Très riche d’informations, la tradition orale a longtemps été en fulgurance la principale vitrine de mise à jour de l’histoire africaine. En effet, dans la reconstruction de l’historiographie de la crise congolaise, les sources orales africaines ne sont pas à négliger car, la tradition orale, minutieusement exploitée et interprétée, est une source irremplaçable dans la restauration et le rétablissement de l’histoire africaine. Elles regroupent dans l’ensemble les communications de la mémoire collective, les traces matérielles décelées, les témoignages oraux recueillis par le bas ; une collecte d’informations auprès de « dépôts vivants d’archive » de l’historiographie congolaise, qui peuvent éclairer ou mitiger des données archivistiques et livresques. C’est pourquoi, Amadou Hampaté BA47, historien et traditionnaliste malien disait : « En Afrique, un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle ». Dans ce sillage, l’historien Alpha Oumar KONARE affirme que « Si l’Afrique perd sa mémoire sonore, elle perd sa mémoire tout court ». Il est vrai que si nous passons en revue l’historiographie de la crise du Congo, nous observons que l’Afrique centrale en général et le Congo en particulier est connue, principalement, par les traditions orales, recueillis par les ethnologues et soumises à la critique par les historiens.
Dès lors, les sources annexes : l’archéologie, la linguistique et l’anthropologie physique apportent des données complémentaires. Fort de ce constat, les sources orales, bien qu’elles ne soient pas à la base de notre thème, constituent un miroir et un repère incontournable et indubitable à la recherche de connaissances scientifiques. Étant entendu qu’elles ne laissent aucun doute sur l’histoire de l’humanité, les recherches de Cheikh Anta DIOP et de l’historien burkinabé Joseph KI-ZERBO sont venues leur apporter une touche scientifique. Au fond, en plus des auteurs classiques et de la connaissance directe, la tradition orale constitue l’une des principales sources de restauration de la vérité historique. Ceci dit, les historiens s’interrogent sur l’utilisation des sources orales dans la reconstruction du passé des peuples d’Afrique en général et du Congo en particulier. Toutes ces considérations ont été confirmées par des dépositaires de connaissances objectives sur notre thème d’étude.
En effet, nous avons interrogé ces personnes ressources afin d’acquérir plus de connaissances et d’informations utiles dans la version problématique du mandat de l’ONUC et de la crise congolaise. Parmi ces personnes, on peut citer : Serigne Saliou SAMB, journaliste et politologue, El hadj Mansour DIOP, journaliste à la Zik Fm et Adama DIONE, doctorant en sciences juridiques et politiques. En vertu de ce qui précède, nous pouvons considérer que les sources orales sont des supports indispensables sans lesquels il nous est difficile de présenter ce travail. En réalité, l’apport de la documentation orale revêt une importance capitale et non négligeable pour la compréhension de notre thème car, elle éclaire sur beaucoup de points et permet de confirmer ou d’infirmer les faits. Ainsi, force est de reconnaitre que la plupart de nos interlocuteurs ne sont pas des congolais et malgré cela, nous les considérons comme des valeurs fiables. Par ailleurs, la non maîtrise de certains faits historiques mitige, en effet, la véracité de l’information orale véhiculée.
Au terme de notre analyse, nous pouvons juger que le cadre chronologique n’est pas précis, mais aussi la vérité des sources orales est souvent entachée de subjectivité ; d’où l’impérieuse nécessité d’une bonne utilisation de ces sources pour bien traiter les informations qu’elles fournissent. En somme, dans cette œuvre, le recours aux sources orales aurait dû être assez limité, subsidiaire et complémentaire des autres réputées plus sérieuses. L’insuffisance et la réticence des sources orales utilisées, étant bien reconnues, il s’impose, dès lors, une critique et une confrontation avec d’autres sources. Par conséquent, le recours aux sources écrites devient indispensable afin de pallier et surmonter les difficultés inhérentes à la collecte d’informations, ceci pour mieux éclairer et élucider notre recherche.
Les sources archivistiques
Aux Archives Nationales du Sénégal (ANS), section bibliothèque et archives, nous avons procédé au dépouillement d’ouvrages et de revues. De fait, leur contribution a été d’une importance majeure voire « un trésor crucial » dans ce travail. Au fond, ils mettent en lumière l’histoire de la crise congolaise, mais aussi élaborent avec autorité la question de l’ONU dans la crise du Congo. De prime abord, nous avons examiné le fond de la présidence et de la vice présidence (1954-1960) et également le dossier sur le Congo Léopoldville. Ensuite, nos consultations ont porté sur des ouvrages et des revues dont Marchés Tropicaux et méditerranéens, Communauté France-Eurafrique, Revue politique et parlementaire, etc. Apprendre ce qu’est le vrai visage de l’ONUC et avoir des connaissances là-dessus sont deux nécessités. En ce sens, ces deux dossiers sur le Congo nous ont été d’un apport phénoménal. Le premier est riche en renseignements. Il contient distincts thèmes qui font allusion à la crise congolaise et la question de l’ONUC. Ils donnent des informations nécessaires.
Tandis que, le second englobe dans l’ensemble des leitmotivs qui abordent le drame congolais, l’ONUC et tant d’autres. Ces textes propagent des renseignements sur les tenants et aboutissants de l’ONUC. Présentées comme « l’un des meilleurs ateliers de restauration en Afrique » (ANS), il est intéressant cependant de souligner que les sources archivistiques sont sujettes à des ruptures incessantes. Et d’ailleurs, les obstacles que nous avons rencontrés méritent d’être signalés car, ces sources ne sont ni « parole d’Évangile » ni sacrées comme la « Bible » ou le « Coran ». De facto, il est parfois difficile d’asseoir une continuité des informations véhiculées. Nombreux qu’elles puissent être, le déménagement récent des Archives Nationales du Sénégal nous a causé beaucoup de difficultés. En fait, le non reclassement de certaines données, joint à leur problème d’accès constitue un handicap à l’exploitation et à l’inspection de documents qui auraient pu nous être utile et profitable. Enfin, les autres difficultés sont liées à la posture arbitraire des documents écrits car, ces sources sont le plus souvent établies au gré de l’administration coloniale.
La mutinerie des soldats congolais (4 juillet 1960)
Une mutinerie se définit, d’abord, comme une action collective de révolte au sein d’un groupe régi par la discipline, les détenteurs de l’autorité étant généralement mis en cause avec vigueur ; elles surviennent donc plus spécialement dans les armées, les prisons et bagnes, par les équipages. Au Congo, elle constitue une menace de l’ordre public et se remet en surface en juillet 1960 ; quelques jours après la proclamation de l’indépendance politique du nouvel État. Partant de ces arguments, dans sa précieuse contribution à la connaissance de l’histoire du Congo, in : « Les fleurs du Congo », F. MASPERO, met en relief cette approche : « La mutinerie est tout d’abord un règlement de compte qui reste enfermé dans le camp militaire, ensuite les soldats se répandent dans les villes ; ainsi leur première apparition dans les rues de la capitale provoquera la fuite massive et nocturne de milliers d’Européens qui iront se réfugier de l’autre côté du fleuve, à Brazzaville, où règne l’abbé Fulbert Youlou ».
Face à cette situation chaotique, mettant en cause la stabilité politique et l’intégrité territoriale du nouvel État, on saurait se poser la question d’une décolonisation ratée par la métropole ? Si tel était le cas, la déclaration d’indépendance du 30 juin 1960121 n’expose-t-elle pas le pays dans une insécurité ambiante ? Si l’on se réfère aux explications du docteur KITOKO, on constate qu’à la veille de l’indépendance du pays la situation sécuritaire était loin d’être dans ses assiettes. À ce propos, il affirme : « On voit donc que le climat qui régnait au Congo immédiatement après le 30 juin était loin d’être satisfaisant. Noirs comme Blancs vivaient dans une forme d’attente anxieuse. Même les déclarations apaisantes, telles celles prononcées par le Premier Ministre au dîner de la Presse le 4 juillet, si elles suscitaient un espoir, voire une certaine émotion chez les observateurs présents, n’étaient pas de nature à diminuer les appréhensions : dans une certaine mesure, elles ne faisaient, au contraire, qu’accentuer le caractère d’instabilité et d’incohérence qui marqua ces quelques journées ». Dans cette situation de confusion générale, la mutinerie des soldats congolais qui à partir de la capitale se répand dans toutes les provinces, tiennent à des raisons sociales et psychologiques.
En vérité, conséquence de la paralysie complète des structures administratives et politiques du Congo déjà en agonie, cette révolte dans les rangs de l’armée, clé de voûte de tout système politique, s’explique par un sentiment de vengeance à l’égard de l’encadrement blanc et le mécontentement de soldats noirs déçus par la rapide promotion de la couche politicienne. À partir de ces faits, on peut bien supposer que les revendications des soldats noirs visant une amélioration sociale, une logique d’africanisation de l’armée et de promotion, un relèvement des soldes, auraient été dues à un traitement illégal voire d’un oubli dans les tables de négociation. Par des agressions physiques et orales limitées, cette situation va connaître un rapide revirement vis-à-vis de la population blanche. Au fond, des pratiques significatives faisaient l’objet des mutins ; d’où des manifestations contre l’autorité, des sévices contre les femmes, la confiscation de biens, de pratiques racistes, les persécutions systématiques, le tout : « constitueront le cortège qui accompagnera les bandes de soldats agissant soit pour leur propre compte soit pour celui de quelque politicien ». Partant de cette méthode des manifestants, d’autres formes moins radicales ont, selon Paule BOUVIER, fait l’objet des mutins. Il s’agit de pamphlets bien mentionnés dans des pancartes et des banderoles. À ces propos riches en enseignements, BOUVIER Paule mentionne :
– « Nous sommes les Maîtres maintenant. Servez-nous ».
– « Nous n’avons rien et les blancs ont tous… ».
Eu égard à ce qui précède, on pourrait ajouter, l’attitude provocatrice du commandant en chef de l’armée nationale, le général JANSSENS, bien décidé, dans un meeting public du 11 juillet 1960, à prouver aux soldats congolais que l’indépendance n’a rien changé en pratique. S’inspirant de ceci, il affirmait : « Avant l’indépendance = après l’indépendance »125. Comme nous le verrons plus tard, en dehors du comportement provocateur et incitateur de violence par le chef de la force publique face à l’opinion nationale et internationale, ce chaos dans les rangs de l’armée précipitera son effondrement. En vue de toutes ces conséquences sur les ressortissants européens, étrangement, le Congo est présenté dans les milieux blancs comme une menace à la sécurité et à la liberté des personnes.
Face à cette perception de la communauté internationale et belge en particulier, la crise diplomatique entre Bruxelles et Léopoldville apparaît incurable. De cette analyse, François MASPERO confie : « La mutinerie de juillet 1960 surgit de cette double caractéristique ; elle est le produit de la contradiction entre les rapports internes à l’armée qui continuent à être bâtis sur la barrière raciale et, la décolonisation conservatrice qui est justement la liquidation de la rupture raciale comme mode de reproduction idéologique du pouvoir ; les notes de service et les propos du général Janssens n’ont eu l’effet ravageur qui leur est reconnu que dans la mesure où cette contradiction les transformait en autant de provocations ». En réponse aux revendications des mutins, le Premier ministre élu du Congo, pour apaiser et décanter la situation va, moralement, croire habile de pouvoir reprendre l’affaire en mains et de ne pas sévir contre les militaires qui agissaient sans ordre et se livraient à des actes condamnables.
Par cet engagement, le gouvernement Lumumbiste prend des mesures honoraires. D’après le docteur KITOKO, il réagit en : « nommant davantage des noirs au sein de la hiérarchie militaire ». Mais cette situation ne change, en principe, rien dans la dynamique de dégénération de la violence qui, moins d’une semaine, gagna tout le pays. D’une façon générale, la mutinerie a causé un sentiment de peur d’une part et d’autre part une grande inquiétude car, un nombre important de populations européennes vivaient au Congo dont la plupart dans la capitale. Cette révolte des soldats congolais, une occasion de remiser en cause le mariage entre la Belgique et son ex-colonie va, sans doute et sous le mobile de protéger ses ressortissants, conduire à l’arrivée de troupes belges. Touché, blessé et meurtri par les nombreuses exactions contre les blancs notamment des meurtres et des viols ; l’administrateur territorial, M. SAINTRAINT, de passage à Bruxelles, dénonce le silence complice de ceux qui minimisent les faits. Il précise dans sa déclaration : « Des enfants ont été martyrisés, des femmes ont été dix, vingt, trente fois violées, des hommes assassinés ».
Par cette même analyse, le ministre des affaires étrangères belges, M. WIGNY dans le même article sur le Congo intitulé : « La situation au Congo belge » de Pierre CHAULEUR, in : Marchés Tropicaux et Méditerranéens, fustige l’attitude coupable voire partisane du gouvernement congolais. À ces propos, il condamne : «…les violences et les exactions commises par l’armée en rébellion et que le gouvernement congolais n’a même pas désavoué les coupables ». En vue de toutes ces considérations, cette crise internationale entre la métropole et la colonie constitue un motif d’envoi pour Bruxelles d’un contingent militaire au Congo. Ce retour des forces militaires, en violation claire et nette de la souveraineté nationale du nouvel État et des principes du traité belgo-congolais signé la veille de l’indépendance, constitue pour la Belgique une occasion pour mettre fin au bavardage et aux actes de sabotage de l’armée en rébellion. Perçue comme un acte d’agression voire une atteinte à la souveraineté du Congo, cette intervention provoquera la mutation de la mutinerie en un conflit militaire opposa la Belgique au Congo car, les forces métropolitaines sont accusées de violer le territoire d’un pays souverain.
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Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
I/ JUSTICATION DU SUJET
III/ PROBLÈME DES SOURCES
1) Les sources orales et les sources audiovisuelles
2) Les sources écrites et leur valeur
a) Les sources archivistiques
c) Les ouvrages généraux
d) La presse et les périodiques
1) Démarche méthodologique
2) Essai de périodisation
PREMIÈRE PARTIE
CHAPITRE I : PRÉSENTATION DU CONGO
1. Situation géographique, démographique et historique
1. 1. Situation géographique
1. 2. Situation démographique
1. 3. Situation historique
2. Situation économique et politique
2. 1. Situation économique
2. 2. Situation politique
Conclusion
CHAPITRE II : PRÉSENTATION DE L’ONUC
1. Éclairage conceptuel
2. Les causes de l’ONUC
DEUXIÈME PARTIE
CHAPITRE III : LES DIFFÉRENTES PHASES DES OPÉRATIONS DE l’ONU AU CONGO (septembre 1961-janvier 1963)
1. La première phase (septembre à mi-octobre 1961)
2. Les deuxième et troisième phases (mi-octobre 1961 à janvier 1963)
1. Sur le plan politique et diplomatique
2. Sur le plan économique et militaire
CHAPITRE V : LES FORCES DE L’ONUC
1. Sur le plan politique et diplomatique
2. Sur le plan militaire et financier
CHAPITRE VI : LES LIMITES DE L’ONUC
1. Le problème du mandat et les moyens militaires
2. Les problèmes de financement et de communication
Conclusion
CONCLUSION GÉNÉRALE
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