L’ombre de Zapata sur le Chiapas moderne et les indiens
La création de l’EZLN
« Le zapatisme n’est pas, n’existe pas, il se contente de servir comme servent les ponts pour traverser d’un côté à l’autre. » 9 L’armée zapatiste de libération nationale est née en 1983 au sein d’un petit groupe « d’illuminés » comme le dit en souriant Marcos10, de militants guévaristesléninistes-orthodoxes qui se cachèrent dans la réserve de Monte Azules situé dans la jungle. Ce « foco guérillero », inspiré par la théorie de libération11 et créé à la suite de la crise de la Union de Uniones (1982) et par des conceptions révolutionnaires de la guérilla, avait décidé de prendre les armes pour lutter contre le Parti Révolutionnaire Institutionnel, le pouvoir en place. Cependant, le manque de moyens, le nombre réduit de partisans et une organisation sommaire les forcèrent à rester dans la clandestinité au cœur de la selva chiapanèque. Ils apparaissent « pour la première fois en mars 1993 dans un affrontement armé qui entraîne la mort de deux militaires et réapparaît lors des événements de la Sierra de Cirralden » 12 en mai au cours desquels deux autres soldats sont tués. Les zapatistes survirèrent à la chute du mur de Berlin qui mit un terme aux anciennes idéologies. Ils assistèrent également à l’échec de la guérilla du Front Farabundo Marti de Libération Nationale au Salvador (1979), celle du Front Sandiniste de Libération Nationale au Nicaragua (1979), celle de l’Unité Révolutionnaire Nationale guatémaltèque (1982) et à la situation politique de Cuba pendant la guerre froide (1962-1990). C’est en partie grâce à cette observation et à la maturation politique que cela provoqua, que l’EZLN se démarqua plus tard et évita certains écueils que les autres guérillas latino-américaines avaient rencontrés. Petit à petit, le mouvement se vit rejoindre par des indiens lettrés ou illettrés, comme le lieutenant Moisés, le commandant Ismaël ou le commandant Masho, qui transformèrent le « foco guérillero » en une vraie armée. La conception du sauveur de l’humanité, du « caudillo » changea au contact de ces indiens. Pendant plus de sept ans, la jungle13 fut leur pire ennemie et leur meilleure alliée. En effet, la zone était si difficile d’accès comme le souligne Rodolfo Lobato14 qu’elle leur servit de refuge et de cachette. Leur plus grande erreur révéla la vraie fonction de l’EZLN : « Les guérilleros découvrirent que leurs discours révolutionnaires universalistes ne parlent pas aux indiens, n’éveillent en eux aucun échos et que par conséquent sa prétention à l’universalité est usurpée » 15. Leurs idéologies marxistes rencontrent leurs réalités, bien différentes, malgré leurs luttes communes face aux gouvernements corrompus et dominés par le PRI16 depuis plus de soixante dix ans. Marcos lui-même raconte quatorze ans après, en 2008, que des guérilleros sont arrivés avec une vérité absolue face aux indiens : ”Yo tengo una verdad, yo, el grupo guerrillero, y tu eres un ignorante, te voy a ensenar, te voy a adoctrinar, te voy a educar, te voy a formar.”17 Leurs convictions se sont effritées pour se transformer en l’un de leurs principes essentiels : Mandar obedeciendo. Ceux qui voulaient utiliser le prolétariat, des ouvriers, des paysans pour atteindre leurs objectifs du pouvoir se mirent à les servir. Au Chiapas, ce sont les communautés qui furent les premiers bénéficiaires. L’EZLN devint une armée d’indigènes au service des indigènes : ils commencèrent à six et terminèrent à plus de six mille soldats. Un autre de leurs principes essentiels est de ne plus vouloir utiliser les armes : « l’EZLN aspire au suicide, non pas que nous voulions qu’on tue mais nous aspirons à ne plus être soldats » 18. Les zapatistes sont très clairs là-dessus, c’est un mouvement pacifique mais armé dans le but de se défendre. Et c’est armées que dans la nuit du 1er janvier 1994 les forces de l’EZLN prirent San Cristobal de Las Casas, Las Margaritas, Ocosingo, Altamirano, Chanal, Huistancar et Oxhuc. C’est grâce aux armes qu’ils eurent une voix. Ce fut la nuit où le pays entra dans la modernité et dans le premier monde après la signature du traité de libre échange entre le Mexique, les Etats Unis et le Canada. La nuit où le Mexique d’en bas allait devoir souffrir davantage pour payer le salaire de ceux d’en haut. Une poignée d’hommes décida de crier Ya Basta. De crier Ya Basta au mépris, à l’hypocrisie, au désintérêt et à l’exploitation. 40000 indiens sont donc sortis du néant dont seulement 300 réellement armés. Marcos, en porte parole de l’EZLN, réclama l’application de l’article 27 de la constitution assortie des dix exigences qui devinrent le leitmotiv de leur combat jusqu’à aujourd’hui : « Travail, terre, lait, nourriture, santé, éducation, indépendance, liberté, démocratie, justice et paix » 19 .Ils firent leur première déclaration de la selva lacandona. 20 Il fallait prêcher le pessimisme de la raison et l’optimisme de la volonté. 21 Selon les zapatistes, la constitution mexicaine ne reconnait toujours pas l’existence d’une dizaine de millions de personnes qui représente 10% de la population mexicaine. L’EZLN prétend s’enraciner avec détermination dans le passé indien du Mexique, c’est-à-dire qu’elle veut que l’acteur zapatiste soit mexicain sans cesser d’être indien. 22 Elle refuse que le pays abandonne une partie de sa population sous prétexte qu’elle parle une autre langue et qu’elle n’accepte pas d’interventions politiques dans ses communautés. Personne de ne doit nier ce qui fait de lui quelqu’un de différent dans le but de se faire accepter. Les zapatistes aspire à « un mundo donde quepan muchos mundos »
Les jours de lutte
Quand le gouvernement réagit et envoie l’armée se rendre dans les villages occupés, des combats de part et d’autre font rage. Mais très vite, probablement de peur de s’attiser les foudres médiatiques internationales, Carlos Salinas de Gortari décrète un cessez le feu unilatéral. C’est dans la cathédrale de San Cristobal de Las Casas et avec l’évêque Samuel Ruiz Garcia comme médiateur que s’amorce le premier dialogue avec l’EZLN. Quelques prisonniers zapatistes sont libérés et l’ancien gouverneur du Chiapas, le général Absalon Dominguez, est libéré par les zapatistes. Depuis la cathédrale partira un vent d’espoir qui balaiera toutes les terres ayant connu l’exploitation, le mépris et la pauvreté. Enfin quelqu’un se bat pour les plus petits. Et quand, « Le sous commandant Marcos déroule le drapeau mexicain, le brandit à bout de bras et parle de la patrie qui les a oubliées, ce geste imprévu scelle à sa manière la mexicanité et la légitimité des représentants de ceux qui n’ont pas de nom, pas de visage, pas de voix. » 23 Ce dialogue va durer plus d’un an. Jusqu’en 1996 le mouvement va connaître un dynamisme puissant. Les négociations aboutissent au dialogue de San Andrés, c’est-àdire un accord sur les droits et la culture indigène. Le Comité Clandestin Révolutionnaire Indigène (CCRI) et le Comité Général de l’EZLN (CGEZLN) envoient au nouveau président Ernesto Zedillo un cahier de 34 revendications en 1996. Zedillo répond positivement à 32 revendications en affirmant mettre très prochainement des mesures en place mais refuse de céder sur deux points. L’EZLN demande, sous couvert de l’article 39 de la Constitution24, la démission du président. En effet, cet article fait référence à la liberté d’un peuple de décider de son gouvernement. Zedillo réfute cette signature sous prétexte qu’il n’est pas en capacité de le faire ainsi que celle de la réforme de l’article 27 sur les droits paysans. L’EZLN cesse par conséquence tout dialogue et refuse de signer l’accord de paix. Le gouvernement choisi d’imposer une présence paramilitaire dans la zone chiapanèque.
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Table des matières
Introduction
1ère partie : la genèse du zapatisme et sa lutte pour l’Humanité
1) La création de l’EZLN
2) Les jours de lutte
3) L’organisation
4) Une immersion culturelle
5) Lutter contre l’usure
6) Un sursaut
2 partie : Le sous commandant Marcos
1) Qui est-il ?
2) Les symboles et l’intérêt médiatique immédiat
3) La notoriété
4) Le piège médiatique qui s’annonce
3 partie: Les communiqués et les projets politiques de l’EZLN
1) Les techniques d’information et de communication de l’EZLN20
2) L’histoire
3) L’action politique
4) La lutte contre le néo-libéralisme
5) Quelques racines politiques
4 ème partie : L’ombre de Zapata sur le Chiapas moderne et les indiens
1) Zapatistes/Zapata
2) L’écueil politique
3) La réforme agraire
4) Les indiens
5) La religion
6) Les membres zapatistes
5 ème partie : un réel essoufflement ou une logique médiatique
1) Le processus médiatique
2) Les aléas médiatiques
3) Les reproches
4) L’essoufflement
5) Critiques et contradictions
Conclusion
Annexes
I. Repères chronologiques : 23 ans de rébellion zapatiste
II. Cartes
III. L’ALENA
IV. La mort de Zapata
V. Nuestra profesión: la esperanza
VI. Entre la luz y la sombra
VII. El dibujo de Marcos
VIII. Lettre à ETA
IX. Primera Declaración de la Selva Lacandona
X. Photos des mises en scène du sous-commandant Marcos et des
zapatistes
XI. Photo d’un village zapatiste
XII. Point 8 du communiqué du 10 juin 1994.
Bibliographie
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