Loger les « jeunes », entre impératif et complexité

Dans une infographie réalisée en 2013, la Fondation Abbé Pierre dénonçait les obstacles rencontrés par les jeunes pour accéder au logement et, dès lors que ceux-ci disposent de leur propre logement, des difficultés auxquelles ils peuvent faire face. Davantage confrontés à la pauvreté, aux retards de paiement, aux découverts, vivant plus souvent que le reste de la population dans des logements plus petits, plus difficiles à chauffer ou de mauvaise qualité… les jeunes apparaissent comme : « les premières victimes du mal-logement » .

La première difficulté réside dans la définition même de la jeunesse. Si la sociologie la conçoit comme une « étape dans le cycle de vie », une « transition vers l’âge adulte », « un rapport entre générations», l’action publique la définit essentiellement « à partir de ses problèmes et de ses besoins » (Cerema, 2016). Quoi qu’il en soit, à l’image de la vieillesse, la jeunesse ne peut être appréhendée comme un ensemble parfaitement homogène, partageant les mêmes aspirations, rencontrant les mêmes obstacles ou étant dans les mêmes situations. Sous cette bannière, sont rassemblés des jeunes aux situations sociales, professionnelles, familiales, financières, personnelles extrêmement distinctes.

Si « l’accès au logement autonome est pour les jeunes un enjeu majeur dans la transition vers l’âge adulte » (Richez, 2015), celui-ci est d’autant plus compliqué pour cette population dont la situation se révèle précaire : instabilité et perméabilité des statuts, exposition plus grande au chômage, mobilité fréquente… Conjugués à de faibles ressources, l’insolvabilité des jeunes accentue les difficultés qu’ils rencontrent pour accéder à un logement. Ceci peut devenir, pour certains d’entre eux, un véritable défi. Alors que les jeunes décohabitants habitent, le plus souvent seuls, leurs attentes en termes de logement se portent surtout sur les plus petites typologies, notamment dans le parc privé. Or, celles-ci, très prisées, mais pas uniquement par les jeunes, sont celles dont les loyers au m² sont les plus importants. Cela est d’autant plus vrai dans les grandes agglomérations où la pression est la plus forte. Paradoxalement, tandis que les jeunes sont ceux dont les ressources sont les plus faibles, ils doivent assumer des niveaux de loyers particulièrement élevés. Avec l’accroissement des dépenses en matière de logement depuis les années 1970, le taux d’effort des ménages a quasiment doublé entre 1973 et 2006. Ce sont les jeunes qui ont été les plus impactés par cette hausse. Entre 2002 et 2006, le taux d’effort des ménages dont la personne de référence avait moins de 30 ans avait augmenté de plus de trois points . Alors que le parc social compte moins de 5 % de petits logements, le parc privé en recense plus de 40 %. Qui plus est, plus de la moitié des logements occupés par les jeunes sont des logements d’une ou deux pièces . Si à l’origine le parc social avait été conçu pour accueillir des jeunes ménages, notamment avec enfants, la baisse de la rotation et le vieillissement de la population occupante limitent l’accès des plus jeunes à ce parc et les conduit à se reporter vers le parc privé, plus cher. Aujourd’hui, le premier logement d’un jeune en décohabitation est, le plus souvent, un logement locatif dans le parc privé.

Alors comment les bailleurs sociaux peuvent-ils aujourd’hui se saisir de la problématique du logement des jeunes et, plus largement, comment conçoivent-ils ce public ? Quels éléments rendent possible, ou non, leur intervention ? L’organisation interne des organismes de logement social et le fonctionnement actuel du logement social leur permettent-ils de s’investir pleinement dans cette problématique ? Celle-ci est-elle suffisante au regard des besoins d’un public très hétérogène ? Quels blocages rencontrent-ils ? Quelle place est accordée aux jeunes dans le logement social ? Aussi, toutes ces interrogations peuvent être réunies autour d’une seule question à laquelle ce travail de recherche à vocation à apporter des réponses : Dans quelles mesures les bailleurs sociaux peuventils apporter des réponses aux besoins en logement des jeunes ?

A ce stade, plusieurs hypothèses peuvent d’ores-et-déjà être avancées :
• Première hypothèse : L’organisation et le fonctionnement actuel des bailleurs sociaux ne correspond pas aux exigences des jeunes, et ce, notamment en termes de mobilité et de réactivité ;
• Seconde hypothèse : Les typologies de logements composant le parc des organismes HLM n’est pas en adéquation avec les besoins de ces publics.

Dans cette optique, le bailleur social retenu comme support de l’analyse est le bailleur Nouveau Logis Méridional, filiale de l’opérateur immobilier Groupe SNI, lui même filiale à 100 % de la Caisse des Dépôts et Consignations. NLM intervient en région Occitanie, en particulier autour des métropoles de Toulouse et de Montpellier dans lesquelles sont implantées des antennes locales. Investi depuis longtemps dans la problématique du logement des jeunes, en particulier des étudiants, cet organisme s’est, par conséquent, imposé comme support à ce travail. Alors que l’action du bailleur tend à se recentrer autour des deux principales centralités, et face à la concentration du parc autour de ces deux villes, choix a été fait de se consacrer à l’étude de son intervention à l’échelle de Montpellier Méditerranée Métropole. Composé de trente et une communes, ce territoire ne comptait pas moins de 440000 habitants au dernier recensement, dont plus de 60 % se concentrent dans la ville centre, à savoir Montpellier (Cf. Figure 1, p. 10) . Mais pourquoi s’appuyer sur ce territoire ? Si ce dernier connaît une croissance démographique particulièrement importante, il la doit surtout à l’arrivée d’une population jeune, en particulier d’étudiants. Avec près d’un quart de la population âgée de 15 à 29 ans et plus de 74000 étudiants inscrits dans les établissements d’enseignement supérieur, la métropole de Montpellier peut être qualifiée de relativement jeune. Or, ceci pose inévitablement des questions quant au logement de cette population et ce, d’autant plus dans un territoire très attractif caractérisé par de fortes tensions sur le marché du logement et où les coûts pour accéder à un logement sont particulièrement élevés.

La jeunesse, une phase transitoire entre l’enfance et l’âge adulte ? 

« Jeunesse : période de la vie humaine comprise entre l’enfance et l’âge mûr ». Telle est la définition faite par Le Larousse à propos de ce terme. Au sens commun, celle-ci est conçue comme une étape entre deux périodes de la vie. Cette définition demeure néanmoins abstraite et ne permet pas de comprendre ce à quoi renvoie la notion de « jeunesse ». Elle soulève davantage de questions, en l’apparence, simples, que de réponses : Qu’est-ce que l’enfance ? A quoi l’âge mur renvoie-t-il ? A quel âge commence la jeunesse ? Et quand se termine-t-elle ? Poser ce type de questions semble absurde mais légitime. Un détour par la sociologie apparaît nécessaire.

La problématique de la jeunesse fait l’objet de nombreux débats en sociologie et les interrogations à ce sujet ne sont pas récentes. Ceux-ci révèlent bel et bien l’ambiguïté et la complexité de cette notion. En 1980, s’il rappelait que « les divisions entre les âges sont arbitraires » et que la jeunesse, tout comme la vieillesse, « ne sont pas des données mais sont construites socialement », Pierre Bourdieu envisageait la jeunesse comme une catégorie résultant de luttes, notamment de pouvoir, entre les « jeunes » et les « vieux ». Selon lui, les classifications, quelles qu’elles soient, ont vocation à instaurer un ordre auquel chacun doit se plier. Les coupures en générations ou en classes d’âges lui faisait concevoir la jeunesse comme une donnée manipulable et manipulée. Cette perception de la jeunesse comme résultante de luttes apparaît actuellement dépassée.

Les essais de définition fournis par les sociologues semblent aujourd’hui converger vers une conception de la jeunesse comme « une phase ou étape du cycle de vie, un champ temporel où se produisent des évènements importants dans la vie, tels que l’entrée dans la vie matrimoniale, professionnelle et résidentielle adulte. Le terme de jeunesse désigne globalement dans ce cas un processus de passage au statut d’adulte, c’est-à-dire une période de transition entre deux périodes différenciées de l’existence » (Blöss, Feroni, 2005). Cette approche est défendue par le sociologue Olivier Galland, précurseur d’une conception de la jeunesse comme « âge de la vie » perçu comme une transition entre l’enfance et l’âge adulte. Il conçoit ainsi la jeunesse « comme un passage, symbolisé par le franchissement de seuils sociaux marquant des étapes de la vie (la fin des études, le début de l’activité professionnelle, le départ de chez les parents, la mise en couple, la naissance du premier enfant) et articulé au processus de socialisation, c’est-à-dire l’apprentissage des rôles sociaux correspondant à l’entrée dans ces nouveaux statuts » (Galland, 2009). La jeunesse serait en ce sens caractérisée et ponctuée par une succession d’étapes déterminantes, qui peuvent être fondatrices dans la construction d’un individu comme «adulte». Au travers de ses recherches, O. Galland explique que cet ‘‘âge de la vie’’ tend à se prolonger, sous l’effet de la scolarisation notamment, ceci ayant un « impact sur l’âge de franchissement des autres seuils » (Galland, 2011). Ces observations l’ont conduit à parler d’ « allongement de la jeunesse ». Le modèle de la synchronie de ces différentes étapes clés, caractérisé par leur succession relativement rapide dans le temps, a été profondément bousculé par les transformations intervenant dans les rythmes menant vers « l’âge adulte ». Le cycle « traditionnel », se distinguant par l’achèvement des études, l’accès à l’emploi, le départ du domicile parental, la constitution d’un couple et la naissance du premier enfant a été ébranlé tant par l’allongement de la durée des études que par le retard accumulé dans l’accès à l’emploi. Finalement, cela traduit, pour l’auteur une désynchronisation des principales étapes caractérisant la jeunesse.

Cependant, la conception de la jeunesse comme transition ne fait pas consensus auprès de tous et n’est pas exempte de critiques. François de Singly dénonce l’absence d’interrogations en sociologie de la jeunesse sur ce qu’est être « adulte », pourtant vu comme la suite de la « jeunesse ». Selon lui, le schéma proposé par O. Galland reposerait sur le postulat que chacun souhaite accéder à l’âge adulte. « Un modèle qui repose sur l’accès à l’âge adulte défini comme objectif prioritaire ne correspond pas […] aux sociétés modernes avancées, qui fonctionneraient sur un autre mythe, celui de la quête de soi, qui peut conduire à reprendre des études, à quitter son partenaire, à avoir une période de vie ‘‘solo’’, à refaire une vie commune, à démissionner de son entreprise pour recommencer une nouvelle activité », écrit F. de Singly. Ce statut est défini comme « peu enviable » par certains individus. Le groupe des jeunes se caractérise, d’après lui, « par la dissociation entre les deux dimensions principales de l’individualisation », à savoir l’autonomie et l’indépendance, deux notions souvent dissociées chez les jeunes aujourd’hui. Aussi, ces derniers peuvent être autonomes, sans pour autant être parfaitement indépendants par rapport à leurs parents, ou disposer de leurs propres ressources le leur permettant. L’intérêt pour la jeunesse est relancé avec les recherches s’effectuant autour du processus d’individualisation. S’inscrivant dans cette lignée, Cécile Van de Velde estime que la jeunesse ne peut être abordée seulement « comme une catégorie d’observation dont la durée varie au gré des mouvements et des indicateurs frontières », nuançant ainsi la conception de la jeunesse comme transition, « mais également et surtout comme un processus fondamentalement évolutif d’individuation » (Van de Velde, 2008).

D’autres chercheurs jugent la perception de la jeunesse comme âge de la vie comme trop évolutionniste pour décrire cette catégorie de la population. L’insuffisance de cette approche fondée sur le constat d’une évolution de la jeunesse calquée sur celles concernant « les calendriers scolaires, professionnels, résidentiels et familiaux » est soulignée. L’apparition de nouveaux statuts professionnels, l’émergence de modes d’unions conjugales particuliers, les nouveaux modes de décohabitation ainsi que l’ensemble des évolutions socio-démographiques impactant la jeunesse, ne leur sont pas propres mais sont le reflet des « changements intervenus dans le ‘‘monde des adultes’’ lui-même » (Blöss, Feroni, 2005).

En somme, la jeunesse demeure une notion floue, qui malgré l’apparent consensus autour de son appréhension comme un processus s’intercalant entre l’enfance et l’âge adulte, soulève de nombreuses controverses parmi les chercheurs. Aujourd’hui, à l’image des débats régnant autour de la « vieillesse », il n’y a pas de définition claire sur ce que recouvre ce terme.

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Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE 1. Loger les « jeunes », entre impératif et complexité
1.1 Les « jeunes », une notion indéfinissable ?
1.1.1 La jeunesse, une phase transitoire entre l’enfance et l’âge adulte ?
1.1.2 La jeunesse, objet de représentations sociales ambivalentes
1.1.3 Les « jeunes », un terme modelé et brouillé par l’action publique
1.1.4 La contribution des statistiques dans la définition de la jeunesse
1.2 Les jeunes, un public hétérogène
1.2.1 Les jeunes, une population à l’identité complexe
1.2.2 Une population caractérisée par une pluralité de situations socio-démographiques
1.2.2.1 Une jeunesse aux attributs économiques hétérogènes
1.2.2.2 Quand l’origine sociale s’en mêle, des jeunes inégaux dans l’accès aux études supérieures
1.2.2.3 Une jeunesse impactée par les évolutions sociétales
1.2.3 Une population mobile inégalement répartie
1.2.3.1 Des jeunes massivement concentrés dans les grandes agglomérations
1.2.3.2 La mobilité comme particularité
1.3 L’accès au logement des jeunes, un parcours semé d’embûches
1.3.1 La décohabitation : un départ du domicile parental qui n’est pas toujours définitif
1.3.2 Les jeunes ménages : tous locataires ?
1.3.3 Un accès au logement qui ne se fait pas sans difficultés
Conclusion
PARTIE 2. Le logement social, une réponse aux besoins en logement des jeunes ?
2.1 Les jeunes et le logement social, deux notions incompatibles ?
2.1.1 Le logement social : de quoi s’agit-il ?
2.1.2 Des jeunes sous-représentés dans le parc social
2.2 Montpellier Méditerranée Métropole, paradoxes d’un territoire jeune et dynamique….
2.2.1 Présentation du territoire montpelliérain
2.2.2 Un territoire marqué par la présence d’une population jeune et mobile
2.2.3 Un contexte immobilier tendu peu favorable au logement des jeunes
2.2.4 Les jeunes demandeurs de logement social montpelliérains, une goutte d’eau parmi les demandeurs ?
2.3 Nouveau Logis Méridional, un acteur du logement des jeunes sur le territoire montpelliérain
2.3.1 De Toulouse à Montpellier, l’essor d’un bailleur social investi dans le logement des étudiants
2.3.2 Un parc de logements à l’image du parc social français
2.3.3 Une intervention focalisée sur un public de jeunes « spécifiques »
Conclusion
PARTIE 3. Le bailleur social face au défi du logement des jeunes : entre opportunités et difficultés
3.1 Loger les jeunes : les bailleurs sociaux face à de multiples contraintes
3.1.1 La gestion complexe du logement des jeunes
3.1.1.1 Rigidité versus flexibilité : le logement social inadapté aux exigences des jeunes ?
3.1.1.2 L’inadéquation de l’organisation interne des bailleurs à la problématique du logement des jeunes
3.1.2 Les bailleurs sociaux à l’épreuve du logement des jeunes
3.1.2.1 Des tentatives d’adaptation du parc social en proie à la frilosité
3.1.2.2 L’accès au foncier comme obstacle. Une problématique inhérente au logement social
3.1.3 Les complexités des logements « jeunes »
3.2 Une diversité de modes de logement et d’opportunités à apprivoiser
3.2.1 Vers une évolution des modes de gestion du logement des jeunes par les ESH?
3.2.2 Des avancées législatives comme potentiel de développement d’une offre adaptée
3.2.3 Une production de logements dédiés aux jeunes appelant une diversité de procédures
Conclusion
CONCLUSION GÉNÉRALE

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