L’offre de riz des ménages agricoles malgaches
L’estimation de fonctions de production sur données transversales
Les modèles les plus courants d’étude de l’offre sur données individuelles, utilisent le programme de maximisation du profit sous contrainte de la fonction de production, celle-ci étant estimée économétriquement à partir de données transversales d’exploitations agricoles (Skoufias, 1994). Les fonctions de production peuvent être de la forme Cobb-Douglas, mais le développement de formes fonctionnelles plus flexibles du type CES ou translog a élargi les possibilités de représentation (Jacoby, 1993). Le choix de la forme fonctionnelle appropriée pose de nombreux problèmes dans la mesure où les élasticités estimées dépendent de la forme fonctionnelle choisie. -19- Simultanéité et hétérogénéité L’estimation des fonctions de production agricole soulève fréquemment des problèmes de simultanéité et d’hétérogénéité (Deaton, 1994). Un point de départ classique pour l’étude des caractéristiques de la production à travers une estimation économétrique est la régression d’une fonction de la forme : h h (1) où Ti est la terre, qh la production, Lh le travail, Zh un autre intrant et uh le résidu. Ainsi, dans ce cas, le signe de β1 renseigne sur la relation entre la productivité de la terre et la taille de l’exploitation, tandis que β2 est la productivité marginale du travail et β3 est celle de l’intrant. Si cette productivité est supérieure au coût de l’intrant, alors on considère généralement qu’une intervention sur la distribution ou les conditions d’accès à cet intrant est économiquement efficace et donc justifiée. Trouver un signe négatif pour β1 est un résultat classique pour lequel il existe plusieurs interprétations : – une production élevée par tête constitue une assurance contre le risque pour les petits producteurs; – le travail salarié (utilisé principalement dans les exploitations les plus grandes) est moins productif que le travail familial car il doit être supervisé. Une autre explication est que l’équation (1) omet de l’hétérogénéité non observée – en l’occurrence la qualité de la terre – et que cette variable omise est systématiquement corrélée avec les variables explicatives. Par exemple, les exploitations dans les zones marginales semi-désertiques sont en général grandes tandis que les exploitations des zones fertiles sont plus petites. Qu’un jardin produise plus de valeur ajouté à l’hectare qu’un pâturage n’implique pas que tous les pâturages devraient être reconvertis en jardins. La variable omise de qualité de la terre est négativement corrélée à la superficie, ce qui conduit l’estimateur du coefficient à être biaisé de sa vraie valeur nulle à une valeur négative. Des études montrent que l’introduction de la qualité de la terre dans les variables explicatives diminue voire annule le biais (Benjamin, 1993). Des arguments similaires peuvent être appliqués aux autres variables de la fonction de production. Par exemple, on trouve parfois que la productivité marginale des engrais est bien supérieure à ce qu’on attend dans un cadre de production efficace. Cela signifie-t-il qu’il existe des problèmes de disponibilité des engrais et qu’il faut améliorer leur distribution? Pas si ce que l’on observe est que les exploitations ayant des terres de meilleure qualité, ou des exploitants plus efficaces, sont aussi celles qui adoptent plus -20- facilement des nouvelles technologies. Dans ce cas la production de ces exploitations est élevée, non pas à cause d’une productivité marginale élevée des engrais mais à cause de variables non observables qui sont corrélées à la fois avec les inputs et l’output. L’hétérogénéité omise induit une corrélation entre les variables explicatives et le terme d’erreur dans un sens qui a les mêmes conséquences que le biais de simultanéité. L’estimation d’une fonction de production peut souffrir d’un biais de simultanéité même en l’absence d’hétérogénéité car les inputs comme les outputs sont sous le contrôle du producteur et ne peuvent pas prétendre à l’exogénéité. La combinaison des problèmes de simultanéité et d’hétérogénéité rend inopérant le recours aux variables décalées pour résoudre le premier : alors qu’il vrai que les semences doivent être plantées avant la récolte, l’hétérogénéité des exploitants fait que les semis ne sont pas exogènes pour la récolte. Le résultat de toutes ces considérations est que la fonction estimée par la régression des outputs sur les inputs correspond rarement à une technologie réelle. Il existe de nombreuses solutions économétriques à ces problèmes. On doit tout d’abord remarquer que sous les hypothèse néoclassiques standards du modèle de ménage (modèle de décision), les véritables variables exogènes de la production sont les prix des inputs et des outputs et que les techniques appropriées d’estimation sont soit l’utilisation de variables instrumentales dans la fonction physique de production, soit l’estimation d’une spécification duale, dans laquelle la technologie est spécifiée comme une fonction de profit dont les dérivées sont des fonctions de demande d’inputs et d’offre d’outputs, toutes fonctions des prix. Il y a deux problèmes ici, l’un théorique et l’autre pratique. Tout d’abord, beaucoup d’économistes du développement sont à l’aise avec des fonctions physiques reliant inputs et outputs et ne sont pas près à se conformer à une vision néoclassique marginaliste de l’agriculture dans les PVD. Cette réticence s’appuie souvent sur des faits réels, comme les nombreuses défaillances des marchés dans ces pays. Le deuxième problème est lié à la difficulté d’estimer des fonctions satisfaisantes reliant les outputs et les inputs à leurs prix tandis que pour l’estimation de fonctions physiques l’omission de l’hétérogénéité garantit souvent de bons résultats. Ce problème pratique est aggravé dans les cas où il y a relativement peu de variations de prix entre les exploitations. Lorsque des données de panel sont disponibles le problème de l’hétérogénéité peut être résolu en faisant l’hypothèse qu’elle prend une forme additive dans l’équation (1). Des estimations sans biais des paramètres peuvent alors être obtenues avec les MCO appliqués soit aux différences entre périodes, soit aux écart avec la moyenne individuelle. -21- Estimations de fonctions multiproduits Un autre problème posé par l’estimation économétrique de fonctions de production agricoles sur données non expérimentales est que les consommations de certains intrants ne sont pas connues par culture. Les approches les plus courantes pour pallier aux données manquantes ont été d’estimer des fonctions de production jointes qui spécifient une relation entre une quantité d’output et des quantités agrégées d’inputs, ou bien d’utiliser des relations correspondantes entre quantités et prix issues de programmes duaux de maximisation de l’utilité espérée. La méthodologie proposée par Just et al. (1983) est basée sur les hypothèses suivantes concernant la production agricole : i) la plupart des inputs sont alloués par les agriculteurs à des activités de production spécifiques; ii) il existe des contraintes physiques qui limitent la quantité totale d’inputs qu’un agriculteur peut utiliser dans un temps donné; iii) la combinaison des outputs est uniquement déterminée par l’allocation des inputs à différentes activités productives, en plus des effets aléatoires et incontrôlables. Une fonction de production multiple est une relation technique qui spécifie les combinaisons possibles d’outputs qui peuvent être produites à partir d’une combinaison d’inputs. Des généralisations des fonctions Cobb-Douglas et CET ont été proposée : = (2) où les outputs sont notés yk et les inputs xj. Une modélisation plus courante d’une technologie multi-produits est la contrainte structurelle des modèles de programmation mathématique : Ay ≤ x où y et x sont des vecteurs d’outputs et d’inputs respectivement et A est une matrice de coefficients techniques. L’avantage de cette formalisation est qu’elle est cohérente avec les hypothèses formulées plus haut et que la combinaison d’outputs est complètement déterminée lorsqu’on connaît la combinaison d’inputs pour chaque produit. Dans les formulations (1) et (2) en revanche, l’augmentation de la quantité d’inputs allouée à une culture donnée peut conduire à l’augmentation de la production d’une autre culture. Cette implication absurde résulte non pas de l’utilisation du concept de frontière de production jointe (la -22- formalisation (3) l’utilise également) mais de la restriction imposée par l’hypothèse selon laquelle cette frontière est séparable par rapport aux inputs et aux outputs. Le problème posé par l’estimation de fonctions de production multiple rejoint donc le débat sur le choix entre les méthodes économétriques et l’approche par les modèles de programmation mathématique pour l’étude de la réponse de l’offre.
Les modèles de programmation mathématique
Dans les modèles de programmation mathématique, la forme exacte de la fonction technique de production est supposée connue et l’on construit un modèle linéaire complet pour décrire le système de production. Ce modèle comprend des fonctions de productions linéaires et additives pour chaque activité possible ainsi que des contraintes sur l’utilisation des ressources. Une fonction objectif est également spécifiée : il s’agit généralement d’une fonction de profit restreinte dans laquelle on peut introduire le risque. La résolution répétée de ce système d’équations avec différents prix permet de décrire des relations prix-production pour chaque culture et chaque exploitation type. La réponse de l’offre agricole ainsi décrite a pour caractéristique principale d’être irrégulière (« en marches d’escalier ») et ne peut donc pas être réduite à une forme fonctionnelle simple. Il est en revanche possible d’estimer économétriquement les relations prix-output à partir des résultats des simulations. Un des avantages de la programmation mathématique est sa capacité à représenter la complexité des inter-relations liées à des exploitations produisant plusieurs cultures : les modèles de programmation mathématique prennent en effet en compte la concurrence qui existe entre les différentes activités productives pour l’utilisation des ressources. Un modèle de programmation mathématique à N produits et M intrants permet ainsi de reproduire : NxN effets du prix des produits sur les productions; MxM effets du prix des inputs sur leur utilisation; MxN effets du prix des produits sur l’utilisation des inputs. Le mot effet est approprié à ce type de modèles car les relations prix-production au niveau individuel ne sont pas lisses et continues, aussi n’est-il pas possible de les réduire à un paramètre du type élasticité. La spécification des modèles construits par cette approche leur permet d’être utilisé dans un domaine de validité plus large que les modèles économétriques. Enfin, cette approche permet de représenter des facteurs techniques et institutionnels qui agissent sur l’offre et qui sont difficilement représentés par d’autres formalisations. La construction de fonctions d’offre à partir de modèles de programmation mathématique manque cependant de précision statistique car, du fait de la nature nonstochastique des coefficients, on aboutit à des valeurs insignifiantes de t. Le coefficient R² donne néanmoins une indication de la qualité de la fonction estimée. Une des difficultés majeures de cette approche est l’obtention d’une classification des exploitations agricoles, qui minimise le biais d’agrégation. Une estimation non biaisée d’offre agrégée ne peut être obtenue que si des critères très stricts d’homogénéité sont appliqués lors de la classification. En plus des résultats connus pour les modèles statiques, il est nécessaire que les exploitations d’un même groupe grandissent dans les mêmes proportions et aient la même vitesse d’innovation. En pratique, il n’existe pas de méthodes de classification qui élimine totalement le biais d’agrégation. L’approche par la programmation linéaire a donné lieu au développement de modèles multimarchés à prix endogènes reposant sur la maximisation de la somme des surplus des producteurs et des consommateurs (Gérard, Boussard et Deybe,1995). Un des inconvénients de ce type de modèles, rappelée par Sadoulet et De Janvry (1995), est que la condition pour que la maximisation de la somme des surplus des producteurs et des consommateurs corresponde à un équilibre compétitif est que chaque marché soit traité comme la solution d’un équilibre partiel. Cela implique que la solution du modèle ne prend pas en compte le revenu généré par le secteur dans la fonction de demande, ce qui exclut l’extension à l’équilibre général. Les deux approches utilisées pour l’étude de la réponse de l’offre différent fondamentalement par l’utilisation qu’elles font des dérivées du programme d’optimisation du producteur. En effet, l’utilisation des éléments de la théorie marginaliste permet de dériver du modèle structurel les fonctions d’offre de produit et de demande d’intrant, tandis que ces fonctions ne sont déduites a posteriori des modèles de programmation mathématique qu’à partir des résultats de simulations et ne reposent pas sur les résultats de la théorie marginaliste. Dans les deux cas cependant, les aspects de production sont déconnectés de ceux de la consommation. Le développement de modèle de ménage depuis le milieu des années 80 permet de prendre en compte les interactions qui existent entre les décisions de production et de consommation. Ces interactions sont particulièrement fortes dans les cas où l’autoconsommation et l’utilisation de main d’œuvre familiale sont importantes.
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Table des matières
Chapitre 0 : Introduction générale
Chapitre 1 : La modélisation de l’offre agricole
Chapitre 2 : L’offre de riz des ménages agricoles malgaches : Etude économétrique à partir
D’enquêtes transversales
Chapitre 3 : Les MEGC appliqués aux économies rurales en développement : quel apport dans
l’analyse de l’impact des politiques de libéralisation du secteur agricole?
Chapitre 4 : Construction d’un modèle d’équilibre général calculable de l’économie malgache
Chapitre 5 : Réconciliation de données d’enquête de ménage et des comptes nationaux : une
approche basée sur un critère de mesure de l’information appliquée à Madagascar
Chapitre 6 : Croissance, distribution et pauvreté : un modèle de micro simulation en équilibre
Général appliqué à Madagascar
Chapitre 7 : Conclusion générale
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