L’ouvrage génie civil : digues et barrages
En France, il existe une grande variété de digues, qui s’explique par les différentes époques de constructions, les différents matériaux utilisés dans leur construction, ainsi que par les modifications successives que les digues ont subies au cours de leur cycle de vie. Dans d’autres pays (Pays-Bas, Suède …) où la problématique digue est encore plus cruciale qu’en France (pays plus vulnérables de par la multiplicité des ouvrages et par leur faible altitude par rapport au niveau des mers), cette disparité de construction et de suivi des digues est très importante. Toutefois, la digue récente en remblai peut être réalisée suivant deux principes différents :
• Digue homogène : le même matériau assure les fonctions d’étanchéité et de stabilité de l’ouvrage (exemples : digues de Camargue en limon étanche, digues d’aménagement hydroélectrique du Rhône en matériau semi-perméable. Une couche imperméable (par exemple des dalles bétons) peut venir s’ajouter en amont à ce type de configuration pour renforcer l’étanchéité (Figure 1-a.).
• Digue zonée : un noyau argileux, situé au centre de l’édifice constitué de matériaux plus perméables (blocs, remblais), constitue la barrière imperméable de l’ouvrage (Figure 1-b.). On se rapproche alors d’une conception de type grand barrage. La digue est une construction établie dans le but de contenir les eaux ou de se protéger de leurs effets (Kurtz, 1997). Une description de l’ouvrage digue ainsi que l’évaluation des performances des digues de protection contre les crues est exposée dans le cadre de la thèse “Evaluation de la performance des digues de protection contre les inondations, Damien SERRE, 2005, Université de Marne-La-Vallée”. Les digues peuvent avoir deux fonctions principales qui les séparent alors en deux grandes familles: les digues en charge permanente et les digues de protection contre les inondations. Concernant les digues de protection contre les crues, celles-ci sont des ouvrages dont une partie est construite au-dessus du terrain naturel afin de contenir épisodiquement un flux d’eau (Mériaux et al., 2001). L’essentiel du parc de ce type de digues est ancien et leur constitution est généralement mal connue par les gestionnaires. Il s’agit alors de remblais en terre allant du limon au sable et parfois même graviers . Concernant les digues en charge permanente, celles-ci correspondent principalement à des digues de navigation ou de dérivation. On compte, pour les petits canaux de navigation environ 10 ruptures par an sur les 6 700 km de canaux navigables (Daly et al. 2004). Il s’agit souvent de digues très hétérogènes, mal connues des gestionnaires d’ouvrages à l’exception des digues récentes d’aménagement hydroélectrique (Rhône et Rhin). Dans le cadre de ce travail de détection des fuites par la méthode PS, nous nous intéresserons aux digues correspondant à la famille des digues en charge permanente ainsi qu’aux barrages. En effet, cette méthode géophysique étant sensible aux écoulements en milieu poreux, seules les digues en charge sur de longues périodes peuvent présenter des écoulements de ce type et permettent des mesures PS.
Applications sur les ouvrages hydrauliques
La méthode PS s’est donc tournée tout naturellement vers la problématique des zones de fuites dans les ouvrages hydrauliques que constituent les digues et les barrages (Wilt et Corwin, 1989 ; Scheffer et Howie, 2001 ; Rozycki et al, 2005). Cette problématique est un enjeu majeur aujourd’hui, de par les risques de ruptures des ouvrages et les conséquences sur la sécurité de la population ainsi qu’aux niveaux économique et environnemental. L’outil géophysique “potentiel spontané” semble être un outil tout à fait pertinent et même incontournable dans les investigations d’ouvrages hydrauliques, de par le développement important de la méthode au cours de ces 20 dernières années. Des travaux récents ont montré l’efficacité et l’utilité de cette méthode pour le diagnostic d’ouvrages hydrauliques. La méthode PS a déjà permis de localiser avec succès des zones d’écoulement préférentiel dans les digues (Ogilvy et al., 1969 ; Bogoslovsky et Ogilvy, 1970 ; Black et Corwin, 1984 ; Butler et al., 1989 ; Corwin, 1991 ; Ganesh Mainli « monitoring of Tailing Dams with Geophysical Methods », licentiate thesis, 2007 ; Scheffer, Thesis, 2007). Concernant l’application concrète sur des ouvrages hydrauliques, Rozycki et al (2006) ont développé des solutions analytiques pour le calcul du potentiel spontané, associé à la polarisation de zones de fractures au sein d’un barrage. Ils décrivent une méthodologie pour déterminer les composantes individuelles d’un ensemble de fractures distinctes. Cependant, ces travaux ne permettent pas d’estimer un débit de fuite, vu la simplicité des géométries de fractures utilisées, ainsi que la non-utilisation de l’information de résistivité électrique, incontournable dans la méthode PS comme nous le verrons plus loin.
Le milieu poreux
L’électrofiltration peut être définie comme l’apparition d’un champ électrique mesurable dans un milieu poreux sous l’effet de la circulation d’un fluide dans ce milieu. Pour bien comprendre l’origine de l’électrofiltration (on parle aussi de source électrocinétique), il faut avoir une vision microscopique du milieu poreux. En effet, à cette échelle, la surface des grains qui constituent le milieu poreux est généralement chargée négativement. Cette charge négative est provoquée par des mécanismes électrochimiques entre la surface du minéral et l’eau présente dans l’espace poral du milieu ( +− SiOH +⇔ HSiO pour la silice, e.g., Revil et al, 1999). Ces mécanismes correspondent à des phénomènes d’interaction chimique entre l’électrolyte et des groupements hydroxyles présents à la surface des grains (silanols et aluminols). D’autres phénomènes entrent aussi en jeu tels que des substitutions isomorphiques de certains cations dans le réseau cristallin, dans le cas des aluminosilicates comme de la smectite (Al3+ par Mg2+). Au final, cette “surface” chargée négativement génère un champ électrostatique au voisinage de la surface des minéraux. Les ions présents dans l’eau réagissent à ce champ électrostatique de manières différentes suivant leurs signes de charges : les cations vont être attirés à proximité de la surface du minéral tandis que les anions vont, au contraire, être repoussés. Cette “migration” des ions permet, pour un volume élémentaire du milieu poreux, de respecter une charge totale nulle. Il apparaît alors différentes zones entre la surface du minéral et le centre de l’espace poral qui peuvent être définies suivant la mobilité des ions et l’influence spatiale de ce champ électrostatique : on parle alors de double couche électrique (Figure 1.1).
Les autres sources de potentiel spontané
Hormis les sources d’électrofiltration, d’autres sources peuvent être présentes sur un site et viennent alors perturber les mesures. Les origines de ces sources, qui peuvent être considérées comme du bruit suivant les objectifs de l’étude réalisée, sont de natures chimique, anthropique, biologique etc. et sont exposées ci-après.
– Les sources anthropiques : Notons tout d’abord que les sources d’origine anthropique se manifestent le plus souvent sous forme de signaux d’oxydoréduction. Contrairement aux signaux d’électrofiltration, où les porteurs de charges sont des ions, l’oxydoréduction correspond à des transferts d’électrons au sein de matériaux conducteurs entre deux zones redox différentes. Concernant les matériaux, il s’agit ici principalement d’infrastructures telles que des canalisations enterrées, des piézomètres qui présentent un tubage métallique, ou bien encore le béton armé. La signature électrique de ce type d’infrastructure est en général bien localisée (canalisations, piézomètre, béton armé ponctuellement oxydé) et d’amplitude relativement forte (de l’ordre de la centaine de millivolts) vis-à-vis des signaux d’électrofiltration (de l’ordre de la dizaine de millivolts) (Naudet et al., 2004). Sur le terrain, l’origine de ces signaux peut être repérée très facilement par la simple localisation visuelle des éléments métalliques. Une étude préalable d’un site peut, de ce fait, s’avérer très utile et permettre de relier les anomalies à des éléments d’origine anthropique et non pas à un phénomène d’électrofiltration. Il est à noter ici qu’une signature d’oxydoréduction peut, dans certain cas, refléter une dégradation de l’ouvrage, et donc indirectement la présence d’une zone de faiblesse qui peut se traduire par une zone d’écoulement préférentiel. D’autre part, la présence de réseaux d’électricité enfouis dans le sous-sol peut aussi induire d’importants courants électriques. Ces courants électriques présentent une fréquence de 50 Hz caractéristique des pays européens donc facilement identifiable (et donc filtrable) lors de mesures PS effectuées en monitoring à haute fréquence d’acquisition (par exemple 200 Hz).
– Les phénomènes magnétotelluriques : A ces signaux d’oxydoréduction de forte amplitude viennent parfois s’ajouter des signaux d’induction magnétotellurique. Il s’agit essentiellement de variations temporelles du champ magnétique terrestre de l’ordre de la journée. Des orages magnétiques peuvent également générer des courants électriques dans le sous-sol mais, cette fois, sur des durées beaucoup plus courtes. Contrairement aux signaux d’oxydoréduction, les phénomènes magnétotelluriques engendrent des signaux de potentiel électrique de l’ordre du millivolt, voire de la dizaine de millivolts par kilomètre. Il est donc recommandé, lors de mesures PS effectuées par temps orageux, de limiter la distance entre électrode de référence et électrode de mesure.
– Potentiel bioélectrique (influence de la végétation) : Il existe un potentiel d’origine bioélectrique induit par la présence de végétation sur un site d’étude, et plus particulièrement par la présence de réseaux racinaires notamment autour des arbres. En effet, la consommation d’eau par les plantes engendre une circulation hydrique et, par conséquent, un potentiel électrique. De plus, la ségrégation de certains minéraux par les plantes lors de l’absorption d’eau génère aussi l’apparition d’un potentiel électrique de l’ordre du millivolt préjudiciable à l’étude d’électrofiltration. Pour s’affranchir de ces signaux, il est alors recommandé de s’écarter des grands réseaux racinaires (c’est-à-dire des arbres) et d’effectuer les mesures à une dizaine de centimètres de profondeur sous la surface du sol.
– Potentiel de diffusion : Des gradients de concentration ionique dans le sous-sol provoquent l’apparition d’un potentiel électrique dit de diffusion (Revil et Leroy., 2004). En effet, un gradient de concentration aura pour effet de mobiliser les anions et les cations présents dans l’électrolyte de l’espace poral. La migration des ces ions ne se faisant pas à la même vitesse entre anions et cations, un déséquilibre de charge va alors apparaître et induire un champ électrique. Toutefois, l’amplitude de ces signaux de diffusion est généralement faible, de l’ordre de quelques millivolts. Il est à noter que les signaux de potentiel de diffusion sont très utilisés dans les mesures de diagraphie en forage (qui correspond à l’utilisation principale de la méthode du potentiel spontané).
– Potentiel thermo-électrique : Cette fois-ci, le “moteur” de l’apparition d’un champ électrique n’est pas un gradient de concentration ionique mais un gradient de température (Corwin & Hoover, 1979). Pour les mêmes raisons que le potentiel de diffusion, la mobilité entre les anions et les cations va être différente suivant la température. Ainsi, des contrastes de températures peuvent être à l’origine d’une anomalie PS (Corwin et Hoover., 1979 ; Finizola et al., 2002). Dans le cadre de monitoring PS qui s’étale sur de longues périodes d’acquisition, il faut donc veiller à ce que toutes les électrodes soient dans la même configuration thermique. Si tel n’est pas le cas, il est alors nécessaire de corriger ces effets de température. L’amplitude de ces signaux est très variable suivant le type de site étudié : de l’ordre du millivolt dans le cas de mesures sur des ouvrages hydrauliques, elle peut atteindre plusieurs dizaines de millivolts, sur des sites volcaniques.
Conclusion de l’article Hydrology and Earth System Sciences
Ce travail a permis dans un premier temps de valider l’expression de la densité de courant source en fonction de la vitesse d’écoulement au travers du paramètre d’excès de charge par unité de volume poral Qv. La formulation de la densité de courant grâce à la vitesse de Darcy U permet alors de relier directement, via le terme Qv, l’anomalie PS à une vitesse d’écoulement. On voit ici l’intérêt d’une telle formulation dans le cadre de campagnes d‘investigations géophysiques sur les ouvrages hydrauliques où l’objectif est d’identifier par des signatures électriques la présence de zones d’écoulements préférentiels. Dans un second temps, cet article valide l’extension de la théorie en domaine non saturé. L’utilisation de l’équation de Richards avec une paramétrisation de Van Genuchten a permis de reproduire les conditions hydriques du test d’infiltration du site. En outre, l’introduction du paramètre de saturation au travers de la seconde loi d’Archie dans l’expression de la conductivité électrique du milieu d’une part, et dans l’expression du terme source de la densité de courant d’autre part, a conduit à une bonne reproduction des signaux de PS réellement mesurés sur le site. Globalement, les résultats obtenus dans le cadre de cet article valident les équations établies dans le Chapitre 1 et permettent l’utilisation de l’outil de simulation numérique dans le cadre de l’évaluation de la vitesse d’écoulement à partir des données PS. Il s’agira alors d’utiliser des valeurs de paramètres hydriques et électriques connues, comme par exemple, la conductivité électrique qui peut être estimée par tomographie de résistivité électrique et d’estimer les paramètres inconnus (les différentes valeurs de conductivité hydraulique par exemple). Ces différents paramètres (K, σ, Qv) peuvent d’ailleurs faire l’objet d’une méthode d’optimisation afin de trouver les valeurs des paramètres qui expliqueront au mieux les signaux de PS mesurés en surface. On peut mentionner ici la méthode du Simplex exposée dans la partie état de l’art. Cette notion d’optimisation fait la transition avec les méthodes dites inverses qui, à partir des signaux de PS et en fonction d’un jeu de paramètres, vont retrouver une distribution de densité de courant source et donc la distribution de vitesse d’écoulement. Ce processus inverse diffère d’un problème direct dans la mesure où, dans ce cas, on ne tient pas compte du problème hydraulique (on ne calcule pas de distribution de charge de pression à partir de conditions aux limites et on ne prend pas en compte une distribution de conductivité hydraulique K).
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Table des matières
Introduction
Etat de l’art
Chapitre 1 – Le potentiel spontané
1.1. Le potentiel d’électrofiltration
1.1.1. Le milieu poreux
1.1.2. La double couche électrique
1.1.3. Le phénomène de couplage
1.1.4. Les équations constitutives
1.1.5. Origine des sources de potentiel spontané
1.1.6. Expressions finales du potentiel spontané
1.2. Influence de la distribution de résistivité électrique
1.3. Matériel d’acquisition et protocole de mesure
1.4. Les autres sources de potentiel spontané
Chapitre 2 – Influence du nombre de Reynolds et du nombre de Dukhin
2.1. Introduction à l’article de Journal of Geophysical Research
2.2. Article de Journal of Geophysical Research
2.3. Conclusions de l’article
Chapitre 3 – Le problème direct : confrontation avec la théorie
3.1. Le problème direct
3.2. Article de Hydrology and Earth System Sciences
3.3. Conclusions de l’article Hydrology and Earth System Sciences
Chapitre 4 – Estimation du débit de fuite par méthode inverse
4.1 .Méthode inverse
4.2. Etapes du processus inverse
4.3. Les contraintes d’inversion additionnelles
4.4. Résumé de l’article de Near Surface Geophysics
4.5. Article de Near Surface Geophysics
4.6. Conclusions de l’article de Near Surface Geophysics
Chapitre 5 – Le potentiel spontané : une méthode active !
5.1. L’influence par modification du terme de convection
5.1.1. Présentation du site d’étude
5.1.2. Campagne d’investigation géophysique
5.1.3. Résultats et interprétations
5.2. L’influence par modification du terme de conduction
5.2.1. Mesures expérimentales
5.2.2. Présentation du site d’étude
5.2.3. Campagne d’investigation géophysique
5.2.4. Résultats et interprétations
5.2.5. Simulation numérique
5.2.6. Estimation de la profondeur d’écoulement
Chapitre 6 – Le haut rendement
6.1. Les mesures à haut rendement dynamique
6.2. Les mesures à haut rendement statique
6.3. Un traitement automatisé
Conclusions
Perspectives
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