Les agricultures sont très diversifiées de par le monde et connaissent des transformations structurelles caractérisées par l’évolution des formes d’organisation. Or on ne dispose, au niveau global, que de peu d’informations sur les effets de ces transformations sur le développement durable c’est-à-dire les impacts écologique et socio-économique (Hubert, et al., 2012). Il n’y avait aucune action internationale conçue pour suivre, documenter, analyser et synthétiser à l’échelle des exploitations agricoles et du territoire, les changements fondamentaux dans la manière dont l’agriculture est pratiquée et organisée et les impacts de ces changements ; Aussi a été mis en place l’initiative internationale de l’Observatoire des Agricultures du Monde OAM/WAW (World Agriculture Watch) par la FAO, et à laquelle les principaux acteurs du développement agricole malgaches ont contribué (RATSIMBARISON, et al, 2013). L’initiative repose sur la mise en place d’un réseau d’observatoires locaux ou nationaux (appelés observatoires pilotes) pour documenter les transformations pour alimenter le débat des politiques publiques au niveau local, national, et international. Madagascar fait partie des pays retenus pour l’implantation d’un observatoire pilote.
Madagascar est un pays agricole avec environ 80% de la population qui tire ses moyens d’existence de la production agricole. Les exploitations agricoles représentent 68 % de l’ensemble des ménages (INSTAT, 2011). Selon EPM-2010, « les petits exploitants agricoles (superficie de moins de 1,5 ha) constituent 70% des ménages agricoles. Les moyennes exploitations, ayant une superficie économique allant de 1,5 ha à 4 ha, représentent tout de même une proportion non négligeable de l’ordre de 23% et les grands exploitants ne constituent que 4,8% de l’ensemble des ménages agricoles. L’agriculture est donc le principal secteur d’emploi de la population. A cause de la croissance démographique (population multipliée par 3,8 en 50 ans entre 1950 et 2000 (Ruralstruc, 2007)), le nombre d’exploitations agricoles devrait progresser fortement dans toutes les régions de Madagascar (près d’un million de nouvelles exploitations créées en dix ans entre 1985 et 2005 (Ruralstruc, 2007)), avec des enjeux importants pour le développement durable des territoires où vivent ces ruraux et où ils exercent les activités agricoles. Ce secteur est donc primordial pour la croissance économique mais aussi sur le plan social et plus particulièrement dans le cadre de la lutte contre la pauvreté et l’amélioration de la sécurité alimentaire et nutritionnelle : 75 % de la population malgache vivaient dans la pauvreté en 2010 (Banque mondiale, 2014). D’où la nécessité, pour les acteurs du développement aux différentes échelles (du local au national) de disposer d’outils de suivi et d’évaluation des transformations agricoles et de leur impacts sur le développement durable des territoires pour améliorer les prises de décision. Cette orientation s’inscrit dans les objectifs de l’initiative WAW/OAM.
CONTEXTE GENERAL DE L’ETUDE
L’Observatoire des Agricultures du Monde
L’Observatoire des Agricultures du Monde (OAM/WAW) a pour objectif de suivre et d’analyser les transformations des systèmes agricoles et leurs impacts écologique et socioéconomique au niveau local et global pour alimenter le débat sur les politiques de développement durable.
L’initiative OAM/WAW propose l’adoption d’une typologie internationale des exploitations agricoles basée sur le type de travail auquel a recours l’exploitation et d’un cadre conceptuel et méthodologique commun (FAO, 2012) afin de représenter la diversité des exploitations agricoles, mettre en relation les activités agricoles de chaque type d’exploitation avec le territoire, et donner un cadre général pour suivre et analyser leurs évolutions. Ce cadre repose sur une adaptation de l’approche Sustainable Rural Livelihoods développée à partir des années 1990 (Chambers et Gordon, 1991, Scoones, 1998) qui « visait initialement à construire un corpus méthodologique de mesure de la pauvreté, susceptible de fournir des pistes pour l’action. Elle vient des limites des approches disponibles dans les années 1990, centrées sur la production marchande, négligeant la pluriactivité et adoptant des mesures restrictives du bien-être. Elle entend ainsi offrir un cadre de lecture des systèmes d’activité, dans lesquels s’inscrit, parmi d’autres, l’agriculture » (Sourisseau et al., 2012). Cette approche a été formalisée dans un cadre des moyens d’existence durable (Sustainable Livelihoods Framework SLF), vulgarisé notamment par la coopération anglaise (DFID, 1999) et adopté par différentes organisations internationales, par exemple FIDA (FIDA 2009, Scoones 2009). Dans ce cadre SLF, les exploitations agricoles sont caractérisées par leurs dotations en capital réparties en cinq catégories : humain, naturel, physique, social et financier ; leurs systèmes d’activités et leurs pratiques et leurs résultats économiques, sociaux et environnementaux.
La zone du Lac Alaotra
Située dans la Région d’Alaotra Mangoro, la zone du lac concerne trois Districts de la région Alaotra Mangoro répartis autour du lac : Amparafaravola sur la rive Ouest, Ambatondrazaka sur la rive Est et plus au nord Andilamena (cf. Annexe 1). La cuvette du lac Alaotra est la zone rizicole la plus importante de Madagascar, avec près de 30 000 ha de grands périmètres conçus et équipés de façon moderne par l’Etat dans les années 50 et par la SOMALAC dans les années 60, et environ 72 000 ha de périmètres traditionnels sans maîtrise d’eau (DEMERINGO, 2005). La production rizicole en année normale est de 200 000 tonnes (Penot, 2011). Cependant, la cuvette du lac Alaotra constitue une enclave climatique de type tropical semihumide. La répartition des précipitations au cours de la saison des pluies est très variable.
Les précipitations cumulées sont en moyenne de 992 mm, pour des extrêmes allant de 599 à 1 537 mm de pluie par an. Le nombre moyen de mois de sécheresse est de 2,5 par an, pour des valeurs allant de 1 à 6 mois. La variabilité interannuelle de la répartition des pluies est également importante et se traduit par une alternance de campagnes sèches et d’autres très arrosées (Abrell, 2013).
Les grandes exploitations de la zone du Lac Alaotra
Définitions des grandes exploitations agricoles
Il n’y a pas de définition universelle pour les grandes exploitations agricoles, comme d’ailleurs pour les petites exploitations auxquelles on peut les opposer. Les adjectifs « grand » et « petit » sont des qualificatifs qui dépendent du contexte, et qui sont le plus souvent associés à l’importance des facteurs de production et en particulier de la terre (HLPE, 2013). Pour Madagascar, on peut se référer à la définition utilisée pour le dernier recensement agricole (RA) en 2004/2005 (MAEP, 2007) : il s’agit des exploitations à vocation agricole avec une superficie physique des terres mises en valeur supérieure ou égale à 10 ha ; une disponibilité d’au moins cinq salariés permanents ; et l’existence de gros matériel ou d’équipement. Il existe aussi d’autres critères pour l’élevage basé notamment sur la taille de troupeaux par exemple : 50 têtes de bovins viande en intensif, 400 têtes en extensif, 20 vaches laitières, 30 truies, 200 porcs à l’engraissement, 100 volailles, 100 ruches, 5 000 plants de muriers. Le recensement agricole (RA) de 2004/05 inventorie seulement 413 grandes exploitations sur le territoire national, dont 55 dans le district d’Amparafaravola et 9 dans celui d’Ambatondrazaka (Randrianarison, 2011).
Les projets PAGE et PAGME
Dans le cadre du projet de Mise en Valeur et de Protection des Bassins Versants du Lac Alaotra (BVLac ), un programme d’appui aux grandes exploitations (PAGE) a été lancé au cours de la campagne agricole 2008-2009 et s’est achevé fin novembre 2010. Ce projet avait pour cible les grandes exploitations, pas ou très peu touchées par les actions entreprises par le Projet BVLac. Il a encadré 22 grands exploitants regroupant plus de 500 ha dès la deuxième année. Pour ce projet PAGE (AMIRAUX et TOMMASINO, 2011), les grandes exploitations sont les exploitations fonctionnelles (c’est-à-dire en activité) en faire-valoir direct de la zone d’intervention dont la surface cultivée importante (supérieure à 10 ha), principalement rizicoles, induit soit une mécanisation soit un emploi important de main d’œuvre.
Il avait pour objectif d’améliorer les capacités de gestion technique et économique des exploitants, à travers un appui technique (appui/conseil à la production agricole et à la mécanisation des cultures), et par la formation des chefs d’exploitation à la gestion technicoéconomique. Le projet PAGE a été poursuivi par un programme d’appui aux grandes et moyennes exploitations (PAGME) mis en œuvre par une équipe de la société BRL en décembre 2011 pour une durée de 18 mois. L’objectif était d’apporter un appui et de former les exploitants sur les pratiques agricoles et surtout sur la gestion de l’exploitation avec la distribution de cahiers d’autogestion. Il a permis l’encadrement de 54 exploitants.
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Table des matières
INTRODUCTION
1 CONTEXTE GENERAL DE L’ETUDE
1.1 L’Observatoire des Agricultures du Monde
1.2 La zone du Lac Alaotra
1.2.1 Les grandes exploitations de la zone du Lac Alaotra
1.2.1.1 Définitions des grandes exploitations agricoles
1.2.1.2 Les projets PAGE et PAGME
2 MATERIELS ET METHODES
2.1 Zone d’étude
2.2 Utilisation du cadre Livelihoods
2.3 Elaboration du questionnaire
2.4 Echantillonnage
2.5 Collecte, saisie et dépouillement des données
2.5.1 Travaux d’enquêtes
2.5.2 Saisie et traitement des données
2.6 Limites de la méthodologie et contraintes
2.6.1 Limites
2.6.2 Contraintes
3 RESULTATS
3.1 Le travail dans les grandes exploitations agricoles
3.1.1 Les types de main d’œuvre et leur rémunération
3.1.2 Un recours massif au travail salarié extérieur à l’exploitation agricole
3.1.3 Difficultés rencontrées par les exploitants pour trouver de la main d’œuvre
3.1.4 Le travail agricole comme critère de différenciation des EA
3.2 Caractérisation selon les cinq capitaux et analyse
3.2.1 Capital Humain
3.2.2 Capital Naturel
3.2.2.1 Superficie totale des exploitations selon les types de parcelles
3.2.2.2 Mode d’acquisition des parcelles
3.2.2.3 Superficie moyenne exploitée et types de cultures pratiquées
3.2.3 Capital Social
3.2.3.1 Appartenance à une organisation professionnelle
3.2.3.2 Le mode de faire valoir des terres et statut
3.2.4 Capital Physique
3.2.4.1 Les matériels agricoles
3.2.4.2 Le cheptel vif
3.2.4.3 L’accès à l’irrigation
3.2.5 Capital Financier
3.3 Stratégies, pratiques et performances
3.3.1 Des systèmes d’activités diversifiés
3.3.2 Pratiques et résultats techniques
3.3.2.1 Système de culture
3.3.2.2 Système d’élevage
3.3.3 Performances et contributions au développement durable
3.3.3.1 Performances économiques pour la production du riz
3.3.3.2 Performances économiques pour l’ensemble des activités
3.3.3.3 Contributions environnementales
3.3.3.4 Contributions sociales
3.4 Stratégies d’investissement
4 DISCUSSION ET RECOMMANDATIONS
4.1 Application du cadre Livelihoods pour la caractérisation des grandes exploitations du Lac Alaotra
4.1.1 Intérêts et limites du cadre Livelihoods pour la caractérisation des grandes exploitations agricoles
4.1.2 Comparaison avec à la typologie élaborée par PAGME
4.2 Les contributions au développement durable
4.2.1 Sécurité alimentaire et développement économique
4.2.2 Contribution à la réduction de la pauvreté
4.2.2.1 Education
4.2.2.2 Revenu disponible par personne élevé
4.2.2.3 Emploi
4.2.3 Gestion des ressources naturelles et la biodiversité
CONCLUSION
Bibliographie