Thèmes abordés dans Kuessipan de Naomi Fontaine
L’adjectif qualifiant certainement le mieux les écrits de Naomi Fontaine est « authentique », de par le choix des thèmes abordés mais également grâce à la façon dont ceux-ci sont traités.
Tout d’abord, Kuessipan témoigne de la culture et des racines de l’auteure. Naomi Fontaine revendique ses origines et l’héritage de ses ancêtres. En effet, de nombreuses références à ses ainés sont présentes dans ses textes. Elle évoque souvent des êtres qui lui sont chers et qui sont toujours ou qui ne sont plus en vie. L’exemple le plus parlant est sans doute celui de ses grands-parents. Son grand-père et sa grand-mère ont tous deux un texte qui leur est dédié. Naomi Fontaine parle avec tendresse de ses grands-parents. Elle les admire tant par ce qu’ils sont que par ce qu’ils représentent. Tout d’abord, ils représentent sa famille. Elle descend d’eux et ils ont pris part à son éducation étant petite. L’auteure est très attachée à la figure de son grand-père. N’ayant pas connu son père, son grand père fut certainement sa plus proche figure paternelle. Naomi Fontaine semble également être attachée au souvenir de sa grand-mère. Elle fut une figure maternelle et le modèle d’une femme forte et courageuse. Ensuite, les grands-parents de l’auteure représentent la culture innue, le mode de vie et les valeurs du passé. Dans le texte sur son grand-père, alors qu’elle évoque le mode de vie de celui-ci, Naomi Fontaine semble être nostalgique. Elle revoit la vie qu’il menait, une vie de nomade. Elle le décrit comme proche de la nature et plein de sagesse. Pour elle, il est la figure de l’Indien, du vrai Indien. Il est l’Indien fier de ce qu’il est et de sa culture. Il est l’Indien qui ressent le besoin de s’isoler dans l’intérieur des terres, dans les terres ancestrales. Pour rien au monde il ne vivrait d’une autre façon. C’est une personne simple, authentique et fidèle à elle-même. Il transmet la culture innue aux générations et devient, quelque part, ambassadeur de celle-ci.
Ces deux portraits révèlent toute l’importance que Naomi Fontaine accorde à ses ainés. Ils sont, pour elle, des exemples de personnes fortes et droites, des Indiens dotés de beaucoup de courage, « le courage très ancien des premiers habitants qui autrefois ont vaincu le pays » (Fontaine, 2015 : 78).
Les grands-parents de Naomi Fontaine ne sont cependant pas les seules personnes faisant partie de son entourage à être concernées par les textes de Kuessipan. L’auteure dresse le portrait de plusieurs femmes et commente leurs vies11. Elle évoque aussi son père, figure liée à un sentiment d’absence et suscitant des questionnements, à plusieurs reprises.
L’absence de son père semble se matérialiser par un sentiment d’incompréhension chez l’auteure. Elle fait souvent référence à ce père disparu tout au long de Kuessipan. Elle exprime sa difficulté à comprendre la mort et à penser qu’elle a un père qui autrefois vivait mais qu’elle n’a pu connaitre avant son décès.
Dans le texte ci-dessus, la tente est l’élément ravivant les instincts de nomade de l’auteure. L’objet invite à un retour à la nature. La phrase « Fermer les yeux, même éveillée, pour ne rien perdre de la réalité, de ce maintenant » affirme que la vie de nomade, sorte de quête de la liberté en communion avec la nature, est la réalité du peuple innu. Le lecteur comprend alors que quand l’envie d’aller vers l’intérieur des terres est exprimée, il ne s’agit pas seulement d’aller voir les paysages de Nutshimit mais d’écouter la terre, de la sentir et de retourner à une vie simple, loin du règne des civilisations occidentales. Il est également intéressant de noter que les textes traitant de Nutshimit font souvent référence aux moyens de transport. L’intérieur des terres est accessible grâce au réseau de chemins de fer. Chaque homme partant pour Nutshimit prend le train et descend au terminal. Ce trajet est évoqué à de nombreuses reprises dans Kuessipan. Il apparait comme une étape transitoire, menant de la vie dans la réserve, dont le mode de vie pourrait être qualifié d’intermédiaire entre la culture innue et la culture occidentale des nationaux, à l’intérieur des terres, celles des ancêtres symbolisant un retour aux origines, un retour à la vérité. Le départ pour Nutshimit semble s’effectuer tel un rituel et dans une ambiance très solennelle. Les Innus partent à la rencontre de la nature et à la rencontre d’eux-mêmes.
Kuessipan, c’est aussi une description de la vie au sein de la réserve de Uashat, de la beauté de celle-ci et de ses côtés plus sombres. Cette réserve semble, comme bon nombre de réserves « indiennes » situées sur le continent américain, défavorisée et plutôt isolée. Les nationaux ne se mêlent pas aux Innus, créant un climat s’apparentant à celui de la ségrégation raciale. L’auteure nous explique également que certains habitants de Uashat essaient de construire leur vie en ville. Ils tentent de quitter la réserve afin de fuir la pauvreté et ce qui en découle : l’isolement, l’insalubrité, la violence, la drogue, l’alcool.
Bien que Naomi Fontaine parle au lecteur des nombreux problèmes que subit la communauté innue, elle apporte un regard sensible, poétique et sans jugement sur la réserve de Uashat. Au-delà de la pauvreté et des conditions dans lesquelles vivent les Innus, elle explique au lecteur ce à quoi elle tient vraiment. Même quand les scènes ou les portraits qu’elle nous expose sont durs, ses textes expriment de l’amour et de l’attachement.
Ecriture de l’auteure
L’écriture de Naomi Fontaine est singulière. L’auteure, comme vu précédemment, écrit de façon concise, franche et naturelle. Elle va à l’essentiel, n’en disant pas plus qu’il ne faut et s’attardant même sur le silence.
Constituant trois phrases ou trois pages et demie, chaque texte a son importance au sein de l’ouvrage. Les textes les plus longs décrivent souvent des lieux ou des personnes alors que les textes courts sont souvent des scènes de la vie quotidienne de l’auteure ou des réflexions qu’elle se fait. En effet, quand certains textes ont un but descriptif, d’autres amènent à réfléchir à des questions telles que la solitude, la pauvreté, l’amour, la peur, la vie ou la mort. L’auteure se livre alors complètement au lecteur car en plus de le faire entrer dans son monde grâce à des descriptions précises, elle lui confie ses doutes, ses peines et ses sentiments.
Dans le texte ci-dessus, premier texte de Kuessipan, Naomi Fontaine confie son besoin d’écrire au lecteur ainsi que la difficulté qu’elle va ressentir à l’heure d’écrire la vérité. Elle précise que ses récits ne sont pas une réalité absolue mais qu’elle se base sur ce qu’elle voit et sur ce qu’elle vit afin d’écrire. Elle nous apprend que les personnages décrits dans ses textes sont tous inspirés de personnes « réelles », faisant partie de son entourage. L’auteure semble vouloir trouver la beauté dans tout ce qu’elle voit. Elle ne veut pas simplement écrire pour dénoncer les problèmes sociaux de sa communauté mais veut écrire pour transmettre sa propre vision de la culture innue et de la vie que mènent les siens. Elle évoque néanmoins son appréhension quant aux sujets plus violents tels que la drogue, l’alcool, la pauvreté et la violence : « J’ai mal et je n’ai encore rien dit. Je n’ai parlé de personne. Je n’ose pas. ». A vouloir écrire la vérité, elle se doit de ne pas cacher ces problèmes mais sait que la rédaction sera difficile car écrire la vérité revient à voir les choses telles qu’elles sont et à ne pas les nier ou les ignorer.
Durant la lecture, le lecteur est, quant à lui, plongé dans la vie de Naomi Fontaine. Il est à Uashat, dans la réserve innue. L’auteure utilise des mots issus de la langue innue. Elle ne se contente pas de raconter la vie à Uashat, elle la fait vivre au lecteur. Les titres des trois derniers chapitres sont écrits en innu : « Uashat », « Nutshimit » et « Nikuss ». « Uashat » est le lieu de vie de la réserve et signifie baie. Ensuite, « Nutshimit », signifiant « l’intérieur des terres », est un mot expliqué par l’auteure dans le premier texte de ce chapitre.
Enfin, « Nikuss » signifie « mon fils ». Le choix des titres de chapitres de Kuessipan évoque les éléments les plus importants de la vie de Naomi Fontaine : sa communauté, sa terre (la terre originelle) et son fils (sa famille). Le premier chapitre s’intitule « Nomade ». Ce mot n’est pas d’origine innue mais il fait référence au mode de vie des ancêtres de l’auteure et de sa communauté. Cette conception de la vie, héritage de ses ainés, est importante pour elle. Tout au long de l’ouvrage, Naomi Fontaine utilise des mots innus. Ainsi, elle mêle les cultures et les enrichit l’une l’autre.
Si certains mots apparaissent dans une langue plutôt qu’une autre, c’est certainement aussi car les différentes langues expriment la culture de laquelle elles sont issues. La culture qu’elles représentent est associée à des valeurs, coutumes ou modes de vie. De ce fait, quand Naomi Fontaine évoque la nature, la terre, la famille et ses ancêtres, il semble logique que la langue innue surgisse dans un texte majoritairement rédigé en français. Peu importe sur quel territoire ils se trouvaient, les peuples premiers étaient très attachés à la terre et vivaient simplement. Ils considéraient la terre comme un élément vivant et source de vie. Ils faisaient attention à la préservation de la nature et à l’équilibre établi entre ce qu’ils lui prenaient pour vivre (nourriture, eau, bois, …) et ce qu’ils devaient lui rendre en compensation. Ces peuples nomades étaient très respectueux de la terre et dépendaient de celle-ci. Aujourd’hui encore, beaucoup d’Amérindiens sont liés à la terre et vivent avec elle. Les populations autochtones sont alors plus associées à la nature que les peuples occidentaux ne peuvent l’être. Les peuples occidentaux, eux, ne se rendent pas compte de l’importance de la terre dans la vie de chaque être humain. Ils n’ont pas la même vision de la nature que les autochtones et ne la respectent pas forcément. Par conséquent, l’utilisation de mots d’origine innue pour parler de la terre semble plus appropriée et certainement plus signifiante que l’utilisation de mots d’origine française. Il est naturel pour Naomi Fontaine d’utiliser la langue innue quand le besoin s’en fait sentir. Dans chacun de ses textes elle trouve les mots justes et la langue qui convient.
Un autre élément est caractéristique de l’écriture de l’auteure. Il s’agit des nombreuses phrases nominales ou « quasi nominales » présentes au long des textes. Ces courtes phrases sont caractéristiques de la plume de Naomi Fontaine et témoignent de la volonté de l’auteure de se centrer sur l’essentiel. Tout d’abord, ces phrases ont parfois pour but de créer un rythme, parfois une tension, selon le thème du texte. Cela contribue à la création de l’état dans lequel se trouve le lecteur. Le rythme va alors être assez rapide car les phrases courtes s’enchainent. L’impression de tension présente dans certains textes va, quant à elle, venir du fait que de nombreuses phrases ne sont que trois mots complétant la phrase précédente. Le texte semble saccadé, le rythme oscille entre vitesse et lenteur et l’ambiance peut être pesante comme très légère. Ensuite, les phrases nominales semblent avoir plus de poids que les phrases qu’elles complètent.Ces phrases très brèves n’ont pas la même fonction que les autres. Elles s’apparentent à des commentaires de l’auteure, à une introduction ou à une conclusion voire parfois même à une interprétation que ferait Naomi Fontaine de la scène transcrite dans la phrase qui les précède. Ces phrases nominales nous montrent la réalité qui se cache parfois dans le texte. Elles sont donc cruciales à la compréhension des récits de Naomi Fontaine. Elles révèlent le caractère authentique et spontané des écrits de l’auteure.
De plus, dans Kuessipan, Naomi Fontaine fait littéralement vivre le silence et donc l’immatériel, l’inexistant. Le silence occupe une place importante dans cet ouvrage. Nous pourrions presque lui attribuer un rôle de personnage. Il est présent aussi bien dans la forme que dans le contenu des textes. En effet, l’écriture de l’auteure permet au silence de s’introduire dans le texte.
L’absence de titres est également un élément caractéristique de l’écriture de l’auteure. Hormis les titres des quatre chapitres, aucun titre de texte n’apparait dans l’ouvrage. Les textes sont organisés et sont tous liés puisqu’ils ont tous le rôle de raconter la vie du peuple innu de la communauté de Uashat. L’absence de titre introduisant les textes de Kuessipan n’est cependant pas commune. Les genres littéraires se rapprochant de ce qu’est Kuessipan comportent plus de titres. Un roman est généralement constitué de plus de chapitres et donc de plus de titres que le livre de Naomi Fontaine. Un recueil de poésie en contiendra également beaucoup plus puisque chaque poème est intitulé différemment. Or, l’ouvrage de Naomi Fontaine se situe entre un récit s’apparentant au roman ou à la nouvelle et entre la poésie écrite en prose. Il est aussi possible de rapprocher Kuessipan du genre de l’autobiographie puisque des éléments autobiographiques17 apparaissent dans les textes. L’auteure casse alors le code des genres littéraires et propose un autre type de littérature au lecteur grâce à son style d’écriture peu commun et à la forme qu’elle donne à ses textes. Il est intéressant de noter la singularité de ce style d’écriture qui semble être plutôt novateur et qui ne s’inscrit aucunement dans un genre dit « classique ». Kuessipan témoigne de tout un travail d’appropriation de l’écriture des nouvelles générations d’Amérindiens. De fait, si depuis de nombreux siècles la littérature passe par le procédé d’écriture dans les cultures occidentales, les peuples amérindiens, eux, disposent d’un patrimoine littéraire oral et non pas écrit. Les populations autochtones peuplant le continent américain dans son ensemble se sont transmis leur littérature à l’oral. Il s’agissait souvent de se raconter les histoires et les mythes originels de génération en génération. Cette littérature de tradition orale est malheureusement plus fragile car la pérennité de la culture dépend de la transmission et donc, de l’implication de chacun. De plus, le contact progressif entre les populations amérindiennes et les populations occidentales facilite les échanges entre les cultures. Ainsi, le début du XXIème siècle voit naitre la production écrite au sein des populations amérindiennes. Petit à petit, les Amérindiens s’approprient le procédé d’écriture appliqué à la littérature ne se basant cependant pas sur les genres littéraires « occidentaux ». Ils intègrent une littérature de tradition écrite et se servent de l’écriture comme d’un instrument capable de refléter, de diffuser et de transmettre leurs cultures originelles. Naomi Fontaine s’inscrit alors dans un nouveau courant et fait partie des premières générations d’écrivains autochtones. En cela, la singularité de son écriture et de la mise en page de Kuessipan s’explique.
Outre l’aspect novateur de cette écriture, l’absence de titres invite le lecteur à se perdre car sans titre, il plonge dans le texte sans même savoir de quoi il s’agira. Naomi Fontaine ne donne pas de repère à son lecteur ainsi, celui-ci n’est pas influencé. Le lecteur ne peut avoir d’a priori avant d’avoir commencé à lire le texte. L’aspect authentique de l’écriture de l’auteure est une fois encore illustré par cet élément. Donner un titre à chacun de ses textes reviendrait certainement à les réduire à quelques mots alors que comme vu précédemment, chaque mot compte. Le style de Naomi Fontaine étant très épuré, chaque mot a la même importance. Si un titre introduisait les textes, il ne serait pas révélateur du contenu ou le réduirait. L’auteure fait le choix de ne pas dénaturer ses textes en les présentant tels qu’ils sont : authentiques. De plus, il est intéressant de noter que parfois, la première ou la dernière phrase d’un texte peut faire office de titre. Ce sont souvent des phrases nominales ou « quasi nominales » et elles introduisent ou concluent. Ces phrases semblent être un titre implicite puisqu’elles se trouvent à l’intérieur du texte et ne sont pas mises en avant. Dans le texte ci-dessous, les deux premiers mots faisant office d’introduction pourraient être le titre. « Le brouillard » est pourtant inséré dans le texte et n’est pas mis en avant comme peut l’être un titre habituellement.
Louise Erdrich et la force de son roman
Biographie de Louise Erdrich
Louise Erdrich est née en 1954 à Little Falls dans l’Etat du Minnesota, d’une mère chippewa et d’un père germano-américain. Durant son enfance, elle vécut dans le Dakota du Nord, à Wahpeton. Son père et sa mère étaient tous deux enseignants pour le Bureau des Affaires Indiennes. Petite, Louise Erdrich écrivait déjà. Ses parents l’y encourageaient réellement. Elle fut bercée dans la culture chippewa mais eu également un pied dans une culture plus « occidentale » de par les origines différentes de ses parents. Elle s’intéressa rapidement à la question de l’identité et à celle des relations entre les différentes sociétés dont elle fait partie. Elle fit ses études au sein du Dartmouth College puis à l’Université Johns-Hopkins. Elle rencontra l’écrivain et anthropologue Michael Dorris avec lequel elle se maria en 1981. Ils travaillèrent tous deux au Dartmouth College en tant qu’enseignants et contribuèrent l’un l’autre à leurs travaux d’écriture respectifs. Ils écrivirent ensemble sous le pseudonyme de Milou North. Louise Erdrich adopta les trois enfants de son mari et ils en eurent trois autres. Durant les années 90, le couple se sépara puis divorça.
Louise Erdrich tient aujourd’hui une librairie indépendante à Minneapolis, qu’elle a appelée Birch Bark, terme signifiant « écorce de bouleau ». Elle justifie d’ailleurs le choix du nom de sa librairie dans une interview pour Télérama : « J’ai choisi ce nom parce que l’écorce de bouleau était une matière première essentielle aux Indiens d’Amérique. Elle leur servait à tout fabriquer : des maisons, des bateaux, des paniers, des casseroles. Et surtout des livres ! L’écorce de bouleau est aux Indiens ce que le papyrus était aux Egyptiens. Ils écrivaient dessus tout ce dont ils voulaient garder la mémoire : les chansons, les histoires… ». L’auteure permet aussi à des artistes et à des artisans amérindiens d’exposer leurs oeuvres dans sa librairie. Elle tient à l’héritage de sa culture amérindienne et trouve, grâce à sa librairie et à son métier d’écrivaine, le moyen de le transmettre.
Thèmes abordés dans Dans le silence du vent de Louise Erdrich
Dans le silence du vent de Louise Erdrich raconte l’histoire d’une famille amérindienne lors d’un événement traumatisant à travers les yeux de Joe, adolescent de treize ans. L’événement venant chambouler sa vie n’est autre que le viol de sa mère. Ce roman est un flashback du narrateur, Joe. A présent adulte, il revit son adolescence afin de raconter cette histoire au lecteur. Louise Erdrich aborde plusieurs thèmes au sein de ce roman : la famille et la culture « indienne » de la communauté dont fait partie Joe, la religion mais aussi la juridiction ainsi que la violence.
La famille est un thème central de Dans le silence du vent. L’histoire se déroule au sein d’une réserve amérindienne et plus précisément au sein de la famille Coutts. La famille est une valeur que les communautés amérindiennes, d’où qu’elles soient, ont en commun. En effet, nous pouvons remarquer que ce thème est exploité dans les écrits de Naomi Fontaine et dans ceux de Louise Erdrich bien que ces deux auteures soient issues de communautés et de pays différents. Louise Erdrich dresse le portrait d’une famille « indienne ». Les parents du narrateur sont Bazil et Géraldine Coutts. Il occupe la fonction de juge et elle, occupe un emploi administratif dans les registres de la tribu. Joe, lui, est un adolescent comme les autres et un garçon épanoui jusqu’à ce que l’agression de sa mère survienne. L’auteure fait également une présentation des oncles, des tantes, des cousins et des aïeuls. Les personnages semblent être tous très liés et se rencontrent très souvent. Ils vivent dans la proximité et il règne, dans cette famille, une atmosphère de partage et de soutien comme, par exemple, lorsque Géraldine est alitée et que la tante prépare de nombreuses fois le diner pour Joe et son père. Joe semble très proche de son grand-père appelé Mooshum. L’adolescent entretient une relation sincère avec son ainé qu’il prend le temps d’écouter. Cet élément est présent, lui aussi, dans les écrits de Naomi Fontaine. L’auteure innue évoque son grand-père à plusieurs reprises ainsi que la sagesse et la connaissance de la culture ancestrale de ce dernier. Le personnage du grand-père est une figure de préservation de la culture et de transmission des valeurs et des mythes ancestraux, dans les écrits de Louise Erdrich, comme dans ceux de Naomi Fontaine.
Dans le silence du vent propose un tableau de la culture des Ojibwe, communauté amérindienne du Dakota du nord. L’auteure, à travers cette fiction, fait découvrir au lecteur le quotidien d’une réserve et les coutumes et croyances d’une communauté amérindienne. Les lieux sont décrits par Joe. La vision de la réserve et du cadre de vie est alors celle d’un adolescent.
Il est intéressant de relever le fait que ce coin de la réserve décrit ici par Joe semble très pauvre et tout à fait insalubre. Le personnage principal, lui, vit dans un quartier mieux entretenu, aux normes sanitaires et où il fait plutôt bon vivre. Grâce à ces deux tableaux de la réserve, Louise Erdrich montre au lecteur un endroit décent de la réserve mais également la pauvreté qui règne toujours dans celle-ci. De plus, le personnage de Joe raconte des instants de la vie quotidienne de chacun. Il assiste aux fêtes organisées par sa famille ou par la communauté. Cet aspect du quotidien de la réserve enseigne au lecteur la proximité des membres d’une communauté amérindienne et rappelle certaines valeurs de la culture exposée : la famille et le partage. Au-delà des fêtes de cette communauté, le lecteur est témoin de rites s’apparentant à des rituels ancestraux. Aussi, les personnages sont liés à une entité se matérialisant par un animal qui leur est propre et voient des fantômes. Les fantômes rodent autour d’eux et veulent les avertir de quelque chose. Selon le père de Joe, « il arrive qu’un fantôme soit une personne venue [du] futur » (Erdrich, 2013 : 121). Ce personnage tient cette information de sa mère et la transmet à Joe. Les croyances et les connaissances sont donc bien transmises de génération en génération. Louise Erdrich utilise aussi des légendes contées sous forme d’histoires ou de rêves afin de plonger le lecteur dans cette culture amérindienne. Entre outre, elle fait référence au wiindigoo21, esprit cannibale capable de posséder un être humain et de le changer en un animal vorace voulant dévorer ses congénères. L’image du wiindigoo apparait de façon récurrente tout au long du roman mais aussi au sein des ouvrages de l’auteure antérieurs à celui-ci. Dans Dans le silence du vent, Louise Erdrich explique ce qu’est le wiindigoo grâce à l’histoire que raconte Mooshum lorsqu’il dort. Il s’agit d’une histoire racontée comme s’il lui venait une vision. Son récit fait référence à l’histoire de la communauté et d’une certaine manière, aux ancêtres. Le temps jadis est évoqué, impliquant les thèmes de la déterritorialisation des Amérindiens et du manque soudain de ressources naturelles. Mooshum parle de personnages qui semblent avoir existé et mêle ainsi le réel au fantastique lorsque l’image du wiindigoo apparait et que l’un des personnages principaux de son histoire communique avec les animaux. D’autres éléments culturels relevant des croyances tels que le doodem22 apparaissent dans le texte. Le doodem représente l’appartenance à un clan symbolisé par un animal. Le père de Joe, par exemple, a pour doodem une grue. Sa mère, elle, a pour doodem la tortue. Elle fait donc partie du clan de la Tortue. Ce symbole illustre le lien que les peuples amérindiens entretiennent avec la biodiversité mais également la spiritualité de ces cultures. Le doodem protège et est signe de bonne chance. Au chapitre sept, juste avant que Joe ne trouve une poupée remplie d’argent dans le lac, il aperçoit un héron. Il sait alors que ce héron est un bon présage car « tous les hérons, les grues et autres échassiers [sont sa] doodemag, [sa] bonne chance » (Erdrich, 2013 : 194).
Ces quelques éléments sont une démonstration de la transcendance des cultures amérindiennes. Le roman, par le biais de la culture amérindienne présente dans le texte, dépasse le récit pour s’inscrire dans un registre à la fois réel de par l’histoire et fantastique de par l’imaginaire de la culture. La transcendance des cultures amérindiennes se manifeste également à travers le thème de la médecine. La médecine est un savoir ancestral que les personnes-médecine se transmettent afin de guérir les maux grâce à l’utilisation de plantes et à la pratique de rituels capables de soigner. Dans le silence du vent contient de nombreuses références à la médecine ojibwe. Par exemple, au chapitre onze, Joe est hanté par ses rêves et ne se sent pas bien. Il pense alors que seule la médecine peut le soigner car les rêves ne peuvent se traiter d’une autre façon. Il lui vient à l’idée d’aller voir Mooshum car ce dernier connait la médecine mais puisqu’il est sur le point de mourir, il pense à Grand-mère Thunder. Il est intéressant de constater que les personnes-médecine sont principalement des personnes âgées, celles-ci étant des sources de savoir et des conservateurs de la culture. Louise Erdrich aborde souvent le sujet de la médecine traditionnelle des Ojibwe dans ses écrits. Son premier roman s’intitule d’ailleurs Love Medicine, en référence à cette médecine ancestrale et à la culture ojibwe.
Eliane Potiguara et son discours militant
Biographie d’Eliane Potiguara
Eliane Potiguara, auteure de Metade cara metade máscara, est née en 1950 à Rio de Janeiro, au Brésil. Elle descend de la communauté des Potiguara. Etudiante en lettre et en enseignement, elle fit ses études à l’Université Fédérale de Rio de Janeiro. Bien que Naomi Fontaine et Louise Erdrich s’investissent grandement dans la reconnaissance des conditions de vie des autochtones dans leurs pays respectifs, Eliane Potiguara est sans nul doute la plus engagée politiquement et socialement envers cette cause. Cette professeure et écrivaine est une femme très militante.
Elle a participé à de nombreux séminaires traitant le sujet des droits des autochtones au sein de l’Organisation des Nations Unies, d’organisations gouvernementales et d’ONGs nationales et internationales. En 1979, Eliane Potiguara a pour but de créer un réseau associatif regroupant des membres (principalement des femmes) issu-e-s de communautés autochtones et/ou souffrant de discrimination raciale et de genre. Ce projet voit le jour en 1987. Il s’agit du réseau GRUMIN, signifiant « Grupo Mulher-Educação Indígena » et se nommant aujourd’hui « Rede de Comunicação Indígena ». Sur sa page internet, l’association est présentée ainsi : “Criado em 1987, o GRUMIN promove o acesso de mulheres e homens indígenas e suas organizações, às informações, mobilizando-os, influenciando-os na formação de opiniões. Desenvolve consciências críticas mobilizando indivíduos e organizações ao “empoderamento”, buscando o exercício dos direitos humanos para o desenvolvimento socio-político-econômico do presente e do futuro de suas tradições e cultura.” Eliane Potiguara eut l’idée de créer un tel projet grâce à son parcours. Elle connaissait l’histoire de sa propre famille et pu également obtenir le témoignage d’une personne âgée29 vivant sur les terres ancestrales de la famille de l’auteure au sujet de la déterritorialisation de sa communauté, de la violence qu’ils durent affronter et de la difficulté à trouver sa place et son identité au sein d’un territoire en proie à de nombreux changements. Elle constata, à travers plusieurs séjours dans d’autres communautés autochtones, que le discours tenu, où qu’elle aille, était le même que celui de cette vieille personne. Le passé et le présent communs de ces groupes décida Eliane Potiguara à fonder ce réseau afin de pouvoir échanger sur les expériences de chacun et de réfléchir aux problèmes sociopolitiques, économiques et environnementaux qui se posent dans ces sociétés mais aussi, et surtout, dans leurs relations avec la société nationale. Grâce à la réalisation de ce projet, Eliane Potiguara fut comptée parmi les « Dez Mulheres do Ano de 1998 », ou « Dix Femmes de l’Année 1998 »30. En 2005, elle fut nominée parmi les « Mil Mulheres ao Prêmio Nobel da Paz »31. De plus, elle fait partie de plusieurs associations et organisations gouvernementales ou non tels que Inbrapi (Instituto Indígena Brasileiro para Propiedade Intelectual), NEArIN (Núcleo de Escritores e Artistas Indígenas do Inbrapi), Comitê Intertribal, Ashoka, dont elle a reçu un financement afin d’avoir les moyens de lutter pour ses convictions, Cônsul de Poetas del Mundo et Associação Mulheres pela Paz. Elle a également apporté son aide à l’ONU à la création de la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones.
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Table des matières
Introduction
I – Trois auteures, trois femmes, trois Amérindiennes : le pouvoir d’une écriture au féminin
1 – Naomi Fontaine et l’originalité de son récit
1.1 Biographie de Naomi Fontaine
1.2 Thèmes abordés dans Kuessipan de Naomi Fontaine
1.3 Ecriture de l’auteure
2 – Louise Erdrich et la force de son roman
2.1 Biographie de Louise Erdrich
2.2 Thèmes abordés dans Dans le silence du vent de Louise Erdrich
2.3 Ecriture de l’auteure
3 – Eliane Potiguara et son discours militant
3.1 Biographie d’Eliane Potiguara
3.2 Thèmes abordés dans Metade cara metade máscara d’Eliane Potiguara
3.3 Ecriture de l’auteure
II – Littérature et société : combats de femmes
1 – Entre conflits et dialogue : la place de l’Amérindienne dans les sociétés autochtones et occidentales
1.1 Les sociétés amérindiennes face aux sociétés occidentales
1.2 La condition sociale de la femme amérindienne
2 – La femme amérindienne, gardienne de la mémoire
2.1 Préserver et reconstruire ses référents identitaires : l’Amérindienne, pilier de la communauté
2.2 Transmettre la mémoire culturelle : l’Amérindienne porteuse de vie
3 – La femme amérindienne, figure de la résistance
3.1 L’Amérindienne, actrice du présent, constructrice de son futur
3.2 Ecriture et engagement
Conclusion
Bibliographie
Webographie
Annexes
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