Présentation de la littérature moraliste
La littérature moraliste s’inscrit dans le contexte général de la littérature française du XVIIème siècle. Cette dernière est liée aux évolutions politiques, intellectuelles et artistiques qui se font jour entre 1589 et 1715. Comme nous avons tenté de l’annoncer dès le début de notre introduction, le XVIIème siècle est apparu, d’une part, pour donner plus de valeurs à la langue mais aussi à l’Homme. C’est dans cet intérêt de donner à l’Homme plus de considération que s’est manifestée, au XVIIème Siècle, une forme de littérature appelée « Littérature moraliste ». Elle est marquée en particulier par le classicisme qui s’impose dans la seconde moitié du siècle. Si ce classicisme s’impose dans cette seconde moitié du XVIIème siècle sous le règne de Louis XIV, les chefs-œuvres qu’il a produits ne doivent pas éclipser d’autres genres comme les textes des fabulistes et ceux des moralistes. Pendant cette période, des écrivains adopteront une autre forme d’écriture dans le but de parler des mœurs de la société : ce sont les écrivains dits moralistes d’où l’expression « littérature moraliste ». La littérature moraliste peut être définie comme une forme de littérature dont son objectif est de définir les mœurs de la société. Si sont dits moralistes les écrivains qui s’intéressent aux mœurs de la société, les philosophes Socrate, Aristote, Kant, les Pères de l’Eglise (Saint Augustin, Bossuet) seront aussi considérés comme des écrivains moralistes. Mais, le terme de « moraliste » est plus réservé aux écrivains qui se sont attaché à juger de façon brève et lapidaire la société de leur temps. C’est cette particularité de la conception de ce vocable qui fait que quand on parle de la littérature moraliste, on pense automatiquement au XVIIème siècle. C’est une littérature qui tend à corriger et à parfaire les conduites à tenir en communauté. La réflexion des écrivains moralistes porte sur les usages et les coutumes humaines, les caractères et les façons de vivre. Dans cette forme de littérature, les écrivains moralistes comme François de Sales, Pierre Bérulle et Blaise Pascal choisissent d’adopter de nouvelles formes d’écriture pour analyser les mœurs de la société de leur époque. L’arrivée des écrivains comme La Rochefoucauld et La Bruyère fera surtout la célébrité de cette littérature. Elle se caractérise et se distingue des « autres littératures » non seulement par son intérêt à s’intéresser à l’Homme mais aussi par sa forme. Seulement, il est important de noter que la forme employée par les écrivains moralistes n’est pas fixe. En effet, cela permet d’aller contre l’autorité et d’afficher un discours moralisateur face à cette dernière. C’est la raison pour laquelle La Bruyère a écrit un recueil (Les Caractères), la Fontaine des fables (Les Fables) et La Rochefoucauld des maximes (Les Maximes). La pluralité de ces formes est aussi une pluralité des comportements humains, et donc de leur complexité et leur faillibilité. Cette forme de littérature a été incarnée, au XVIIème Siècle, par un ensemble d’écrivains que nous présenterons au chapitre suivant.
Genre littéraire des Maximes et des Caractères
La tradition moraliste fait que Les Maximes de La Rochefoucauld et Les Caractères de La Bruyère entretiennent des similitudes qui renvoient à un genre littéraire particulier. La brièveté de leur récit en rupture avec les règles canoniques du roman humaniste font la particularité de ses œuvres. L’étude du genre littéraire de la maxime ne commencerait surtout pas avec l’avènement des Maximes de La Rochefoucauld. Il ne se limiterait pas aussi à la publication des Caractères de La Bruyère. Bien avant l’avènement des Maximes, on pouvait constater les aphorismes, ou définitions d’Hypocrate ; les apophtegmes, ou déclaration ; les axiomes, ou vérités dignes d’être acceptées sans démonstration ; les adages, qui, au départ, poussent à l’action, tels ceux qu’Erasme recueillit (1ère édition, 1500). On peut même ajouter les énigmes (dont la plus connue fut proposée par le Sphinx à Œdipe) qui donnent qu’à définir ce qu’on exprime qu’à mots couverts. Néanmoins, le genre littéraire de la maxime doit ses lettres de noblesse à La Rochefoucauld et à Mme de Sablé qui avaient lancé la mode de la maxime. L’étude du genre littéraire des Maximes de La Rochefoucauld ne peut se faire sans un retour en arrière dans les salons. La maxime fut un jeu de société qui fait fureur dans les salons du XVIIe siècle. Auprès de ses amis Mme de Sablé et Mme de La Fayette, La Rochefoucauld se livre avec brio à ce divertissement. Il s’agit d’exprimer, en une forme brève et lapidaire, une vérité générale ou une règle de vie. En effet, Les Maximes rejoignent le courant de la Préciosité qui s’épanouit entre 1650 et 1660 au sein de l’aristocratie parisienne. A propos de la Préciosité, Robert Lathuillère écrit : « Qu’il s’agisse de littérature, de poésie, de moral, d’inspiration féminine, de mariage ou de question de langue, (la préciosité) aborde tous les sujets avec confiance et avec audace ». L’Antiquité biblique (avec ses livres sapientaux) et l’Antiquité gréco-romaine (avec ses reprises au XVIème siècle) offrent de nombreux exemples de cette manière concise que l’on peut considérer comme un genre littéraire.
La maxime est un jeu de société qui fait fureur dans les salons du XVIIème siècle
Au XVIIème siècle, on extrait des auteurs anciens des citations, que l’on conserve de l’ouvrage de la Rochefoucauld : REFLEXION OU SENTENCES ET MAXIMES MORALES. Toutefois, on fait une distinction entre la sentence, qui se rapprocherait de l’expression d’une observation, et la maxime, prescriptive. En tout état de cause, maximes ou sentences, le genre littéraire adopté par La Rochefoucauld n’était pas nouveau, mais s’adaptait exactement à son dessein et correspondait à des goûts, à des exigences aussi de son époque et de son milieu. Évidemment, la formule brève impose la concision et la recherche du mot juste et évocateur, mais aussi elle flatte également le goût de la pointe. Chez La Bruyère, même l’insertion du discours sur Théophraste ne peut en aucun cas justifier qu’il adopte un genre littéraire autre que celui de la maxime. En effet, à la rigueur, il y en a deux, si l’on adjoint au chef-d’œuvre de La Bruyère le mince volume de Théophraste. Mais ils diffèrent quant à l’intention, à la structure, au style. Les Caractères des mœurs visent à définir les traits distinctifs des hommes, à l’usage des orateurs en particulier. Chaque caractère commence par une définition brève, que suit une collection de traits concrets rapportés au portrait exemplaire du type. La Bruyère, tout en recommandant au lecteur de ne pas perdre le titre de vue, s’abstient de définir le terme. À travers les portraits de toutes longueurs et de toutes formes, à travers les maximes et réflexions dont le souple assemblage, conciliant l’ordre et la surprise, et le ton infiniment varié constituent le modèle, impossible à reproduire, du genre, les « mœurs de ce siècle » occupent une large place. Mais, comme le prouvent un chapitre tel que « De l’Homme » et cent observations de portée générale, il peint les caractères permanents de l’être humain, qui reçoivent des mœurs leur réalité objective. S’il fixe leurs effets particuliers avec une acuité de vision, un sens du relief et du mouvement inégalables, c’est qu’à ses yeux l’éternel et l’éphémère s’éclairent réciproquement, et que l’un n’est à vrai dire ni connaissable ni communicable sans l’autre.
Vices et vertus dans les deux œuvres
Les écrivains moralistes ont fait une très pertinente analyse sur le comportement des hommes de leur temps. Par cette analyse, ils ont su mettre l’accent sur les vices et les vertus de la société. En effet, ils ont diversement analysé les dispositions habituelles du mal chez l’Hommes et celle constante de l’âme, qui porte à faire le bien et à fuir le mal. La Rochefoucauld part souvent d’un vice pour en arriver à la vertu et vice-versa. En cela, il semble se mettre, lui aussi, du côté de La Bruyère en voulant révéler les défauts au lecteur et en l’encourageant à s’en corriger. Il s’attaque à la fatuité de l’Homme, à un contentement de soi qui a très peu de fondement. Selon l’écrivain moraliste, c’est par nos défauts que nous arriverons à distinguer ceux des autres : «Si nous n’avions point de défauts, nous ne prendrions pas tant de plaisir à en remarquer dans les autres ». Cette stratégie de partir de notre défaut pour voir celui de l’autre permet à l’écrivain moraliste de distinguer les vices de la société. Ainsi, il exige la lucidité et l’honnêteté: « Les faux honnêtes gens sont ceux qui déguisent leurs défauts aux autres et à eux-mêmes; les vrais honnêtes gens sont ceux qui les connaissent parfaitement, et les confessent ». Une fois le défaut reconnu, La Rochefoucauld incite l’homme à l’action. L’auteur encourage le lecteur, le pousse à agir: « Quelque honte que nous ayons méritée, il est presque toujours en notre pouvoir de rétablir notre réputation ». Parfois il semble nous réprimander de n’en avoir pas assez fait. Nous devons faire de bonnes actions pour en inspirer aux autres, car « rien n’est si contagieux que l’exemple, et nous ne faisons jamais de grands biens ni de grands maux qui n’en produisent de semblables ». Nos actions font une différence en influant sur celles des autres. Pour bien réussir, pour que les actions soient efficaces, il faut qu’elles proviennent d’un grand dessein né d’un esprit actif: « Il doit y avoir une certaine proportion entre les actions et les desseins. Si on en veut tirer tous les effets qu’elles peuvent produire ». Notre grandeur réside, selon La Rochefoucauld, en cette activité guidée par sa raison, en cette capacité de concevoir et de mener à l’accomplissement de grands desseins: « Les grandes âmes ne sont pas celles qui ont moins de passions et plus de vertu que les âmes communes, mais celles seulement qui ont de plus grands desseins ». Il lui arrive même, parfois, de mettre en rapport un vice et une vertu pour en faire une analyse. Il réussit une telle méthode en faisant une comparaison entre vices et vertu afin de laisser au lecteur le soin d’en faire sa propre analyse : « Les vices entrent dans la composition des vertus comme les poisons entrent dans la composition des remèdes : la prudence les assemble et les tempère, et elle s’en sert utilement contre les mots de la vie ». Les écrivains moralistes partent tous, généralement, de « l’honnête homme ». L’honnête homme est une sorte d’idéal classique. Dans Les Caractères, La Bruyère évoque une série de vices et de vertus pour lesquels on pourrait en vouloir mortellement au genre humain ou à l’humanité comme genre. Dès le début du chapitre « De l’homme », il écrit : « Ne nous emportons point contre les hommes en voyant leur dureté, leur ingratitude, leur injustice, leur fierté, l’amour d’eux- mêmes, et l’oubli des autres : ils sont ainsi faits, c’est leur nature, c’est ne pouvoir supporter que la pierre tombe ou que le feu s’élève ». Il n’y aurait de quoi s’en porter dans les travers qu’il décrit : la dureté, l’ingratitude, l’injustice, la fierté, l’amour de soi et l’oubli des autres. Il y a aussi chez La Bruyère l’idée d’une vertu qui permane. Le chemin qu’il emprunte en faisant une description ou une évocation des vices et vertus de la société n’est pas le chemin des principes absolus. C’est le chemin phénoménologique, littéraire, d’une description aussi généreuse que possible. Parfois, pour critiquer certains vices et vertus liés au pouvoir, il le fait avec beaucoup d’intelligence. Évidemment, Les chapitres « De la Cour »43 et « Des grands »44 s’attachent à la Cour et précisément à celle de Louis XIV. Dans ces dits chapitres, La Bruyère critique l’hypocrisie et la manigance qui sont des vices pour que le lecteur en déduise des vertus comme la piété, la chasteté, la droiture … Il s’agit de courtiser le roi et les grands pour acquérir une bonne place, une pension, et ainsi asseoir sa position sociale.
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Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
PREMIÈRE PARTIE : LA TRADITION MORALISTE
CHAPITRE I : LA LITTERATURE MORALISTE
CHAPITRE II : GENRE LITTERAIRE ET CHOIX DES TERMES «MAXIMES » ET « CARACTERES »
CHAPITRE III : ORDRE ET DISPOSITION
DEUXIÈME PARTIE : LES OBJECTIFS DE LA CRITIQUE SOCIALE
CHAPITRE IV : MORALE ET SATIRE
CHAPITRE V : LE PESSIMISME
CHAPTRE VI : ENTRE LA LITTERATURE ET LA CRITIQUE SOCIALE
TROISIÈME PARTIE : LES OUTILS DE LA CRITIQUE SOCIALE
CHAPITRE VII : LE STYLE DE LA CRITIQUE SOCIALE
CHAPITRE VIII : LES PROCEDES D’EXPRESSION
CHAPITRE IX : LA DISCONTINUITE DU DISCOURS
CONCLUSION
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