Lithostratigraphie, faciès sédimentaires et âge des formations du synclinal d’Anoual

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Historique des découvertes et des travaux sur les microvertébrés fossiles du synclinal d’Anoual

En 1983, le géologue suisse Michel Monbaron découvre, suite à une prospection intensive dans les montagnes du Haut Atlas oriental, un nouveau site prometteur dans le synclinal d’Anoual, à l’est du Maroc, non loin de la frontière algérienne. Il fait alors appel à Denise Sigogneau-Russell et Donald E. Russell pour réaliser une première campagne de fouilles. Le traitement des 30 premiers kilogrammes de sédiments calcaires ramenés de cette lentille a livré deux dents isolées de mammifères. À cette époque, les faunes de mammifères mésozoïques des deux Amériques et d’Asie sont relativement bien connues, mais c’est loin d’être le cas pour l’Afrique. Le Jurassique inférieur africain a bien fourni deux squelettes de triconodontes (Crompton, 1964 ; Crompton & Jenkins, 1968), mais on ne connaissait ensuite, jusqu’au Paléocène, qu’une mandibule édentée datée du Jurassique supérieur (Dietrich, 1927). Ainsi, les deux dents de mammifères découvertes à Anoual sont, dans les années 1980, les premières à être connues dans un intervalle de 130 Ma (Sigogneau-Russell et al., 1988). Le site fait l’objet de deux nouvelles expéditions, en 1986 puis en 1988, qui ramènent un total de 700 kg de sédiments. La richesse en fossiles de ces sédiments est telle que 24 articles sont publiés entre 1988 et 2009 (Sigogneau-Russell et al., 1988, 1990, 1998 ; Sigogneau-Russell, 1989, 1991a, 1991b, 1991c, 1992, 1995a, 1995b ; 1999, 2003a ; Duffin & Sigogneau-Russell, 1993 ; Sigogneau-Russell & Ensom, 1994, 1998 ; Gmira, 1995 ; Broschinski & Sigogneau-Russell, 1996 ; Evans & Sigogneau-Russell, 1997, 2001 ; Knoll, 2000 ; Gardner et al., 2003 ; Hahn & Hahn, 2003 ; Jones et al., 2003 ; Knoll & Ruiz-Omeñaca, 2009). Parmi les taxons publiés, si les sélaciens, les amphibiens albanerpétontidés, les lépidosaures et les mammifères ont fait l’objet d’une étude complète et précise, celle des amphibiens anoures, des tortues, des ptérosaures et des théropodes demande à être précisée et/ou révisée. Les actinoptérygiens, les crocodyliformes et les dinosaures non théropodes n’ont quant à eux pas été étudiés.
Après ces nombreux travaux publiés dans les années 1990 et 2000, le matériel ramené du site historique d’Anoual a longtemps dormi dans les tiroirs des collections du Muséum national d’Histoire naturelle, sans plus être étudié malgré les nombreuses possibilités qu’il offrait encore. Cependant, la diversité déjà découverte dans ce gisement appelait à de nouvelles prospections et prélèvements pour enrichir les collections et les connaissances, la plupart du matériel décrit étant basé sur un petit nombre de spécimens. C’est pourquoi deux autres missions eurent lieu récemment dans le synclinal d’Anoual, en 2010 et en 2015, suivies d’une mission de prospection dans le cadre de cette thèse en 2018. Elles ont ramené respectivement 3 200, 2 400 et 260 kg de sédiments.
Chacune de ces missions a échantillonné différents locus dans le synclinal d’Anoual. Le site historique échantillonné dans les années 1980, connu sous le nom de « site d’Anoual » dans les publications, est nommé ici avec l’abréviation KM-ASH (pour « Anoual Site Historique). Les locus découverts à proximité du site historique et du fort de Ksar Metlili et qui ont fait l’objet de collectes en 2010, 2015 et 2018 portent les abréviations KM-A1, KM-A2, KM-B’, KM-C, KM-D1 et KM-D2. Avec KM-ASH, tous ces locus forment le site de Ksar Metlili (Fig. 3). Quant aux locus à microrestes échantillonnées à Guelb el Ahmar en 2010, 2015 et 2018, ils portent les abréviations GEA 1, GEA 2, GEA 3, GEA 6 et GEA 7 (Fig. 4).

Préparation des spécimens et méthodes de dénombrement

Les nouveaux blocs de grès calcaire collectés lors des dernières missions et contenant les microrestes ont été soumis à attaque acide en utilisant de l’acide formique dilué à 7% et saturé en phosphate tricalcium. Le carbonate de calcium, principal composant de la matrice, a ainsi été en grande partie dissous. La saturation en phosphate tricalcium permet de limiter autant que possible la fragmentation et la fragilisation des restes fossiles (voir Chapitre III.1.1). Le refus lithoclastique et bioclastique récupéré à l’issue de l’attaque acide a ensuite été reconcentré dans des bains de peroxyde d’hydrogène, permettant de dissoudre l’argile résiduelle de la matrice provenant de la décalcification et donc le volume de matériel à trier pour isoler les fossiles. Dans les cas où la fraction de gypse était très importante, une dissolution à l’aide de dithionite a parfois été nécessaire. Le résidu de traitement ainsi reconcentré a ensuite été fractionné à l’aide de tamis aux mailles de 5, 2, 1 et 0,5 mm, puis trié sous loupe binoculaire, avec l’aide de M. Forissier, E. Gheerbrant, J. Marchand, A. Phelizon et V. Prugneaux.
Les microrestes de vertébrés identifiés ont fait l’objet d’un comptage exhaustif. Celui -ci s’est fait à la main dans les cas où la quantité de spécimens était relativement faible. En revanche, lorsque les pièces étaient trop nombreuses pour être comptées rapidement et sans erreur, il s’est fait à l’aide du script ‘Count Image Elements’ (Fig. 5), codé en Python et spécialement développé par Auréliane Gailliègue (comm. pers., Avril 2017). Ce script est basé sur le principe de la segmentation d’image : cela consiste en la division d’une image en plusieurs classes en regroupant les pixels avec des attributs similaires. Les microrestes, répartis de façon à ce qu’ils ne se touchent pas, sont photographiés sur un fond uniforme blanc ; puis, l’image est importée dans le script qui l’analyse et associe les pixels voisins ayant le même niveau de gris. Un seuil de niveau de gris est alors calculé, l’utilisateur ayant alors le choix entre deux méthodes de calcul.
Ce seuil permet de définir deux classes de pixels :
• Une classe C1 regroupant les pixels dont le niveau de gris est supérieur à la valeur seuil, auxquels on attribue la couleur noire et qui constituent donc les fossiles ; le nombre de groupes de pixels dans cette première classe correspond ainsi au nombre de fossiles ;
• Une classe C2 regroupant les pixels dont le niveau de gris est inférieur à la valeur seuil, auxquels on attribue la couleur blanche et qui constituent donc le fond.
Les deux méthodes proposées pour la définition de la valeur seuil sont les suivantes. La première repose sur le seuillage global : un algorithme, suivant la méthode d’Otsu (voir Sezgin & Sankur, 2004 pour plus de détails), définit une valeur seuil optimale pour l’intégralité de l’image en maximisant la variance entre les deux classes de pixels. La seconde repose sur le principe du seuillage adaptatif : dans ce cas, la valeur seuil séparant les deux classes de pixels n’est plus unique pour la totalité de l’image mais varie de façon dynamique selon les régions de l’image (voir Sezgin & Sankur, 2004 pour plus de détails). Ainsi, pour chaque pixel de l’image, on construit une zone Z de n pixels de côté, centrée sur le pixel considéré, n étant un nombre entier choisi par l’utilisateur à l’aide d’un curseur. Pour chaque zone, une valeur seuil correspondant à la moyenne de la distribution des valeurs d’intensité des pixels environnants contenus dans la zone Z considérée est calculée. Puis, de la même façon qu’avec la précédente méthode, le pixel central est attribué à l’une ou l’autre classe selon que sa valeur de niveau de gris est supérieure ou inférieure à la valeur seuil dynamique calculée pour sa zone. Cette seconde méthode permet d’obtenir de meilleurs résultats que la première dans les cas où le fond de l’image n’est pas tout à fait uniforme (s’il y a des ombres par exemple). Pour chacune des deux méthodes, un second curseur permet d’affiner au mieux le résultat.
Afin de vérifier la fiabilité du script, il a d’abord été testé sur 30 lots de taille croissante dont le nombre de spécimens avait auparavant été déterminé manuellement, contenant de 10 à 400 spécimens. Pour chacun de ces lots de taille connue, le script ‘Count Image Elements’ a donné soit le nombre exact de spécimens, y compris pour certains des lots les plus grands, soit un résultat différent de moins de 5% du nombre exact. La marge d’erreur n’étant pas statistiquement significative, le script a été jugé suffisamment fiable pour permettre le dénombrement exhaustif, rapide et précis des lots comprenant un grand nombre de microrestes (parfois près de 3 000) dont le dénombrement manuel aurait été trop chronophage et sujet à erreurs. Il a été utilisé à plusieurs reprises (Lasseron et al., 2020 ; Allain et al., in prep.) et a toujours donné des résultats satisfaisants.
Les collections du synclinal d’Anoual sont ainsi constituées de 53 649 éléments identifiés, dont 39 109 pour KM et 14 540 pour GEA (Tab. 1).

Analyses statistiques et phylogénétiques

Les analyses morphométriques sur les dents de théropodes (voir Chapitre II.2.10) ont été réalisées à l’aide du logiciel PAST (version 3.25 ; Hammer et al., 2001). Elles s’appuient sur les travaux d’Hendrickx et al. (2015a), eux-mêmes basés sur la méthodologie développée par Smith (2005) et Smith et al. (2005). Cette méthodologie a également été utilisée à plusieurs reprises par d’autres auteurs, avec quelques adaptations, pour aider à l’identification de dents isolées de théropodes (Smith & Dalla Vecchia, 2006 ; Smith & Lamanna, 2006 ; Kear et al., 2013 ; Larson & Currie, 2013 ; U. Richter et al., 2013 ; Hendrickx & Mateus, 2014 ; Serrano-Martínez, Ortega et al., 2015 ; Serrano-Martínez, Vidal et al., 2015 ; Gerke & Wings, 2016 ; Malafaia et al., 2017). Les analyses de clustering menées sur les matrices de présence – absence et sur les fréquences relatives des taxons du synclinal d’Anoual (voir Chapitre III) ont également été menées sous PAST3.
Les analyses phylogénétiques menées sur les « Dryolestoidea » (voir Chapitre II.2.12) ont été réalisées sous PAUP*4 (version 4.0a, build 168 ; Swofford, 2003) et TNT (version 1.5 ; Goloboff & Catalano, 2016). La matrice a été construite en utilisant Mesquite (version 3.61, build 927 ; Maddison & Maddison, 2019).

Amphibiens

Les sites du synclinal d’Anoual sont d’un intérêt particulier pour la compréhension de l’évolution des lissamphibiens. Malgré leur rareté (ils représentent 0,25% des éléments identifiés à GEA et ,059% à KM), ils y sont très diversifiés, puisque l’intégralité des grands groupes y est représentée (Zouhri et al., 2017 ; Lasseron et al., 2020). On y trouve le plus ancien gymnophione gondwanien, qui est aussi le second plus ancien au monde, Rubricacaecilia monbaroni (Evans & Sigogneau-Russell, 2001), les seuls représentants gondwaniens des Albanerpetontidae connus à ce jour, avec Anoualerpeton unicus à KM (Gardner et al., 2003) et une autre espèce potentiellement nouvelle à GEA (Haddoumi et al., 2016), la plus ancienne salamandre d’Afrique et l’une des plus anciennes au monde (Haddoumi et al., 2016), ainsi que deux à trois espèces d’anoures, dont les plus anciens Alytidae du Gondwana (Jones et al., 2003). Ils comptent de plus parmi les taxons dont on connaît la plus grande diversité d’éléments anatomiques dans les assemblages d’Anoual. La présence d’amphibiens confirme la nature dulçaquicole de l’environnement des sites du synclinal d’Anoual.

Crocodyliformes

Les crocodyliformes font partie des groupes les mieux représentés dans les microrestes du synclinal d’Anoual après les actinoptérygiens : ils comptent pour 21,41% des éléments identifiés à GEA et pour 16,39% à KM. Au moins deux taxons de crocodyliformes ont été signalées dans les anciennes collections de KM (Sigogneau-Russell et al., 1990, 1998), mais ils n’ont jamais été ni décrits, ni figurés, ni identifiés dans une publication. On retrouve ces deux taxons (Atoposauridae, Crocodyliformes gen. et sp. indet.) et deux autres (cf. Theriosuchus sp., Teleosauridae gen. et sp. indet.) dans les nouvelles collections. Ces quatre taxons sont également présents à GEA, ainsi qu’une deuxième espèce distincte de Thalattosuchia sans doute non Teleosauridae (?Metriorhynchidae). On y trouve aussi bien des formes essentiellement, si ce n’est strictement terrestres (Atoposauridae, Theriosuchus), que d’autres strictement aquatiques (Thalattosuchia). Cependant, la proportion de crocodyliformes terrestres par rapport aux espèces aquatiques est écrasante, de l’ordre de 145 pour 1 à GEA et de l’ordre de 50 pour 1 à KM en faveur des espèces terrestres. Cela confirme le caractère continental et le cachet essentiellement terrestre des sites du synclinal d’Anoual. Dans ces sites, les restes de ces animaux consistent, pour la majorité, en dents isolées. On trouve également des ostéodermes, le plus souvent fragmentaires et dont il est difficile de tirer des informations taxonomiques.

Ptérosaures

Bien que les découvertes de fossiles et les descriptions de nouvelles espèces de ptérosaures soient fréquentes (e.g., Dalla Vecchia, 2019 ; Kellner et al., 2019 ; Pentland et al., 2019 ; Zhou et al., 2019 ; Jacobs et al., 2020 ; Martill et al., 2020 ; McPhee et al., 2020, pour ne citer que quelques découvertes récentes), et bien qu’ils aient été découverts sur tous les continents (Barrett et al., 2008), le registre fossile des ptérosaures est lacunaire, avec peu de dépôts ayant livré des squelettes complets ou subcomplets (Barrett et al., 2008). Il apparaît que le registre fossile des ptérosaures est fortement corrélé aux dépôts de Lagerstätten et affecté par un fort biais d’échantillonnage (Dean et al., 2016). Ainsi, les ptérosaures sont particulièrement rares en Afrique et leur registre fossile sur ce continent particulièrement incomplet, l’un des moins connus pour toutes les provinces continentales (Kellner et al., 2007 ; Ibrahim et al., 2010 ; Costa et al., 2015). À l’exception d’une aile partiellement préservée au Liban (Dalla Vecchia et al., 2001), d’une série de six vertèbres cervicales au Maroc (Pereda-Suberbiola et al., 2003 ; Kellner, 2010) et de la récente découverte d’une grande diversité de ptérosaures représentés par des squelettes partiels dans le bassin d’Ouled Abdoun au Maroc (Longrich et al., 2018), toutes les occurrences de ces reptiles volants en Afrique sont connues par des éléments isolés et fragmentaires (e.g., Benton et al., 2000 ; Barrett et al., 2008 ; Costa & Kellner, 2009 ; O’Connor et al., 2011 ; Rodrigues et al., 2011). Ainsi, si les restes de ptérosaures découverts dans le synclinal d’Anoual sont relativement rares (0,35% du total des éléments identifiés à GEA, 7e groupe le plus représenté ; 1,76% du total des éléments identifiés à KM, 5e groupe le plus représenté) et ne correspondent qu’à des dents isolées, ils n’en constituent pas moins un apport important dans un registre fossile très parcellaire. Au moins deux familles ont pu être identifiées dans le synclinal d’Anoual, appartenant aux deux grands groupes de ptérosaures, les ‘Rhamphorhynchoidea’ (paraphylétiques) et les Pterodactyloidea. Les ptérosaures de KM ont déjà fait l’objet d’une publication (Knoll, 2000), mais les spécimens qui y sont figurés ont été perdus. Nous nous appuyons donc ici, pour ce site, sur le matériel issu du réexamen des anciennes collections et de l’étude des nouvelles collections de KM.

Taphonomie descriptive et quantitative : analyse préliminaire

Traitement du matériel et incidences sur sa préservation

Les microrestes de vertébrés du synclinal d’Anoual sont issus de blocs de grès calcaire qu’il a fallu traiter par attaque acide (acide formique dilué à 7%) pour isoler les bioclastes. Or, si cette solution acide dissout le carbonate de calcium de la roche, elle a également tendance à partiellement dissoudre le carbonate de calcium et le phosphate tricalcium qui constituent les dents et les os contenus dans la roche, et donc à les fragiliser (Braillon, 1973). Pour réduire au maximum cette fragilisation des restes fossiles, il convient, comme nous l’avons fait, de saturer la solution acide en phosphate tricalcium, principal composant des os et des dents et beaucoup moins soluble dans l’acide formique que le carbonate de calcium. Ainsi, en parallèle de la dissolution plus rapide du carbonate de calcium de la matrice, c’est d’abord ce phosphate tricalcium en solution qui sera attaqué par l’acide. La dissolution du carbonate de calcium de la matrice libère des ions Ca2+ dans la solution, qui réagissent avec les ions PO42- du phosphate tricalcium, ce qui ralentit puis supprime la dissolution du phosphate tricalcium (Braillon, 1973) avant que les restes fossiles ne soient exposés à la solution acide suite à la dissolution de la matrice. Il convient également de réutiliser les solutions acides usagées, dont l’acidité a été diminuée lors de ses usages précédents, pour réduire encore le risque de dissolution des fossiles. Le refus lithoclastique et bioclastique récupéré à l’issue de l’attaque acide doit aussi être rincé en évitant les manœuvres brutales pour ne pas risquer de casser les fossiles : il doit donc se faire lentement, pendant plusieurs jours, par immersion dans des bains alimentés par un faible courant d’eau. Malgré tout, le fractionnement par tamisage du résidu de traitement à trier, même s’il est fait de la façon la plus délicate possible, induit nécessairement une fragmentation mécanique des bio- et lithoclastes. L’élimination des éléments non fossilifères par attaque acide et tamisage réduit donc considérablement (99% ; Braillon, 1973) le volume de matériel à trier, mais la méthode a l’inconvénient de fragmenter les fossiles, fragmentation inévitable mais que l’on peut réduire par les précautions décrites ici.

Faciès sédimentaires

Nous l’avons vu dans le Chapitre I.2, les dépôts détritiques continentaux des Formations d’Anoual et de Ksar Metlili présentent des faciès sédimentaires constitués de marnes et d’argiles entrecoupées de bancs de grès calcaires fins à moyens, à stratification oblique (Haddoumi et al., 1998, 2008, 2016 ; Charrière & Haddoumi, 2016). Ces faciès sont caractéristiques d’un environnement de plaine d’inondation deltaïque, situé à proximité de la mer et influencée par les variations eustatiques, avec une incursion épisodique des eaux marines dans la plaine deltaïque (Sigogneau-Russell et al., 1990, 1998 ; Haddoumi et al., 1998, 2008, 2016 ; Charrière & Haddoumi, 2016). Les dépôts calcaire de la partie supérieure du membre inférieur continental de la Formation d’Anoual, où ont été collectés les microrestes de vertébrés de GEA correspondent, quant à eux, à des dépôts lacustres (Haddoumi et al., 1998, 2008, 2016). La concentration des fossiles de vertébrés dans ces lentilles calcaires implique une importante condensation. Si les différents locus d’un même gisement présentent des faciès sensiblement identiques entre eux et que leur proximité indique un environnement de dépôt similaire, il y a toutefois quelques hétérogénéités. Les locus KM-D1 et KM-D2 présentent ainsi un faciès moins homogène, avec des bio- et lithoclastes beaucoup moins classés que dans les autres locus. On y trouve notamment plus de restes de gros os que dans les autres locus, ce qui suggère une différence locale d’hydrodynamisme et une localisation dans une partie du chenal plus propice au piégeage de matériel transporté par l’hydrodynamisme. Les locus de GEA représentent un milieu plus aquatique qu’à KM, avec des bioclastes plus abimés, suggérant un transport fluviatile en amont et un tri plus importants qu’à KM, et la présence de nombreux restes de bivalves, qui contraste avec la rareté des restes de vertébrés strictement terrestres. Une étude comparative des profils granulométriques des différents locus de GEA et de KM sera réalisée ultérieurement pour compléter de façon quantitative cette première analyse des faciès sédimentaires des sites du synclinal d’Anoual.

Taille des restes

Pour établir des comparaisons d’ordre taphonomique entre les différents sites et locus étudiés, une analyse de la distribution de la fréquence de taille des éléments constituant les assemblages est essentielle (Blob & Fiorillo, 1996 ; Brinkman et al., 2004 ; Vullo, 2007). Concernant les assemblages de microvertébrés, Blob & Fiorillo (1996) ont montré que la distribution de la fréquence de taille pouvait considérablement varier selon les sites, même s’ils sont identiques sur le plan de la sédimentologie, influant ainsi sur la composition faunique de l’assemblage. Afin de réduire le biais taxonomique lors de l’évaluation de la distribution de la fréquence de taille, seuls les éléments indéterminés doivent être pris en compte et mesurés (Blob & Fiorillo, 1996 ; Brinkman et al., 2004 ; Vullo, 2007). Si des sites ont des profils de distribution de la fréquence de taille similaires, alors les différences dans la composition faunique ne peuvent pas s’expliquer par la taphonomie (Blob & Fiorillo, 1996 ; Brinkman et al., 2004), et la composition taxonomique des différents assemblages peut être correctement comparée (notamment par l’analyse de la fréquence relative des différents taxons). Pour des raisons de contraintes de temps, ce travail a pour l’instant été réalisé uniquement pour les différents locus du site de KM (à l’exception de KM-ASH). Cette analyse de la distribution de la fréquence de taille des éléments sera menée dans un futur proche pour le site de GEA.
Un lot d’éléments indéterminés, de volume non préalablement défini, a été isolé aléatoirement pour chaque locus de KM. Parmi ces éléments, nous avons mesuré la plus grande longueur de ceux qui ne présentaient pas de cassure fraîche liée à la collecte ou au processus d’attaque acide ou de tri. Selon les locus, entre 278 et 729 éléments ont été ainsi mesurés. Afin de tester si la différence de taille entre les éléments des différents locus était significative, et donc pour pouvoir tester la similarité des profils de distribution de la fréquence de taille, des tests non paramétriques de Kolmogorov-Smirnov ont été réalisés (Brinkman et al., 2004). L’hypothèse nulle, à savoir que les différences de tailles observées entre les sites ne sont pas significatives, et donc que les sites ne sont pas significativement différents sur le plan taphonomique, ne peut pas être rejetée au seuil de 0,05%. Ainsi, nous pouvons supposer que les différences de composition faunique entre les différents sites ne sont pas dues à un biais taphonomique.
Les profils de distribution de la fréquence de taille (Fig. 107) montrent qu’il ne semble pas y avoir de tri des fossiles en fonction de la taille des éléments, c’est-à-dire qu’il n’y a vraisemblablement pas de biais granulométrique dans la représentation de la faune de microvertébrés selon les différents locus. Cependant, s’agissant des éléments identifiés, il apparaît que les éléments les plus fragiles et les plus petits (restes squelettiques de mammifères, de ptérosaures, de squamates et de lissamphibiens) sont préservés en plus grandes quantités dans les locus KM-A2 et KM-D2, ce qui suggère, pour ces locus, un environnement de dépôt de plus basse énergie, permettant une meilleure conservation de ces éléments. Cette observation est cohérente avec la granulométrie fine et bien triée des particules sédimentaires associées (lithoclastes) provenant de ces deux locus. Les faciès sédimentaires et l’environnement des différents locus, correspondant à des dépôts locaux de chenal fluvial, semblent globalement similaires ; les différences de composition faunique reflètent donc des différences dans le tri des restes déposés et conservés, liées à des différences locales d’hydrodynamisme dans un même chenal.

Analyse quantitative des faunes du synclinal d’Anoual

Si l’on exclut le locus KM-ASH, plus échantillonnée (700 kg) et surtout plus longuement traité, on compte entre 5 et 25 espèces au minimum dans les différents locus de KM (51 à KM-ASH). Le locus KM-C est celui où la biodiversité est la plus faible, avec seulement 5 espèces représentées (Fig. 108). Cette faible diversité apparente n’est toutefois pas significative, ce locus ayant été beaucoup moins échantillonné que les autres : seuls 81 kg de sédiments ont été prélevés et traités dans le locus KM-C, contre 675 kg pour le locus KM-A1, 189 kg pour KM-A2, 378 kg pour KM-B’ et 108 kg pour KM-D1. Seul le locus KM-D2 a été moins bien échantillonné (54 kg), mais il compte 15 espèces, soit le même nombre que KM-A2 et à peine plus que KM-D1 (11 espèces). La proximité des différents locus, ainsi que leurs faciès sédimentaires similaires, indiquent un même environnement de dépôt pour chaque locus : il est donc impossible que la différence de diversité entre KM-C et KM-D2, tous deux faiblement échantillonnés, soit due à une différence d’ordre environnemental. Il peut toutefois y avoir, au sein d’un même chenal, des conditions de dépôt différentes, et il est possible que le locus KM-C ait présenté des variations locales d’hydrodynamisme et/ou de profondeur, créant des conditions de dépôt moins favorables résultant en une moindre diversité que dans KM-D2. L’hypothèse d’une variation locale de l’hydrodynamisme est confortée par l’hétérogénéité des faciès des locus KM-D1 et KM-D2 (déjà discutée au Chapitre III.1.2), qui présentent plus de restes de gros os que les autres locus et semblent correspondre à une partie du chenal plus propice au piégeage de matériel transporté par l’hydrodynamisme.
À GEA (Fig. 109), c’est le locus GEA2 qui a livré le plus d’espèces (23 espèces minimum). Les autres locus ont chacun livré au moins 10 espèces, à l’exception de GEA1, où seules cinq espèces sont connues ; elle a cependant été moins échantillonnée (650 kg) que GEA2 (1200 kg), GEA 3 (1300 kg), GEA6 (875 kg) et GEA7 (1000 kg). Comme pour KM, la proximité des locus de GEA et leurs faciès sédimentaires semblables indiquent un environnement de dépôt sensiblement identique pour tous les locus ; il est donc vraisemblable que cette faible diversité apparente dans GEA1 soit due à un biais d’échantillonnage.
Une analyse quantitative a été menée sur le matériel issu des sites du synclinal d’Anoual pour déterminer l’abondance relative de chaque taxon, afin de détecter un éventuel biais taphonomique favorisant la préservation de certains taxons ou d’éléments d’une certaine taille. L’analyse a été faite sur les données brutes issues du dénombrement des éléments identifiés (MNE, Minimum Number or Elements). Habituellement, la détermination des abondances relatives se fait sur la base du nombre minimal d’individus (MNI, Minimum Number of Individuals ; Grayson, 1978 ; Plug & Plug, 1990 ; Eberth et al., 2007), mais il n’a pas été possible de le déterminer ici pour l’ensemble des taxons. En effet, le MNI est calculé en comptant, pour chaque taxon, le nombre d’occurrences d’un même élément pair, par exemple le nombre de fémurs gauches ou le nombre d’extrémités distales de tibias droits. Cette approche n’est pas possible dans le cas du matériel du synclinal d’Anoual, où la proportion de ces éléments pairs dans l’ensemble des éléments préservés est faible, la plupart des taxons étant essentiellement représentés par des dents non symétrisées, à l’exception des mammifères. Une autre méthode pour estimer un nombre minimal approximatif d’individus pourrait être de considérer, pour chaque taxon, un élément donné (par exemple les dents ou les vertèbres dorsales), et à en diviser le nombre dans le gisement par le nombre moyen de ces éléments chez le taxon considéré (par exemple, sept vertèbres cervicales chez les mammifères). Cette méthode aurait pu s’appliquer ici à certains taxons : certains groupes de mammifères, dont le nombre de molaires inférieures ou supérieures est connu, les Atoposauridae, qui possèdent en moyenne 85 dents, les anoures, qui possèdent une unique vertèbre sacrée et dix vertèbres présacrées au maximum, ou encore les dipneustes, chez qui la plupart des espèces fossiles ainsi que toutes les espèces actuelles possèdent quatre plaques dentaires et deux dents vomérines. Cependant, beaucoup des autres taxons des faunes du synclinal d’Anoual ne sont représentés que par des éléments dont le nombre est variable ou inconnu : c’est le cas notamment des dents de chondrichtyens, des écailles et dents des nombreux groupes d’actinoptérygiens, des dents de scincomorphes, de ptérosaures, de dinosaures, etc. Cette normalisation des données n’aurait donc été possible que pour un nombre restreint d’espèces, limitant du même coup l’étendue de l’analyse des abondances relatives à ces seules espèces, laquelle n’aurait donc pas pu rendre compte de l’ensemble de la biodiversité des vertébrés du site. Or, l’un des principaux avantages de l’étude des sites à microvertébrés est justement cette approche écosystémique très large, en particulier dans le cas de périodes où, comme à la transition Jurassique – Crétacé, l’évolution des faunes est mal connue. Nous avons donc jugé préférable de mener l’analyse des abondances relatives sur le MNE afin de rendre compte au mieux de la structure globale et de la complexité de l’écosystème, en restant toutefois conscients des biais d’une telle approche. Afin de ne pas trop surestimer le nombre de spécimens, seuls les éléments à la fois suffisamment diagnostiques et suffisamment complets ont été comptabilisés.
Comme nous l’avons indiqué plus haut, le nombre minimal d’éléments squelettiques identifiés à KM se porte à 39 109, appartenant à au moins 53 espèces distinctes. À GEA, ce sont 14 540 éléments squelettiques qui ont été identifiés, appartenant à au moins 27 espèces différentes. Ces chiffres sont à rapporter au volume de sédiments prélevé (environ 1,5 tonne à KM et 4,1 tonnes à GEA), ainsi qu’aux disparités de distribution des principaux taxons identifiés dans les différents locus. Sur les données brutes du matériel de KM (Fig. 110) et de GEA (Fig. 111), toutes récoltes confondues, l’évaluation de la biodiversité par le MNE met en lumière une forte disproportion entre la quantité de restes d’actinoptérygiens, et celle de tétrapodes. Il apparaît que la faune est largement dominée par les actinoptérygiens, qui représentent environ 77% des éléments identifiés à KM et 76% à GEA, dont une majorité de ginglymodes. Les Atoposauridae et les autres crocodyliformes constituent 16% des fossiles récoltés à KM, les ptérosaures 1,8% et les tortues 1,2%. Ensemble, ces groupes représentent ainsi plus de 95% de la faune de KM : de façon remarquable, la plus grande partie de la diversité des espèces (mammifères, dinosaures, lépidosaures, lissamphibiens) est donc représentée par moins de 5% des éléments identifiés. À GEA, ce ne sont que deux groupes qui représentent plus de 95% de la faune : les actinoptérygiens donc, et les crocodyliformes (21% du total des éléments identifiés). Cette écrasante prépondérance des restes d’actinoptérygiens et, dans une moindre mesure, de crocodyliformes, peut s’expliquer dans un premier temps par le fait que ces taxons forment la composante faunique subautochtone (les sites à microvertébrés constituant des taphocénoses, il ne peut y avoir d’autochtonie stricte) du milieu de dépôt, là où la majorité des autres vertébrés sont probablement parautochtones et sont donc représentés par un moins grand nombre d’individus. En outre, le nombre de restes diagnostiques produit par un actinoptérygien est largement supérieur à celui estimé pour un tétrapode.
Le nombre de restes identifiés permet aussi d’évaluer la biodiversité en établissant des indices de diversité. L’indice de dominance (D) permet de quantifier la dominance d’une ou plusieurs espèces par rapport aux autres dans l’assemblage. L’indice de Simpson (1-D), lui, mesure la régularité (« evenness »), quand celui de Shannon (H) mesure l’entropie, et donc la diversification, de la communauté (Harper, 1999 ; Hammer, 2002). L’indice de Shannon prend également en compte la richesse spécifique. Plus les indices de Simpson et de Shannon sont élevés, plus les espèces composant l’assemblage ont des proportions proches. Le calcul de ces indices pour les sites de KM et de GEA pris dans leur globalité (c’est-à-dire tous locus pris en compte ; Tab. 10) indique que l’assemblage de KM est plus équilibré (indice de dominance plus faible, indice de Simpson plus élevé) et plus diversifié (indice de Shannon plus élevé) que celui de GEA. Cela peut s’expliquer par la nature plus aquatique de GEA, où la dominance des actinoptérygiens paraît d’autant plus marquée que la diversité y est moindre qu’à KM, même si la proportion de restes d’actinoptérygiens par rapport au total d’éléments identifiés est sensiblement la même dans les deux sites. A KM (Tab. 11), c’est la communauté du locus KM-D2 qui apparaît la plus équilibrée et la plus diversifiée, par opposition au locus KM-C, dont les indices sont toutefois biaisés par le faible échantillonnage et la faible diversité. À GEA (Tab. 12), le locus GEA3 est celui dont l’assemblage est le plus équilibré et le plus diversifié contrairement au locus GEA1, dont la diversité est plus faible et où la dominance des actinoptérygiens semble ainsi d’autant plus frappante.

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Table des matières

Extended abstract
1. Rareté des faunes de vertébrés continentaux à la transition Jurassique – Crétacé et intérêt des microfaunes de vertébrés du synclinal d’Anoual
2. Historique des découvertes et des travaux sur les microvertébrés fossiles du synclinal d’Anoual
3. Matériel et méthodes
3.1. Abréviations
3.2. Matériel
3.3. Préparation des spécimens et méthodes de dénombrement
3.4. Analyses statistiques et phylogénétiques
1. Cadre géologique et structural
2. Lithostratigraphie, faciès sédimentaires et âge des formations du synclinal d’Anoual
1. Introduction à la paléobiodiversité de Guelb el Ahmar et de Ksar Metlili
2. Taxonomie des vertébrés de Guelb el Ahmar et de Ksar Metlili
2.1. Chondrichtyens
2.2. Actinoptérygiens
2.3. Sarcoptérygiens
2.4. Amphibiens
2.5. Tortues
2.6. Lépidosaures
2.7. Choristodères
3 -2.8. Crocodyliformes
2.9. Ptérosaures
2.10. Dinosaures
2.11. Cynodontes
2.12. Mammaliaformes
3. Listes fauniques
1. Taphonomie descriptive et quantitative : analyse préliminaire
1.1. Traitement du matériel et incidences sur sa préservation
1.2. Faciès sédimentaires
1.3. Taille des restes
2. Analyse quantitative des faunes du synclinal d’Anoual
3. Analyse de la composition et de la diversité faunique des sites du synclinal d’Anoual : implications paléoécologiques
4. Analyses cluster et dendrogrammes de similitude
5. Écologie des taxons
1. L’âge berriasien de la faune de Ksar Metlili : une datation incertaine
2. Nouvelles données sur la datation de la faune à microvertébrés de Ksar Metlili : comparaisons fauniques
2.1. Comparaison des faunes de Ksar Metlili et de Guelb el Ahmar
2.2. Comparaison des faunes de Ksar Metlili et de la Formation Kota
2.3. Comparaison des faunes de Ksar Metlili et de la mine de charbon de Berezovsk…..
2.4. Comparaison des faunes de Ksar Metlili et de la Langenberg Quarry
2.5. Comparaison des faunes de Ksar Metlili et de la mine de Guimarota
2.6. Comparaison des faunes de Ksar Metlili et de la Formation Morrison
2.7. Comparaison des faunes de Ksar Metlili et des gisements charentais de Chassiron, Cherves-de-Cognac et Angeac-Charente
2.8. Comparaison des faunes de Ksar Metlili et des sites du Purbeck Group
5 -3. Autres éléments en faveur d’une révision de la datation de la faune de Ksar Metlili
4. Nouvelles données sur la datation du site de Ksar Metlili : conclusions et perspectives concernant la position de la limite Jurassique – Crétacé
1. Cadre paléogéographique global à la transition Jurassique – Crétacé
2. Affinités et implications paléobiogéographiques des faunes de microvertébrés continentaux du synclinal d’Anoual
2.1. Taxons d’affinités gondwaniennes
2.2. Taxons d’affinités laurasiatiques ou d’origine pangéenne ou cosmopolite : événements de dispersion trans-téthysiens et héritage pangéen
2.3. Endémisme et absences remarquables
2.4. Conclusions sur les relations et implications paléobiogéographiques des faunes de microvertébrés du synclinal d’Anoual
Conclusions et perspectives
Références bibliographiques

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