L’irresponsabilité pénale pour cause de troubles mentaux

A la recherche de précédents médicaux, la centralité de la jurisprudence

   En France, la responsabilité pénale ne s’apprécie pas en fonction de la seule existence d’un fait répréhensible et sanctionné d’une peine, mais en fonction de l’individu et de sa capacité à comprendre et à vouloir l’acte infractionnel. Or, si le droit pénal repose WARRAND Anaïs sur la notion de libre arbitre, ceux qui en sont dépourvus par un trouble psychique ou neuropsychique ne sauraient donc être condamnables ni condamnés. C’est l’expert psychiatre qui va, sur réquisition du juge, avoir la tâche d’identifier les pathologies dont la manifestation symptomatique prive l’individu de sa libre et pleine conscience. C’est à l’aune des conclusions de l’expert que le magistrat va se prononcer sur la responsabilité du mis en cause. Toutefois, la demande d’expertise n’est ni obligatoire en matière criminelle, ni en matière correctionnelle, le juge a seulement la faculté de demander cette expertise, comme l’a rappelé un arrêt de la Cour de Cassation en date du 24 août 2016. Avant d’envisager les pathologies qui, traditionnellement, permettent que le mis en cause atteint de troubles mentaux s’exonère de sa responsabilité, il convient faire un rappel de la mise en œuvre de cette déclaration d’irresponsabilité. La déclaration d’irresponsabilité pénale peut intervenir à différents stades de la procédure pénale. En premier lieu, lorsqu’une information judiciaire est ouverte, le juge d’instruction n’est pas chargé de se prononcer sur la culpabilité du mis en cause mais seulement de déterminer s’il existe suffisamment de charges pour envisager que la culpabilité de ce dernier soit débattue devant une juridiction de jugement. Si, par conséquent, le magistrat instructeur ne peut se prononcer sur la responsabilité de l’individu, il peut toutefois reconnaitre son irresponsabilité, dès lors qu’il « existe des charges suffisantes établissant que l’intéressé a commis les faits qui lui sont reprochés ». Avant de rédiger son ordonnance mettant fin à l’instruction ainsi qu’à la détention provisoire ou au contrôle judiciaire39, le juge d’instruction doit informer le Procureur de la République de son intention de faire application de l’article 122-1, alinéa 1er du Code Pénal. Ce dernier ainsi que les parties, en vertu de l’article 706-119 du Code de Procédure Pénale, peuvent saisir la Chambre de l’Instruction afin que la question de l’irresponsabilité pénale soit débattue contradictoirement. Toutefois, si le Parquet ne demande pas de saisine de la Chambre de l’Instruction, le juge d’instruction peut rendre lui-même une « ordonnance d’irresponsabilité́ pénale pour cause de trouble mental »41. N’ayant pas les pouvoirs conférés aux magistrats composant une juridiction de jugement, il ne peut, à la suite de cette ordonnance, prononcer des mesures de sûretés à l’encontre de l’individu déclaré irresponsable. Si l’affaire est transmise à la Chambre de l’Instruction, un débat contradictoire et public portera d’une part sur les charges pesant sur le mis en cause et d’autre part sur l’existence d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli le discernement au moment des faits et permettant qu’il soit déclaré irresponsable pénalement43. À l’issue du l’audience, la Chambre de l’Instruction peut rendre trois types de décisions. Si elle estime, dans un premier temps et conformément à l’article 706-123 du Code de Procédure Pénale, qu’il n’existe pas de « charges suffisantes contre la personne mise en examen d’avoir commis les faits qui lui sont reproches » et déclare « qu’il y a lieu à suivre », la Chambre de l’Instruction rend une ordonnance de non-lieu. Si elle estime, conformément à l’article 706-124 du Code de Procédure Pénale, qu’il existe « des charges suffisantes contre la personne mise en examen d’avoir commis les faits qui lui sont reprochés et que le premier alinéa de l’article 122-1 du code pénal n’est pas applicable », la Chambre de l’Instruction renvoie le mis en cause devant une juridiction de jugement compétente, tribunal correctionnel ou Cour d’Assises, afin qu’elle se prononce sur sa culpabilité. Enfin, si elle estime, conformément à l’article 706-125 du Code de Procédure Pénale, qu’il existe « des charges suffisantes contre la personne d’avoir commis les faits qui lui sont reprochés » et qu’il y a lieu d’appliquer l’article 122-1 du Code Pénal en ce que le mis en cause présente un « trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes au moment des faits », la Chambre de l’Instruction rend un arrêt de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Contrairement au juge d’instruction rend, seul une ordonnance d’irresponsabilité pénale, la Chambre de l’Instruction peut décider d’ordonner la mise en œuvre d’une ou plusieurs mesures de sûreté. Dans les affaires où aucune information judiciaire n’aura été ouverte ou que cette information n’aura pas conduit à la reconnaissance de l’irresponsabilités pénale du mis en cause, la question pourra encore être examinée devant la juridiction de jugement. Le déroulé du procès ne diffère pas de celui d’un procès au cours duquel la capacité de discernement du mis en cause ne fait aucun doute. Si la question de l’état de la conscience du mis en cause au moment des faits est largement développée, ce n’est qu’au moment du délibéré que la juridiction de jugement va se prononcer sur la responsabilité de l’individu. Le tribunal ou la Cour vont se prononcer, en premier lieu, sur l’imputabilité matérielle des faits au prévenu/accusé. Ce n’est que dès lors qu’il existe des charges suffisamment graves et concordantes pour établir que le mis en cause est bien l’auteur des faits, que la question de sa culpabilité pourra être étudiée. Ainsi, s’il est établi que ce dernier était atteint, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement au sens de l’alinéa 1er de l’article 122-1 du Code Pénal, la juridiction de jugement rendra un arrêt portant déclaration d’irresponsabilité́ pénale pour cause de trouble mental ou un jugement de déclaration d’irresponsabilité́ pénale pour cause de trouble mental, selon que le mis en cause est accusé ou prévenu. Ici, la loi du 25 février 2008 a apporté une modification terminologique en ce qu’auparavant la Cour d’Assises, si l’article 122-1, alinéa 1er était applicable à l’accusé, prononçait un « acquittement pour cause de trouble mental » et le tribunal correctionnel, si l’article 122-1, alinéa 1er était applicable au prévenu, prononçait une « relaxe pour cause de trouble mental ». Ces juridictions de jugement peuvent assortir leur décision d’irresponsabilité́pénale d’une ou plusieurs mesures de sûreté. Quel que soit le stade auquel la décision d’irresponsabilités pénale intervient, l’appréciation d’experts psychiatres est nécessaire pour fonder cette décision. Comme nous l’avons rappelé supra, le magistrat n’a pas les connaissances nécessaires pour déterminer seul, de l’irresponsabilité pour cause de troubles mentaux de l’individu. Nommé par le magistrat instructeur, la Chambre de l’Instruction ou le président de la juridiction de jugement, l’expert, choisi sur les listes dressées par la Cour de Cassation ou les Cours d’Appel, aura pour mission de se prononcer sur le degré de discernement du mis en cause au moment des faits. La décision qui ordonne l’expertise et qui vaut ordre de mission doit énoncer toutes les questions d’ordre purement technique auxquelles l’expert se doit de répondre afin d’aiguiller le magistrat ou la juridiction. Ces questions se doivent d’être particulièrement précises afin de ne laisser aucune place possible à l’interprétation des conclusions de l’expert. Parmi les questions presque systématiquement posées, on retrouve celle de l’accessibilité à une sanction pénale, de la dangerosité de l’individu et de la nécessité d’une prise en charge médicale de l’individu. La mission « flash » sur l’application de l’article 122-1 du Code Pénal, réalisées par Naïma Moutchou et Antoine Savignat, dans le cadre de la Commission des lois de l’Assemblée Nationale et rendu le 30 juin 202147, a permis d’apporter quelques précisions chiffrées sur cette reconnaissance de l’irresponsabilités pénale. En 2019, 0,5% des mis en cause dans affaires pénales voient leur irresponsabilité pénale reconnue par la Justice. Cela représente près de 10 000 personnes. Dans plus de 90% des cas, c’est le Parquet qui classe l’affaire sans suite « pour cause de troubles mentaux ». Concernant les 10% restant, 50% des constatations d’irresponsabilités pénale sont prononcé par un tribunal correctionnel, 44% par la Chambre de l’Instruction, et seulement 0,6% par une Cour d’Assises48. Concernant les infractions, selon les chiffres annoncés le Ministère de la Justice, entre 2012 et 2019, sur 1 159 décisions d’irresponsabilité pénale inscrites au casier judiciaire, un tiers concernait des faits d’homicides volontaires ou de coups mortels (31,1%) et un autre tiers concerne les violences volontaires à caractère correctionnel (27,5%). Toutes les autres infractions relèvent également du champ correctionnel.

Le paradoxe de l’expertise psychiatrique en justice

  Comme nous l’avons déjà évoqué, le Code de procédure pénale permet qu’une expertise psychiatrique soit menée en matière pénale afin de déterminer l’existence d’une capacité de discernement au moment des faits chez un individu mis en cause. Si la reconnaissance d’irresponsabilité pénale appartient au juge et non à l’expert, les conclusions de ce dernier, en réponse à une liste de questions rédigées par le magistrat instructeur ou la juridiction de jugement, vont toutefois éclairer le juge dans sa décision. Si ces questions sont censées ne porter que sur le seul effet de la pathologie du mis en cause sur son libre-arbitre, on constate qu’aujourd’hui elles ont de plus en plus attrait à la détermination de la dangerosité de l’individu, envisagée sous l’angle du risque de récidive. Néanmoins, la problématique du risque de récidive, du fait de la dangerosité supposée de l’individu, n’est pas une question nouvelle. En effet, si le terme de « dangerosité » n’apparait explicitement pour la première fois qu’avec la loi du 12 décembre 2005 sur le traitement de la récidive des auteurs d’infractions pénales74, selon laquelle l’évaluation du « risque de récidive » relève de l’« expertise médicale », la révision du Code de procédure pénal en 195875 a permis au juge d’interroger l’expert, lors de l’expertise présentencielle, sur la dangerosité du mis en cause. Dès lors, en permettant l’association de questions relatives à l’existence de signes d’un état dangereux chez l’individu et de sa ré-adaptabilité à celles, purement cliniques, relatives à l’annihilation de son discernement, le législateur a concouru à un obscurcissement de la mission de l’expert. Et la situation a encore été cristallisée par la loi du 25 février 2008 sur la rétention de sûreté qui prévoit que les criminels faisant état d’une « particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive » soient retenus à l’issue de leur peine dans un centre « socio-médico-judiciaire » où ils pourront bénéficier d’« une prise en charge médicale, sociale et psychologique ». La loi associe donc l’état dangereux « caractérisé par une probabilité très élevée de récidive » aux symptômes d’une maladie qui pourrait être diagnostiquée par un psychiatre et que l’on pourrait soigner à l’aide de médecine. Ce faisant, la loi crée un amalgame entre criminels dangereux, « fous » et récidivistes. Cette question de la dangerosité de l’individu en phase pré-sentencielle est problématique à bien des égards. D’une part, elle vient créer la confusion entre deux conceptions de la dangerosité que l’on retrouve en droit pénal, la dangerosité criminologique et la dangerosité psychiatrique, et dont l’évaluation répond à deux interrogations complétement distinctes l’une de l’autre. De plus, l’évaluation de la dangerosité criminologique ne relève pas d’une démarche aussi scientifique que celle de la dangerosité psychiatrique et est même considérée par certains experts comme relevant d’un « exercice de divination ». D’autre part, s’intéresser avant procès, et a fortiori avant la peine, à l’état dangereux, au sens criminologique, interroge sur les limites de l’office de l’expert psychiatre lors de l’expertise pré-sentencielle. La dangerosité peut être définie comme une « propension à commettre des actes d’une certaine gravité, dommageables pour autrui ou pour soi, fondés sur l’usage de la violence ». Comme nous venons de l’évoquer, cette notion générique de la dangerosité peut être complétée par deux autres acceptions que sont la dangerosité psychiatrique et la dangerosité criminologique. La dangerosité psychiatrique a été définie, lors de l’audition publique organisée par la Fédération française de psychiatrie sur l’expertise psychiatrique pénale de janvier 2007, comme une « manifestation symptomatique liée à̀ l’expression directe de la maladie mentale ». Autrement dit, il s’agit de la manifestation violente de la maladie mentale, des épisodes de crises qui peuvent conduire le malade à des actes auto ou hétéro-agressifs. L’évaluation de cette dangerosité repose sur des éléments cliniques que le psychiatre va pouvoir observer chez le patient ainsi que sur plusieurs facteurs identifiables, tels que la prise régulière et sérieuse du traitement, l’efficacité de celui-ci, la reconnaissance par l’individu de son trouble, sa consommation d’alcool ou de stupéfiants. Reposant sur des éléments scientifiques, le psychiatre est en mesure de détecter un risque plus ou moins certain. Concept apparu au XIXème siècle et nourri par l’école positiviste et la défense sociale,la dangerosité criminologique correspond, quant à elle, à la prédiction criminelle c’est-à-dire, la prévisibilité de la commission d’un acte infractionnel. Dans un article paru dans la revue psychiatrique Annales médico-psychologiques en 2001, les psychiatres Bénézech et Bourgeois définissent ce phénomène comme « la capacité d’un individu ou d’un groupe à présenter un risque de violence et de transgression, physique ou psychologique (…) disposition, dans un contexte donné, à passer à l’acte d’une manière violente et transgressive »79. Ici, la question de la conscience, du discernement de l’individu au moment de son acte ne se pose pas nécessairement. Aujourd’hui, cette vision de la dangerosité a évolué et s’est axée sur le risque de récidive : on s’intéresse moins au passé criminel/délictuel de l’individu qu’à une éventuelle réitération. Ainsi, évaluer la dangerosité de la personne permet de voir si elle est « réinsérable », et non « soignable ». De fait, cette question n’a d’intérêt que dans le cas où l’individu a été déclaré responsable de ses actes, qu’il est incarcéré et que la question de sa libération se pose. La dangerosité criminologique correspond donc au risque de récidive qui va au-delà de la dangerosité psychiatrique, qui elle n’est que la manifestation de symptômes d’une maladie mentale. Toutefois, la dangerosité criminologique et la dangerosité psychiatrique se rejoignent en un seul point. Si la dangerosité criminologique renvoie à un futur passage à l’acte, la dangerosité psychiatrique inclue le danger que la personne représente pour ellemême. L’on sait qu’une personnesouffrant de troubles mentaux a douze fois plus de risque qu’une personne saine de se suicider. Ainsi, le seul réel risque « criminologique » que l’expert puisse éventuellement identifier est celui d’un comportement auto agressif du malade. Celui-ci risque davantage de se tuer lui-même que d’agresser, comme cette idée est répendue dans l’imaginaire collectif, n’importe qui, au hasard, sans motivation lors d’une crise. Un amalgame persiste entre dangerosité psychiatrique et dangerosité criminologique auprès du public : l’idée que tout criminel serait un malade mental et que tout malade mental serait un dangereux criminel en devenir semble profondément ancrée. Cette vision erronée est confortée par le fait que les « crimes de malades mentaux » sont souvent d’une violence extrême, alimentés par un imaginaire délirant, symptôme de la maladie dont souffre l’auteur. De fait, ces actes sont souvent immotivés, ou motivés par l’absurde, créant une incompréhension massive : si le crime inexplicable est « monstrueux », c’est que l’auteur doit être fou car une personne saine d’esprit ne pourrait commettre un tel acte. Parce qu’ils sont spectaculaires mais surtout parce que la motivation du passage à l’acte parait surréaliste ou inexistante, les médias s’emparent de ses affaires et participent à creuser, par des articles alarmistes, le sentiment d’insécurité chez la population. Ce sentiment est également renforcé par l’attitude de la classe politique, qu’elle soit dirigeante ou dans l’Opposition, qui récupère ces faits divers, tantôt pour critiquer l’inaction des gouvernants, tantôt pour justifier l’adoption de politiques sécuritaires qui, paradoxalement, bien souvent ne peuvent s’appliquer au mis en cause déclaré irresponsable pénalement. Par ailleurs, il n’est pas rare que les dirigeants politiques, en réaction à une affaire particulièrement médiatique, commettent des abus de langage et qualifient de « malade mental » l’auteur supposé méritant une peine particulièrement sévère, sans même attendre qu’une expertise puisse être menée pour déterminer le degré de responsabilité du mis en cause et faisant fi des règles applicables en matière d’irresponsabilité pénale. Cette association tronquée entre folie et criminalité, alimentée par les médias et les prises de position politiques, est toutefois démentie par les chiffres d’une étude sur la corrélation criminalité et troubles mentaux, selon lesquels la proportion d’individus atteints de troubles mentaux chez les auteurs d’homicides et de violences sexuelles avoisine seulement les 5 à 10%82. Ainsi, si la folie n’empêche pas le crime mais le crime ne s’explique pas uniquement par la folie. Outre le fait que la dangerosité criminologique n’est pas synonyme de dangerosité psychiatrique, la question de son évaluation même pose problème : si l’évaluation de la dangerosité psychiatrique relève d’une démarche scientifique, l’évaluation de la dangerosité criminologique est un art difficile et extrêmement aléatoire. Toujours selon l’audition publique organisée par la Fédération française de psychiatrie sur l’expertise psychiatrique pénale de janvier 2007, l’évaluation de la dangerosité criminologique prend en compte « l’ensemble des facteurs environnementaux et situationnels susceptibles de favoriser l’émergence du passage à̀ l’acte ». Malgré ce large panel de données que l’expert doit collecter et qui semble donc appeler à une grande rigueur, aujourd’hui en France, il n’existe pas de méthode de travail qui permette de mener à bien cette évaluation qui, au démérant, n’affiche qu’un très faible taux de fiabilité. Selon Patrick Morvan, professeur à l’Université Panthéon-Assas, elle induirait de nombreux faux-positifs, à hauteur de la moitié voire des deux tiers : ainsi, 50 à près de 70% des individus dont le risque de récidive a été écarté par expertise récidiveraient. En réalité, l’approche de la dangerosité criminologique se présente davantage sous un angle émotionnel plutôt que suivant une démarche scientifique. Le psychiatre se fie à ses connaissances mais surtout à son expérience, plutôt qu’à une méthode prédéfinie. Aussi, l’évaluation repose sur une large part de subjectivité qui s’oppose à la rigueur que l’on est en droit d’attendre de cette expertise. Dès lors, l’expert peut ranger au rang des facteurs incriminant la paraisse, la pauvreté, la religion ou l’origine s’il existe entre lui et le mis en cause un faussé ou malentendu culturel. Par ailleurs, des études ont démontrés qu’aux ÉtatsUnis, un individu noir ou sud-américain est plus souvent diagnostiqué psychotique et donc dangereux qu’un individu blanc or il apparait peu probable que cette proportion au sein d’une population soit exacte. À l’inverse, ils considèrent davantage que la délinquance d’un mineur issu d’une ethnie minoritaire résulte de problèmes sociaux/familiaux, tandis que lorsque le délinquant est un mineur blanc, on lui reconnait plus facilement des problèmes psychologiques nécessitant une déclaration d’irresponsabilité et une prise en charge thérapeutique. Par ailleurs, un bais d’encrage a également été mis en évidence : l’expert aurait des difficultés, au moment d’établir ses conclusions, à se départir de ses premières impressions. Ainsi, dans le cadre de l’expertise pré-sentencielle, l’individu qui lui est présenté est nécessairement mis en cause dans une affaire pénale, c’est-à-dire que le juge qui ordonne l’expertise considère qu’il y a suffisamment d’éléments qui tendent à le désigner comme coupable pour que l’on s’interroge sur son discernement au moment des faits. Dans son rapport, l’expert aura tendance à rédiger aux temps de l’indicatif, établissant que les faits certains, pour démontrer que cet individu est bien l’auteur des faits qui lui sont reprochés, au lieu du conditionnel. Par ailleurs, l’expert n’est pas à l’abri d’éprouver un sentiment de peur, d’incompréhension, voire de répulsion, face aux actes commis par le mis en cause, pouvant influencer son jugement et son objectivité. Il est important de souligner que nombre d’experts ont dénoncé publiquement le rôle que l’on veut leur donner dans ce qu’ils considèrent comme être de la « prédiction des actes criminels d’une personne » et refusent qu’une « privation de liberté [soit] ainsi parée des habits de la science ». Avait même été lancée, le 6 novembre 2008, une pétition « Non à la perpétuité sur ordonnance ! ».

Les « fous » dans les prisons ou l’itinéraire incertain des politiques pénales

   Au 1er mars 2018, la France comptait 81 377 personnes placées sous écrou, dont 69 879 détenues, réparties au sein de 182 établissements pénitentiaires. Près de 30% de cette population est détenue au titre de la détention provisoire. Il existe peu d’études de grande envergure portant sur la représentation des différentes maladies mentales en milieu carcérales. Un rapport de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, réalisé en 2001 sur 23 prisons françaises disposant d’un service médicopsychologique régional, a mis en évidence que 40% des nouveaux détenus présentent des symptômes psychiatriques (8% de troubles psychotiques ; 7% de troubles de l’humeur ; 12% pour les troubles anxieux ; 34% de troubles de la personnalité)99. L’étude épidémiologique menée par Bruno Falissard entre 2003 et 2004 sur un échantillon de 800 prisonniers de sexe masculin dans de 20 établissements pénitentiaires, a permis de déterminer que 36% des personnes détenues présentent au moins une « maladie psychiatrique de gravité marquée à sévère »100. Une étude intitulée « Santé en population carcérale », menée par l’Agence Régionale de Santé des Hauts-de-France entre 2014 et 2017102, a permis de comparer l’état de la santé psychiatrique d’une population de néo-détenus à celle d’une population d’individus de la même région présenter les mêmes caractéristiques (âge situation maritale ; statut par rapport à̀ l’emploi). L’objectif de cette comparaison est de déterminer la part de troubles psychiatriques préexistants à l’entrée de l’individu délinquant en détention.  Cette étude conclut à la sur-représentation des pathologies psychiatriques parmi la population incarcérée : près de 7 néo-détenus sur 10 présentent au moins un trouble (troubles psychotiques ; troubles bipolaires ; stress post-traumatique ; épisodes dépressifs ; anxiété généralisée), 45% présentent au moins de troubles et 18% au moins quatre. Par ailleurs, la dépendance à l’alcool et aux drogues concerne environs 25% des arrivants. Ainsi, cette étude met en évidence un taux de pathologies psychiatriques est quatre à dix fois plus élevé en milieu carcéral que dans la population générale, selon leur type.Ce phénomène de surreprésentation de la maladie mentale en détention n’est pas exclusivement dû à la condamnation d’individus présentant des troubles psychiatriques préexistants et, a fortiori, pas exclusivement à l’expertise psychiatrique pré-sentencielle. Selon nous, plusieurs facteurs supplémentaires pourraient permettre d’expliquer ce phénomène. Tout d’abord, 30% de la population carcérale est incarcérée sous le régime de la détention provisoire. On se situe donc bien avant le prononcé d’une déclaration d’irresponsabilité pénale. Ainsi, tant qu’aucune expertise n’est ordonnée, la question de la compatibilité entre l’état mental de l’individu et la détention provisoire n’est pas tranchée. Par ailleurs, l’expertise n’est pas obligatoire mais est laissée à la libre appréciation du juge. Par conséquent, elle n’est généralement pas ordonnée lors de procédures accélérées telles que la comparution immédiate. Or, ce type d’audience est réservés, entre autres, à des infractions flagrantes de violences volontaires, infraction que nous avons identifiée comme récurrentes chez les mis en cause atteints d’un trouble mental. Ainsi, pour Gérard Dubret « loin du vacarme des débats médiatisés qui mettent en scène des meurtres commis par des patients schizophrènes, c’est le plus souvent pour des délits mineurs que des patients souffrant de pathologie en revanche majeure entrent en prison dans l’indifférence générale ». Enfin, selon les termes de Michel David, « en milieu carcéral, la notion épidémiologique de trouble mental doit être relativisée. Les résultats observés montrent qu’un pourcentage élevé de détenus est en état de souffrance psychique. Dans un contexte d’emprisonnement (privation de liberté́, de l’environnement familial, de sexualité́, etc.), cette souffrance psychique ne relève cependant pas nécessairement d’un état pathologique. (…) La vie carcérale est un facteur de risque majeur de déréalisation ». Ainsi, si l’individu ne présente pas de troubles psychiatriques lors de son entrée en détention, il a de forte chance d’en développer un pendant son incarcération. Toutefois, les personnels pénitentiaires ne sont pas formés à repérer les signes d’apparition de maladies mentales. De plus, quand bien même les premiers symptômes seraient visibles, une crainte légitime empêche souvent l’administration pénitentiaire de les prendre au sérieux : la crainte de la stratégie. De la même manière qu’en matière de tentative de suicide, les personnels s’interrogeront sur l’existence d’une souffrance réelle ou d’une stratégie visant à obtenir des meilleures conditions de détention ou un aménagement de peine. De fait, bien souvent, les premiers signes de maladies mentales ne sont pas pris au sérieux et donc en charge rapidement. Dès les années 2000, la situation carcérale inquiète et fait réagir. La proportion de malades mentaux incarcérés et le taux exorbitant de suicide laisse espérer la mise en œuvre d’une rationalisation des déclarations de responsabilité pénale de personnes préalablement atteintes de troubles mentaux. Pour ce faire, deux rapports parlementaires vont, concomitamment, demander le doublement de la capacité d’ailleurs au sein des Unités pour Malades Difficiles, sans succès. Si le milieu carcéral a pour mission la dissuasion de la récidive, la rééducation et la réadaptation de l’individu criminel, il n’a pas pour vocation de soigner les âmes. Aussi, on aurait pu s’attendre à ce que les pouvoirs publics permettent, devant cette « psychiatrisation du milieu carcéral », aux malades mentaux présents en détention de bénéficier d’aménagements de peine prévoyant un internement en hôpital psychiatrique. Néanmoins, le choix privilégié n’a pas été de faire sortir les malades du système carcéral mais d’amener l’asile à la prison. C’est donc ainsi que, en 2002107, l’administration pénitentiaire s’est vue doter de nouvelles structures afin d’améliorer la prise en charge des détenus atteints de troubles mentaux, les Unités Hospitalières Spécialement Aménagées (UHSA). Le Code de Santé Publique prévoit désormais que « l’hospitalisation, avec ou sans son consentement, d’une personne détenue atteinte de troubles mentaux est réalisée dans un établissement de santé, au sein d’une unité spécialement aménagée ». L’objectif affiché est la facilitation de l’hospitalisation des détenus, rendue difficile en milieu ouvert. Ces unités qui permettent une hospitalisation complète, avec ou sans le constamment de l’intéressée, sont également présentées comme une institution complémentaire des services médico-psychologiques régionaux créés en 1986. Il s’agit de services ambulatoires permettant un accueil de jour qui ne peuvent fonctionner qu’en collaboration avec le détenu. En effet, un malade incarcéré ne peut fait l’objet d’une obligation de soin. De fait, les détenus dont l’état psychiatrique était incompatible avec la détention, ou bien ceux refusant d’être envoyés dans un service médico-psychologique régional, ne pouvaient bénéficier de ces services et étaient hospitalisés d’office dans un établissement psychiatrique, au sens de l’article D. 398 du Code de Procédure Pénale108. Il fallait donc faire sortir le détenu du milieu pénitentiaire pour lui imposer une hospitalisation sans consentement, sans qu’il perdre sa qualité détenue placé sous écrou. Ainsi, les Unités Hospitalières Spécialement Aménagées ont vocation à accueillir ces détenus, atteints de lourdes pathologies psychiatriques (schizophrénie ; psychoses), afin qu’ils puissent recevoir des soins en détention, contre leur gré, et éviter le recours à l’article D. 398 du Code de Procédure Pénale. Pour reprendre les mots de Gérard Dubret « voilà des sujets qu’on a jugés suffisamment lucides pour qu’ils assument la responsabilité pénale de leurs comportements délinquants ; mais dont on découvre, une fois qu’ils sont incarcérés, qu’ils ne disposent pas de la lucidité suffisante pour consentir aux soins psychiatriques dont ils ont besoin ; ainsi leur aptitude à repérer la loi n’aurait d’égale que leur inaptitude à repérer leur maladie ». Cette approche est donc critiquée en ce qu’il aurait été plus éthique de créer davantage de place dans les institutions du milieu ouvert, plutôt que créer l’illusion que la prison a vocation à soigner. De fait, par le jeu de l’article 122-1, alinéa 2 du Code Pénale, on risque de voir encore augmenter le nombre de détenus atteints de pathologies psychiatriques assez lourdes. Or, si la prise en charge ponctuelle en UHSA d’un détenu lui est souvent bénéfique, en ce que les soins qui lui y seront dispensés permettront de le soulager, le retour au milieu carcéral ordinaire pose problème. En effet, ces unités, mêmes si elles ne sont pas ambulatoires, n’ont pas fonction à remplacer la détention. Ainsi, le détenu ne peut effectuer toute sa peine au sein de ces unités. Dès lors, la rupture de la continuité des soins donne nécessairement aux UHSA un effet contreproductif.

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Table des matières

PARTIE I : LE SYSTÈME JUDICIAIRE FACE AU DÉFI D’UNE DÉFINITION DE L’IRRESPONSABILITÉ PÉNALE, UN EXAMEN CLINIQUE D’UNE NOTION JURIDIQUE FLOUE
CHAPITRE N°1 : L’APPRECIATION D’UN TROUBLE PSYCHIQUE OU NEUROPHSYCHIQUE LIMITEE PAR L’ABSENCE DE DÉFINITION DES NOTIONS DANS LE CODE PENAL
Section n°1 : à la recherche de précédents médicaux dans la jurisprudence
Section n°2 : le cas particulier des pathologies sexuelles
CHAPITRE N°2 : PENSER L’IRRESPONSABILITE PENALE AU PRISME DE L’EVOLUTION JURIDIQUE EN FRANCE : LA QUESTION DE LA TOXICOMANIE
Section n°1 : de l’affaire Sarah Halimi …
Section n°2 : … à la réforme de l’irresponsabilité pénale
PARTIE II : LE SYSTÈME JUDICIAIRE FACE AU DÉFI DE LA PSYCHIATRIE
CHAPITRE N°1 : L’EXPERT FACE AU JUGE DANS L’IDENTIFICATION DU DISCERNEMENT

Section n°1 : le paradoxe de l’expertise psychiatrique en justice
Section n°2 : justice et médecine : vers une responsabilisation des « fous » ?
CHAPITRE N°2 : SOIGNER ET REHABILITER, LE DEFI DE L’IRRESPONSABILITE PENALE
Section n°1 : les « fous » dans les prisons ou l’itinéraire incertain des politiques pénales
Section n°2 : des mesures de sûreté « sanctionnant » les irresponsables

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