La situation d’emprise, entre violences et manipulations
De nombreux auteurs ont tenté d’expliquer la naissance de ce phénomène d’emprise dans les relations de couple. Ils se sont alors penchés et intéressés aux passés des auteurs et à ceux des victimes afin de comprendre le mécanisme de mise en place de la situation d’emprise (A.). De ce fait, la compréhension du contexte social et familial des protagonistes, nous permet de mieux comprendre les violences employées et les manipulations exercées dans les relations (B.).
Un terrain familial enclin aux violences conjugales ?
Selon certains auteurs, le phénomène d’emprise tenterait à s’expliquer au regard du contexte social et familial de chacun des deux membres du couple. Pour se faire, il faut s’intéresser aux raisons de cette violence exercée (a.) et aux raisons de cette violence subie et acceptée (b.).
Le passé du conjoint violent
La violence n’a pas de sexe. Les femmes aussi savent être violentes et avoir du pouvoir sur leur conjoint. Toutefois, les hommes sont majoritairement plus auteurs que victimes de violences conjugales. On peut alors se demander pourquoi ces comportements de violence sont plus fréquents chez eux que chez les femmes.
Explications biologiques. Les premières recherches sur la violence domestique ont tenté de trouver une réponse à cette violence, en s’interrogeant sur le fait de savoir si la violence pouvait avoir une explication biologique, recherchant une « localisation cérébrale spécifique de la violence » . Nous savons qu’au niveau hormonal, un taux élevé de testostérone peut conduire à la violence et les neuromédiateurs cérébraux, comme la sérotonine, peuvent jouer un rôle. En revanche, aucune étude biologique ne peut expliquer que les hommes sont violents uniquement dans leur couple et jamais à l’extérieur du foyer.
Explications sociologiques. D’autres auteurs se sont intéressés au contexte social dans lequel grandit ces violences conjugales. De nombreuses féministes se sont attachées à analyser le contexte social dans lequel se nourrit cette violence des hommes envers les femmes. Selon elles, la société formate les hommes à occuper une place de dominant s envers les femmes. La violence à leurs égards ne serait alors qu’une stratégie de domination inscrite dans leurs gènes. « Au départ, un petit garçon n’est pas plus agressif qu’une petite fille, mais sa socialisation à l’école, dans les activités sportives, s’accompagne d’une initiation à la violence. Tandis que la violence des garçons est acceptée et même valorisée : « Défends-toi si tu es un homme ! », on apprend aux filles à l’éviter. Quand elles sont bagarreuses, on dit que ce sont des garçons manqués la socialisation fondée sur l’apprentissage des rôles sexués octroie aux hommes une position de pouvoir et d’autorité » . Dès la naissance, il était ainsi plus valorisant d’être un homme car c’est « le sexe dominant ». en revanche, quand ils sortent des jupes de leurs mères, cette idéologie s’échappent et se retrouvent impuissants face au monde extérieur. La société a conduit à censurer chez eux les expressions de faiblesse, comme l’angoisse ou la tristesse. Ainsi, une femme peut pleurer et se permettre de demander de l’aide mais pas l’ homme. Ces stéréotypes d’hommes forts, puissant s, dominants, virils, sont parfois lourds à porter et « certains hommes ne trouvent pas d’autres moyens pour masquer leurs faiblesses que d’écraser plus faible qu ’eux, à savoir leur femme ».
L’expression de la violence par la manipulation
La situation d’emprise peut être perçue comme le miroir et le résultat de la manipulation. Après avoir expliqué ce qu’est la manipulation (a.), nous verrons les différentes techniques pour manipuler et son imbrication avec les violences conjugales (b.).
La notion de « manipulation » dans les violences conjugales
Le Larousse définit la manipulation comme « action d’orienter la conduite de quelqu’un, d’un groupe dans le sens qu’on désire et sans qu’ils s’en rendent compte ». Historiquement, le terme de manipulation n’existait pas avant le XVIIIème siècle. « L’apparition du terme témoigne en effet de l’émergence de nouvelles conceptions relatives aux échanges interpersonnels. Les pratiques anciennes de la Prusse sont réintégrées et amalgamées avec des méthodes inédites pour manœuvrer les hommes et les femmes ».
Autrefois évoquée comme de la ruse ou de la tromperie, elle avait un sens tout autre, plutôt positif. Terme employé autrefois en chimie, par exemple, quand on manipulait des liquides, des objets, on parlait de « manipulation » au sens scientifique du terme. « Dans la correspondance de Voltaire, le mot apparaissait en 1738. C’est vraisemblablement autour de cette date que le sens métaphorique de « manipulateur » s’est fixé pour désigner celui qui manipule » . Il faudra attendre 1760 pour qu’un dictionnaire le définisse ainsi. Le verbe « manipuler » vient du latin « manus » qui signifie la « main », c’est-à-dire conduire avec la main. Sur le plan physique, manipuler est le toucher, médicalement ou scientifique comme nous venons de le dire. « Sur le plan psychologique, la manipulation est mentale, […], il est question d’obtenir quelque chose à l’insu de quelqu’un par le toucher. La manipulation mentale vise à modifier le désir de l’autre, afin d’obtenir quelque chose de lui sans qu’il s’en aperçoive… Il s’agit d’orienter la représentation de l’interlocuteur, en utilisant des techniques cachées […] La manipulation mentale peut conduire jusqu’au contrôle psychique d’une personne, au lavage de cerveau : parfois, l’on a cru être consentant, alors que le consentement avait été fabriqué de toutes pièces… […] La manipulation est dite criminelle lorsqu’il s’agit d’une violence avec intention de violenter, d’une entrée par effraction dans l’esprit de quelqu’un pour y déposer une opinion ou provoquer un comportement sans que ce quelqu’un sache même qu’il y a eu effraction » . De plus, « le manipulateur est celui qui n’a pas le pouvoir et qui est obligé d’influencer les décisions d’autrui pour obtenir ce qu’il désire. Cela implique souvent un défaut d’autonomi e et d’indépendance du manipulateur sur une situation » . Cela nous permet de faire un parallèle avec le passé du conjoint violent, et ainsi mieux comprendre ses différents passage s à l’acte.
Cette première définition nous permet de poser le postulat de base. La manipulation est le fait d’obtenir quelque chose de quelqu’un sans qu’il s’en rende compte, par des manières diverses. Peu importe l’intention qui se cache derrière la manipulation, le manipulat eur commencera toujours par essayer de plaire à l’autre, de le conduire vers soi en lui donnant envie de s’engager. C’est ainsi et pour cela que les manipulateurs exploitent souvent les vulnérabilités de leurs victimes.
La variation de la manipulation. Selon S. Raoult et Duparc L., il faut premièrement concevoir la manipulation comme un spectre, une gradation, un comportement qui peut varier en intensité. Cette gradation se déclinerait en quatre dimensions et la manipulation varie selon les individus. Elle peut varier en fréquence (de très rares à quotidiennes), en intensité (de simples remarques à des violences physiques, sexuelles ou psychologiques), en amplitude (de très restreinte au couple par exemple à très étendue à l’ensemble du sexe opposé de l’autre par exemple), et en degré de conscience du manipulateur (de très inconscientes à très stratégiquement réfléchies) . En effet, sur ce dernier aspect, la manipulation peut être inconsciente dans le sens où n’importe qui peut manipuler l’autre sans mauvaise intention. Nous venons à manipuler une autre personne de manière instinctive ou spontanément pour se sortir de situations inconfortables ou dangereuses par exemple. « Cette conception de la manipulation comme un spectre permet, comme pour la violence, d’éviter de perdre du temps sur la définition d’un « seuil » à partir duquel nous faisons face à de la « véritable » manipulation. Chacun comprendra également que, comme pour la violence, la manipulation n’a pas forcément les mêmes causes ni les mêmes conséquences selon qu’elle est de forte ou de faible intensité ».
L’existence de techniques d’échappatoire à la situation d’emprise
La situation d’emprise est une intention de soumission qui n’est pas perçue de cette manière par la victime, du fait des différentes techniques de manipulation qui la perturbe.
Bien que l’emprise s’exerce dans l’intimité d’une relation et qu’elle s’effectue grâce à un isolement de la personne, il existe des techniques de sortie de celle-ci et notamment, grâce à un tiers, extérieur à la relation qui sera plutôt objectif sur ce qu’il voit (A.). Bien que l’intervention d’un tiers semble nécessaire pour sortir de cette relation, il parait important de voir comment se met en place cet échappatoire (B.).
La nécessité de l’intervention d’un tiers
La situation d’emprise est la conséquence des manipulations ajoutées à l’isolement de la victime. Le tiers a un rôle déterminant dans la processus de sortie parce qu’il est extérieur à la relation. De par son objectivité, il est souvent le séparateur , le sauveur qui brise le lien constituant l’emprise (a.). Il existe à cet égard plusieurs tiers qui peuvent tenir ce rôle de « séparateur » et permettre une prise de conscience de la victime (b.).
Le rôle du tiers dans la sortie de l’emprise, le sauveur
Le triangle dramatique. Dans toute relation d’emprise appelant aux différentes techniques de manipulation, il existe un triangle qui se forme entre la victime, le persécuteur et le sauveur. « Le triangle victime, sauveur, persécuteur est appelé triangle de Karpman, du nom de son auteur Stephen Karpman en 1968. C’est le triangle dramatique, « dramatique » signifiant théâtral, chacun jouant l’un des rôles et pouvant passer d’un rôle à l’autre .
Schématiquement, le rôle de victime attire fatalement un persécuteur et un sauveur. Le sauveur est le « héro » qui vient mettre fin au processus de domination, à la situation d’emprise. Le persécuteur aime se libérer de ses pulsions sur autrui. « Le sauveur n’existe que s’il a une victime à sauver, et un persécuteur à combattre ». Souvent les rôles se confondent, le manipulateur peut se faire passer pour victime et transforme le sauveur en victime également. C’est aussi une technique de manipulation par le fait de profiter du sentiment d’infériorité, évoquée précédemment.
Pour se rendre compte d’un tel scénario et apparaitre en bon sauveur, le tiers doit être vigilant et observer. En effet, comme nous l’avons dit, la relation d’emprise est difficilement perceptible de l’extérieur. L’observation est, de ce fait, une faculté nécessaire pour tenter de déceler ce qui ne va pas. Observation est une chose, mais en parler est une autre. La plupart des victimes, pour celles qui ne sont pas déjà isolées et coupées de tout lien social, peuvent nier la réalité. Il ne faut pas pour autant sous-estimer la situation et « abandonner ». L’écoute, le soutien et le conseil sont tout aussi important que d’observer ou d’en parler une fois.
L’observation. D’un point de vue extérieur, les tiers ne peuvent se douter ce que qu’il se passe dans l’intimité du couple. Les victimes, n’ayant pas conscience de la gravité de leur situation, ne l’évoque pas forcément. Les tiers, l’entourage, peuvent néanmoins remarquer des changements de comportements de la part de la victime. On peut observer que la personne change brusquement d’activités, d’attitudes, de comportement, le plus fréquent étant justement l’isolement de celle-ci et son enfermement dans la relation. On peut également remarquer des effets sur la santé physique, des traces visibles de violences, bien qu’elles soient souvent dissimulées, une extrême fatigue, une perte de poids importante, etc.
Il est important de rappeler une fois encore et de comprendre que l’isolement de la victime est nécessaire au bon fonctionnement de l’emprise, non seulement pour que les techniques de manipulation sont plus efficaces, elles ne sont pas faites devant des témoins, mais aussi pour ne pas que les tiers remarquent ces changements, comme nous l’avons expliqué.
Les tiers peuvent aussi s’interroger sur la relation du couple et observer des choses qui dépassent les conventions sociales, c’est-à-dire ce qui est socialement accepté. Il peut remarquer que la personne a, des comportements sacrificiels extrêmes pour l’autre, va donner énormément de temps ou d’argent à son partenaire, va s’arrêter de travailler pour s »investir dans la carrière de l’autre, va donner une partie de son héritage familial à l’autre, etc., des comportements qui interpellent et qui ne sont visiblement pas la normalité et surtout celle de la victime. On se demandera « pourquoi abandonne-t-elle son travail, elle qui adorait ce qu’elle faisait et qu’elle allait avoir une promotion », « pourquoi donner une partie de son héritage à un homme qu’elle ne connait que depuis quelque mois, ce n’est pas normal », etc.
La victime peut aussi prendre des risques insensés pour elle-même en commettant des délits ou en consommant des substances psychoactives par exemple. Il y a des informations qui ne trompent pas et qui paraissent directement anormales aux yeux de l’entourage de la victime.
La mise en place de l’échappatoire
La mise en place de l’échappatoire, malgré les aides extérieures vient systématiquement d’une prise de conscience solitaire de la victime qui l’amène à mesurer la gravité de la situation et la pousse souvent à réagir (a.). Différents techniques d’échappatoires, en lien avec l’aide des tiers ou non, existent. Chacune à son propre fonctionnement et ses conséquences (b.).
Une prise de conscience solitaire nécessaire
La prise de conscience de la victime lui est propre et doit faire son chemin, murir dans son esprit pour tenter une sortie. La plupart du temps, la prise de conscience se fait par un déclic, la survenue d’un évènement particulier qui lui fait prendre conscience de la gravité de la situation. Toutefois, la prise de conscience, le déclic peuvent paralyser la victime qui aura du mal à sauter le pas, demander de l’aide et déposer plainte contre son tortionnaire.
La survenue du déclic, l’élément déclencheur. Le Larousse définit le déclic comme un mécanisme disposé pour faire cesser, à un moment donné, la solidarité qui existe entre deux pèces d’une même machine ; comme un bruit provoqué par le fonctionnement d’un mécanisme ; et comme ce qui provoque une réaction intellectuelle, psychologique, moment où elle se fait. Ces trois définitions, peu importe leurs sens, nous permettent de comprendre qu’il s’agit d’un moment de séparation, d’une fracture, d’une rupture ici psychologique, où la victime « ouvre les yeux ». « Une évidence apparait, celle de la nécessité à mettre un terme à la relation conjugale, quelles qu’en soient la pénibilité et la dureté. Trop de risques, trop de douleurs, de désavantages créent une forme d’évidence et autorisent une énergie, une puissance de mobilisation »
Chaque histoire conjugale est différente mais nous pouvons recenser plusieurs similitudes. En théorie, cela pourrait arriver n’importe quand, et de nombreuses manières différentes. La victime peut se rendre compte que la relation est trop couteuse, trop sacrificielle, trop dangereuses, par exemple. Toutefois, la plupart du temps, les personnes se rendent compte qu’il sont dans une relation d’emprise du fait de l’intervention d’un tiers, comme développé précédemment. Cette intervention peut être directe ou indirecte. Le proche peut intervenir et devra attendre que la victime ouvre les yeux et comprenne qu’il est là pour l’aider et non la juger, soit un proche peut devenir involontairement une vic time du partenaire, c’est notamment le cas des enfants, soit une nouvelle relation d’attachement (relation amoureuse, relation de travail, relation d’amitié, etc.) peut lui permettre de se rendre compte de tout ce qui se passe mal dans sa première relation, comprendre qu’elle peut être traitée autrement, etc.
Bien que la transformation des sentiments de la victime s’effectue bien avant le déclic, c’est seulement autour de cet évènement que se dégage souvent les trois dimensions fondamentales aux yeux de la victime, à savoir la protection des enfants, la crainte de mort et l’affirmation de soi.
Les enfants. La protection des enfants est primordiale. Lorsque les enfants sont en danger, la victime prend conscience de la dangerosité de la situation et la préservation de l’équilibre familial passe au second plan. Jusqu’alors elle considérait la situation comme normale et certaines disent même qu’elles pensaient le mériter. En revanche, quand la violence se tourne vers les enfants, des tiers involontaires, la victime comprend que ce n’est pas elle le problème, que ce n’est pas elle qui méritait d’être battue, mais que c’est l’agresseur qui n’a pas suffisamment de barrières morales. Une femme témoigne : « J’ai vu un des petits, j’ai vu la peur dans ses yeux. Là, non stop, faut que ça s’arrête, la peur, la peur… Moi, je n’avais pas peur. Pour moi, c’est comme si je méritais ce qui m’arrivait, mais pas les enfants, ils n’avaient rien fait eux ! Ils sont innocents… Alors je ne pouvais plus rester comme ça, c’était invivable et je ne l’aimais plus… Je suis allée rencontrer un avocat pour aborder la question du divorce. […] Au début, il s’est contrôlé mais après, il a commencé à m’humilier, à m’insulter… […] Il se montrait violent et un des bébés, il ne réagissait même pas comme si c’était normal. L’assistante sociale a décidé alors de faire un signalement pour enfance en danger parce qu’ils vivaient dans un climat de violence. […] J’ai commencé à me détacher de lui, je me disais qu’il était dérangé, appeler comme ça ! Avant je le croyais, mais là non, je savais que je n’étais pas folle quand même… […] Quand je criais, il disait tu vois t’es timbrée et moi je répondais, « si je crie c’est que je suis encore vivante », alors, là, il ne savait plus quoi dire ».
L’échec des techniques de sortie de l’emprise et le passage à l’acte
Comme nous l’avons vu, il existe de nombreuses techniques et mécanismes d’éloignements, de sortie de la relation violente, de la relation d’emprise. Cependant, l’échec de ces techniques est fréquente et nous verrons comment et pourquoi (I.). Dans la mesure où la relatio n d’emprise s’intensifie et qu’aucun échappatoire n’est envisagé ou envisageable, un passage à l’acte violent peut être observé respectivement chez l’auteur et chez la victime comme élément final à la relation d’emprise (II.).
L’échec des techniques de sortie
La plus part du temps, les techniques de sortie échoue. Cela peut être du fait de l’absence de tiers ou de leur non prise en compte volontaire ou involontaire de la situation d’emprise (A.). De plus, il est important de voir la place qu’occupe les dispositifs d’aides, malgré leurs présences, dans l’échec de cet échappatoire. Bien que nombreux, ils sont souvent inefficients et inefficaces (B.).
L’absence de tiers et la non prise en compte de la situation
Le tiers est souvent le personnage principal, le sauveur de la relation d’emprise. Ainsi, son absence est d’autant plus regrettable. Il existe des tiers absents de manière volontaire, qui ne souhaitent pas volontairement s’immiscer dans les relations de couple, parce que cela ne les regarde pas. Il s’agit de ce que l’on nomme l’effet spectateur (a.). Toutefois, nous avons aussi des tiers qui, non pas indifférent s à ce genre de situation, ne sont pas en mesure d’observer, ni de déceler quoi que ce soit. Il s’agit de l’isolement de la victime, induite des mécanismes de manipulation de l’auteur, pour exercer sa domination en excluant tous les perturbateurs à son projet (b.).
Le mécanisme de l’effet spectateur
La théorie. L’ « effet spectateur »,, « apathie de spectateur » ou encore « effet du témoin » (« the bystander effect ») est un phénomène social particulièrement étudié dans le domaine de la sociologie, qui a vu le jour à la suite d’un fait -divers tragique en 1964 aux Etats-Unis, l’affaire Kitty Genovese. Le 13 mars 1964, Catherine « Kitty » Genoseve est assassinée devant son appartement à New York, alors qu’elle rentrait de son travail de nuit de barmaid. Au cours de l’agression d’une violence interminable, Kitty a été poignardé près de quatorze fois, pendant plus de trente minutes. Malgré ses appels à l’aide répétés et ses cris de détresse, pas une seule des trente-huit personnes présentes dans l’appartement donnant sur la scène n’a réagi et n’est venu à son secours. L’affaire, et notamment le comportements de ces spectateurs, a suscité de nombreuses polémiques et a attiré l’attention de chercheurs en psychologie qui ont essayé pour comprendre comment tout le monde a pu rester si impassible devant cette situation d’extrême urgence.
L’effet spectateur ou ainsi dénommé « syndrome Genoseve » se définit alors comme « un effet conduisant un individu à apporter moins favorablement son aide à autrui en raison de la simple présence d’un tiers » . En effet, les individus seraient moins susceptible d’offrir leur aide à quelqu’un, lorsque d’autres personnes sont présentes. C’est notamment l’idée qui a été retenue pour expliquer l’affaire Genoseve.
En 1968, les chercheurs John Darley et Bibb Latané ont démontré pour la première fois l’effet du spectateur, en laboratoire, réalisant plusieurs études. L’effet spectateur a été mis en évidence dans des recherches où l’on demandait à des compères de ne pas réagir à des situations d’urgence d’aide à autrui (par exemple quelqu’un faussement tombé par terre dans une pièce adjacente à celle où se trouvent les compères et qui réclame de l’aide) afin de voir comment se comporte un individu naïf. On observera, dans ce cas, que le niveau d’aide apportée par cet individu diminue lorsqu’il est en présence d’autres personnes qui ne réagissent pas. L’effet spectateur produirait une dilution de responsabilité » . La dilution de responsabilité est un processus d’influence de groupe qui conduit un individu à se déresponsabiliser en raison de la présence d’autrui. Par exemple, lorsqu’un accident survient sous les yeux de passants, il est possible d’observer que personne n’aura le réflexe d’appeler la police ou les pompiers parce que chacun sera persuadé que quelqu’un d’a utre là déjà fait ou va le faire. A l’inverse, la probabilité d’intervention quand une personne est en danger serait plus élevée si l’intervenant se trouve seul. De nombreux facteurs et de nombreuses variantes impactent cet effet du témoin comme le fait que de considérer que cela ne nous regarde pas, ne pas comprendre la gravité de la situation ou encore considérer que quelqu’un d’autre est responsable, que la situation est déjà sous contrôle, comme nous venons de le dire.
Le passage à l’acte violent des partenaires
Lorsque les techniques d’échappatoire des relations violentes ou d’emprise échouent ou sont mal exercées, le passage à l’acte violent des partenaires est fréquent. Nous pouvons ainsi imaginer le suicide de la victime, comme technique de sortie finale de la violence (A.), ainsi que les meurtres respectifs de l’auteur et de la victime (B.).
Le suicide de la victime
Le suicide de la victime apparait souvent comme un exutoire privilégié quand la détresse de la victime est trop importante et qu’aucune autre solution ne lui semble possible ou envisageable (a.). Le Grenelle de 2019 a notamment permis de revenir sur cette technique qui n’est pas à envisager car irréversible, pour améliorer la prise en charge des victimes et pour envisager juridiquement l’hypothèse du « suicide forcé » (b.).
Le suicide comme exutoire aux violences
Histoire. Le suicide vient du latin « suicidium », mélange entre le préfixe « sui » (soi) et le verbe « caedere » (tuer). Le Larousse définit le suicide comme l’acte de se donner volontairement la mort. Longtemps réprimé par le droit français, il n’est aujourd’hui plus une infraction pénale en tant que tel. Historiquement, le suicide était relativement bien toléré dans la Rome antique mais va cependant faire l’objet d’une condamnation de la part de l’Eglise. « En effet, le suicide demeure un acte traditionnellement condamné par les grandes religions monothéistes. Si le fait de se suicider reste d’abord un acte contre sa propre personne, le fait de s’ôter la vie crée une rupture entre la relation privilégie que l’Homme a avec Dieu, en décidant de mettre fin à ses jours, la personne va à l’encontre de la souveraineté divine. Au Moyen-Age, le corps d’une personne qui s’était suicidée pouvait même faire l’objet d’un procès et celui qui se suicidait était privé de sépulture ecclésiastique ».
La Révolution française apparait comme un tournant majeur concernant la pénalisation du suicide. La DDHC de 1789, dans son article 4, dispose que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui […] ». Prenant connaissance de cet article, le droit français dépénalise le suicide puisque dès cette promulgation, l’interdiction de suicider n’apparait pas dans le Code pénal de 1791, ni le Code des délits et des peines du 3 brumaire an IV, ni dans les suivants à savoir le Code pénal de 1810, ni celui actuel. « Le suicide, sans être un droit, ne constitue donc plus un acte contraire à l’ordre public et n’est plus pénalement répréhensible.
Les chiffres. Certaines études ont permis de constater que le mode de suicide diffère selon le sexe ou encore l’âge. En effet, les hommes utiliseraient des méthodes plus agressives avec des moyens léthaux, comme le suicide par armes à feu ou pendaison, alors que les femmes auraient une tendance à opter pour des méthodes plus douces, comme la prise de médicaments. « Le mode de suicide le plus fréquent est la pendaison (46%), suivi de la prise de médicaments (16%) et les armes à feu (15%). Pour le hommes les suicides par armes à feu arrivent en deuxième position, tandis que pour les femmes, la prise de médicaments est le premier mode de suicide suivi par la pendaison. Chez les moins de 25ans, le saut d’un lieu élevé arrive en première position, tout comme chez les plus de 85ans » .
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Table des matières
PARTIE 1 : Les mécanismes de l’emprise sous -jacente aux violences conjugales
CHAPITRE 1 : Le concept de l’emprise
I. La situation d’emprise, encore violences et manipulations
II. L’existence de techniques d’échappatoire à la situation d’emprise
CHAPITRE 2 : L’échec des techniques de sortie de l’emprise et le passage à l’acte
I. L’échec des techniques de sortie
II. Le passage à l’acte violent des partenaires
PARTIE 2 : L’irresponsabilité pénale comme réponse souhaitée face au meurtre du manipulateur
CHAPITRE 1 : Les causes d’irresponsabilité pénale en droit français
I. Le concept des causes irresponsabilité pénale françaises
II. La recherche des causes d’irresponsabilité pénale justifiant le meurtre du manipulateur
CHAPITRE 2 : Les volontés françaises et étrangères d’ad aptations législatives aux situations d’emprise
I. Le refus français de reconnaitre les situations d’emprise dans les prononcés pénaux
II. L’emprise en droit comparé : l’exemple du Canada et de la Russie
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