Dès la première semaine de mon stage filé, j’ai pu faire l’expérience d’une séquence d’Education Physique et Sportive (EPS) en proposant à une classe de CM1 un sport collectif. Il s’agissait d’une séance d’ultimate. En tant que débutant, j’ai construit cette séquence avec de nombreuses erreurs. La situation de départ, les règles, mes consignes, l’échauffement… rien n’était clair pour des élèves qui se sont rapidement dispersés. Finalement, la séquence n’a pas pu être menée à son terme car aucun des objectifs que j’avais alors fixés n’a été atteint, aucun match n’a pu être véritablement réalisé. En interrogeant les élèves plus tard, je me suis rendu compte que rares étaient ceux qui se souvenaient des règles de ce sport.
En analysant ce qui s’était joué lors de cette séquence, j’ai identifié deux sources principales qui ont mené à l’échec de cette séquence : il s’agissait de moi-même mais également de ce que les élèves ont perçu. En tant que professeur débutant je n’avais peut-être pas les connaissances nécessaires pour diriger une telle séquence. Certains professeurs de l’INSPÉ ont d’ailleurs souligné plus tard dans ma formation que les sports collectifs étaient un champ d’apprentissage particulièrement difficile à mettre en place pour un débutant .
Ensuite, ma préparation ne correspondait pas aux objectifs que je m’étais fixés. Trop d’imprécisions et de flottements venaient faire obstacle à la fluidité de la séquence et ce dès la première séance. En discutant de cet échec avec mes professeurs et mes collègues, j’ai pu recevoir des conseils précieux pour mener une séance plus efficacement.
Mais ces difficultés apparues lors de cette séquence d’ultimate en début d’année n’étaient pas les seuls obstacles en réalité. Je me suis remis en question évidemment, mais je me suis également demandé ce qui pouvait entraver la compréhension des élèves concernant les sports collectifs. En effet, les élèves qui avaient expérimenté l’ultimate avec moi éprouvaient les mêmes difficultés lorsqu’ils étaient avec un autre professeur qui avait pourtant bien plus de maitrise dans la conduite d’une séquence de sport collectif. Les élèves avaient réalisé avec ce professeur une séquence de touch-rugby. Bien sûr, les difficultés des élèves étaient moins nombreuses, mais elles demeuraient tout de même. Le constat était le suivant: peu d’élèves parvenaient à occuper l’espace du terrain, à changer de rôle entre l’attaque et la défense, et très rares étaient ceux qui analysaient la situation avant de réaliser une passe ou d’effectuer une action faisant appel à une stratégie anticipée.
Il est parfois difficile de se situer dans les différents courants pédagogiques tant ils sont nombreux. La discipline n’a cessé d’évoluer et les sciences de l’éducation se sont sans cesse étoffées. Le cheminement de pensée qui a conduit à la mise en place du projet par les élèves n’a pas été de trouver dans un premier temps un cadre théorique. Au contraire, je suis partie d’une idée première et encore floue au départ, c’est-à-dire : comment créer un jeu collectif pour des élèves ? C’est ensuite que j’ai souhaité chercher en quoi cette idée pouvait se rapprocher de théories existantes. Cela devait permettre non seulement de préciser le projet mais aussi de le conduire au mieux.
L’idée première est donc née d’un constat : les élèves éprouvaient des difficultés à assimiler les règles d’un sport collectif et ses subtilités. Puis est venue une interrogation : les élèves maitriseraient-ils mieux les règles d’un jeu collectif et son intérêt s’ils en créaient eux-mêmes cette règle ?
Une fois cette interrogation posée, il fallait encore trouver quelles notions se mettraient en jeu lors d’un tel projet. De nombreuses recherches et théories pouvaient m’aider à consolider ce projet : la pédagogie de projet, les pédagogies actives… plus généralement les pédagogies issues du mouvement de l’éducation nouvelle. Mais cela semblait difficile ; Etiennette Vellas consent dans un article de L’Educateur en 2007 que « comparer les pédagogies [est] un casse-tête et un défi. » Je me suis donc restreint au courant constructiviste, lequel correspond tout à fait à l’inspiration du projet de création de jeu par les élèves et parce qu’il est à l’origine de nombreux concepts qui seront mis en jeu lors de l’expérimentation.
Les origines de la conception constructiviste, qui est prônée par beaucoup de didacticiens aujourd’hui, sont nombreuses et variées. On peut en trouver les ébauches dans le courant de l’éducation dite « nouvelle » qui émerge au XIXème siècle. Cette éducation nouvelle considère que l’action et la manipulation sont des vecteurs de l’apprentissage. C’est une conception qui se veut radicalement différente de ce qui était pratiqué jusque-là. On aperçoit souvent dans les ouvrages qui traitent de l’évolution de l’enseignement une image : celle d’une conception ancienne de l’enseignement et unilatérale, dans laquelle un professeur donne le savoir à un apprenant. C’est alors la métaphore d’un vase vide que l’on remplit qui est souvent utilisée pour définir cette éducation d’antan. En réalité, cette conception est à nuancer. Au Ier siècle déjà, Plutarque écrit dans Comment écouter : « l’esprit n’est pas comme un vase qu’il ne faille que remplir. À la façon du bois, il a plutôt besoin d’un aliment qui l’échauffe, qui fait naître en lui une impulsion inventive et l’entraîne avidement en direction de la vérité. » (Citation reprise de nombreuses fois et par de nombreux auteurs mais qui semble avoir comme origine écrite Plutarque). Toujours est-il que la théorisation d’une nouvelle approche de l’apprentissage prend son essor au XIXème et au début du XXème siècle par de nombreux pédagogues tels que Dewey, Montessori, Delcory, Ferrière… Si avant la théorie constructiviste, l’apprenant avait déjà une place qui lui était propre, c’est véritablement à partir de l’émergence de celle-ci que l’apprenant devient au cœur de son apprentissage dans les recherches menées.
Vincent Carette et Bernard Rey dans Savoir enseigner dans le secondaire – Didactique générale s’intéressent à la conception constructiviste et insistent sur deux figures majeures qui l’ont initiée : Gaston Bachelard et Jean Piaget.
Bachelard ne considère pas la complexité d’une notion scientifique comme un frein à l’apprentissage. Dans La formation de l’esprit scientifique il écrit : « c’est en termes d’obstacles qu’il faut poser le problème de la connaissance scientifique ». Ces obstacles, qu’il nomme « obstacles épistémologiques », viennent d’idées préconçues et de préjugés qui sont un frein à la connaissance. Ces obstacles peuvent être issus de l’imaginaire d’un élève, de son milieu social, de ses croyances. C’est-à-dire d’origines multiples et qui sont propres à chacun.
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Table des matières
Introduction
I. Cadre théorique
I.1. Problématisation
I.2. Le constructivisme et ses théories
I.2.1. Le socioconstructivisme
I.2.2. Aux sources de la conception constructivisme
I.2.3. Bachelard et la notion de rupture épistémologique
I.2.4. Le statut de l’erreur dans la théorie constructiviste
I.3. Le conflit cognitif et le conflit sociocognitif
I.3.1. Le conflit sociocognitif
I.3.2. Le conflit cognitif
I.4. Apport de pédagogues et de théoriciens sur le dépassement d’un obstacle par les apprenants
I.4.1. La zone proximale de développement
I.4.2. La taxonomie de Bloom
I.5. L’utilisation du levier des conflits cognitifs peut-elle réussir à résoudre les difficultés des élèves en sports collectifs ?
I.5.1. Les programmes favorisent une entrée dans les sports collectifs par le biais de la réflexion
I.5.2. Le conflit cognitif, un levier pour répondre aux difficultés des élèves en sport collectif
II. Etude menée sur le terrain
II.1. Présentation de la séquence
II.1.1. L’objectif de la séquence
II.1.2. Questionnements sur ma posture
II.1.3. L’objectif du projet pour les élèves, une source de motivation ?
II.1.4. L’importance des temps d’analyse en classe
II.2. Contexte de la classe
II.3. Quels résultats attendus ? Hypothèses et critères d’observation
II.3.1. Critères d’observation
II.3.2. Hypothèses
II.4. Règles du jeu mises en place par les élèves durant cette séquence
II.4.1. Première séance
II.4.2. Deuxième séance
II.4.3. Troisième séance
II.5. Ce que devaient apporter les séances suivantes
II.6. Observations et résultats
Conclusion
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