L’invention du témoignage humanitaire : un enjeu de communication pour les ONG

Les photos des centaines de personnes allongées les unes à côté des autres attendant d’être pris en charge durant l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest ; le témoignage de ces réfugiés syriens au Liban affrontant le froid de l’hiver sans abri, ni nourriture ; les campagnes de l’ONG Solidarités International dénonçant les dures conditions d’accès à l’eau potable dans plusieurs pays… Toutes ces communications ont deux point communs : leur fonction de témoignage et leur émetteur. En effet, de plus en plus utilisé par les Organisations non gouvernementales, le témoignage humanitaire prend aujourd’hui de nombreuses formes et redéfinit les enjeux de communication de ces organisations.

Innovation du XXe siècle selon Philippe Ryfman, les « Organisations nongouvernementales » (ONG), vocable aussi complexe qu’emblématique, font aujourd’hui l’objet d’un grand nombre de recherches scientifiques. La diversité du milieu rend très difficile une définition stricte du terme « ONG ». Un grand nombre de chercheurs se sont néanmoins essayé à définir ce concept. Philippe Ryfman, dans son ouvrage sur les ONG, propose les définitions de différents chercheurs. Vu comme une « commodité de langage » pour certains (Bouchet-Saulnier), ou encore comme des « organisations composées d’individus qui se regroupent volontairement en associations pour poursuivre des objectifs communs » pour d’autres (Battistella, Smouts et Vennesson), plus d’une centaine de définitions est aujourd’hui consultable. Même si beaucoup de chercheurs et auteurs préfèrent utiliser d’autres termes que celui d’ « ONG » pour définir ce que le grand public voit aujourd’hui comme tel, le terme serait en revanche, conservé pour les organisations œuvrant dans les principaux domaines suivants : aide au développement et humanitaire, environnement et droits humains.

Milieu hétérogène et notion polysémique, les ONG sont pourtant en pleine expansion planétaire et développent un activisme en forte croissance. Avec l’arrivée dès les années 1970 du « sans-frontiérisme » (forgé à partir du sigle de « Médecins Sans Frontières »), nous nous retrouvons face à des ONG agissant au Sud sur un terrain autoqualifié d’ « humanitaire ». S’en suit ainsi une professionnalisation du secteur, mais aussi une professionnalisation de la communication humanitaire, une capacité étonnante à lever des fonds, ou encore à communiquer avec les médias. Va de pair avec ces derniers aspects évoqués, un élargissement et développement des services de communication de ces dites « ONG », ainsi que la définition d’un grand nombre de nouveaux objectifs concernant les besoins en communication de ces organisations. Parmi ces besoins, celui du « témoignage » commence de plus en plus à apparaître dans les organisations humanitaires, notamment celles issues du « sans-frontiérisme ». Avec la création de cette nouvelle famille d’ONG, initiée par l’arrivée des « French doctors » dans le monde humanitaire, beaucoup se caractérisent aujourd’hui par la mise en place du « témoignage » au sein de leurs actions. Et ce, au même titre que leurs actions purement opérationnelles sur le dit « terrain », comme Médecins du Monde ou Médecins Sans Frontières par exemple.

Cette activité de témoignage existant depuis leur fondation pour certaines ONG, elle se caractérise généralement par les prises de paroles des ONG, que ce soit sur la scène médiatique ou à travers d’autres moyens de communication. Ces prises de parole concernent ce que les acteurs de ces organisations humanitaires « voient » et « vivent » sur les terrains dans lesquels ils agissent. Ainsi, les acteurs, mais aussi les bénéficiaires de ces interventions, rapportent souvent des témoignages sur les conditions de vie de réfugiés par exemple, ou encore des conditions d’accès à l’eau potable dans certains pays, les conditions d’accès à la nourriture, aux soins de santé, la situation de populations en danger, les conditions de vie de sinistrés de catastrophes naturelles, l’action accomplie par telle ou telle ONG sur le terrain, les conditions de travail des acteurs de l’humanitaire, mais aussi les difficultés rencontrées sur le terrain pour accéder aux populations dans le besoin, les questions de sécurité dans des pays où l’intervention humanitaire peut être compliquée, comme l’Afghanistan, la Palestine ou encore la Syrie par exemple… Autant de témoignages qui, depuis la création de ces ONG (il y a maintenant plus de trente ans pour la plupart), sont utilisés sous d’autres noms que celui de « témoignage ». Cela peut être à travers la publication d’une photo, d’une vidéo, ou encore la diffusion d’une interview, ou d’une citation par exemple. Cependant, nous nous retrouvons aujourd’hui face à des organisations humanitaires mettant un véritable nom à cette activité de « témoignage », chose qu’elles ne faisaient pas systématiquement auparavant.

La concurrence entre les ONG, loin d’être un mythe, est aujourd’hui renforcée avec la multiplication des organisations humanitaires à travers le monde, la croissance réelle des canaux de communication et les techniques de plus en plus innovante de levées de fonds. Toujours selon Ryfman, « la nécessité pour nombre d’ONG de préserver leur accès aux sources de financement, privées ou publiques, exacerbe toutefois la concurrence. La naissance permanente de nouvelles organisations fait qu’aucune stabilité n’est jamais acquise… ». Ainsi, derrière ce désir de préserver un certain « monopole » sur le secteur, les plus grosses ONG parviennent à influencer les autres, et ce, même dans leurs stratégies de communication. Chaque ONG, ayant pourtant chacun un mandat propre à son institution, peut (et doit parfois) s’adapter à la concurrence. C’est ainsi que nous pouvons observer des ONG tels que Médecins du Monde, ayant pour mandat et comme signature de « soigner et témoigner », influencer éventuellement un nombre d’ONG à redéfinir leurs stratégies de communication, et se poser la question du témoignage. Des ONG comme Solidarités International, où j’ai pu effectué un stage de six mois dans le département de communication et développement, arrivent aujourd’hui à un stade où les directions officialisent d’une certaine manière cette activité de témoignage qu’ils pratiquaient déjà depuis de très nombreuses années. Utile est tout de même de préciser la différence que nous faisons ici avec le « plaidoyer » des ONG humanitaires. Le plaidoyer, qui est en effet un ensemble d’actions ciblant des décideurs en vue d’appuyer un thème particulier au niveau des stratégies politiques, émet un discours argumentatif pour la défense d’une cause. Ce ne sont donc pas les mêmes conditions d’énonciation que pour le témoignage. Ce dernier, émet un discours narratif, et a une véritable fonction d’attestation où l’émetteur « était là » et « a vu » ce qu’il énonce. Chose qui n’est pas le cas pour le plaidoyer, expertise en lui même, où nous pouvons ne pas avoir été sur le terrain en question mais nous pouvons tout de même défendre cette cause. Ce sont donc là deux genres particuliers avec des publics et des destinataires différents, mais aussi des finalités différentes. Nous allons nous y intéresser plus en détails au cours de ce travail de recherche.

Il semble donc pertinent d’étudier dans le cadre de ce mémoire, l’émergence, ou plutôt l’officialisation suivie du développement de cette « nouvelle » activité de témoignage dans les services de communication des ONG, depuis leur création. L’envie de s’intéresser à cette activité vient des observations réalisées durant un stage pratique au sein de l’ONG Solidarités International. En décembre 2013, le Conseil d’Administration de Solidarités International a marqué sa volonté de doter la structure d’une vision à long terme. Le Conseil d’Administration a ainsi noté l’importance de rester stratégique, sachant que les initiatives tactiques devaient être prises par l’exécutif, via un plan opérationnel à cinq ans 2015-2020. C’est donc dans cet exercice stratégique 2015-2020 que le volet « témoignage » a retenu toute mon attention. Ce volet, inscrit dans l’un des cinq principaux enjeux stratégiques de l’organisation qui est celui du « développement de l’audience », place le service de communication et développement de l’ONG comme le garant de sa mise en place. Nouveau pour le service, cette activité de témoignage est bien sûr accompagnée de nombreux plans et changements aussi bien professionnels, sociaux et techniques, qu’il semble intéressant d’étudier. Parmi ces changements, la création d’un nouveau métier de la communication pour renforcer cette activité de témoignage, qui est celui du « chargé de communication terrain ». En effet, outre les nombreux aspects que comprend ce volet « témoignage » de l’exercice stratégique de l’ONG et que nous développerons tout au long de ce mémoire, celui sur l’invention d’un nouveau métier paraît particulièrement intéressant à analyser. S’agit-il pour Solidarités International de combler un besoin ? Le ou les chargés de communication au siège ne suffisent-il plus à répondre aux attentes du service, et au sens plus large, de l’organisation ? Comment légitimer la création d’un nouveau métier de la communication tout en gardant en mémoire les difficultés qu’ont rencontré les historiques communicants humanitaires ?

L’élargissement des compétences des services de communication des ONG, avec l’arrivée par exemple du témoignage dans leurs activités, est-elle un facteur ou un produit de développement de ces organisations ? Voici le genre de questions auxquelles prétend répondre ce mémoire de recherche. C’est donc à travers les observations et discussions réalisées lors d’un stage à Solidarités International, ainsi qu’avec l’aide de différents travaux théoriques couplés à des entretiens semi-directifs avec les services de communication d’ONG, que nous tenterons de faire apparaître l’arrivée du « témoignage » dans les services de communication. Nous proposerons également une compréhension des raisons qui ont poussés certaines ONG à créer un nouveau métier de la communication. Le cas de Solidarités International sera détaillé et pris comme exemple pour permettre une illustration concrète de nos propos. D’autant plus que l’ONG est actuellement en plein processus de mise en place du témoignage au sein de sa stratégie. Il s’avère donc intéressant d’étudier et d’analyser les différents moyens mis en œuvre par Solidarités International pour développer son activité de témoignage, et atteindre ses objectifs.

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Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE I – L’OPERATIONNALISATION D’UNE ACTIVITE DE TEMOIGNAGE DANS LES ONG HUMANITAIRES
1. LA COMMUNICATION HUMANITAIRE, FREIN ET MOTEUR DU DEVELOPPEMENT DES ONG
A. INFORMER, SENSIBILISER, MOBILISER, PROMOUVOIR : LES OBJECTIFS DE LA COMMUNICATION DES ONG
B. L’ESSOR DE LA COMMUNICATION HUMANITAIRE : UNE EVOLUTION HISTORIQUE
C. L’ARRIVEE DES « FRENCH DOCTORS » : LE TEMOIGNAGE S’INSCRIT DANS LE MANDAT
2. FAIRE ENTENDRE LES VOIX DU TERRAIN : VERS UNE DEFINITION DU TEMOIGNAGE
A. LUTTE DE DEFINITIONS AUTOUR DU CONCEPT
B. DONNER A VOIR UNE REALITE : LA NOTION VUE PAR LES ONG
C. PLAIDOYER / TEMOIGNAGE, QUELLES DIFFERENCES ?
3. INTEGRER LE TEMOIGNAGE A SA STRATEGIE DE COMMUNICATION
A. REEL BESOIN OU REPONSE A LA CONCURRENCE DU SECTEUR ?
B. LE SERVICE DE COMMUNICATION COMME GARANT DE CETTE ACTIVITE
C. QUELLES CONDITIONS POUR PARLER DE « TEMOIGNAGE » ?
PARTIE II – L’INVENTION D’UN NOUVEAU METIER DE LA COMMUNICATION DANS LES ONG : LE CHARGE DE COMMUNICATION TERRAIN
1. CONSEQUENCE DIRECTE DU BESOIN DE TEMOIGNAGE ?
A. UN CHARGE DE COMMUNICATION TERRAIN, POUR QUI ET POUR QUOI ?
B. REORGANISATION DES FONCTIONS AU SEIN DU SERVICE DE COMMUNICATION
C. FORMATEUR ET COORDINATEUR : PLACE ET ROLE DU CHARGE DE COMMUNICATION « SIEGE »
2. NOUVEAUX PROFESSIONNELS DE LA COMMUNICATION : LEGITIMITE PARTAGEE ?
A. LES DIFFICULTES DE LEGITIMATION DES METIERS DE LA COMMUNICATION
B. UN AVANTAGE COMPARATIF FACE AUX AUTRES ONG
C. NOUVELLES OPPORTUNITES DE CARRIERE DANS L’HUMANITAIRE
3. LA COMMUNICATION TERRAIN : ETRE AU PLUS PRES DE L’ACTION
A. PROFIL RECHERCHE POUR CES NOUVEAUX COMMUNICANTS
B. VERS UN DEVELOPPEMENT DE LA COMMUNICATION SPECIFIQUE AU PAYS: DESCRIPTION DETAILLEE DES ACTIVITES DES COMMUNICANTS TERRAIN
C. RESULTATS ACQUIS DE CETTE COMMUNICATION TERRAIN
CONCLUSION

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