Al-Ghazali et le kalam sunnite
La recherche de la vérité chez Ghazali passe par une question qui a beaucoup marqué l’histoire de la philosophie islamique. Il s’agit de la problématique du kalam. Plusieurs appellations lui avaient été attribuées : Théologie dogmatique, Théologie rationnelle, ou Théologie apologétique. Justement, cette derrière appellation semble plus proche de son sens. Considéré comme un discours sur les dogmes de l’islam, le kalam était une science dialectique, consistant à éclairer la foi par un raisonnement rationnelle en vue, d’abord, d’aider les faibles d’esprit à mieux comprendre leur religion ; mais ensuite, de défendre la religion musulmane contre ses adversaires. En effet, il faut préciser que les gens du kalam, plus précisément les mutakallamûn ne s’appuyaient pas sur la raison pour fonder la véracité de la foi, mais seulement pour confirmer leur croyance. Et ce rôle est surtout dévolu à ceux d’entre eux qui sont en même temps philosophes. Le mutakallim pose comme principe que sa foi est vraie, d’abord, parce qu’elle est une conviction personnelle, avant de mettre en place des arguments rationnels pour la soutenir auprès des innovateurs. Ces derniers croient accéder aux vérités de la foi par la seule démonstration rationnelle. Le kalam doit donc avoir comme ressources premières la loi religieuse et la tradition du Prophète. La prérogative du kalam ce n’est pas de mettre en place une philosophie conceptuelle, mais, comme le souligne Henry Corbin une« philosophie prophétique » L’homme du kalam doit avoir comme rôle d’éclairer sa foi en faisant usage de la raison ; sans pour autant sortir du cadre de l’orthodoxie traditionnelle. Toute forme d’innovation est strictement rejetée. Ainsi, Choukrallah voulant montrer que tout contenu du Kalam doit être inclus dans le contenu du Coran et de la sunna du Prophète, cite Ghazali en ces termes : « l’essentiel des arguments qui se trouvent dans le Kalam et qui sont utiles, est contenu dans le Coran et les informations traditionnelles. Tout ce qui s’écarte de cela est une dialectique blâmable ». Donc le kalam vise un double objectif au moyen desquels deux problèmes sont en même temps réglés : d’abord, montrer par un raisonnement rationnel la validité de certains postulats tant professés par certains philosophes ; d’apporter des preuves dans le Coran ; ensuite d’aider celui qui est déjà croyant, mais dont la foi n’est pas encore solide à mieux comprendre sa religion. Ibn khaldûn donne une définition assez exhaustive au Kalam, incluant en même temps son objectif. Pour lui « la science du kalam est une science qui fournit les moyens de prouver les dogmes de la foi par des arguments rationnels et réfute les innovateurs qui, en ce qui concerne les dogmes, s’écartent de la doctrine suivie par les anciens et les gens de la tradition » Le kalam se présente donc, comme une réflexion sur le coran et la sunna ; il est en même temps un outil pour comprendre sa foi mais aussi pour se défendre contre l’ennemi par le débat et la discussion rationnelle. C’est la raison pour laquelle il est considéré comme un discours par questions réponses qui au finish place l’adversaire dans une impasse, qui l’oblige à abandonner sa thèse de départ. Mais tout cela dans le souci de confirmer la certitude des vérités révélées. C’est pourquoi Ghazali voit la nécessité de cette science. Elle est utile pour toute la communauté, car luttant contre les inventions dans la religion. Cependant, le kalam a changé d’objectif. Il est entré par la suite dans des sophismes, grâce à des mutakallamûn qui surgissent et déplacent son rôle de gardien et de veilleur. Ils en font une idéologie en confondant son objet véritable. En fait, ils pensent que leur savoir, s’appuyant uniquement sur la raison, peut pénétrer la vérité absolue des choses. En tant donné que, les armes qu’ils utilisent sont celles de leurs adversaires, en l’occurrence les philosophes. Pour Ghazali, la grande erreur des partisans du kalam est de prendre leurs postulats comme vérités absolues et seuls nécessaires pour accéder au salut. Or, il y’a un fossé énorme entre la place qu’occupent les vérités révélées et celle que doit prendre les vérités humaines. Et cellelà est très difficile à combler. Le rôle du kalam selon Ghazali « est avant tout une interprétation du dogme dans le but de le rendre acceptable par la raison. Celle-ci ne choisit pas son objet, il est imposé » L’homme saura grâce à sa faculté rationnelle le sens des vérités révélées. Mais, ce ne sera pas lui qui doit dire ce que devait être la religion. Cependant, dans sa pratique plusieurs courants sont nés. Parmi lesquels on peut citer les littéralistes, les mutazilites et les ash’arites. En effet le problème qui se posait chez ces différentes sectes, était le rapport entre raison humaine et foi musulmane. Leurs oppositions tournaient autour de l’interprétation des textes, de l’usage de la raison dans la tradition, constituée du Coran et de la sunna, mais aussi l’adoption d’un certain nombre de principes contraires aux vérités révélées. Par conséquent, les mutazilites s’en prenaient aux zanadiqa (manichéens et dualistes), les ash’arites luttaient contre les mutazilites et les falasifa (philosophes) et les hanbalites s’opposaient aux ash’arites. Alors Faut-il tolérer l’intervention de la raison dans les textes révélés ? Ou bien doit-on se contenter uniquement des vérités du coran et de la sunna sans aucune interprétation rationnelle ou d’invention de principe nouveaux ? Alors, il est nécessaire de demander pourquoi Abû Hamid Al-Ghazali a choisi l’école ash’arites au détriment de celle mutazilite ou même littéraliste hanbalite ? En effet, l’arrivée de Ghazali dans la théologie rationnelle a amené une ère nouvelle. Il s’est démarqué des mutazilites, car en dehors de l’usage de la raison pour éclairer le côté apparent de la tradition, qu’il partage avec eux, il a réfuté la plupart de leurs principes. Rappelons dans la foulée, qui étaient-ils, ces mutazilites. D’abord les mutazilites formaient un groupe d’élites musulmanes basées à Basra dans la capitale de l’empire abbasside de Bagdad. La provenance de leur nom aurait pour origine, cette scission opérée entre Hasan al Basri et son disciple Wasil ibn ‘Ata, au sujet de leurs conceptions des péchés graves. Wasil a exprimé publiquement son désaccord avec son maître et constitue avec ses inconditionnels une faction opposée. Heurté par cette attitude rebelle d’un de ses élèves, Hasan al-Basri cria à ceux qui veulent l’entendre que « Wasil s’est séparé de nous » (i’tazala ‘annâ).Depuis cette déclaration, Wasil et partisans sont appelés des mutazilites c’est-à-dire les « séparés » ou les « sécessionnistes ». Wasil se présente donc comme le fondateur du mutazilisme. Cependant, il faut noter qu’ils ne se sont pas s’autoproclamer mutazilites, mais cette appellation leur viennent de leurs adversaires. Toutefois, ils ne semblent pas s’en lamenter, puisqu’ils se compareraient aux « Sept Dormants ». Ces derniers, très attachés à leur foi, se sont séparés des infidèles pour aller se cacher dans une caverne comme nous le raconte le Coran à la sourate . La doctrine mutazilite prit alors de l’ampleur et gagne la confiance de plusieurs intellectuels musulmans. Elle se fonde désormais sur deux principes fondamentaux : à l’endroit de Dieu, principe de transcendance et l’Unité absolue ; et à l’égard de l’homme, principe de liberté individuelle posant du coup la responsabilité humaine par rapport à ses actes. En effet, ses deux principes avaient des motivations certaines. Outre la responsabilité humaine qui sous-tend la nécessité d’un paradis pour récompenser les fidèles et d’un enfer pour châtier les infidèles, le principe de l’Unité divine répondait particulièrement au dogme chrétien de la Trinité. Pour le mutazilisme le Coran est créé. Or, soutenir une position contraire, c’est-à-dire accepter le Texte révélé comme incréé serait cautionner la théorie de l’Incarnation chez les Chrétiens. Car, dire que le Coran est la Parole de Dieu incréée parvenu à nous sous forme de discours en langue arabe, revient à dire que le Christ est la Parole de Dieu incréée manifestant sur terre et incarné par un être humain. Il est clair, que la différence entre ces deux dogmes ne résulte pas de la nature de la Parole de Dieu, mais le moyen par lequel Elle parvient à nous. Elle serait faite en chair et en os dans la personne du Christ ou faite d’un texte composé de lettres arabes. Donc, le mutazilite ne peut soutenir que l’Unicité divine. Cette dernière aussi disqualifie de Dieu tout Attribut positif. L’Essence divine est une et indivisible. Les mutazilites défendaient donc des thèses qui interpelaient toute la conscience humaine. Tout en étant des gens du kalam, les mutazilites faisaient confiance à la raison justifiant la défense de leurs principes, lesquels étaient plus philosophiques que religieuses. Les littéralistes à leur tête les hanbalites considèrent que la raison n’a rien à voir en matière de religion. L’importance pour la religion, c’est uniquement la foi en Dieu et aux traditions de son Prophète. Mutazilites et littéralistes se présentent donc comme deux extrêmes, les uns défendant l’usage de la raison et les autres contre cet usage. Il est donc nécessaire qu’il ait quelqu’un, qui jouerait le rôle de conciliateur. Ce fut le cas d’Abu Hasan al-Ash’ari. Adoptant jusqu’à l’âge de quarante ans la doctrine mutazilite, al-Ash’ari, après sa retraite pendant quelques semaines, a fait irruption dans la Grande Mosquée de Basra et proclama à haute voix : « Celui qui me connait me connait. Celui qui ne me connait pas, je vais me faire connaitre. Je suis ‘Ali ibn Ismâ’îl al-Ash’ari. Naguère j’ai professé la doctrine mutazilite, croyant au Coran créé, niant la vision divine dans l’au-delà, déniant à Dieu tout attribut et toute qualification positive…Soyez tous témoin que maintenant je renie cette doctrine et que je l’abandonne définitivement. » Remarquer alors qu’al-Ash’ari a presque remis en cause les bases fondamentales même de l’idéologie mutazilite à savoir ses principes les plus essentiels. Alors cette volte-face spectaculaire aurait-elle des causes ? Pour al-Ash’ari deux causes pouvaient expliquer cela. En effet, vue l’impasse où se trouvait la communauté musulmane, venant des deux positions extrêmes à savoir celles des mutazilites et celles des hanbalites. Al-Ash’ari voit d’abord la première cause de son revirement, le fait qu’il trouve insupportable ce rationalisme excessif tant prôné par les mutazilites, lequel est complètement en déphasage avec ses convictions religieuses. Par exemple, si Dieu est totalement transcendant et abstrait, quel sens aurait notre adoration en une divinité entièrement coupé du monde. Et si l’on pense aussi que les réalités de l’univers n’ont que des liens de cause à effet. L’autre cause de sa « conversion » réside du fait qu’il ne pouvait rester passif face aux extrêmes qui secouent l’umma islamique. Une situation très inconfortable marquée par beaucoup de polémiques et querelles doctrinales. Au fait, l’ambition d’al-Ash’ari était d’arrondir les angles entre ces différentes écoles sunnites. Al-Ash’ari constate que les écoles sunnites ne sont différentes que dans l’application de la sunna et non dans l’adoption de ses principes. L’ash’arisme prend donc une position équidistante. Pour cette philosophie, le kalam est une explication rationnelle des dogmes pour mieux les éclairer. Mais la raison ne sera jamais placée au-dessus de la foi. Tout raisonnement peut être accepté tant qu’il ne contredit pas le Coran ou la sunna. A ce niveau le Coran et la sunna doivent être les sources premières pour tous ceux qui cherchent la vérité. La raison se place alors en seconde instance. Néanmoins, pour les questions liées à l’usul al-din c’est à-dire liée à la théologie, la raison peut être consultée en première instance. A l’encontre des littéralistes, l’ash’arisme pense que l’on ne peut pas prendre au pied de la lettre le message du Texte révélé et aussi l’on ne peut donner confiance absolue à la raison pour saisir les vérités de nature spirituelle. Ainsi pour bien éclairer la position d’al-Ash’ari Badawi affirme : « le kalam consiste chez Ash’ari à utiliser des concepts philosophiques en traitant de problème théologiques : la raison n’est pas autorité chez lui ni source par ellemême de connaissance sûre et certaine, comme elle la demeurera chez les mutazilites ». Comme l’a précisé Badawi, les mutazilites faisaient entièrement confiance à la raison, en considérant que, par elle seule, on peut accéder à la vérité divine. C’est aussi la raison pour laquelle Al-Ash’ari dans son Ibâna précise qu’il reproche les mutazilites le fait qu’ils veulent interpréter l’Ecriture selon leur opinion personnelle. Ensuite, leur non-respect scrupuleux, aussi bien des hadiths qui éclairent le Coran que l’autorité des anciens. Ainsi, faire fi de ces éléments en matière de religion musulmane serait contre les bases mêmes de l’islam. En effet, malgré sa position médiane, al-Ash’ari trouve que le rationalisme dogmatique nous éloigne du gayb, c’est-à-dire la connaissance des vérités supra rationnelles, la croyance en un au-delà, à un paradis ou un enfer et à une vie de l’âme après la mort. Or, le Coran révèle que cette croyance fait partie des principes de la foi. Ceux qui «croient à l’invisible et accomplissent la Salat et dépensent (dans l’obéissance à Allah), de ce que nous leur avons attribué.» Coran 2 : 3 Le fait de prendre pour vrai les choses invisibles fait partie de la foi, or la raison ne peut pas nous le permettre. L’ash’arisme a en effet cette ambition de proposer des solutions aux problèmes soulevés par les littéralistes et les mutazilites. C’est la raison pour laquelle beaucoup de savants musulmans se sont retrouvés autour de lui et louent ses qualités et son combat pour sauvegarder les valeurs cardinales de l’islam sunnite. Ces intellectuels trouvaient en lui un refuge à la fois contre le littéralisme étroit des hommes du hadith, et contre le rationalisme excessif des mutazilites». Cependant, les littéralistes et les mutazilites ne l’entendent pas de cette oreille. L’ash’arisme a reçu plusieurs attaques venant de ces deux doctrines. Les mutazilites, ayant toujours cette rancune contre quelqu’un qui était un des leurs en l’occurrence al-Ash’ari, pensent que sa doctrine joue dans l’opportunisme en manipulant la masse. Les mutazilites trouvent non fondé l’argument facile de « syncrétisme » que leur reproche souvent les ash’arites. Les littéralistes de leur côté accusent l’ah’arisme de mauvaise foi, car selon eux les ash’arites n’ont pas le courage de soutenir l’idée selon laquelle seule le Texte révélé et la Tradition prophétique ne doivent être reconnus comme sources fiables. Mais malgré toutes ces attaques l’ash’arisme a bien résisté à ses soubresauts. Ainsi, l’arrivée des Turcs Seldjoukides a bien rétabli la doctrine ash’arite. Ceci grâce à l’avènement du vizir Nizan al-Mulk appartenant à la branche sunnite de l’islam. Il a ouvert deux universités à Bagdad et à Nisapour. Ces deux établissements dispensaient un programme basé sur les enseignements de l’ash’arisme. Ce courant devient une idéologie et se lance dans le combat contre les sectes et les doctrines qui refusent de suivre l’orthodoxie musulmane enseignée par l’ash’arisme. Abu Hamid al-Ghazali a beaucoup participé au rayonnement de cette doctrine. Il l’a adopté comme moyen de lutte contre les dénégateurs de la religion. Il «a même grandement contribué à l’expansion de la doctrine ash’arite en lui donnant un élan nouveau, et ce, grâce aux apports de la méthodologie philosophique et de la logique».Al-Ghazali a donc apporté une touche nouvelle à l’ah’arisme, car sa vocation première restait toujours la défense d’un islam pas trop orthodoxe ni trop rationaliste mais ouvert quand il le faut et fermé quand il le faut. Le kalam sunnite se présente, en réalité chez Ghazali comme une apologie défensive mais utilisée uniquement dans le but d’éclairer sa foi. Donc il ne pouvait pas cheminer avec les traditionnalistes et littéralistes, car il avait d’emblée rejeté le conformisme. Il ne pouvait non plus postuler l’idéologie mutazilite qui est héritière de la philosophie grecque, à laquelle la raison prend le dessus sur la foi. Henry Corbin affirme qu’il y’a deux extrêmes qui s’opposent: «d’un côté les mutazilites qui veulent reconnaitre que la raison et le rationnel, de l’autre les littéralistes qui ne veulent pas en entendre parler».Donc Abû Hamid Al-Ghazali ne pouvait adhérer ni à l’un ni à l’autre bord, car il n’est pas pour une adhésion aveugle à la tradition, ni à une quelconque confiance qu’il faut entièrement donner à la raison humaine. Par ailleurs son rejet du mutazilisme peut aussi s’expliquer autant pour des raisons historicopolitiques mais aussi pour des raisons religieuses. D’abord, les premiers enseignements qu’il avait reçus de son maître l’Imâm Al-Haramayni, étaient basés sur l’idéologie ash’arite. Cette doctrine a aussi été appuyée par le célèbre vizir Nizân al-Mulk fondateur de l’université ou Ghazali était nommé professeur. Sur le plan politique le vizir comptait beaucoup sur Ghazali pour lutter contre ses adversaires le pouvoir fatimide du Caire. «L’offensive que Ghazali a entreprise contre les «batinites» (c’est-à-dire contre l’ésotérisme ismaélien) et contre les philosophes vise en même temps le pouvoir fatimide du Caire, parce que celui-ci protégeait les philosophes et faisait sienne la doctrine batinienne».L’empire abbâsside faisait de cette philosophie ash’arite sa doctrine officielle. Le kalam sunnite est en ce moment très fortement encouragé par cet empire qui avait la destinée de l’islam entre ses mains. Ghazali, de par sa grande notoriété et son génie intellectuel, se présente comme bras armé de l’empire seldjoukide. Sur le plan religieux: l’ash’arisme, faisant face à deux opposants littéralistes et mutazilites, a pu se frayer un autre chemin encore plus prometteur avec l’arrivée d’Abû Hamid. Ce passage du Zâhir au Bâtin. Le kalam comme dialectique rationnelle pouvait se limiter au côté apparent de la réalité mais le hikmat ilâhiyat (la théosophie) et la ma’rifat qalbiya (la connaissance du cœur), compris comme la connaissance de soi ne peuvent être appréhendés par la simple faculté rationnelle. Ainsi, malgré la diversité des sectes dans le kalam sunnite, elles concourent toutes à une même fonction: défendre la religion musulmane. L’ash’arisme conserve des éléments des traditionnalistes et des éléments du mutazilisme. Pour ce dernier, il semblerait contrairement à la croyance populaire, que le kalam mutazilite n’a jamais privilégié la raison au détriment de la tradition. Mais ils ont rendu obligatoire l’usage de la raison dans la foi comme l’a suggéré les Ecrits saints. Donc la raison et la foi sont deux domaines différents qu’il faut circonscrire et l’un ne peut aucunement être confondu à l’autre. Mais cela ne voudrait pas dire qu’elles doivent s’opposer; même si pour Ghazali, la vérité est le propre de la foi, laquelle est du domaine du supra-rationnel. C’est en ce sens qu’il émet des doutes sur toute connaissance liée à ce monde apparent, domaine où s’exercent les sens et la raison et montre une voie unique pour accéder à la vérité absolue : la voie soufie.
L’intuition connaissance supra rationnelle
Le cœur est la faculté des connaissances intuitives, celles qui surpassent la compréhension rationnelle. Ainsi lorsqu’il s’agit d’appréhender les principes ou des évidences, le cœur semble être la seule intelligence capable de satisfaire les besoins de l’homme en ce sens. L’homme ne peut en aucun cas se départir de son besoin métaphysique. Seule la connaissance intuitive pourrait solutionner son désir de connaître l’Absolu. «Le cœur (du latin cor, viscère, ensuite siège du sentiment), conçu comme connaissance immédiate et intuitive, participant de l’affectivité et nous permet de saisir les premiers principes, les axiomes, Dieu ; il est la faculté du particulier et de l’individuel». Le cœur donne accès aux connaissances supra sensibles auxquelles notre capacité de raisonnement n’a pas les moyens d’y accéder. A l’image de Kant qui dit avoir aboli la science, dans ce domaine supra rationnelle, pour la remplacer par la croyance. Dans le domaine du savoir, les compétences de la raison sont limitées entre l’espace et le temps. La démonstration rationnelle ne peut s’élever au-delà des phénomènes ; le domaine de Dieu est de l’ordre de la foi. Dieu en tant que noumène ne peut être saisi par la raison. En ce sens, nous pouvons associer cette conception kantienne à celle de Ghazali et aussi celle de Pascal. En effet, pour Ghazali, la raison ne peut pas connaître l’Absolu c’est-à-dire la Vérité suprême, qui est pour lui Dieu. Le cœur est la faculté des principes, des évidences. Pascal aussi aurait dit la même, les principes sont du domaine du cœur. Selon Ghazali, seul le cœur peut connaître Dieu, et qui veut connaître Dieu doit connaître son cœur, par la purification. «Le cœur est en l’homme cette part qui connait Dieu, qui se rapproche de Lui, qui œuvre pour Lui, qui tend vers Lui, et qui perçoit intuitivement ce qu’Il veut.» Nous connaissons les Idées, nous saisissons Dieu, que par intuition intellectuelle, or cette saisie est l’œuvre non de la raison et du cœur mais l’œuvre de Dieu ne se démontre pas, Il se sent si l’on s’en prend à la conception théologique de Pascal. Pour lui, malgré les belles démonstrations des philosophes sur l’existence de Dieu, cela ne pourra pas porter ses fruits devant un incroyant. Car il fera toujours recours à son esprit critique pour voir si le raisonnement est vrai ou faux. L’essentiel en matière de foi serait de faire taire sa raison et interroger uniquement son cœur. Pour Pascal, les principes sont des évidences qui se sentent. Ceux qui veulent prendre la raison comme capable de tout connaître, Pascal objecte qu’il se trompe. Les vérités du cœur sont supérieures aux vérités rationnelles. En plus, même si les vérités du cœur sont difficiles à démontrer, cela n’entrave en rien leur véracité. C’est seulement à cause de la faiblesse de la raison à pouvoir prouver cette véracité. C’est la raison pour laquelle il affirme dans ses pensées : «C’est le cœur qui sent Dieu, et non la raison. Voilà ce que c’est que la foi, Dieu sensible au cœur non à la raison».Ainsi, Pascal en tant apologiste de la religion chrétienne incitait le fidèle à faire le pari de la foi. De son côté aussi, al-Ghazali jouant le même rôle que Pascal dans le domaine de la religion musulmane, prône à peu près la même chose. Le cœur est la faculté supra rationnelle, la raison est limitée au domaine des sciences humaines. Toutefois, Ghazali a bien pris le soin d’éclairer le sens des notions de raison ; âme ; d’esprit et de cœur. Dans son ouvrage Les merveilles du cœur, il a bien clarifié ces quatre concepts. La raison (‘aql, en arabe), est d’abord considérée comme faculté cognitive, puis comme réalité subtile assimilée au cœur, siège de la connaissance. L’âme (nafs, en arabe), a aussi, pour Ghazali comme la raison deux sens, elle peut d’abord être assimilée au cœur en tant que, la personne à l’état pur, elle désigne ensuite, la part de l’homme considérée comme l’ennemi qui le pousse au mal. C’est, en fait, celle-là que la religion conseille de combattre et aussi celle-là qui doit traverser les différents états spirituels. Ainsi, quand elle est indemne de pêcher, elle est une âme apaisée. Par contre, si elle ne parvient pas à ce stade, mais tant bien que mal lutte pour se débarrasser de ses souillures, elle est une âme encline au blâme. Alors, si elle se laisse complètement coloniser par le Démon, elle prend le nom d’une âme instigatrice du mal.
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Table des matières
INTRTODUCTION
PREMIERE PARTIE : L’INTUITION INTELLECTUELLE CHEZ GHAZALI
Chapitre premier : Du doute à l’intuition
1 : Al-Ghazali et le kalam sunnite
2 : Le doute ghazalien
Chapitre deuxième : La connaissance intuitive chez Ghazali
1 : La dimension philosophique de l’intuition
2 :L’intuition connaissance supra rationnelle
DEUXIEME PARTIE : L’INTUITION RELIGIEUSE CHEZ GHAZALI
Chapitre premier : Les types de connaissance chez Ghazali
1 : Les connaissances rationnelles
2 : Les connaissances religieuses
Chapitre deuxième : Le soufisme et l’intuition
1: Les niveaux de connaissances intuitives
2: Le soufisme la voie d’accès à la Vérité
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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