L’introduction de l’électricité dans la marine militaire, 1880 – 1935

Après des siècles de navigation à la voile, le Conseil d’État acte en 1858 du tournant de la vapeur: « Un navire à voiles, quel que pu être le nombre de ses canons, [cesse] d’être considéré comme un navire de guerre ». Cette décision , à la fois prudente et téméraire, fait le constat de la maturité d’une technologie ayant prouvée la réussite de son adaptation au milieu maritime. L’enjeu de ce choix audacieux est de prendre une initiative majeure face à l’ennemi et de doter le pays des meilleurs équipements techniques du moment. Dominique BRISOU décrit ce cheminement long et laborieux, parsemé tour à tour d’impasses et de succès. L’introduction de la propulsion à vapeur est incontestablement un marqueur dans l’histoire navale, la profusion d’une énergie mécanique à bord bouleverse les capacités militaires des navires, elle amène stratèges et tacticiens à redéfinir le paradigme de la puissance navale. En 1935, le succès du transatlantique Le Normandie confère à la propulsion navale électrique sa pleine reconnaissance en France. Alors que l’étude approfondie de la question de l’introduction des techniques électriques dans la marine marchande a déjà été traitée en 2008 par Pascal ROBERT, qu’en est-il de l’introduction des techniques électriques dans la marine militaire ? C’est à cette question que ce travail entend apporter une contribution .

Alors qu’au XVIIIème siècle l’électricité débute sa carrière comme un phénomène de salon, la succession ininterrompue des travaux de la communauté scientifique donne à cette branche de la Physique des débouchés techniques multiples. Dans les années 1840, le télégraphe bouleverse les communications humaines au travers d’un dispositif simple et inédit. Sur le fond, cette technique électrique dissocie spatialement, avec une grande économie de moyens, la cause de l’effet obtenu : le manipulateur est distant de plusieurs centaines de mètres du récepteur et l’énergie nécessaire se limite à une modeste pile électrochimique. Ce dispositif permet de transmettre à distance une action simple, à laquelle on peut associer une interprétation et une valeur informative. Ces techniques électriques auront ultérieurement leur développement propre, focalisé sur l’amélioration des attributs de ce que je désigne comme le « fluide électrique à faible énergie » afin de ne pas recourir au vocabulaire contemporain de « courant faible ». Dès 1850, de nombreux équipements industriels mettent en œuvre des piles électrochimiques et des machines électromagnétiques, sources d’applications pour ce nouveau fluide. Mais c’est couplé à l’énergie mécanique de la machine à vapeur que la technologie électrique va accéder à son vrai champ de liberté, celui d’une énergie secondaire souple et distribuable. Ces qualités en devenir stimulent la curiosité des scientifiques et la créativité des techniciens, le tout sous l’œil intéressé des industriels et des hommes d’affaire. La diffusion de la technologie électrique dans la marine militaire est d’ailleurs un chantier toujours ouvert à ce jour, de nouvelles applications de l’électrotechnique arrivent très régulièrement à bord des bâtiments militaires: le canon électromagnétique et la catapulte magnétique pour les porte-avions sont les derniers développements majeurs rendus publics.

Définir le domaine d’étude. 

Le domaine d’étude doit donc être restreint et contenu, faute de trop vouloir étudier et de ne faire qu’un survol du sujet, au pire un catalogue d’objets techniques sans lien ni sens. Pour cela, la recherche s’est limitée aux usages de l’électricité en tant qu’énergie, délaissant le champ de l’électricité en tant que média support d’une communication, d’un signal, ou plus globalement d’une information. La définition de cette frontière par les usages peut sembler anachronique, surtout si l’on emploie des termes contemporains pour en décrire les fondements. En effet, le concept de signal en électricité apparaît au XXe siècle, il est associé aux travaux sur la théorie de la régulation qui sont développés vers 1930 par BODE, BLACK et NYQUIST. Je m’appuierai plutôt sur le pragmatisme en vigueur à la fin du XIXe siècle lorsque le grand public retient une typologie de trois applications de l’électricité: le télégraphe (le téléphone en étant son descendant), la lumière et la force motrice. Les années passant  , le champ des connaissances scientifiques s’élargit et les déclinaisons techniques se spécialisent dans un mouvement complémentaire. La classification populaire pragmatique du XIXe siècle n’est certes plus opératoire aujourd’hui, mais elle avait sa pertinence. L’usage des sonneries et des téléphones est contemporain à l’étude, mais ces matériels concernent essentiellement une transmission d’information entre individus. Fort de cette observation, le domaine d’étude se restreint aux usages autres que la téléphonie et le signal. A contrario, la commande et le contrôle à distance sont considérés comme des accessoires liés à une fonction principale, la manœuvre du gouvernail ou d’une pièce d’artillerie par exemple. Les usages d’asservissement et de commande à distance des équipements mettant en œuvre l’énergie électrique seront étudiés alors que les applications de téléphonie, de radio, de l’électronique et de l’informatique seront donc hors champ.

Le sous-marin militaire, véritable usine d’énergie où la propulsion électrique est imbriquée depuis son origine, requiert une mise en œuvre particulière et très spécifique : l’histoire de la sous-marinade comporte plusieurs objets de recherche en soi. Un travail majeur a déjà été réalisé par Dominique BRISOU en 2007 au travers de sa publication « La propulsion du sous-marin français des origines à 1940 ». Une étude sur la place de l’électricité à bord de ces navires est essentielle mais le champ de recherche est trop vaste pour la présente contribution, même si quelques éléments pertinents devront être mentionnés.

Définir la plage temporelle d’étude. 

La borne initiale de la période d’étude, les années 1880, semble la plus facile à déterminer, puisqu’elle est largement dépendante de la diffusion des applications de l’électricité à terre, étape préalable à l’embarquement de cette technique. À noter qu’il est nécessaire de bien dissocier deux contextes, celui de la marine marchande et celui de la marine militaire, les exigences du combat naval étant beaucoup plus contraignantes que celles de la navigation commerciale. Néanmoins, la posture de la marine militaire est paradoxale. Monument de prudence et d’une certaine forme d’attachement aux traditions qui ont incontestablement fait leur preuve, la marine militaire est aussi un espace très ouvert à l’expérimentation, à l’audace et à la prise de risque. Comme à terre, l’électricité s’est invitée à bord pour éclairer, d’abord au loin (vigilance militaire), puis à l’intérieur des locaux aveugles multiples créés par le blindage. Les outils disponibles sont les mêmes qu’à terre: lampe à arc, piles électrochimiques puis machines magnétoélectriques. Sous réserves des remarques antérieures sur la difficulté de phaser un processus, il apparaît pertinent de retenir les années 1880 comme charnière pour cette étude. La décennie précédente comprend des expérimentations ponctuelles s’appuyant sur l’industrialisation de la dynamo de GRAMME en 1869 et une installation «prototype» de projecteur photo électrique embarqué dès 1879: l’intérêt de déployer ce type de matériel est alors confirmé.

Outre atlantique, le développement du complexe techno-industriel pose le débat du système de distribution continental de l’énergie électrique : courant continu ou courant alternatif. La vieille Europe fait face à la même question, sans que ses experts n’aboutissent à un consensus. Alors que le courant alternatif se prête bien au transport à distance, le courant continu permet de répondre à l’irrégularité du plan de charge journalier par l’imbrication d’accumulateurs dans les stations centrales. Les multiples usages complexifient l’appréciation de ce problème dont la résolution optimum ne semble pas être unique. Selon l’importance du besoin en force motrice, la concentration de la production et de l’étendue géographique du système électrique, différentes réponses techniques font jour avec des écarts notables entre les différents systèmes alternatifs, que ce soit en nombre de phases (d’une à quatre), en fréquence (de 30 à 50 périodes) ou en niveau de tension. En France, l’arbitrage entre les options continu versus alternatif reste en devenir jusqu’en 1946, mais cela ne bloque en rien l’extension du secteur électrique : la consommation nationale passe de 340 GWh en 1901 à 2900 GWh en 1919. De leur côté, les activités militaires maritimes participent sur cette période, et avec leurs propres spécificités, à ce mouvement d’effervescence et de créativité. Les objets techniques électriques sont omniprésents à bord, la longueur des conducteurs électriques installés se mesure en kilomètres.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

Introduction
1. Un objet déterminant, le projecteur photo-électrique
Introduction au chapitre 1
1.1.Le contexte spécifique du projecteur embarqué et les exigences de la Marine
1.2.Les premières déclinaisons du projecteur électrique dans la Marine française
1.2.A.Le système technique d’éclairage du Richelieu en 1879
1.2.B.Un sous-système technique électrique en courant continu
1.3.L’épreuve du combat et les premiers résultats dans la Marine française
1.4.Vers un usage maîtrisé des projecteurs dans la Flotte
1.5.Le projecteur de 1880-1935, un cumul d’ajustements incrémentaux
1.6.Les projecteurs de l’Emile Bertin
1.6.A.Présentation générale du bâtiment
1.6.B.Un projecteur avant et deux projecteurs arrière
1.6.C.Une technologie mature avec des améliorations marginales
1.7.Conclusion du chapitre 1, l’électricité est devenue une énergie du bord
2.L’éclairage intérieur, un système technique complexe
Introduction au chapitre 2
2.1.La quête d’un système technique fiable
2.2.Les premières déclinaisons pour les navires militaires
2.2.A.La flotte française
2.2.B.Quelques flottes étrangères
2.3.La complexité d’un système électrique à la mer
2.3.A.L’augmentation des usages prioritaires
2.3.B.Le câblage, canalisations principales et secondaires
2.3.C.Le tableau électrique : de répartition ou de distribution ?
2.3.D.Le niveau de tension et la taille des navires
2.3.E.Les génératrices : nombre, stabilité et emplacement
2.4.A l’épreuve des combats, le retour d’expérience
2.4.A.Proposer une vision d’ensemble du système électrique
2.4.B.Etre une ressource clé pour tous les services du bord
2.4.C.Fiabiliser le fonctionnement intégré du système
2.4.D.Améliorer la pose et l’identification des canalisations
2.4.E.Sécuriser la protection contre les surcharges
2.4.F.Ajuster les moyens et les missions de l’équipage
2.5.Les évolutions du contexte scientifique et technique
2.5.A.Les ampoules
2.5.B.Les isolants électriques
2.5.C.L’apport de l’archéologie subaquatique
2.5.D.Le courant alternatif et ses régulations
2.6.La particularité du croiseur Emile Bertin
2.6.A.Une base de configuration classique
2.6.B.Un tableau de distribution AV spécifique avec des verrouillages
2.6.C.Une conception classique sans innovation
2.7.Conclusion du chapitre 2, les choix s’annoncent
3.Marins et électriciens
Introduction au chapitre 3
3.1.Les métiers d’électricien en 1875
3.1.A.La profession à terre à la fin du XIXe siècle
3.2.L’avènement des électriciens dans la Flotte
3.3.La famille des électriciens autour du navire militaire
3.3.A.Les constructeurs du navire
3.3.B.Le personnel embarqué
3.4.Quelles formations spécialisées pour les équipages ?
3.4.A.Dans la flotte française
3.4.B.Dans les flottes étrangères
3.5.Les électriciens de l’Emile Bertin
3.5.A.Du matériel en quantité et sa documentation
3.5.B.Les conditions de travail
3.5.C.Le professionnalisme
3.5.D.Les gestes faits à bord
3.6.Conclusion du chapitre 3, les pratiques se diffusent
4.L’électricité au service de l’artillerie
Introduction du chapitre 4
4.1.L’artillerie à terre et l’artillerie dans l’environnement marin
4.1.A.Les mouvements canon / cible
4.1.B.La puissance de feu et la précision des tirs
4.2.Les performances des obus
4.2.A.L’impact sur la manutention des obus et des gargousses
4.2.B.Les canons et des tourelles blindées, une inflation des masses
4.3.Les mouvements des tourelles blindées et des canons
4.3.A.La motorisation à vapeur ou pneumatique
4.3.B.La motorisation hydraulique
4.3.C.La motorisation électrique
4.4.L’électricité et la transmission des informations
4.4.A.Les sonnettes, la téléphonie et la télésignalisation
4.4.B.Le télépointage et la mise à feu des amorces
4.4.C.L’absence d’outil scientifique pour la régulation
4.5.L’ Émile Bertin en 1935
4.5.A.Son potentiel offensif
4.5.B.Le matériel électrique dédié à l’artillerie
4.5.C.L’électricité : des tensions avec la Direction de l’Artillerie Navale
4.6.Conclusion du chapitre 4, dans l’attente d’asservissements performants
Conclusion générale
Annexes

Rapport PFE, mémoire et thèse PDFTélécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *