L’intimidation scolaire à l’adolescence

L’intimidation scolaire à l’adolescence

Le raisonnement social et la légitimation

On trouve, en amont de l’idée de légitimation de l’agression, le principe selon lequel les conduites agressives sont communément perçues comme illégitimes, en vertu du droit à l’intégrité physique et à la dignité humaine (Kohlberg, 1981). C’est pourquoi il est rare de rencontrer un jeune qui s’oppose à la logique de la règle d’or: « tu traiteras autrui comme tu aimerais être traité ». Cela dit, chaque société reconnaît comme légitimes un certain nombre d’actes malgré, ou encore en raison de, leur caractère agressif. Par exemple, une guerre ou une mesure punitive comme la peine de mort peuvent être légitimées par le biais du pouvoir politique alors que la légitimité d’un sport violent ou d’une mesure punitive comme la fessée sera plutôt d’ordre traditionnel (Villanueva, Bilbao, et Revilla Castro, 2006).Finalement, on reconnaît aux comportements défensifs une certaine légitimité morale puisqu’ils répondent à un besoin de protection immédiat d’un danger pour soi ou pour un autre. Les conduites accidentelles sont également perçues comme moralement excusables lorsque l’individu reconnaît le tort qu’il a causé. Ainsi, on entend par une agression légitime, une conduite qui est explicitement, moralement ou culturellement acceptée, bien qu’elle vise à causer du tort physique ou psychologique à autrui (Baron, Straus, et Jaffee, 1987).

On remarque ici que c’est un ensemble de conditions particulières, davantage qu’un acte spécifique, qui est légitimé. C’est pourquoi nous interprétons différemment le coup de poing donné par un boxeur à son adversaire et celui donné par le même homme à son épouse. Évidemment, certaines circonstances laissent davantage place à l’interprétation que d’autres. Un État peut-il s’en prendre à un autre afin de prévenir une attaque potentielle? Et que dire d’un enfant qui désire protéger un projet scolaire fragile d’un camarade turbulent? Le concept de légitimation a été utilisé pour référer aux raisonnements, attitudes ou croyances normatives utilisées pour justifier une conduite agressive qui n’est pas socialement acceptée dans un contexte donné. Selon Bandura (1999), une personne peut adresser ces justifications à autrui pour éviter une sanction, afin d’obtenir du soutien, ou encore dans le but de protéger une réputation de respectabilité. Elle peut également tenter de se justifier à elle-même un comportement pour lequel elle craint d’éprouver un sentiment de honte ou de culpabilité. La légitimation vise généralement à contourner l’interdit qui pèse sur l’agression plutôt que de le rejeter entièrement. Par exemple, même lorsqu’un jeune se dit justifié par une norme informelle (« tout le monde le fait »), celui-ci n’acceptera pas pour autant d’être victimisé à son tour.

Présentation du deuxième article

Ce second article, intitulé Intimidation et raisonnement moral : considérations pour compléter les efforts de prévention actuels, a été publié à l’automne 2014, dans le volume 35 de la Revue québécoise de psychologie. Il aborde le rôle du raisonnement moral dans l’adoption de conduites d’intimidation à l’école. Une définition de la morale normative est d’abord présentée, suivie par l’explication des conduites transgressives dans la perspective de la théorie des domaines de la connaissance sociale, puis dans celle de la théorie de l’agentivité morale. Sont ensuite recensés des savoirs sur le raisonnement moral des jeunes qui intimident, des jeunes qui sont témoins d’incidents d’intimidation et de ceux qui en sont victimes. Dans chaque cas, des pistes d’intervention ou de prévention en relation avec la dimension morale du phénomène sont illustrées.

Considérant que le caractère insidieux de l’intimidation à l’école découle en grande partie de sa légitimation, c’est-à-dire du fait qu’elle puisse être considérée comme une conduite attendue dans certains milieux scolaires, il apparait nécessaire d’adopter une perspective morale qui puisse expliquer comment des individus autrement bien intégrés dans leur communauté peuvent en venir à la percevoir comme un mal inévitable, voire une stratégie efficace. Ainsi, l’objectif de ce deuxième article est de présenter un état des connaissances sur le raisonnement moral des adolescents impliqués dans des incidents d’intimidation se rapportant au cadre théorique choisi pour guider la présente recherche doctorale. C’est pourquoi une attention particulière est portée à la complémentarité de la théorie des domaines de la connaissance sociale et de la théorie de l’agentivité morale dans l’explication des facettes du raisonnement moral impliquées dans les conduites adoptées lors d’incident d’intimidation à l’adolescence.

Le raisonnement moral des jeunes qui intimident

Même à l’extérieur du cadre d’études morales, les élèves qui intimident leurs pairs sont souvent présentés comme peu intéressés par le bien-être d’autrui, ce qui leur permettrait d’adopter plus facilement des stratégies agressives orientées vers l’atteinte d’avantages personnels (Sutton, Smith et Swetterham, 1999). Comme pour d’autres conduites agressives, leurs comportements d’intimidation seraient liés à un raisonnement sociomoral contextuel qui diffère de celui de la population non agressive (Tisak, Tisak et Goldstein, 2006).Alors que la plupart des jeunes considèrent les actes d’agression acceptables lorsqu’ils sont commis en réponse à une agression initiale injustifiée (Tisak et Tisak, 1996), les jeunes qui intimident tendraient plutôt à valoriser les comportements agressifs proactifs, qu’ils estiment plus souvent être des stratégies sociales faciles et efficaces (Arsenio et Lemerise, 2001). Pour Sutton et Keogh (2001), les auteurs d’actes d’intimidation partagent aussi davantage de croyances légitimant l’utilisation de l’agression, comme l’opinion qu’il est de la nature humaine que les plus forts profitent des plus faibles.De telles attitudes ont été conceptualisées comme des indicateurs de désengagement moral et sont particulièrement prépondérantes chez les jeunes qui intimident, à l’école et sur l’internet (Barchia et Bussey, 2011a; Obermann 2011a; Perren et Gutzwiller-Helfenfinger, 2012; Pornari et Woods, 2010). Dans leurs travaux, Hymel et son équipe (2005) ont exploré les mécanismes du désengagement moral qui participent individuellement à la prédiction des conduites d’intimidation chez des adolescents. Deux mécanismes ont été mis en exergue, soit la reconstruction cognitive de l’acte, qui contribuerait à présenter l’intimidation sous un jour plus acceptable, ainsi que la déshumanisation et le transfert du blâme à la victime, la conduisant à mériter un traitement vindicatif aux yeux de l’agresseur. Or, chez des élèves du primaire, seule la reconstruction de l’acte a été identifiée comme prédisant l’intimidation en classe lorsque les mécanismes de désengagement moral sont pris séparément (Pozzoli, Gini et Vieno, 2012). Ces résultats rappellent que l’on sait très peu sur la façon dont se développe le désengagement moral en relation avec les comportements d’intimidation.

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INTRODUCTION
PROBLÉMATIQUE 
L’intimidation scolaire à l’adolescence
L’impact de l’intimidation dans les communautés scolaires
Présentation du premier article
Premier article : Les dynamiques d’intimidation à l’école: pourquoi et pour qui sont-elles légitimes?
Résumé et mots-clés
Abstract and keywords
Introduction
L’intimidation scolaire: un problème actuel
Le raisonnement social et la légitimation
Une perspective sociocognitive des conduites agressives
La légitimation de l’intimidation scolaire
La légitimation en contexte
Conclusion
CADRE THÉORIQUE ET ÉTAT DES CONNAISSANCES 
La théorie constructiviste du jugement moral
Les théories développementales de la motivation morale
La théorie de la motivation morale de Nunner-Winkler
La théorie sociocognitive de l’agentivité morale
La régulation du comportement moral
Les mécanismes de désengagement moral
La théorie des domaines de la connaissance sociale
Les domaines de la connaissance sociale
L’étude du raisonnement sociomoral
Présentation du deuxième article
Deuxième article : Intimidation et raisonnement moral : considérations pour compléter les efforts de prévention actuels
Résumé et mots clés
Introduction
Le rôle du raisonnement moral dans les conduites transgressives
La théorie des domaines de la connaissance sociale: la morale parmi d’autres impératifs
La théorie du désengagement moral: le retrait de l’imparti moral d’une conduite
Le raisonnement moral des jeunes qui intimident
Les intimidateurs bien intégrés au sein de leur groupe et les intimidateurs victimisés
Une perspective morale de la gestion des comportements d’intimidation
Le raisonnement moral des témoins d’intimidation
Les témoins prenant le parti de l’intimidateur
Les témoins prenant le parti de la victime
Les témoins demeurant passifs
Les adultes témoins d’intimidation entre élèves
Une perspective morale de la sensibilisation des témoins d’intimidation
OBJECTIFS, MÉTHODOLOGIE ET RÉSULTATS 
Vers une explication morale de la légitimation de l’intimidation par les pairs
Méthodologie de la recherche
Troisième article : Moral reasoning about school bullying in involved adolescents
Participant roles in bullying incidents and moral reasoning
Aim and hypotheses
Method
Participants
Discussion
Conclusion
Présentation du quatrième article
Quatrième article : La légitimation des dynamiques d’intimidation: raisonnement sociomoral d’adolescents impliqués
Résumé et mots clés
Abstract and keywords
Introduction
La légitimation de l’intimidation : croyances normatives et environnement scolaire
Une perspective morale de la légitimation de l’intimidation scolaire
Objectif et hypothèses
Méthode
Instruments de collecte de données
Résultats
Analyses préliminaires
Analyses des jugements d’acceptabilité
Analyse des justifications sociomorales
DISCUSSION GÉNÉRALE 
CONCLUSION GÉNÉRALE
RÉFÉRENCES

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